Proposition de résolution - B8-0142/2017Proposition de résolution
B8-0142/2017

PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la conclusion de l’accord économique et commercial global (AECG) entre l’UE et le Canada

8.2.2017 - (2017/2525(RSP))

déposée à la suite d'une déclaration de la Commission
conformément à l'article 123, paragraphe 2, du règlement

Yannick Jadot, Ska Keller, Heidi Hautala, Bart Staes, Igor Soltes, Martin Häusling, Josep-Maria Terricabras, Claude Turmes au nom du groupe Verts/ALE

Procédure : 2017/2525(RSP)
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B8-0142/2017
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B8-0142/2017

Résolution du Parlement européen sur la conclusion de l’accord économique et commercial global (AECG) entre l’UE et le Canada

(2017/2525(RSP))

Le Parlement européen,

–  vu la demande d’approbation présentée par le Conseil en vue de la conclusion de l’accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres;

–  vu l'article 123, paragraphe 2, de son règlement,

A.  considérant que la procédure de ratification au Parlement européen doit être suspendue jusqu’à ce que les importantes questions juridiques et institutionnelles que soulève l’AECG soient clarifiées;

B.  considérant qu’il n’est toujours pas certain que l’accord soit compatible avec les traités de l’Union dans la mesure où il prévoit notamment un système juridictionnel des investissements; que cette incertitude ne sera pas levée par l’avis 2/15 que la Cour de justice de l’Union européenne est amenée à rendre sur la compétence requise pour signer et conclure l’accord de libre-échange avec Singapour;

C.  considérant que l’incertitude s’étend également à la valeur juridique d’un certain nombre de déclarations annexées à cet accord, que ce soit sous la forme d’une déclaration commune du gouvernement du Canada et de la Commission européenne ou sous la forme de déclarations du Conseil ou de déclarations de plusieurs États membres de l’UE, dont certaines se contredisent;

D.  considérant que le gouvernement belge a annoncé sa volonté de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour demander un avis sur la compatibilité de l’AECG avec les traités de l’Union à la lumière de l’avis 2/15 que cette dernière devrait rendre en avril ou en mai 2017;

E.  considérant qu’il convient encore de préciser les modalités de mise en œuvre du point 40 sur les accords internationaux de l’accord interinstitutionnel «Mieux légiférer» d’avril 2016 et que cette absence de précision se traduit par une incertitude quant au rôle de surveillance du Parlement dans les décisions prises par le comité mixte de l’AECG qui dispose d’une large marge d’appréciation pour modifier certaines annexes importantes de l’AECG;

F.  considérant que les commissions des affaires constitutionnelles (AFCO), des droits de la femme et de l’égalité des genres (FEMM) et des affaires économiques et monétaires (ECON) ont décidé de rendre un avis à la commission du commerce international (INTA), compétente au fond, mais que le Président du Parlement ne leur a pas accordé ce droit en raison du calendrier très serré du dossier;

G.  considérant qu’outre les erreurs de calendrier qui ont affecté la procédure de ratification en raison de l’absence de réponse aux questions précitées, un nombre croissant de citoyens européens réclament une remise à plat de la politique commerciale européenne et rejette l’accord commercial d’un autre temps qu’est notamment l’AECG car il n’est pas de nature à produire un effet positif durable, que ce soit en termes de richesse au niveau individuel ou de protection de l’environnement;

1.  refuse de donner son approbation à la conclusion de l’AECG aux motifs suivants;

 

L’AECG est de nature à porter atteinte à la démocratie européenne

a)  L’AECG renferme une version révisée de la procédure de règlement des différends entre investisseurs et États (système juridictionnel des investissements – (ICS)); cette version ne permet toujours pas de protéger les principes fondamentaux de la démocratie et l’état de droit. En effet, les plaintes ne peuvent être déposées que par les investisseurs étrangers et le système, qui se fonde sur un faisceau de droits extrêmement larges conférés à cette catégorie d’acteurs, s’écarte du principe fondamental selon lequel, en vertu du droit international, les voies de recours nationales doivent avoir préalablement été épuisées. Les Verts sont opposés à ce système de justice parallèle et inutile qui privilégie les investissements privés étrangers plutôt que l’intérêt public national;

