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Compte rendu in extenso des débats
Mercredi 25 octobre 2000 - Strasbourg Edition JO

8. Coopération avec les États ACP impliqués dans des conflits armés
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  Le Président. - L'ordre du jour appelle le rapport (A5-0296/2000), de M. Van Hecke, au nom de la commission des affaires étrangères, des droits de l'homme, de la sécurité commune et de la politique de défense, sur la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen : coopération avec les États ACP impliqués dans des conflits armés (COM(1999) 240 - C5-0115/1999 - 1999/2118(COS)).

 
  
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  Van Hecke, Johan (PPE-DE), rapporteur. - (NL) Monsieur le Président, la communication de la Commission qui nous occupe en ce moment a été publiée il y a un an et demi après le début de la guerre en Afrique centrale. Faute de consensus, elle est restée pendant tout ce temps dans les mains du Conseil. Depuis lors, le conflit congolais a déjà causé la mort, selon les estimations, de 1,2 million de personnes. Dans mon rapport, j'ai essayé de formuler en toute modestie quelques propositions visant à contribuer à la fin de l'escalade de violence et à la fin du sous-développement qui touchent un grand nombre de nos partenaires ACP. Ces propositions doivent également éviter que des fonds européens ne soient consacrés au financement de la guerre. Mon rapport pourrait se résumer par trois mots clés commençant tous par la lettre "c" : conditionnalité, cohérence et contrôle. Il convient d'établir un lien clair, dans une mesure beaucoup plus importante que cela n'a été le cas jusqu'à présent, entre, d'une part, l'assistance financière et la remise de la dette et, d'autre part, la bonne gestion des affaires publiques, la démocratie, le respect des droits de l'homme et l'État de droit.

Je plaide même pour l'établissement d'un plafond de dépenses militaires dans les pays ACP au- delà duquel une aide ou une remise de la dette ne serait plus accordée. Si ces conditions ne sont pas remplies, l'Union européenne doit alors oser prendre des mesures appropriées, allant des pressions diplomatiques et de la suspension de l'aide aux sanctions, avec une préférence pour les embargos sur les armes et les diamants - c'est ce qu'on appelle des sanctions "intelligentes" qui frappent la classe dirigeante, et non la population.

À cet égard, je voudrais aussi insister auprès de la Commission pour qu'elle se base sur des critères univoques pour la suspension d'aide. Il serait particulièrement utile, à mon sens, de rédiger une liste énumérant, dans le cadre de l'article 96 de l'accord de Cotonou, toutes les infractions possibles à cet accord. Je ne peux en ce moment me défaire de l'impression que la Commission recourt par trop à une approche ad hoc, qui peut lui valoir le reproche de travailler avec deux poids et deux mesures.

Outre la conditionnalité, nous mettons l'accent sur une plus grande cohérence entre, d'une part, l'approche de la Convention de Lomé et l'approche de la PESC et, d'autre part, entre la politique de l'Union et la politique des États membres. Il faut absolument éviter des situations, tel que cela a été le cas pour l'Éthiopie, où la Commission européenne et certains États membres gèlent toute aide cependant que d'autres États membres mettent en œuvre de nouveaux programmes. En outre, il faut renforcer rapidement le contrôle de l'utilisation des fonds européens. Les pays ACP impliqués dans des conflits armés doivent accorder à la Banque mondiale et au FMI un droit de regard total dans leur comptabilité. Il faut geler immédiatement toute aide structurelle lorsque les fonds de développement européens sont utilisés pour acheter des armes. L'Europe ne saurait être assez stricte sur ce plan.

Tout cela ne doit pas, à mon avis, détourner notre attention de l'une des principales missions de l'Union européenne : la prévention des conflits. Comme le cas du Rwanda et de l'Éthiopie l'ont montré, les signaux d'alarme ne manquent généralement pas, mais l'on n'y réagit pas toujours de façon adéquate et opportune. C'est pourquoi il est important de s'attaquer suffisamment tôt aux causes des problèmes. La prévention des conflits implique également de lutter contre la pauvreté, de renforcer la démocratie et la société civile, d'améliorer les contrôles du trafic illicite d'armes, de créer une force africaine de maintien de la paix, d'établir une réglementation internationale pour l'emploi d'armées de mercenaires et de renforcer le contrôle de l'interdiction mondiale d'utiliser des enfants-soldats. Par ailleurs, Monsieur le Président, je plaise également pour une plus grande participation du Parlement européen. Il me semble essentiel que nous ayons davantage à dire lorsqu'il s'agit de geler ou de dégeler une aide.

