RAPPORT sur la communication de la Commission sur la gestion de l'eau dans les pays en développement: politique et priorités de la coopération au développement de l'UE
(COM(2002) 132 – C5‑0335/2002– 2002/2179(COS))

22 juillet 2003

Commission du développement et de la coopération
Rapporteur: Paul A.A.J.G. Lannoye

Procédure : 2002/2179(COS)
Cycle de vie en séance
Cycle relatif au document :  
A5-0273/2003
Textes déposés :
A5-0273/2003
Textes adoptés :

PAGE RÉGLEMENTAIRE

Par lettre du 12 mars 2002, la Commission a transmis au Parlement sa communication sur la gestion de l'eau dans les pays en développement: politique et priorités de la coopération au développement de l'UE (COM(2002) 132 – 2002/2179(COS)).

Au cours de la séance du 2 septembre 2002, le Président du Parlement a annoncé qu'il avait renvoyé cette communication, pour examen au fond, à la commission du développement et de la coopération et, pour avis, à la commission de l'environnement, de la santé publique et de la politique des consommateurs (C5‑0335/2002).

Au cours de sa réunion du 20 juin 2002, la commission du développement et de la coopération a nommé Paul A.A.J.G. Lannoye rapporteur.

Au cours de ses réunions des 20 mai, 12 juin et 8 et 9 juillet 2003, la commission a examiné la communication de la Commission ainsi que le projet de rapport.

Au cours de la dernière de ces réunions, elle a adopté la proposition de résolution à l'unanimité.

Étaient présents au moment du vote Joaquim Miranda (président), Margrietus J. van den Berg, (vice-président), Anders Wijkman (vice-président), Paul A.A.J.G. Lannoye (rapporteur), Jean‑Pierre Bebear, Yasmine Boudjenah, John Bowis, John Alexander Corrie, Nirj Deva, Colette Flesch, Michael Gahler (suppléant Jürgen Zimmerling), Bashir Khanbhai (suppléant Luigi Cesaro), Glenys Kinnock, Karsten Knolle, Wolfgang Kreissl-Dörfler, Mario Mantovani (suppléant Vitaliano Gemelli), Miguel Angel Martínez Martínez, Hans Modrow, Luisa Morgantini, Didier Rod, Ulla Margrethe Sandbæk, Francisca Sauquillo Pérez del Arco, Agnes Schierhuber (suppléant Fernando Fernández Martín) et Maj Britt Theorin.

La commission de l'environnement, de la santé publique et de la politique des consommateurs a décidé le 9 septembre 2002 qu'elle n'émettrait pas d'avis.

Le rapport a été déposé le 22 juillet 2003.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPEEN

sur la communication de la Commission sur la gestion de l'eau dans les pays en développement: politique et priorités de la coopération au développement de l'UE (COM(2002) 132 – C5‑0335 /2002 – 2002/2179(COS))

Le Parlement européen,

–   vu la communication de la Commission (COM(2002) 132 – C5‑0335/2002),

-   vu le document de travail de la Commission sur la création d'un Fonds européen pour l'eau (COM(2003) 211,

-   vu les articles 177 à 181 du traité UE,

–   vu l'Agenda 21 approuvé à Rio de Janeiro en 1992 et, notamment, son paragraphe 18,

–   vu les résultats du IIe Forum mondial de l'eau qui s'est tenu du 17 au 22 mars 2000 à La Haye,

-   vu la Conférence internationale sur l'eau douce de Bonn (2001),

–   vu la déclaration politique adoptée lors du Sommet mondial pour le développement durable qui s'est tenu à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002,

–   vu les lignes directrices pour la coopération au développement de la Commission européenne pour la mise en valeur des ressources en eau et leur gestion,

–   vu la déclaration politique du Sommet du P7 qui s'est tenu à Bruxelles du 7 au 9 juin 2000,

–   vu l'étude conduite en mai 2000 par le Stockholm International Water Institute (SIWI) pour le compte du Parlement européen,

–   vu l'article 47, paragraphe 1, de son règlement,

–   vu le rapport de la commission du développement et de la coopération (A5‑0273/2003),

