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Compte rendu in extenso des débats
Mercredi 30 novembre 2005 - Bruxelles Edition JO

18. Recours aux sanctions pénales en cas de violation du droit communautaire
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  Le Président. - L’ordre du jour appelle la question orale de Mmes Roure et Berger, au nom du groupe socialiste au Parlement européen, Mme Buitenweg, au nom du groupe des Verts/Alliance libre européenne, et Mmes Wallis et Ludford, au nom du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, à la Commission sur le recours aux sanctions pénales en cas de violation du droit communautaire (O-0085/2005/rév.2 - B6-0336/2005).

 
  
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  Martine Roure (PSE), auteur. - Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire, l’arrêt de la Cour de justice du 13 septembre 2005 reconnaît la compétence exclusive de la Communauté dans l’adoption de sanctions pénales pour assurer l’effectivité du droit communautaire. Ainsi, il permet à l’Union de réaffirmer que la protection de ses citoyens est un de ses principes fondamentaux. Il nous donne également l’opportunité de mettre fin à un conflit récurrent entre les institutions européennes en clarifiant la répartition des compétences entre premier et troisième piliers.

Le cas présenté devant la Cour de justice portait sur une directive sur la protection de l’environnement qui comportait des sanctions criminelles, il s’agissait alors du rapport Di Lello de la commission des libertés. Nous partageons l’analyse de la Commission européenne. Les conséquences de cet arrêt vont bien au-delà de la protection de l’environnement et sont susceptibles d’affecter toutes les politiques communautaires et les libertés fondamentales reconnues par le traité. Les atteintes graves aux droits fondamentaux des citoyens doivent être sanctionnées par des mesures pénales, effectives, proportionnées et dissuasives. C’est, par exemple, ce que nous souhaitons pour la directive sur la rétention des données car elle aura une incidence importante sur la vie privée des citoyens européens. Ainsi, une des conséquences majeures est que la procédure de codécision s’appliquera dans des domaines qui étaient soumis à une procédure de vote à l’unanimité avec simple avis du Parlement européen. L’arrêt donne au Parlement européen un rôle déterminant et ce renforcement du contrôle démocratique est un progrès pour la démocratie tout entière.

La Commission a identifié plusieurs décisions-cadres adoptées sur des bases juridiques erronées. La définition de telles sanctions devrait viser les dispositions communautaires ayant trait à la protection des droits fondamentaux. Je terminerai donc mon propos par une question précise à l’adresse de M. le Commissaire: la Commission a-t-elle envisagé que la décision-cadre sur le racisme et la xénophobie puisse également bénéficier de ce réexamen?

 
  
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  Kathalijne Maria Buitenweg (Verts/ALE), auteur. - (NL) Monsieur le Président, quelle belle soirée! Je suis très contente de ce qu’a fait le commissaire Frattini et je me réjouis du document présenté par la Commission - à laquelle je suis reconnaissante - décrivant les effets de l’arrêt du 13 septembre 2005.

En effet, comme Mme Roure et la Commission, je suis d’avis que celui-ci ne concerne pas seulement l’environnement et qu’il a des répercussions dans de nombreux autres domaines. La Commission a présenté une liste de décisions qui nécessitent un ajustement - je reviendrai là-dessus dans un moment -, mais une décision importante est en gestation, qui a fait l’objet de nombreux débats, à savoir celle sur la rétention de données. La Commission sait que le Parlement fait grand cas du fait qu’une quantité énorme de données seront probablement collectées mais serviront à des usages limités. Ai-je raison de conclure de l’arrêt que nous pouvons légalement imposer une sanction si ces données sont utilisées à mauvais escient? Si la prise d’une décision de ce genre est une question de volonté politique, c’est juridiquement possible, cette peine s’appliquerait-elle non seulement aux fournisseurs, mais aussi au gouvernement?