Monsieur le Président, j'espère que le Conseil ne renverra pas à nouveau cette importante communication aux calendes grecques - communication qui a été inspirée par l'ancien commissaire Deus Pinheiro. Si nous voulons véritablement apporter notre contribution à un règlement pacifique en Afrique centrale, il faut dès à présent agir de manière énergique et cohérente, il faut conditionner l'aide et il faut soumettre la région des Grands Lacs à un embargo total sur les armes. Les fonds de développement ne doivent, à aucune condition, servir à financer la guerre. Cela est inacceptable, tant pour les population touchées que pour le contribuable européen.

(Applaudissements)

 
  
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  Maes (Verts/ALE), rapporteur pour avis de la commission du développement et de la coopération. - (NL) Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire, chers collègues, au nom de la commission du développement et de la coopération, je voudrais encore nourrir de quelques réflexions les importantes questions mises à l'ordre du jour par M. Van Hecke en sa qualité de rapporteur. Je suis d'accord avec lui sur tous les plans, tout comme l'ensemble de la commission, d'ailleurs, et je souhaite le remercier pour sa collaboration constructive, qui a permis d'incorporer dans le texte tous les amendements de la commission du développement et de la coopération, ce qui contentera le président, qui n'aura pas affaire à un nombre important de votes.

Les réflexions dont je souhaite vous faire part aujourd'hui, Monsieur le Commissaire, concernent surtout la pratique. Aujourd'hui encore, nous avons pu lire dans les journaux que la situation se dégrade à nouveau en Côte d'Ivoire, que les personnes que nous avons envoyées sur place pour rendre compte des élections courent le risque d'être impliquées dans un nouveau conflit armé interne.

Nous nous posons des questions quant à la cohérence de la politique de la Commission et du Conseil, dont je regrette une fois encore l'absence. Alors qu'il avait été convenu, en septembre 1998, de ne plus accorder d'aide budgétaire aux pays en guerre, la Commission n'en a pas moins versé, en mars 2000, 110 millions d'euros au Rwanda, pays qui occupe des parties importantes du territoire de la République du Congo au mépris des accords de paix. Je sais très bien que de nombreux acteurs de ce conflit n'ont pas la conscience tranquille. Mais n'est-on pas plus dur avec la RDC de Kabila qu'avec l'Ouganda ? N'est-on pas plus dur avec le Zimbabwe qu'avec le Rwanda ? J'ai l'impression que c'est clairement le cas, car l'on applique dans la pratique une politique de deux poids et deux mesures vis-à-vis de pays impliqués dans un même conflit armé. Certains pays bénéficient presque du soutien inconditionnel de l'Union européenne, du FMI et d'autres, tandis que d'autres n'ont accès à une aide qu'à des conditions très strictes. Les rapports de force entre pays impliqués dans un même conflit s'en trouvent parfois directement influencés.

Laissez-moi être claire : je suis opposée à toute forme d'aide budgétaire aux pays en guerre, car cette aide est utilisée, directement ou indirectement, pour acheter des armes. Voilà un deuxième point sensible de notre politique européenne. L'exportation d'armements vaut la peine d'être mentionnée, car elle est co-responsable à part entière des différents conflits. Non seulement le commerce illicite d'armes est florissant, mais le commerce d'armes sous contrôle se soucie davantage de la "concurrence loyale" entre les fournisseurs d'armes que de la paix que nous réclamons.

 
  
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  Morillon (PPE-DE). - Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire, l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE s'est fixé comme objectif l'éradication de la pauvreté dans ces régions d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique qu'il faut arracher à leur misère.

C'est un devoir de la riche Europe, mais c'est aussi, j'en suis persuadé, son intérêt. Parmi les causes de cette pauvreté, notre rapporteur Johan Van Hecke, dans son très complet rapport, dénonce avec raison l'anarchie régnante, conséquence des conflits armés qui ne cessent d'ensanglanter certaines de ces régions. Dans l'inventaire des remèdes à apporter à cette situation, sans ingérence dans les affaires intérieures de tous ces pays jaloux de leur indépendance, Johan Van Hecke a cité à juste titre la mise sur pied d'une force de paix. Permettez que, avec l'expérience qui est la mienne, je développe ce point.