b)  L’AECG contient un chapitre sur la coopération en matière de réglementation qui subordonne, tant aujourd’hui que dans le futur, un pan non exhaustif du droit primaire et du droit dérivé à l’élimination des «barrières inutiles au commerce et à l’investissement». La subordination du droit à un critère primaire de nécessité économique pourrait nous entraîner sur la voie de la dérégulation ou d’une révision des normes à la baisse. Les Verts s’opposent à une vision démocratique du droit qui se réduit à un facteur: son coût économique pour un pays tiers déterminé;

c)  En ce qui concerne l’AECG, les exigences visant la coopération réglementaire, conjuguées aux menaces juridiques constantes que constitue, pour les régulateurs, le système juridictionnel des investissements (ICS), sont de nature à faciliter l’effet de verrou exercé par les normes actuelles en raison de leur effet dissuasif sur les futures initiatives législatives prônant une politique de redistribution en faveur du bien-être public ou de la protection de l’environnement. Les Verts pensent qu’il est particulièrement essentiel de préserver tous les espaces démocratiques en Europe et de les étendre à des mesures législatives audacieuses visant à mettre un terme au changement climatique, à la dislocation du tissu social qui s’aggrave, à la spéculation éhontée des investisseurs et aux atteintes au bien-être social des citoyens, au lieu de limiter ces initiatives par la signature d’un traité international juridiquement contraignant qui pèse de tout son poids sur l’ensemble de ces questions;

L’AECG peut affaiblir les normes environnementales européennes et retarder la transition vers une énergie verte

d)  Le Canada mène, depuis de longues années, un combat juridique contre le droit environnemental de l’Union et des États membres au sein de l’OMC et s’oppose sur le fond au règlement REACH et à la législation de l’Union sur les pesticides. Le principal objectif de l’AECG étant d’éliminer les obstacles aux échanges, cet accord ne peut qu’aggraver la situation, indépendamment des déclarations des uns et des autres sur le droit de réglementer. Cette situation est encore aggravée par le droit conféré aux investisseurs d’intenter une action contre les États, alors que, dans le même temps les engagements pris dans le domaine des normes environnementales continuent de ne pas être opposables. Dans un tel contexte, il est extrêmement préoccupant que l’AECG délaisse le principe de précaution. L’AECG préfère se référer en la matière aux accords internationaux qui ne prévoient pas ce principe, comme le Codex Alimentarius. Les Verts sont opposés à tout accord international qui met en danger le respect intégral du principe de précaution, tel qu’inscrit dans les traités de l’Union;

e)  L’AECG contient un mécanisme de coopération qui cherche à réviser et à harmoniser les règles en matière d’OGM en tentant de s’affranchir des normes de l’Union en vigueur, de leur application et leur évolution future. L’objectif explicite est de «favoriser l'utilisation de processus d'approbation des produits de biotechnologie efficaces et fondés sur des données scientifiques», une formulation qui remet directement en cause la définition du principe de précaution qui, elle, se fonde sur l’évaluation des risques. Les Verts sont opposés à tout accord international qui pourrait ouvrir la porte aux OGM;

f)  Le Canada compte sur son sol plus de la moitié des entreprises minières du monde et le pays s’emploie à développer une politique favorisant l’exportation de combustibles très polluants issus de sables bitumineux. Le gouvernement du Canada a su utiliser les négociations sur l’AECG pour miner les objectifs ambitieux de 2011 des directives de l’UE sur la qualité des carburants (DQC) dans le but de permettre l’importation des combustibles issus de sables bitumineux canadiens. Dans un tel contexte, il est extrêmement préoccupant que les engagements environnementaux de l’AECG continuent de ne pas être opposables. Les Verts sont contre tout accord ou législation de l’UE qui condamne l’Union à continuer de s’approvisionner en énergie fossile et remet en cause les objectifs climatiques de l’Union;