L’autre point traite de l’application de cette liste de sorte qu’elle soit juridiquement conforme. Je partage l’opinion de la Commission, à savoir que nous ne devons pas tout soumettre à une procédure de codécision et que nous devons procéder à des ajustements pragmatiques dans une certaine mesure. J’émets toutefois certaines réserves parce qu’il y a parfois des aspects, comme la facilitation de l’immigration clandestine, dont je sais avec certitude qu’ils posent un grand dilemme à mon groupe. En effet, certaines personnes en aident d’autres à pénétrer dans l’UE parce qu’elles pensent que ces dernières ont vraiment besoin de l’asile politique. Je pense que nous devrions faire le distinguo entre les gens qui aident les autres par appât du gain et ceux qui le font pour des considérations non commerciales. Si, personnellement, je ne sais pas encore si nous parviendrons à procéder à tous ces ajustements si facilement, je suis d’accord pour dire qu’une toute nouvelle procédure de codécision serait probablement injustifiée pour la majorité des propositions.

Je profite du fait que je n’aie pas été réduite au silence pour ajouter rapidement une petite question personnelle. L’article 13, qui fait référence aux anciennes directives contre la discrimination, permet aux États membres d’infliger leurs propres sanctions s’ils le considèrent proportionné et efficace. Ne serait-il pas possible d’introduire à un moment ou l’autre une proposition afin que toute l’Europe puisse le faire, en vue de montrer que nous y voyons une question essentielle pour les droits civils, que nous pensons en Europe que toute forme de discrimination doit être frappée d’une sanction financière?

 
  
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  Franco Frattini, vice-président de la Commission. - (IT) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je voudrais remercier Mmes Roure et Buitenweg d’avoir posé cette question, qui revêt une importance majeure en Europe en termes de compétences juridiques dans le domaine du droit pénal.

Je suis d’accord avec l’approche des deux interventions et puis promettre que la Commission veillera à ce que cette importante décision de la Cour européenne de justice soit pleinement appliquée, en mettant en pratique son principe central, à savoir que le législateur communautaire peut prévoir des sanctions pénales par le biais de la procédure de codécision - et par ce moyen uniquement - quand cela s’avère nécessaire pour garantir l’efficacité de la réglementation européenne.

Cela ouvre une grande marge pour la pleine implication du Parlement et indique la voie à suivre pour se départir de la méthode intergouvernementale qui a prévalu jusqu’ici.

Clairement, quand elle formulera les propositions sur l’introduction de sanctions pénales, la Commission devra se tenir à deux grands principes.

Le premier est la nécessité d’une législation pénale, parce que les sanctions pénales ne peuvent être infligées que quand cela s’avère nécessaire. C’est un principe de droit universel.

Le second est la cohérence des différentes dispositions: une fois de plus, les contradictions entre les dispositions pénales doivent être évitées, sinon on court le risque théorique d’une grande incertitude juridique à cause justement d’un manque de cohérence.

Nous avons identifié quelques domaines dans lesquels la décision de la Cour peut être appliquée dans la pratique. Comme vous le savez sans doute, nous avons décidé d’interjeter appel de la décision-cadre sur la pollution du milieu marin auprès de la Cour de justice. Nous l’avons fait il y a quelques jours parce que le délai d’appel n’avait pas encore expiré et parce que nous jugions opportun de donner une démonstration immédiate en contestant cette décision-cadre devant la Cour. Nous y voyons un des sujets sur lesquels une directive prévoyant des sanctions pénales devrait être adoptée, plutôt qu’une décision-cadre.

Nous avons aussi proposé un moyen d’étendre ce modus operandi à d’autres domaines. Quand, par exemple, une décision-cadre a déjà été prise, on pourrait, sans altérer la substance du texte, utiliser un accord entre le Parlement, le Conseil et la Commission pour adopter la base juridique correcte tout en évitant de devoir entamer une discussion sur le fond. Ce type de solution accélérerait grandement les choses.

Je vais maintenant apporter une réponse finale sur les deux sujets du racisme et de la non-discrimination. Je suis bien entendu favorable à l’adoption d’une législation criminalisant au moins l’incitation à la haine raciale et donc à commettre des actes racistes. Dans ce domaine, des sanctions pénales sont indubitablement nécessaires, même si - et je suis certain que vous le savez - il n’a malheureusement pas encore été trouvé d’accord sur la décision-cadre. J’ai promis de présenter début 2006 une nouvelle initiative sur le racisme et la xénophobie afin de surmonter les obstacles rencontrés au sein du Conseil. L’article 13 du Traité peut être utilisé pour introduire des sanctions pénales en cas de discriminations basées sur la race ou la nationalité. Le moyen existe, à savoir l’article 13, qui peut sans aucun doute être le sujet d’une directive et constitue donc une matière communautaire. Dans de tels cas, la Commission peut également adopter des propositions de législation pénale.