L'ère des interventions militaires de contingents européens est dépassée, non pas tellement parce qu'elles avaient des relents néocolonialistes, mais parce que les récents engagements de la communauté internationale, que ce soit sous mandat des Nations unies ou du fait d'accords multilatéraux, ont montré qu'il fallait régionaliser le traitement des crises. Pour être vraiment utile dans les tâches de maintien ou de rétablissement de la paix, il faut une connaissance approfondie de l'histoire, de la culture et même de la langue du pays où l'on est appelé à intervenir.

C'est la raison pour laquelle ont été mis sur pied et doivent continuer d'être instruits et développés, avec l'aide de l'Union européenne, des mécanismes régionaux de gestion des conflits qui doivent progressivement prendre en charge la responsabilité des actions sur le terrain, dans le cadre d'une stratégie commune, coordonnée entre les États membres et les pays ACP eux-mêmes et qu'il appartient à notre Parlement de continuer à définir en en contrôlant plus activement la mise en œuvre.

C'est un des mérites de notre rapporteur d'avoir su proposer dans cette perspective un inventaire des plus exhaustifs des réflexions et des actions qui peuvent et doivent être conduites.

 
  
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  Martínez Martínez (PSE). - (ES) Monsieur le Président, le nouvel accord de coopération signé à Cotonou représente une excellente occasion pour corriger les déficiences constatées au cours du précédent et pour clarifier des concepts et des normes d'action dans des cas particuliers de notre coopération avec les pays ACP, par exemple, dans celui qui a donné naissance à la communication de la Commission qui nous occupe ici et aux rapports des collègues Van Hecke et Maes, autrement dit, à ce qui doit se passer lorsqu'un pays associé se voit impliqué dans un conflit armé.

Dans la lignée de ce qui a été dit par les rapporteurs, nous pensons que l'Union doit revoir ses programmes d'aide aux pays en guerre pour éviter, entre autres, que les fonds accordés puissent être détournés vers des activités militaires. Même pour le principe, il faut reconsidérer le soutien à des pays ou des régimes responsables d'incidents armés dans des États voisins ou qui dépensent des sommes démesurées dans l'armement, quand ce n'est pas dans des opérations de répression des droits individuels ou des minorités au sein de leur propre population.

Nous ne devons pas perdre de vue l'article 11 du nouvel accord dans lequel nous affirmons l'engagement européen à l'égard des politiques de construction de la paix ainsi que de la prévention et de la résolution des conflits armés. Le dialogue entre les parties qui s'affrontent et entre l'Union et ces mêmes parties doit constituer l'instrument essentiel de ces actions.

Mme Maes et moi-même avons exprimé notre perplexité face à des attitudes paradoxales, dans lesquelles nous voyons que nous avons, depuis l'Union, approuvé des aides de millions d'euros pour des pays clairement engagés dans l'occupation militaire de l'un de leur voisin. À ce sujet, l'attitude partiale parfois adoptée lors de l'application des politiques d'aide est inacceptable et les contradictions qui peuvent également exister entre l'action des États membres, ou de l'un d'entre eux, et celle de l'Union elle-même nous inquiètent également. Je pense qu'il convient que le Parlement ait plus de transparence, plus de cohérence, plus d'informations et plus de contrôle sur ces politiques.

Enfin, n'oublions pas que la diminution ou le gel de notre aide au développement pour un pays en guerre devrait souvent aller de pair avec un effort supplémentaire d'aide de type humanitaire pour les populations de ce pays, principales victimes de ces conflits. Ici, une fois de plus, l'intervention des ONG solvables, par le biais desquelles de tels programmes peuvent être réalisés avec des garanties de succès et d'efficacité, sera indispensable.

 
  
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  Van den Bos (ELDR). - (NL) Monsieur le Président, les conflits violents sont toujours l'œuvre de l'homme. Aussi abjects qu'ils soient, ils ne sont jamais inéluctables comme les catastrophes naturelles. Les dirigeants qui les déclenchent en sont les grands responsables. C'est toujours ainsi, mais plus particulièrement dans les pays les plus pauvres, qui voient leur population endurer une souffrance double, qui voient leur développement bloqué et qui voient des années d'efforts et d'aide étrangère réduits à néant. Et pourquoi se bat-on ? Pour conquérir le pouvoir ou simplement pour refuser de céder celui-ci ? Pour amasser des minéraux, pour massacrer d'autres groupes ethniques, pour faire sécession ou pour conquérir un bout de désert ?

