RAPPORT sur la demande de levée de l'immunité de Mogens N.J. Camre
(2002/2249(IMM))

19 juin 2003

Commission juridique et du marché intérieur
Rapporteur: Neil MacCormick

Procédure : 2002/2249(IMM)
Cycle de vie en séance
Cycle relatif au document :  
A5-0243/2003
Textes déposés :
A5-0243/2003
Textes adoptés :

PAGE RÉGLEMENTAIRE

Au cours de la séance du 18 novembre 2002, le Président du Parlement a annoncé qu'il avait reçu une demande de levée de l'immunité de Mogens N.J. Camre, transmise par le Ministère danois des Affaires européennes, en date du 30 octobre 2002, sur requête du Ministère danois de la justice, et qu'il l'avait renvoyée à la commission juridique et du marché intérieur, conformément à l'article 6, paragraphe 2, du règlement.

Au cours de sa réunion du 3 décembre 2002, la commission a nommé Neil MacCormick rapporteur.

Au cours de sa réunion du 25 mars 2003, elle a entendu Mogens N.J. Camre, conformément à l'article 6 bis, paragraphe 3, du règlement, et procédé à un échange de vues sur les raisons qui militent pour ou contre la levée de l'immunité.

Au cours de sa réunion du 17 juin 2003, elle a adopté la proposition de décision à l'unanimité.

Étaient présents au moment du vote Willi Rothley (président f.f.), Ioannis Koukiadis (vice-président), Neil MacCormick (rapporteur), Ulla Maija Aaltonen, Paolo Bartolozzi, Bert Doorn, Francesco Fiori (suppléant Janelly Fourtou, conformément à l'article 153, paragraphe 2, du règlement), Evelyne Gebhardt, Fiorella Ghilardotti, Malcolm Harbour, Kurt Lechner, Manuel Medina Ortega, Stefano Zappalà et François Zimeray.

Le rapport a été déposé le 19 juin 2003.

PROPOSITION DE DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN

sur la demande de levée de l'immunité de Mogens N.J. Camre

(2002/2249(IMM))

Le Parlement européen,

–   vu la demande de levée de l'immunité de Mogens N.J. Camre, transmise par le Ministère danois des Affaires européennes, en date du 30 octobre 2002, et communiquée en séance plénière le 18 novembre 2002,

-   vu les articles 9 et 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, du 8 avril 1965, ainsi que l'article 4, paragraphe 2, de l'Acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976,

-   vu les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 mai 1964 et du 10 juillet 1986[1],

-   vu l'article 57 de la Constitution du Royaume du Danemark,

-   vu les articles 6 et 6 bis de son règlement,

-   vu le rapport de la commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités (A5-0243/2003),

1.   décide de ne pas lever l'immunité de Mogens N.J. Camre;

2.   charge son Président de communiquer immédiatement la présente décision et le rapport de sa commission au ministre danois des Affaires européennes, pour transmission à l'autorité compétente.

  • [1] Cf. Recueil de la jurisprudence de la Cour 1964, p. 397, affaire 101/63 (Wagner/Fohrmann et Krier), et Recueil 1986, p. 2403, affaire 149/85 (Wybot/Faure).

EXPOSÉ DES MOTIFS

I.   LES FAITS

1.   Au cours de la séance du 18 novembre 2002, le Président du Parlement européen a annoncé avoir reçu des autorités danoises compétentes une demande de levée de l'immunité parlementaire de Mogens N.J. Camre.

La demande, établie par le Ministère public danois, porte sur la levée de l'immunité parlementaire de M. Camre en raison des poursuites dont il est l'objet à la suite du délit que constituent des déclarations qu'il a faites, qui tournent en dérision et qui sont humiliantes pour un groupe de personnes, à savoir les Musulmans, ce qui est contraire au premier alinéa de l'article 226 b) du Code pénal danois et qui constitue une entreprise de propagande, contraire au deuxième alinéa de cette même disposition.

Le Ministère public indique que – selon les plaintes déposées par le Centre de documentation et de consultation sur la discrimination raciale, l'Association danoise de défense des droits civiques et plusieurs particuliers – M. Camre a prononcé un discours contenant le passage suivant devant le congrès national du Danks Folkeparti (Parti populaire danois) qui a eu lieu les 15 et 16 septembre 2001 au Idrættens Hus, Vejle (Danemark):

"Tous les pays occidentaux sont infiltrés par les Musulmans – et certains d'entre eux nous parlent aimablement, en attendant d'être assez nombreux pour nous faire disparaître comme au Soudan, en Indonésie, au Nigeria ou dans les Balkans."

"Il y a un fil conducteur entre le violeur abject, l'homme qui excise sa fille et oblige sa femme à porter le foulard et celui qui, par fanatisme religieux, précipite un avion de ligne sur le World Trade Center. Ces personnes ont en commun la haine de l'autre – une haine ancrée dans une idéologie malade."

Quelque 500 délégués et la presse assistaient au congrès. Un projet du discours contenant les mots "tous les pays occidentaux sont infiltrés par les Musulmans – et certains d'entre eux nous parlent aimablement, en attendant d'être assez nombreux pour nous tuer" a été distribué à la presse avant le congrès et le texte final a été publié sur le site Internet du parti. Le discours a été largement rapporté dans la presse.

2.   Pour de plus amples détails concernant les accusations portées contre M. Camre, il convient de se référer au document PE 324.181.