 
  
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  Carlos Coelho, au nom du groupe PPE-DE. - (PT) Monsieur le Président, je voudrais pour commencer rendre hommage à Mmes Roure et Buitenweg. Comme vous le savez, le groupe du parti populaire européen (démocrates-chrétiens) et des démocrates européens n’avait pas envie que ce débat ait lieu ce soir. Nous pensons qu’il aurait eu plus de sens si, avant toute chose, les commissions parlementaires concernées avaient soigneusement analysé la communication de la Commission sur cet arrêt. À part cette divergence de vue au niveau de la procédure, nous sommes globalement d’accord.

Je voudrais féliciter M. Frattini pour ses réponses à l’Assemblée et sur la décision de la Cour, qui aborde notre volonté de renforcer le droit communautaire et le premier pilier, ainsi que les décisions que nous pouvons prendre dans des domaines tels que ceux relevant du premier pilier plutôt que du troisième.

Il semblerait donc que la Cour reconnaisse que le droit pénal et le système judiciaire pénal ne soient pas du ressort de la Communauté, mais cela n’empêche pas celle-ci d’adopter des mesures portant sur les sanctions pénales dans les États membres, à condition qu’elles soient cohérentes et nécessaires pour préserver l’efficacité du droit communautaire. Un précédent utile a été créé. Je pense que la Commission s’en servira, et M. Frattini peut être certain que le Parlement, pour sa part, s’en servira.

Mme Roure a parlé de l’impact que cet accord aura non seulement sur les questions environnementales, mais aussi dans plusieurs autres domaines, y compris ce que nous considérons comme le domaine le plus crucial, celui des libertés fondamentales, quand il s’agit d’imposer des sanctions pénales afin d’assurer leur efficacité. Une des conséquences que vous avez évoquées, Monsieur le Commissaire, est que certaines décisions-cadres ont été adoptées sur des bases juridiques incorrectes. L’arrêt mentionne sept décisions-cadres, je crois. Cette situation doit donc être régularisée par l’adoption rapide et simple en procédure de codécision d’instruments communautaires remplaçant ces décisions-cadres.

Ce que je voudrais vous demander, Monsieur le Commissaire, c’est si vous pouvez nous donner une indication du calendrier que la Commission suivra pour la présentation de ces initiatives afin que nous puissions, par la procédure de codécision, contourner rapidement le cadre juridique contourné par l’arrêt.

 
  
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  Maria Berger, au nom du groupe PSE. - (DE) Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire, les choses ont changé depuis que nous avons posé notre question orale. La commission des affaires juridiques a entendu vos représentants et nous avons maintenant reçu la communication de la Commission, dont nous saluons la substance en même temps que celle de la décision de la Cour de justice.

Je trouve que c’est une bonne chose que la Commission ait dit clairement que cette décision de la Cour de justice est applicable dans des situations autres que celles qui y ont donné lieu - à savoir de nature environnementale - et touche toutes les politiques, à l’inclusion notamment des quatre libertés visées dans le Traité. Il a également été proposé que son application soit limitée aux objectifs de l’article 2, chose à laquelle je me suis opposée en commission. C’est pourquoi j’approuve la manière dont la Commission a appuyé sa position sur le sujet.

Ce que nous devons faire ensemble, c’est trouver comment, le cas échéant, transférer plus d’actes du premier vers le troisième pilier. Vous avez décrit les principes qui sous-tendent les deux façons de le faire. La première impliquerait de ne pas apporter de changements substantiels, mais uniquement de modifier la base juridique et de conclure un accord interinstitutionnel pour éviter de devoir réviser tout le contenu. La seconde consisterait à disposer d’une procédure de codécision adéquate, dans laquelle la Commission pourrait apporter des modifications importantes au contenu. C’est cette approche qui a mes faveurs parce qu’elle est à mes yeux plus adaptée à la situation actuelle, sous réserve évidemment de ce qui se dira lors de débats ultérieurs. Nous avons dix nouveaux États membres qui ont sûrement envie d’apporter maintenant la contribution aux actes juridiques qu’ils n’ont évidemment pas pu apporter avant leur adhésion. Sauf si on me persuade qu’il y a une meilleure façon de faire, je suis favorable à l’idée que cette question soit traitée par le processus législatif normal.