L'Afrique est un continent particulièrement belliqueux. Un Africain sur cinq vit dans un pays impliqué dans un conflit sérieux et, pour comble de malheur, les conflits augmentent, tant en nombre qu'en intensité. La grande question est de savoir pourquoi il en est ainsi. L'Europe a le devoir politique et moral de tout faire pour prévenir ou stopper les conflits dans les pays ACP. Je trouve excellent le rapport de notre collègue Van Hecke. Nous devons être beaucoup plus sévères vis-à-vis des régimes ACP irresponsables, clarifier les critères pour la suspension de l'aide et appliquer les sanctions au cas par cas. Nous devons toucher les dirigeants, et non la population - peu importe la difficulté que cela représente -, et notre Parlement doit être directement impliqué dans les décisions de suspension d'aide.

Il est tout simplement scandaleux que des fonds de développement européens soient utilisés pour acheter des armes. De leur côté, les États membres de l'UE qui livrent des armes aux parties belligérantes sont eux aussi responsables de la terrible souffrance des populations et de l'anéantissement de leur propre aide au développement. L'accord de Cotonou, Monsieur le Président, jette à juste titre les bases de l'intensification du développement, de la participation au commerce mondial et du dialogue politique, mais les pays ACP qui sombrent dans la violence font éclater cette collaboration et mettent en lambeaux le Traité.

(Applaudissements)

 
  
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  Lucas (Verts/ALE). - (EN) Madame la Présidente, j'accueille chaleureusement ce rapport et j'en félicite l'auteur. Il n'y a qu'un seul point qui pose un sérieux problème : c'est le fait d'étendre le principe de conditionnalité au secteur de la remise de la dette. Je serais en faveur de la conditionnalité dans pratiquement tous les autres secteurs. Je pense vraiment que la responsabilité nous incombe d'utiliser tous les outils dont nous disposons pour promouvoir la bonne conduite des affaires publiques, la démocratie et l'État de droit dans nos relations internationales. Mais même si ces principes doivent guider nos politiques d'aide, une distinction importante doit être établie lorsque nous abordons le sujet de la remise de la dette. Car l'histoire démontre que la responsabilité de la dette revient autant aux prêteurs qu'aux emprunteurs. De plus, depuis que les emprunts initiaux ont été accordés, l'encours de la dette a continué de croître bien au-delà du prêt initial. De nombreux pays remboursent plusieurs fois leur dette. Certains pays dépensent encore plus d'argent pour rembourser leur dette qu'ils n'en consacrent à la santé et à l'éducation réunies, et cependant, ceux qui souffrent de ce "détournement" des ressources ne sont certainement pas les personnes qui ont bénéficié des prêts initiaux.

Un argument valable pose la question de savoir quel est le but d'une remise de la dette si des gouvernements non démocratiques utilisent les fonds pour leur propre bénéfice ? Cela reste du domaine du possible. Mais il est peut-être davantage probable qu'une fois les populations informées de la remise de la dette, elles exercent elles-mêmes une pression plus importante sur leurs gouvernements afin qu'ils réalisent des dépenses primordiales dans le secteur social.

Le rapport Van Hecke dit que l'application de la conditionnalité demande de la cohérence et du courage. Je suis d'accord. Mais dans le contexte de la remise de la dette, elle nécessite également d'être juste et de reconnaître que, dans de nombreux cas, la dette a déjà été remboursée plusieurs fois.

 
  
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  Sylla (GUE/NGL). - Monsieur le Président, je voudrais remercier le rapporteur pour la pertinence de ses remarques et ses nombreuses propositions. Sur les trente-quatre pays les plus pauvres du monde, vingt sont impliqués dans un conflit. Cette situation provoque l'instabilité de régions entières.

M. Morillon a raison de souligner la question de la misère, dont l'éradication est un des objectifs que nous nous sommes fixés lors de notre rencontre avec les pays ACP. Je crois qu'aujourd'hui nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur la question de l'annulation de la dette, des politiques dites "d'ajustement structurel" qui mènent ces pays à la dérive, je crois que nous devons cesser de fixer nous-mêmes les prix des matières premières et que nous devons vendre des trithérapies et des médicaments au prix coûtant. Je suis convaincu qu'il y a là un certain nombre de solidarités que nous devons mettre en place.