A.   considérant que sur 6 milliards d'êtres humains, 1,7 milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et plus de trois milliards n'ont pas accès aux services sanitaires,

B.   considérant que près de 30 000 personnes meurent chaque jour à cause des maladies liées à l'absence d'eau potable ou de service sanitaire et que l’absence d'action dans le domaine de l’eau et des services sanitaires affecte tout particulièrement les femmes et les enfants et, plus généralement, les populations vulnérables,

C.   considérant que l'accès à l'eau est indispensable à la vie, à la santé, à l'alimentation, au bien-être et au développement et que l'eau ne peut dès lors être considérée comme une simple marchandise,

D.   considérant que le Comité des Nations Unies pour les droits économiques, sociaux et culturels a inscrit l'accès à l'eau dans les droits fondamentaux de l'être humain et que les 145 pays qui ont ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ont pour obligation de garantir l'accès à l'eau aux populations de manière équitable et sans discrimination,

E.   considérant que la raréfaction des ressources, les enjeux économiques et territoriaux liés à l'eau risquent de provoquer des conflits armés dans certaines régions du globe, compromettant ainsi le développement soutenable, la paix et la coopération,

F.   considérant que l'irrigation au service d'une agriculture intensive et d'une économie essentiellement orientée vers l'exportation intervient pour près de 75 % dans la consommation mondiale d'eau douce,

G.   considérant que les différents usages que les femmes font de l’eau sont souvent négligés et ne sauraient être compartimentés étant donné que les femmes utilisent l’eau pour les jardins de subsistance et la pose de briques et que l’eau d’irrigation est utilisée également pour les besoins domestiques et le bétail,

H.   considérant que la construction de grands barrages, la pollution industrielle et la déforestation sont entre autres responsables de l'appauvrissement des nappes phréatiques et de la raréfaction de l'eau saine,

I.   considérant que le mode actuel de production d’électricité entraîne une forte déperdition d’eau par évaporation et crée une concurrence entre la production d’électricité et l’irrigation,

J.   rappelant que la pénurie d'eau potable s'est aggravée dans les pays en voie de développement du fait des programmes d'ajustement structurel, imposés par les bâilleurs de fonds, qui ont affaibli le service public en provoquant un sous-financement de ce secteur et un surendettement des PVD,

K.   considérant que le choix des bailleurs de fonds pour résoudre le problème de l'eau consiste à promouvoir l'engagement du secteur privé de grande envergure qui opère au niveau international par le biais de programmes de partenariat public-privé qui marginalisent le service public,

L.   considérant que la libéralisation des services publics de base, y compris le secteur de l'eau, fait partie des conditions imposées par la Banque mondiale et le FMI aux pays du Sud pour bénéficier de prêts,

M.   considérant la demande de la Commission de libéraliser la distribution d'eau auprès des pays du Sud, dont 14 des pays les moins avancés, et ceci dans le cadre des négociations de l'AGCS,

N.   considérant que la privatisation des services d'eau se traduit le plus souvent par une hausse des prix et empêche les populations pauvres dans les PMA d'avoir accès à l'eau; considérant que le secteur privé est important pour la mise en place de systèmes viables et efficaces de gestion de l’eau dans les pays en voie de développement en raison de ses compétences dans le domaine technique et en matière de gestion des coûts,

O.   considérant que la privatisation de l'eau, lorsqu'elle conduit à la mise en place de grands projets basés sur une technologie coûteuse, en lieu et place de petits projets valorisant les matériaux locaux, peut avoir des conséquences défavorables pour la population locale; considérant que les besoins et la situation en matière d’approvisionnement en eau diffèrent beaucoup d’un pays en développement à l’autre et que, dès lors, les services offerts doivent être très diversifiés,

P.   considérant que la vocation du secteur privé pourrait être incompatible avec la fourniture d'un service au public et qu'une gestion exclusivement commerciale de la ressource pourrait facilement devenir un frein au développement socio-économique des populations vivant dans les zones où la fourniture de ce service serait perçue comme non rentable,