 
  
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  Patrick Louis, au nom du groupe IND/DEM. - Monsieur le Président, chers collègues, ainsi que le Conseil et les États membres l’ont soutenu devant la Cour, une lecture téléologique des traités conduit une fois de plus à en bousculer la lettre, pour ne pas dire à la violer, en particulier les articles 135 et 280 du TCE et 29 et suivants du TUE qui réservent clairement la compétence pénale aux États.

Ainsi, sans traité, sans mandat, contre nos États et le Conseil, la Cour et la Commission se sont entendues pour enclencher, à travers cette communautarisation jurisprudentielle du droit pénal, la fusion des piliers de compétences au sein de l’Union. C’était là l’un des effets visés par le traité établissant une Constitution européenne dont j’oserai rappeler à nos collègues, qui refusent encore de s’y résoudre, qu’il a bien été rejeté et qu’en application du droit international, il est devenu caduc. La Commission n’a évidemment pas tardé à s’engouffrer dans la brèche ainsi ouverte. Le 23 novembre dernier, elle a ajouté au droit pénal de l’environnement une première liste de neuf nouvelles compétences pénales soustraites d’autorité aux États membres. Cette absorption continue des compétences nationales se traduit aussi dans le futur code civil européen que prépare toujours, en dehors de toute base légale, le groupe Von Bar subventionné à hauteur de cinq millions d’euros par le contribuable européen.

En vertu d’un mystérieux principe hégémonique, selon lequel les peuples ne sont qu’un paramètre indifférent, voire un obstacle à franchir, les institutions supranationales prennent-elles leur revanche sur les votes populaires des 29 mai et 1er juin? Ces coups de force juridiques dénaturent le modèle d’Europe auquel nos pays avaient consenti. Nous sommes devant ce que le président du Conseil constitutionnel français, Pierre Mazeaud, redoutait au début de l’année: un grave vice de consentement. Je tiens donc à dire ceci, tranquillement mais solennellement: celles et ceux qui, dans cet hémicycle, acceptent ces coups de force sans réagir commettent un acte contre leur gouvernement, contre leur parlement, contre leur Constitution, contre les traités européens eux-mêmes et contre les peuples, préparant de nouvelles insurrections, pas seulement électorales, contre une Europe qui n’est décidément plus la leur.

 
  
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  Giuseppe Gargani (PPE-DE). - (IT) Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire, Mesdames et Messieurs, à mon avis - qui, je crois, est partagé par la grande majorité du Parlement -, l’arrêt de la Cour européenne de justice dans l’affaire C-0176 constitue un succès pour le Parlement européen, non seulement parce que la Cour a repris les suggestions formulées par le Parlement en septembre 2003 sur la base d’un rapport de la commission des affaires juridiques que j’ai l’honneur de présider, mais aussi parce qu’il oblige le Conseil à respecter les articles 24, 29 et 47, qui disposent clairement que le traité établissant la Communauté européenne prime le traité sur l’Union européenne.

Pour cette raison, dans le domaine des sanctions pénales, le Conseil ne pourra plus utiliser le titre VI pour prendre des décisions unilatérales sans l’intervention du Parlement européen en tant que colégislateur. J’y vois un grand progrès et un grand résultat à porter au crédit de l’Union européenne dans son ensemble.

Il semble évident que, sans l’intervention du Parlement, un principe démocratique fondamental, à savoir celui selon lequel nulla poena sine lege, aurait été négligé plutôt que réaffirmé.

Tout en reconnaissant évidemment que la Communauté ne peut instaurer de sanctions pénales ni harmoniser le droit pénal, la Cour de justice a statué que - si les sanctions pénales sont essentielles pour remplir les exigences ou atteindre les objectifs du Traité - la Communauté peut obliger les États membres à les prévoir et les appliquer. Cela signifie que, si la Communauté est compétente pour régir le comportement à adopter afin d’atteindre un but particulier, elle est également compétente pour décider si ce comportement peut être puni au niveau national par le recours aux sanctions administratives ou pénales.

Les institutions européennes sont donc invitées à appliquer l’arrêt de la Cour de justice, et - je m’adresse ici en particulier au commissaire - la Commission européenne a donné quelques indications sur sa future manière d’agir.