À l'heure où je vous parle, mes chers collègues, Monsieur le Président, je ne peux pas m'empêcher d'avoir une pensée pour l'ensemble des démocrates et pour le peuple ivoirien en ce moment même dans la rue à demander, au nom de la démocratie, que parte la junte militaire, que parte le général Gueï. Nous savons qu'avec lui, c'est la balkanisation de l'Afrique qui est en train de se préparer. C'est un pouvoir ethniciste que nous ne pouvons accepter.

Je crois donc que, pour aller dans le sens de ce que disait le rapporteur, nous devons avoir aujourd'hui vis-à-vis du contribuable européen et vis-à-vis des pays ACP des choses extrêmement claires à dire. Nous devons nous engager à dire à la junte militaire en Côte d'Ivoire, comme à l'ensemble du pouvoir dictatorial que nous ne leur accorderons jamais aucun visa, aucune protection et que nous allons geler leurs actifs et qu'en plus de tout cela, nous apportons notre soutien plein et entier à l'ensemble des démocrates.

Ce sont des phrases aussi simples et aussi fortes que celles-ci qui nous permettront de nous entendre.

 
  
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  Pacheco Pereira (PPE-DE). - (PT) Monsieur le Président, le rapport Van Hecke soulève une question fondamentale : dans quelle mesure les aides internationales aux pays en conflit ne constituent-elles pas un facteur de conflit et dans quelle mesure ces aides ne favorisent-elles pas les gouvernements corrompus et belligérants ? Je voudrais citer deux exemples du rôle pernicieux des aides internationales accordées sans condition, en ce qui concerne une des régions les plus pauvres et malheureuses du monde. Je veux parler d'un pays qui n'a cessé d'être en guerre depuis les années 60 et d'un pays qui connaît une paix précaire, mais que les aides internationales risquent de mettre en danger de manière perverse ; il s'agit respectivement de l'Angola et du Mozambique.

En Angola, le gouvernement et l'UNITA se livrent une des guerres civiles les plus cruelles d'Afrique. Malheureusement, il est clair que l'aide internationale, en particulier celle accordée au gouvernement de Luanda, a joué un rôle dans la poursuite de ce conflit. Je regrette que mon propre gouvernement, le gouvernement portugais, soit impliqué dans cet effort militaire.

Dans le cas du Mozambique, qui connaît une paix précaire obtenue avec beaucoup de difficulté, l'utilisation de l'aide internationale par le parti au pouvoir en vue de favoriser des provinces déterminées au détriment d'autres provinces, en fonction des résultats électoraux, peut constituer en soi un facteur important de crise, pour la paix obtenue au prix de nombreux efforts il y a quelques années, et de reprise du conflit civil au Mozambique.

C'est une question que l'Union européenne et les pays donateurs essentiellement doivent se poser : savoir si dans des pays déterminés, comme le Mozambique, l'aide internationale n'est pas utilisée comme un instrument de pouvoir servant à légitimer un gouvernement à la limite de la démocratie et, de ce point de vue, si l'aide ne contribue pas à faire disparaître une paix fort précaire.

Voilà des questions que le rapport soulève et qui méritent une bonne dose de réflexion de notre part.

(Applaudissements)

 
  
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  Titley (PSE). - (EN) Monsieur le Président, j'accueille également la communication de la Commission et le rapport de ce jour. Un message clé dans tout cela est le besoin de cohérence. L'union européenne chapeaute bon nombre d'activités : le commerce, la Convention de Lomé, la PESC, les politiques extérieures et, bien trop souvent, ces activités manquent de cohérence. La cohérence doit être notre principal objectif.

De plus, la prévention des conflits doit être une priorité pour l'Union européenne. Nous mettons en ce moment les mesures en place. Nous avons le Haut représentant, nous avons l'unité de planification de la politique et d'alerte rapide au Conseil. Ils doivent maintenant insister sur le fait que nous devons nous concentrer sur la prévention des conflits plutôt que sur une intervention militaire dans un conflit devenu incontrôlable. Nous devons reconnaître l'importance d'éléments tels que la rareté des ressources en eau dans l'émergence des conflits. La politique de la Commission devrait viser à assurer l'augmentation de l'approvisionnement en eau, plutôt que sa diminution comme cela a déjà été le cas.