Q.   constatant que les entreprises multinationales n'hésitent pas à dénoncer les contrats en cas de bénéfices insuffisants comme dans le cas de Suez à Buenos Aires et à Manille en 2002, abandonnant ces villes à leur sort, alors que ces mêmes entreprises n'hésitent pas à poursuivre les pouvoirs publics en cas de rupture de contrat provoquée par ces derniers; considérant que les petits opérateurs du secteur de l’eau ont l’avantage d’être davantage à l’écoute des consommateurs et tendent à recourir à des techniques et à des méthodes de commercialisation innovatrices,

R.   considérant l'importance du rôle de régulateur que doivent jouer les pouvoirs publics nationaux et locaux en vue d'assurer à tous l'accès à l'eau à un prix abordable, en particulier aux populations les plus défavorisées,

S.   considérant que la gestion rationnelle de l'eau passe par la participation des populations locales - et notamment des femmes - que ce soit au niveau national, régional et local, mais aussi par une tarification adéquate qui permette à tous d'avoir accès à l'eau pour couvrir les besoins essentiels et garantisse une utilisation efficace de l'eau en responsabilisant les usagers;

En ce qui concerne le Fonds européen pour l'eau

T.   prenant acte de l'initiative de la Commission pour la création d'un Fonds européen pour l'eau, destiné à financer l'approvisionnement en eau et l'assainissement de l'eau dans les pays ACP,

U.   regrettant que cette initiative ait été prise sans consulter les pays ACP, ce qui sape l'esprit de partenariat de l'accord de Cotonou, basé sur le principe de concertation, de renforcement de capacité et d'appropriation des politiques de développement,

V.   soulignant que le fonds d’un milliard d'euros qui sera constitué pour lancer cette initiative provient de la réserve du FED et non de ressources additionnelles,

W.   considérant que la réalisation des objectifs du Fonds est assortie de conditions, notamment celle de la bonne gouvernance,

X.   considérant que la création du Fonds européen pour l’eau est motivée par le fait que dans les pays en voie de développement, le secteur public n’est pas en mesure d’assurer un approvisionnement suffisant en eau salubre à tous les citoyens,

Y.   considérant que la création d'une agence d'exécution du Fonds européen pour l'eau risque de saper le renforcement de la capacité des pays ACP ainsi que l'appropriation des politiques de développement par ces pays,

1.   réaffirme que l'accès à l'eau potable salubre en quantité et qualité suffisante est un droit humain fondamental et estime que les gouvernements nationaux ont le devoir de s'acquitter de cette obligation; rappelle qu’un accès raisonnable à l’eau signifie la possibilité de disposer d’au moins 20 litres d’eau par personne et par jour à partir d’une source salubre dans un rayon d’un kilomètre (Évaluation mondiale des conditions d'alimentation en eau et d'assainissement, Rapport 2000, OMS/Unicef);

2.   rappelle qu'à diverses reprises, et notamment à Mar del Plata (1997) et à Rio (1992), des déclarations adoptées à l'issue de conférences organisées par l'ONU ont consacré "le droit pour tous d'accéder à l'eau potable en quantité suffisante et en qualité pour les besoins essentiels" et se félicite que ce droit figure désormais dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;

3.   souligne que la distribution de l’eau doit être considérée comme étant essentiellement un service public et, dès lors, être organisée de manière à garantir l’accès de tous à l’eau pour un prix raisonnable;

4.   constate que les populations défavorisées des PVD sont toujours confrontées à une pénurie d'eau potable malgré les efforts déployés jusqu’ici par la communauté internationale, que les solutions proposées par les bailleurs de fonds mettant l'accent sur la privatisation de la distribution d'eau potable ont échoué, que de ce fait l'accès à l'eau potable des populations n'a pas augmenté et que les maladies liées à l'absence d'eau potable n'ont pas diminué;

5.   estime que le partenariat public/privé (PPP), système par lequel les pouvoirs publics restent propriétaires des infrastructures et concluent un contrat de gestion avec le secteur privé, en assurant l’accès à tous et en garantissant une tarification transparente pour le public, doit être considéré non pas comme une panacée mais comme un moyen parmi d’autres d’améliorer l’accès à l’eau;

6.   constate que plusieurs études montrent que la privatisation des services d'eau avec comme principe de base le "Full Cost Recovery" s'est traduite par une hausse tarifaire empêchant les populations défavorisées dans les PMA d'avoir accès à l'eau potable;