Je crois que le seul transfert des dispositions contenues dans une décision-cadre vers une directive communautaire est inacceptable s’il n’est pas mené dans le plein respect des prérogatives du Parlement européen. Le Parlement doit pouvoir intervenir sur le fond si la base juridique prévoit qu’il est colégislateur.

En ce qui concerne les propositions législatives en souffrance, je suis reconnaissant au commissaire de ce que la Commission prenne des mesures pour les retirer ou les remplacer par de nouvelles propositions conformes au droit jurisprudentiel de la Cour.

La commission des affaires juridiques continuera à veiller au respect du droit communautaire et des prérogatives du Parlement. Des lignes directrices très précises seront fixées dans un rapport d’initiative, pour lesquelles nous avons déjà demandé l’autorisation bien à l’avance, et dont la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures s’occupera elle-même.

 
  
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  Gerard Batten (IND/DEM). - (EN) Monsieur le Président, le 13 septembre 2005, la prétendue Cour européenne de justice a adopté un arrêt conférant à la Commission européenne le droit d’imposer des sanctions pénales aux citoyens des États membres. Pour la première fois depuis la levée par Henry VIII de la compétence du pape sur les questions ecclésiastiques en Angleterre, un pouvoir autre que le parlement britannique aura le droit de créer des lois et de fixer les peines en cas de transgression. La Cour européenne de justice n’est pas une cour de justice; c’est un moteur d’intégration politique pour l’Union européenne. Non seulement cet arrêt particulier s’applique-t-il au droit environnemental, mais il laisse aussi la porte ouverte à la Commission pour une application dans d’autres domaines.

La Commission a exploité de manière éhontée la décision de la Cour pour publier une liste de neuf nouveaux domaines de compétences qui lui donne le droit de créer de nouvelles lois et d’imposer des sanctions pénales. Elle a également fait part de son intention d’étendre son pouvoir pour instituer d’autres infractions pénales. Quand cette affaire est arrivée pour la première fois devant la Cour, onze des quinze États membres de l’époque s’y sont opposés; la Cour les a ignorés. Un avocat de la Commission a dit que cela pourrait forcer le gouvernement - et le parlement! - britannique à punir ses citoyens pour quelque chose qui ne constitue pas un crime en Grande-Bretagne. Si un gouvernement britannique devait refuser de reconnaître ces crimes, il pourrait être traîné devant la Cour européenne de justice, qui l’obligerait à le faire. La Cour serait alors juge et partie dans sa propre affaire. Et tant pis pour la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire qui a protégé les libertés anglaises pendant des siècles!

La décision de la soi-disant Cour européenne de justice n’est rien de moins qu’un coup d’État judiciaire. La Cour a pris le pouvoir aux États membres et l’a remis à la Commission.

 
  
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  Timothy Kirkhope (PPE-DE). - (EN) Monsieur le Président, ce fut une contribution intéressante de la part de M. Batten. Parlant en tant qu’avocat et ancien ministre de la justice du Royaume-Uni, j’ai des questions à poser à M. Frattini, et je le ferai sans émotion parce que je pense que nous sommes dans un débat très intéressant.

Les compétences de la Cour européenne de justice constituent à n’en pas douter un sujet d’intérêt considérable. Elles me passionnent parce que, si nous développons des domaines dans lesquels la Cour de justice sera compétente, nous devons envisager la question dans le contexte de la relation que la Cour entretient avec les tribunaux des États membres et des compétences que ceux-ci possèdent eux aussi dans des domaines particuliers.

C’est la première fois que nous avons l’occasion de débattre de cet important arrêt, et je conçois que la Commission ait l’obligation, en tant que gardienne des Traités, d’en considérer soigneusement les implications. Je crois en la compétence et les prérogatives des États membres dès lors qu’il s’agit du domaine général du droit pénal. Je suis certain que cette vision est partagée par la plupart des États membres. Il y a un problème relatif à l’approche de la jurisprudence adoptée par la Cour européenne de justice et, d’une façon générale, je pense qu’il est juste de dire que nous ne soutiendrons pas les lois faites par les juges, qui peuvent dans certaines circonstances se révéler antidémocratiques. Je ne pense pas qu’il faille un prétexte ni à la Commission ni au Parlement pour chercher une extension de pouvoirs entrant en conflit avec les droits des États membres.