Comme cela a déjà été mentionné, nous devons mettre l'accent sur l'importance de la bonne gestion des affaires publiques et la démocratie. Elles devraient faire partie de la conditionnalité et nous devrions exiger des États membres qu'ils ne soutiennent pas les politiciens pour des exigences à court terme si ils ne répondent pas aux conditions essentielles de bonne gestion des affaires publiques et de démocratie. Beaucoup trop souvent, nous sommes prêts à soutenir un groupe plutôt qu'un autre au détriment de la paix à long terme dans une région.

Enfin, nous devons bien sûr endiguer le flux des armes dans ces régions, et pas uniquement par des actions contre les armes légères. Comme je l'ai souligné dans mon rapport le mois dernier, j'aimerais voir des actions entreprises à l'encontre des fabricants d'armes dans l'Union européenne. Dans de nombreux pays, aucun contrôle n'est exercé sur les activités des fabricants d'armes. Ils commercent à leur guise et dans presque tous les conflits, on trouve des fabricants d'armes derrière la prolifération des armes. Il est primordial, dans le cadre du code de conduite de l'UE, que nous prévoyions des licences pour les fabricants d'armes et que nous contrôlions leurs activités. Cela ne sert à rien de voir les gouvernements mettre de l'ordre dans leurs exportations si nous permettons à des personnes privées d'agir comme ils le font.

De même, nous devrions aussi nous pencher sur les licences de fabrication. Rien ne sert d'avoir des règles sur la fabrication au sein de l'UE si des sociétés de la Communauté peuvent produire sous licence à l'extérieur et contourner les contrôles.

Je soutiens ce rapport, mais j'aimerais insister sur le fait que nous n'obtiendrons aucun résultat si nous ne sommes pas préparés à endiguer le flux d'armement dans les régions en conflit. Cela requiert une action bien plus forte que ce à quoi nous nous sommes préparés jusqu'à présent.

 
  
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  Laguiller (GUE/NGL). - Monsieur le Président, le rapport constate ce qui est une évidence, à savoir que l'extension et l'intensité des conflits armés en Afrique sont dramatiques et se traduisent par d'immenses souffrances humaines.

Toutefois, ce langage compatissant est aussi une façon de dissimuler la responsabilité directe ou indirecte, mais écrasante, des grandes puissances européennes elles-mêmes dans la plupart de ces conflits, du Rwanda à la Sierra Leone.

Aujourd'hui, en Côte d'Ivoire, même si devant la réaction de la population d'Abidjan contre la tentative d'un nouveau coup d'État militaire, Jospin comme Chirac prennent position contre le putsch, comment ne pas dénoncer la politique de l'impérialisme français ? Les liens du général Gueï avec l'état-major français sont notoires, comme le sont les liens avec un certain nombre de grands groupes industriels français qui contrôlent des secteurs économiques entiers en Côte d'Ivoire.

Paris a observé avec une neutralité bienveillante le premier coup d'État de Gueï, et surtout il a témoigné d'une discrétion honteuse à l'égard de l'abjecte démagogie xénophobe ethnique développée depuis des années par les milieux dirigeants ivoiriens. Il s'est tu même devant le fait que les prétextes ethniques soient utilisés dans la sélection des candidats à l'élection présidentielle, avec le risque catastrophique de transformer les rivalités pour le pouvoir en guerre ethnique.

Si les institutions européennes voulaient réellement s'en prendre aux causes du mal qui frappe l'Afrique, elles devraient commencer par s'opposer à la politique des grandes puissances européennes elles-mêmes.

 
  
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  Korhola (PPE-DE). - (FI) Monsieur le Président, il y a lieu de féliciter l’auteur et rapporteur pour son travail réalisé avec grande sagacité. Une présentation aussi bien faite réclame pratiquement d’elle-même d’être traduite dans les faits et nous ferions bien par nos politiques de nous y engager de toutes nos forces, ne serait-ce que dans notre propre intérêt. Le rapport constate fort justement notre poids comme principal organisme donateur dans nombre d'États ACP, mais que ce poids ne se reflète pas encore suffisamment au niveau politique dans la résolution des conflits. Cette constatation doit servir de base à notre action. C’est pourquoi je salue le fait que ce rapport parle en toute bonne conscience de l’importance d’une conditionnalité positive. C’est tout à fait justifié.