7.   souligne la nécessité d'une tarification qui permette à tous d'avoir accès à l'eau pour couvrir les besoins essentiels et garantisse une utilisation efficace de l'eau en responsabilisant les usagers;

8.   estime qu'il est extrêmement important d'entreprendre un bilan sérieux - en ce compris l'impact social, économique et environnemental - de la privatisation des services d'eau dans les pays en voie de développement et demande que ce bilan soit effectué d'urgence afin que les conclusions qui en ressortiront puissent être pleinement prises en compte lors des négociations sur l'accord AGCS;

9.   considérant que les choix technologiques n’ont pas la même incidence sur les femmes et sur les hommes et que la prise en compte de la dimension hommes-femmes s’est révélée utile à l’échelon local mais qu’elle demeure difficile à une plus grande échelle;

10.   estime que plusieurs modèles de gestion existent, allant de la coopérative locale à l'agence municipale ou nationale en passant par la gestion publique/privée et privée et considère en conséquence qu'il est du droit et de la responsabilité des pouvoirs publics des pays concernés d'adopter une politique appropriée pour répondre aux besoins des populations;

11.   estime qu’il est nécessaire de réviser les articles VI et XXI de l’accord AGCS afin de garantir le droit de tout pays en voie de développement de choisir librement le mode d'approvisionnement en eau en conformité avec l'intérêt collectif national ou régional des populations;

12.   encourage la Commission et les États membres à inviter la Banque mondiale et le FMI à mettre fin à leur politique de conditionnalité subordonnant l'octroi de subventions et de prêts à la privatisation des services de gestion et de distribution d'eau et à reconnaître le droit des États de décider librement de leur mode d’approvisionnement en eau, qu’il soit privé, public ou mixte;

13.   invite la Commission et les États membres à adopter une politique d'aide à la gestion de l'eau, basée sur le principe de l'accès universel, équitable et non discriminatoire à une eau saine;

14.   demande qu’il soit procédé à une étude des incidences de tous les projets intéressant le domaine de l’eau sur les hommes et sur les femmes de façon à assurer une égale répartition entre eux des responsabilités et des retombées favorables de ces projets, y compris en ce qui concerne la répartition des tâches, les possibilités de rémunération et le renforcement des capacités;

15.   insiste sur la nécessité d'appuyer les pouvoirs publics locaux dans leurs efforts visant à mettre en place des systèmes novateurs, participatifs et démocratiques de gestion publique de l'eau, qui soient efficaces, transparents, réglementés et respectueux des objectifs de développement durable pour satisfaire les besoins des populations; souligne dans ce contexte qu’il est nécessaire de renforcer les capacités locales pour établir des réseaux d’alimentation en eau et les entretenir ainsi que pour assurer une utilisation durable des maigres ressources en eau par la population;

16.   considère qu'il appartient aux pouvoirs publics des PVD de définir le cadre juridique réglementant le fonctionnement des opérateurs privés et que le secteur privé peut jouer un rôle important dans ce cadre;

17.   demande à la Commission et aux États membres d’encourager les partenariats entre le secteur public et le secteur privé pour la gestion de l’eau dans les pays en voie de développement de manière à mettre à profit les compétences du secteur privé dans le domaine technique et en matière de gestion tout en créant des emplois à l’échelon local;

18.   souligne la nécessité de mettre en œuvre de nouvelles techniques et d’utiliser les énergies renouvelables pour la production d’électricité, l’irrigation, le captage d'eau, la collecte de l’eau de pluie et le recyclage des eaux usées, ces techniques devant être adaptées et basées sur les connaissances locales;

19.   demande à la Commission et aux États membres de mettre fin à l'exportation vers les PVD des pesticides interdits au sein de l'UE; ceux-ci polluent en effet l'environnement et contaminent les nappes phréatiques, mettant ainsi en danger la santé des populations;

20.   souligne l'intérêt qu'il y a à créer des organes de gestion commune de l'eau aux pays riverains d'un même bassin afin de créer ou de renforcer les solidarités propices à l'apaisement des tensions ou à la résolution des conflits;