Il est toutefois important, en particulier parce que nous savons que la Cour européenne de justice possède des compétences claires dans de nombreux domaines, que les paramètres des compétences de cette Cour soient clairement fixés. Il est primordial de définir sans ambiguïté comment ces compétences fonctionneront parallèlement à celles des tribunaux nationaux.

J’ai toujours été fasciné par le travail de la Cour européenne de justice. J’étais dernièrement à Washington au moment où John Roberts a répondu aux questions pour devenir Chief Justice. Il était intéressant de noter que la majeure partie de sa raison d’être était basée sur la Constitution américaine, de l’interprétation qu’il en a et de sa prise de décisions en vertu de la Constitution. Un domaine limité, serait-on tenté de croire, mais les ramifications sont très étendues. J’ai été profondément impressionné par la manière dont le nouveau Chief Justice a traité de ces compétences et de sa relation avec la Constitution des États-Unis.

C’est pourquoi je pense qu’il est désormais temps que nous entendions les ambitions et intérêts de la Cour européenne de justice, comment elle voit son rôle pour l’avenir et comment elle l’envisage avec un minimum d’inconvénients et de conflits avec les tribunaux nationaux. Je suis impatient d’entendre ce que M. Frattini va dire sur ce point particulier dans sa conclusion.

 
  
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  Franco Frattini, vice-président de la Commission. - (IT) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je déduis des interventions que je viens d’entendre que ce sujet ne peut être passé en revue dans le peu de temps imparti au débat de ce soir. C’est une matière qui revêt une importance considérable pour l’espace de compétence juridique de l’Europe, et les dernières observations sur les relations entre la Cour européenne de justice et les tribunaux nationaux mériteraient elles aussi d’être prises en considération, ce que je ne manquerai pas de faire.

Comme on le sait, le droit pénal a pour but de réprimer les comportements illégaux des individus et, si la question entre dans la compétence de la Communauté, il semble franchement peu probable que le Parlement - l’institution qui représente la démocratie - ne participe pas à la formulation du droit pénal. Cela signifierait que, si le Parlement en était exclu, seules deux des institutions - le Conseil et la Commission - seraient impliquées dans le processus décisionnel en matière de compétences de la Communauté. C’est une des principales justifications de l’arrêt de la Cour de justice et un principe que nous examinerons évidemment en profondeur.

Comment une base juridique erronée peut-elle être transformée en base juridique correcte? On peut envisager trois méthodes.

Comme cela a été dit dans plusieurs interventions - par exemple dans celle de M. Gargani -, s’il est nécessaire de modifier la substance de la mesure, on le fait en retirant ladite mesure - par exemple, une décision-cadre - et en la remplaçant par une proposition de nouvelle directive, soit sur la base juridique soit sur la substance, et donc en appliquant la procédure de codécision.

Il se pourrait toutefois - mais je ne suis pas au courant de tels cas - qu’une décision-cadre repose sur une base juridique inappropriée alors que son contenu serait accepté. Dans un tel cas - si le Parlement et le Conseil s’accordent sur la nécessité de ne changer que la base juridique et de conserver le contenu -, je peux voir une deuxième méthode, qui consiste non à retirer la proposition et à la remplacer par une nouvelle initiative, mais plutôt sous la forme d’un accord interinstitutionnel entre le Parlement et le Conseil par lequel il est convenu, rapidement et à peu de frais, de modifier la base juridique et de garder la substance. C’est là une hypothèse pour laquelle il serait très intéressant d’entendre l’évaluation qu’en fait la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures de ce Parlement.

Enfin, il y a une troisième voie, que nous avons déjà empruntée il y a quelques jours et pour laquelle nous attendons la décision de la Cour, à savoir l’appel devant la Cour de justice d’une décision-cadre reposant sur une base juridique incorrecte.

Pour conclure, Monsieur le Président, je voudrais dire clairement que la Commission n’exercera ces compétences que si cela s’avère nécessaire.

Le droit pénal est, je le souligne, un instrument sérieux du système juridique. C’est pourquoi la législation pénale - qui, comme les pères fondateurs du droit nous l’ont appris, constitue le remède final contre les crimes commis par les individus - ne doit s’appliquer que quand c’est absolument nécessaire.

 
  
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  Le Président. - Le débat est clos.

 
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