Le profil des crises a évolué de façon radicale au cours des dernières décennies. L’ONU, créée au départ pour régler les conflits entre États, vient seulement de commencer à rechercher une nouvelle approche de la gestion des crises se produisant à l’intérieur des États, lesquelles crises sont de plus en plus fréquentes. C’est pour cette raison que l’Union européenne, en tant que partenaire de coopération économique et politique, possède maintenant une grande responsabilité et dispose également de grandes possibilités d’agir sur la situation.

La tendance au niveau mondial semble être que les conflits ont de plus en plus souvent une dimension religieuse dans de nombreux pays : Kosovo, Tchétchénie, sud du Soudan, Irlande du Nord, Timor oriental, Sri Lanka, Nigeria, Cachemire et, parmi les plus graves ces derniers temps, les Moluques, en Indonésie. À l’ouest, on ne l’a pas vraiment compris. On pense souvent chez nous qu’en matière de religion il s’agit de questions d’ordre personnel. Mais dans ces pays, les tensions religieuses ont été exploitées à des fins politiques. Monsieur le Président, des outils sont nécessaires pour régler ce problème douloureux. À mon avis, l’institution d’un observateur ou d'un médiateur des droits de l’homme spécialisés dans les tensions religieuses et chargés de remettre des rapports à l’Union européenne constituerait un objectif important. L’Union européenne devrait également faire pression avec détermination et de façon systématique sur les gouvernements pour qu’ils autorisent l’accès des observateurs des droits de l’homme aux pays en guerre, afin qu’ils puissent mener des études neutres et impartiales sur les conflits. Nous devrions aussi profiter de toutes les occasions que nous avons de réclamer que les gouvernements s’engagent à garantir le libre accès de l’aide humanitaire dans les zones.

 
  
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  Nielson, Commission. - (EN) L'initiative de la Commission de 1998 de revoir la coopération avec les États ACP impliqués dans des conflits armés et sa communication de mai 1999 ont permis d'engager un débat portant sur la réponse la plus appropriée de l'UE envers les États en conflit avec lesquels elle entretient d'étroites relations de coopération.

Mon collègue, M. Patten, a proposé en mars de cette année que le Conseil "affaires générales" considère cette communication dans le cadre de son débat sur les conflits en Afrique. Le Conseil "affaires générales" a conclu en mai que les instances compétentes du Conseil doivent poursuivre leur réflexion sur le problème de l'aide au développement aux pays impliqués dans des conflits armés, sur la base de la communication de la Commission.

Je regrette que les États membres n'aient pas réagi plus activement à la communication de la Commission. Les événements en République démocratique du Congo et dans les États voisins d'Angola et du Burundi, dans la Corne de l'Afrique, et maintenant de nouveau en Afrique occidentale et plus particulièrement en Sierra Leone, ont démontré que nous ne pouvons nous soustraire à ces questions difficiles. La Commission considère en ce moment sa réponse et en particulier le recours à l'article 96 de l'accord de Cotonou en cas de nécessité.

Un cadre complet nous aiderait à répondre au cas par cas à chaque conflit. Si le Conseil accepte de donner suite à la communication, par exemple en formulant des conclusions, la Commission apportera son aide en assurant qu'elles reflètent les nombreuses avancées faites depuis mi 1999 dans le cadre de la politique de l'Union européenne sur la gestion des crises et de la PESC, ainsi que l'évolution des réponses de la communauté internationale aux conflits.

Nous considérerons également les innovations de l'accord de Cotonou, plus particulièrement en ce qui concerne le dialogue politique, qui devraient nous aider à trouver les mesures appropriées et des réponses cohérentes et proportionnées. Mais il est clair qu'il n'existe pas de solution simple à ces problèmes, comme le démontrent clairement les contributions apportées au débat de cet après-midi. En tous cas, le résultat dépendra de la volonté politique réelle des États membres de se conformer à une ligne de conduite commune. La Commission ne peut pas promettre de miracles au Parlement dans ce secteur.

Nos sommes prêts à élargir les délibérations à d'autres États engagés dans des conflits armés. Le phénomène des conflits violents ne se limite pas aux États ACP. L'Union européenne doit également se tenir prête à réagir à la violence de manière efficace et cohérente dans d'autres régions du globe.