L’AECG peut porter atteinte aux normes européennes de bien-être public

g)  L’AECG prévoit la libéralisation des services par défaut («liste négative des engagements en matière de libéralisation des services), avec des exceptions insuffisantes pour les services publics. La déclaration commune additionnelle de l’UE et du Canada réaffirme le droit des parties à définir la notion des services publics et la manière dont ces services sont fournis et réglementés, notamment en les remunicipalisant. Cette exception ne prévoit cependant pas une discrimination éventuelle des prestataires opérant déjà dans le domaine des services d’intérêt économique général ni une action des investisseurs. Les Verts sont contre l’approche de la liste négative qui limite les choix politiques de demain dans ce domaine particulièrement dynamique et important de l’activité économique;

h)  En ce qui concerne les engagements visant les services prévus dans l’AECG, la liste négative contient, de par son approche, une clause de statu quo et une clause de cliquet qui empêchent que les différences politiquement nécessaires dans la mise en œuvre nationale soient inférieures à un niveau donné de libéralisation. Même si les services publics sont exemptés de ces clauses, il se peut très bien que des services faisant aujourd’hui l'objet d’une exploitation commerciale, notamment l’énergie, les communications, les assurances ou certains services de santé et d’éducation, soient, à l’avenir, amenés à être fournis sous la forme de services d’intérêt économique général. Les Verts pensent que toutes les options politiques permettant d’adapter nos sociétés à l’émergence d'une économie des services doivent rester ouverts;

L’AECG peut porter atteinte aux normes sociales européennes

i)  L’AECG s’appuie sur des évaluations d’impact économique qui ne procèdent pas à une projection correcte des effets sur l’emploi dans la mesure où la modélisation voit dans le plein emploi et la libre mobilité de la main-d’œuvre des variables dénuées de toute corrélation. Malgré cette lacune, l’étude d’impact du développement durable de 2011 met en évidence un effet de redistribution en faveur des détenteurs de capitaux ainsi que des bouleversements sectoriels notables conduisant en fin de compte à une augmentation du chômage de longue durée. Étant donné que les gains de compétitivité sont considérés comme le principal vecteur de croissance, il faut s’attendre à d’autres bouleversements sociaux et à une aggravation de l’écart de revenus entre les travailleurs qualifiés et non qualifiés, et, partant, à des inégalités croissantes et à des tensions sociales. Les Verts sont partisans d’une politique européenne volontariste définissant les domaines d’activités productives durables, créatrices d’emplois et tournées vers l’avenir qui président aux orientations de la politique commerciale de l’UE, et non l’inverse;

j)  L’AECG contient un chapitre spécifique sur le commerce et le travail qui, bien que louable, n’est pas à même de garantir les normes sociales européennes. Il précise qu’il entend «respecter, promouvoir et appliquer» les quatre principes fondamentaux de la déclaration de l’OIT de 1998, ainsi que «promouvoir et respecter» la déclaration de l’OIT de 2008 sur un programme pour un travail décent; il convient toutefois d’y voir un engagement qui reste en deçà du niveau minimal de normes sociales acceptables dans un accord commercial entre pays industriels avancés. L’AECG devrait au moins se référer aux huit normes fondamentales de l’OIT dans le domaine du travail, qui doivent être ratifiées, mises en œuvre et effectivement appliquées dans le droit national, ainsi qu’à la mise en place et au déploiement du programme pour un travail décent. En outre, il n’est pas possible de conférer à ce chapitre une force exécutoire au titre du mécanisme de règlement des différends prévu par l’AECG. Les Verts refusent d’assimiler le chapitre de l’AECG consacré au travail à un véritable progrès dans la protection des normes sociales au moyen d’un accord commercial;

L’AECG est de nature à porter atteinte à la durabilité de l’agriculture européenne

k)  En libéralisant partiellement les droits de douane, l’AECG contribue à l’intensification et à la surproduction dans les secteurs agricoles sensibles que sont notamment les filières bovine, porcine et laitière. Cet aspect aura des incidences négatives pour les petits agriculteurs des deux côtés de l’Atlantique et, d’une manière générale, pour les pratiques agricoles durables. Les Verts rejettent l’évolution de plus en plus marquée vers une utilisation intensive des terres agricoles qui n’est pas dictée par des impératifs de sécurité alimentaire. Cette évolution bouleverse les équilibres écologiques sensibles en exerçant une pression concurrentielle accrue sur les prix des producteurs et nuit à une agriculture multifonctionnelle au service de tous les citoyens;