En ce qui concerne le Fonds européen pour l'eau

21.   reconnaît la nécessité de mobiliser des fonds substantiels pour répondre aux besoins élémentaires de la grande majorité des populations, notamment africaines, qui souffre du manque d'eau potable et de services d'assainissement;

22.   estime que la création d'un Fonds européen pour l'eau est en principe une bonne initiative et que le Fonds doit se donner comme objectif principal d'appuyer la politique de l'eau des pays bénéficiaires, qui doit être basée sur une gestion démocratique et une distribution équitable;

23.   réaffirme que l'accès à l'eau pour tous sans discrimination est un droit et considère par conséquent que les mesures appropriées doivent être prises pour s’assurer que les personnes insolvables ne soient pas privées de cet accès;

24.   estime que le Fonds doit contribuer à aider les pays ACP à mettre en place des mécanismes réglementant clairement la gestion et le contrôle du secteur de l'eau ainsi qu’à stimuler le développement de capacités locales pour l’établissement et l’entretien des réseaux d’alimentation en eau;

25.   propose que la gestion du Fonds soit fondée sur le partenariat UE‑ACP, y compris les organisations nationales et régionales composées des autorités ACP, des représentants des secteurs privés locaux et des usagers;

26.   demande aux pays ACP d'organiser des consultations nationales et régionales en associant les acteurs de la société civile et les acteurs privés locaux pour élaborer des stratégies appropriées en vue de répondre aux besoins socio-économiques des populations;

27.   demande à la Commission et aux pays ACP de présenter conjointement une proposition quant aux modalités spécifiques de la mise en œuvre de ce Fonds: types d’infrastructures, organismes de gestion, modalités de financement;

28.   estime que la réussite de ce Fonds dépend de la participation des bénéficiaires qui doivent être associés au processus de conception, de mise en œuvre, de suivi et d'évaluation ainsi qu'à la gestion et au contrôle du Fonds européen;

29.   demande l'annulation de la dette des pays ACP et l'utilisation de la somme dégagée pour financer des infrastructures de base d’approvisionnement en eau et d’assainissement de l’eau;

30.   demande que soit examinée la faisabilité d'une fiscalité internationale sur le modèle du prélèvement sur la consommation des eaux minérales en Europe et dans les pays ACP (entre ½ centime d'euro et un centime par bouteille produite);

31.   demande la réalisation d'une étude d'impact de la politique de l'eau suivie jusqu'à présent afin de tirer les leçons qui s'imposent et en vue de définir une politique appropriée à chaque situation spécifique;

32.   considère que la politique de l'eau doit intégrer la viabilité économique, la solidarité sociale, la responsabilité écologique et l'utilisation rationnelle pour ne pas compromettre les besoins des générations futures;

33.   charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux pays ACP, à la Banque mondiale et aux agences spécialisées de l'Organisation des Nations unies.

EXPOSÉ DES MOTIFS

1.   Situation actuelle

L'eau est une denrée de plus en plus rare et les populations des pays du Sud sont frappées par de graves pénuries. L'agriculture intensive, les grands barrages, la pollution industrielle et la déforestation, entre autres, ont contribué à cette raréfaction qui menace la paix et la coopération. Outre qu'elle compromet le développement soutenable, la raréfaction de l'eau génère tensions et conflits dans la plupart des pays en développement. La "guerre de l'eau" autour du bassin du Jourdain, dont 75% des ressources sont exploitées par un seul pays ‑ Israël - qui couvre moins de 25% de la surface du bassin, en est l'exemple le plus meurtrier.

Sur 6 milliards d'êtres humains, près de 1,7 milliard (chiffres de l'Organisation mondiale de la santé) n'ont pas accès à l'eau potable. Selon le "World Water Vision" (La Haye, mars 2000), plus de 3 milliards de personnes (une sur deux!) ont un accès limité aux services sanitaires (voir annexe).

2.   La politique de l'eau de Rio à Johannesburg: une décennie perdue

Ces dix dernière années, plusieurs conférences internationales ont reçu pour mission de donner accès à une eau potable saine à tous. Les conférences de Dublin et Rio ont émis les principes de gestion durable des ressources en eau suivants:

-   l'eau potable, ressource est limitée et vulnérable, est un élément essentiel à la vie, au développement et à l'environnement,

-   le développement et la gestion des ressources en eau doivent reposer sur une approche participative impliquant les usagers, les planificateurs et les décideurs politiques,

-   le rôle des femmes est essentiel pour l'approvisionnement, la gestion et l’entretien des ressources en eau.