La communication est une invitation à engager un débat sur les relations de l'Union européenne avec des pays pour lesquels la forme traditionnelle de coopération au développement est devenue obsolète ou doit être remise en question. C'est un débat difficile. Nous préférerions concentrer tous nos efforts pour aider les États ACP dans la tâche difficile de surmonter la pauvreté et de s'intégrer dans une économie mondiale qui évolue rapidement. Cependant, pour un nombre considérable de nos partenaires ACP, le plus grand défi consiste à restaurer la paix ou à contenir la déstabilisation régionale. La paix est un pré-requis indispensable au développement et les pays qui s'enlisent dans des conflits violents s'excluent des avantages potentiels de la nouvelle relation de coopération que l'Union européenne leur offre. Ils se privent également de la possibilité de profiter de la transformation en cours de l'économie mondiale. Ils ruinent la perspective d'investissements étrangers, non seulement dans ces pays, mais également dans leurs régions. Dans des pays moins instables, nos efforts pour combattre la pauvreté et permettre une remise de la dette contribuent à long terme à la prévention des conflits.

La Commission n'est pas restée inactive depuis qu'elle a soumis la communication. Elle a déjà pris de nombreuses initiatives visant à renforcer ses capacités à faire face de manière efficace au problème des conflits violents dans les États ACP.

Elle apporte son soutien à l'OUA ainsi qu'aux organisations sous-régionales comme la CEDEAO et l'IGADD dans le domaine de la prévention et de la gestion des conflits. Il est remarquable de voir combien de fonds sont engagés pour la gestion des crises ou la reconstruction après les conflits. Nous nous engageons à augmenter nos efforts afin de prévenir la violence de manière efficace et de résoudre pacifiquement les crises.

La Communauté dispose d'un grand nombre d'instruments pour la prévention et la résolution des conflits. Ces instruments vont des accords de commerce et de coopération au soutien apporté à la mise en place d'institutions, au renforcement du respect des droits de l'homme et des minorités ou à la démobilisation et à la réhabilitation. Nous nous engageons à utiliser ces instruments de manière encore plus ciblée et pus efficace. Dans ce contexte, nous visons particulièrement à introduire des objectifs de prévention des conflits dans la mise en place des programmes d'assistance économique et d'aide au développement. Cependant, le caractère rigide de ces instruments représente en lui-même une limite à ce que nous pouvons en faire et la manière dont nous pouvons les utiliser.

Les limites des lignes budgétaires et des procédures de comitologie réduisent les possibilités de réaction rapide et flexible. Tout cela semble très différent du concept de boîte à outils, qui est l'idée qui me vient à l'esprit lorsque nous parlons des nombreux instruments disponibles. Le concept de boîte à outils fournit une bonne image de la situation idéale et une manière satisfaisante d'utiliser la diversité des instruments. Cependant, nous nous trouvons dans une situation différente, même si nous déployons des efforts de réforme importants.

J'ajouterais que la valeur essentielle de la coopération au développement dans le cadre des conflits est l'effet préventif. Nous ne sommes pas aussi efficaces une fois que le conflit a éclaté ; nous pouvons fournir des efforts plus significatifs avant le conflit. Il ne fait aucun doute que l'initiative PPLE, subventionnée par l'UE mais pas encore par les États-Unis, représente en ce moment la plus importante contribution mondiale à la prévention des conflits.

Selon toute vraisemblance, les pays très pauvres et très endettés risquent de plonger dans l'instabilité et les conflits si les pays riches ne leur fournissent pas une aide via l'initiative PPLE. De même, la création de la coopération économique régionale, prévue dans l'accord de Cotonou, fournit une contribution fondamentale à la stabilité en Afrique. Au cours des quelques années à venir, nous donnerons la priorité à la création de structures favorisant la stabilité et la coopération régionales en tant que contribution majeure à la promotion de la paix et du progrès en Afrique.

Au vu de ce qui s'est dit dans ce débat, j'aimerais dire quelques mots sur la situation en Côte d'Ivoire. Malheureusement, la situation s'est dégradée rapidement depuis les élections de dimanche. Elle évolue pratiquement d'heure en heure, mais nous suivons bien entendu les événements de très près. Nous pensons qu'il nous faudra rouvrir les consultations prévues à l'article 96 si la situation ne se stabilise et ne se clarifie pas suite aux élections. Cette situation est profondément regrettable et nous craignons que la violence ne s'amplifie encore si les choses ne sont pas rapidement mises sous contrôle.

 
  
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  Le Président. - Merci, Monsieur le Commissaire Poul Nielson.

Le débat est clos.

Le vote aura lieu demain à 10 heures.

 
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