II.   JUSTIFICATION DE LA DÉCISION PROPOSÉE

Étant donné que M. Camre est un député danois et qu'il est accusé d'avoir commis l'acte incriminé lors d'un congrès de son parti politique national au Danemark et en liaison avec celui-ci, l'article 9 du Protocole sur les privilèges et immunités ne s'applique pas. Cette immunité absolue s'applique uniquement à des "opinions ou votes émis par [des membres] dans l'exercice de leurs fonctions". Bien qu'il soit possible de concevoir les circonstances dans lesquelles l'article 9 peut s'appliquer à un membre dans son propre pays (délégation, séance du Parlement ou réunion de l'une de ses commissions, réunion de groupe, etc.), un congrès d'un parti politique national n'est pas une de ces circonstances, particulièrement du fait que le Parlement a choisi de retenir une approche étroite de l'expression "exercice [des] fonctions [de membre]".

Par conséquent, l'article 10, point a), du Protocole est d'application. Il prévoit que "[p]endant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient [...] sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays".

L'article 57 de la Constitution danoise se lit comme suit:

Aucun membre du Folketing ne peut, sans son consentement, être poursuivi ou détenu, sous quelque forme que ce soit, sauf en cas de flagrant délit. Aucun membre du Folketing ne peut, sans le consentement du Folketing, être tenu de rendre des comptes en dehors du Folketing pour les déclarations qu'il a faites dans cette enceinte.

Il semble que la deuxième phrase de l'article 57 ne protège pas seulement les déclarations faites par des membres au cours des débats mais également leurs contributions écrites à des propositions et des rapports, etc. Il est fermement établi que l'expression "devant le Folketing" n'est pas restreint à un critère purement géographique mais que la protection couvre la liberté parlementaire de parole en liaison avec l'accomplissement des tâches d'un membre du Folketing. Par conséquent, cela couvre les déclarations faites par des membres devant des comités et commissions traitant de sujets parlementaires ainsi que les déclarations concernant les sujets parlementaires faites au cours de réunions de membres de partis siégeant au Parlement. En revanche il apparaît que l'article 57 ne couvre pas les déclarations faites à des meetings politiques, à la presse ou à la radio ou la télévision.

Il apparaît que le Folketing suit la pratique selon laquelle l'autorisation est toujours donnée pour les poursuites pénales en vertu de la première phrase de l'article 57 de la Constitution alors qu'elle n'est en pratique jamais accordée pour une demande de poursuite d'un membre en raison de déclarations faites devant la Chambre, conformément à la deuxième phrase de cette même disposition.

En ce qui concerne le Parlement européen, bien que l'article 10, premier alinéa, point a), du Protocole se réfère aux immunités reconnues aux membres du parlement national en question, le Parlement européen a la faculté de créer ses propres principes, créant ainsi ce que l'on peut appeler une "jurisprudence".

En outre, alors que les membres des parlements nationaux et les membres du Parlement européen de l'État membre en question jouissent des mêmes immunités, la question de la levée de l'immunité dont il s'agit relève du Parlement européen. Les principes ou la jurisprudence dont il est question ci-dessus devraient avoir pour effet d'établir un concept cohérent de l'immunité parlementaire européenne lequel, en principe, devrait être indépendant des différentes pratiques en vigueur dans les parlements nationaux. S'il n'en était pas ainsi, il y aurait disparité de traitement entre les députés en raison de leur nationalité. Par conséquent, considérant qu'il a été examiné si l'immunité existe dans le cadre de la législation nationale, le Parlement européen applique des principes constants lorsqu'il s'agit de décider d'une levée d'immunité.

Enfin, le Parlement a constamment retenu comme principe fondamental, dans tous les cas dans lesquels les actes pour lesquels des députés sont l'objet d'accusations font partie de leur activité politique ou y sont directement liés, que l'immunité n'est pas levée.

En appliquant ces principes, votre rapporteur estime que les déclarations prétendument contraires à la loi faites par M. Camre l'ont été dans l'exercice de sa liberté de parole et en tant que partie de ses activités de membre du Parlement. Il ne fait pas de doute que ces déclarations concernaient une question qui préoccupe et intéresse le public et que les poursuites peuvent affecter l'indépendance et la capacité de s'exprimer du député.

En ce qui concerne le contenu des déclarations, votre rapporteur note qu'il est souvent indiqué dans les rapports que l'expression d'opinions ne peut constituer une incitation à la haine, une diffamation ou une violation des droits fondamentaux de la personne ou une attaque contre l'honneur ou la réputation de groupes ou d'individus. Néanmoins, il convient de dire que le Parlement a adopté avec constance une attitude très libérale en ce qui concerne l'expression d'opinions faite dans l'arène politique et il apparaît qu'il existe une tradition de rudesse dans les débats politiques au Danemark. En outre, bien qu'il n'y ait pas de preuve de quelconque fumus persecutionis, certains commentaires parus dans la presse danoise indiquaient que de telles poursuites étaient inhabituelles.

Par conséquent, sans en aucune façon approuver la teneur des déclarations faites par M. Camre, votre rapporteur estime qu'à la lumière des principes que le Parlement a appliqués avec constance dans des cas de ce genre, le cas de M. Camre tombe dans le cadre de l'article 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes du 8 avril 1965.

III.   CONCLUSIONS

Vu les considérations qui précèdent, la commission juridique et du marché intérieur, après avoir examiné conformément à l'article 6 bis du règlement les raisons qui militent en faveur de l'acceptation ou du rejet de la demande de levée de l'immunité, recommande que le Parlement:

-   ne procède pas à la levée de l'immunité de M. Mogens N.J. Camre.