 

l)  L’AECG reste muet sur le bien-être animal si l'on fait abstraction d’un appel aux «échanges d'informations, d'expertise et d'expériences dans le domaine du bien-être des animaux dans le but de promouvoir la collaboration à cet égard». La libéralisation des droits de douane étant amenée à développer le commerce des produits animaux, le niveau peu élevé des normes canadiennes en matière de bien-être des animaux d’exploitation constituera, en termes de prix, un avantage concurrentiel pour les entreprises de ce pays. La pression sur le maintien du niveau relativement plus élevé, et donc plus coûteux, des normes de l’UE sera d’autant plus forte. Les Verts s’opposent à des accords commerciaux qui ne reconnaissent pas les animaux comme des êtres sensibles et qui n’évitent pas de manière effective les pires formes de cruauté;

L’AECG peut porter atteinte à une politique industrielle européenne tournée vers l’avenir

m)  L’AECG renferme des dispositions interdisant aux parties d’exiger des investisseurs étrangers et des prestataires de services de s’approvisionner en intrants productifs au niveau local ou d’exiger que des volets de la production soient vendus localement. Cette interdiction s’étend également, en partie, à certains programmes de marchés publics mis en œuvre par des fournisseurs étrangers, ce qui limite fortement la localisation de valeur ajoutée, le développement de réseaux transnationaux innovants et le transfert de connaissances. Sachant que l’OMC interdit également les exigences de contenu local, le fait qu’un accord commercial entre deux des économies les plus développées du monde fasse sienne cette interdiction lorsque les acteurs sont confrontés à des défis communs dans leur transition vers une économie verte et à la nécessité de promouvoir des systèmes de production innovants et transnationaux est un constat d’échec et une occasion manquée. Les Verts défendent une politique industrielle européenne qui, grâce à des investissements dans les structures publiques, génère une valeur ajoutée et crée des emplois durables au niveau local, qui sont en mesure de supporter les coûts liés à la transition vers une économie verte;

n)  L’AECG ne contient aucun chapitre prévoyant des mesures spécifiques de soutien aux PME. Alors que, grâce à la coopération réglementaire prévue par l’AECG, les effets positifs de l’allègement des coûts de mise en conformité sont plus importants pour les PME que pour les entreprises de plus grande taille, cet effet est limité par le faible nombre de PME intervenant dans le commerce international. Bien plus de la moitié de la valeur des exportations est concentrée dans les mains d’un pour cent seulement des exportateurs, qui sont de grandes entreprises. En outre, le bien-être généré par l’AECG, ne sera pas pour l’essentiel imputable à une multiplication des échanges commerciaux traduisant de nouvelles possibilités pour les nouveaux arrivants sur le marché mais à une réorientation des échanges sur fond de concurrence accrue. La plupart des PME sont des sous-traitants de grandes entreprises et donc frappées de plein fouet par l’accroissement de la pression concurrentielle. Il faut donc les aider, ce qui n’est pas prévu par l’AECG. Les Verts s’opposent à d’autres accords commerciaux qui favorisent les intérêts des grandes multinationales. Une politique industrielle européenne tournée vers l’avenir repose sur des réseaux hautement innovants de petits producteurs qui s’affranchissent des frontières, non seulement pour acquérir de nouveaux marchés mais surtout pour accéder à de nouveaux savoirs;

o)  L’AECG consolide le droit européen actuel des marchés publics; il s’agit en effet d’un traité international contraignant à un moment où une vision prospective de l’investissement public dans de grandes infrastructures vertes s'impose. Une telle vision nécessite une révision du droit européen des marchés publics qui repose actuellement sur le principe d’appels d’offres internationaux ouverts par défaut. La transition vers une économie verte est indispensable mais elle a un coût. Le soutien de l'opinion publique à cette transition ne sera acquis que si les recettes supplémentaires qui s'imposent sont dégagées en augmentant sensiblement les revenus et la sécurité de l’emploi au niveau local. L’insertion de critères environnementaux et sociaux dans les appels d’offres, comme le prévoit la déclaration commune additionnelle, et la fixation de seuils plus élevés en matière de concurrence internationale sont importantes, mais insuffisantes. Les Verts sont contre l’insertion de chapitres sur les marchés publics dans les accords commerciaux internationaux;

2.  charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au Comité économique et social européen, au Comité des régions ainsi qu'au gouvernement et au Parlement du Canada.