La Décennie mondiale de l'eau et de l'assainissement (1981-1991) s'est achevée par un engagement international visant à fournir de l'eau potable saine à tous en l'an 2000.

Un bilan désastreux 

Malgré les déclarations internationales, les programmes mondiaux, régionaux ou nationaux et les "subventions" de la Banque mondiale et du FMI, le nombre de personnes privées d'eau potable n'a pas diminué. En 1992, on estimait ce nombre à 1,2 milliard. Aujourd'hui, selon l'OMS, ce sont 1,7 milliard d'êtres humains qui sont privés d'eau potable.

Les experts en conviennent: quelque 2,4 milliards de personnes ne bénéficient guère de services sanitaires. Les conséquences hygiéniques sont très graves. On évalue à 30.000 par jour le nombre de décès dus à des maladies liées à l'absence d'eau potable saine et de services sanitaires. Paludisme, choléra, dysenterie, schistosomiase, hépatites infectieuses et affections diarrhéiques entraînent chaque année 3,4 millions de décès. Selon l'OMS, la seule diarrhée touche près de 4 milliards de personnes et entraîne quelque 2,2 millions de décès. Le plus souvent, les victimes sont des enfants de moins de 5 ans. On estime qu'un enfant disparaît toutes les 15 secondes.

La pauvreté est directement à la base du manque d'eau potable et de services sanitaires. À l'ère du libre-échange commercial, le fossé entre les riches et les pauvres de chaque pays ainsi qu'entre les pays industrialisés et ceux en voie de développement n'a cessé de se creuser.

Selon le rapport annuel de la CNUCED pour 2002, intitulé "Échapper au piège de la pauvreté", le nombre d'habitants des PMA vivant dans l'extrême dénuement est passé de 138 millions dans les années 60 à 307 millions dans les années 90.

L'appauvrissement des pays du sud, en général, et le manque d'eau, en particulier, ont de multiples causes:

-   une agriculture intensive et productiviste qui consomme près de 70% de l'eau douce disponible au niveau mondial, dont 40% se perdent lors de l’irrigation;

-   une économie extravertie dont la persistance dans les pays du Sud qui favorisent les cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières sape le développement de l'économie locale et compromet le bien-être des populations;

-   la conditionnalité de l’aide qui subordonne les prêts de la Banque mondiale et du FMI aux pays du sud à la libéralisation et au démantèlement des services publics, y compris dans le secteur de l'eau, à la déréglementation et au transfert de la gestion des services "publics" au secteur privé; ces conditions ont amplifié le processus d’endettement extérieur et donc d'appauvrissement des pays du Sud, dont les ressources financières publiques disponibles sont réservées au remboursement de la dette plutôt qu'au développement durable, à l'accès à l’eau potable, à l'énergie, à la santé ou à l’éducation;

-   la privatisation des services de l'eau qui s'est traduite par une hausse des prix. Cette situation a provoqué de violentes réactions dans plusieurs pays en voie de développement, comme à Cochabamba, en Bolivie, où les paysans et les habitants de la ville ont lutté pendant plus de deux ans contre la privatisation. À Santa Fe, en Argentine, un référendum spontané pour l'abandon du contrat de concession a été organisé dans 15 villes de la région.

la privatisation de l'eau en Bolivie

En 1999, le gouvernement bolivien a accordé une concession de 40 ans à la compagnie internationale "Agua Del Tunari" et lui a confié la distribution d'eau potable, l'irrigation et l'approvisionnement en énergie dans la vallée centrale de Cochabamba.

Les principales caractéristiques du contrat étaient les suivantes :

  • -tous les systèmes d'eau potable existant dans la zone de concession, bien que construits par des acteurs locaux comme la coopérative d'eau, sont passés aux mains du consortium sans aucune compensation;
  • -la somme nécessaire pour exécuter ce projet, de l'ordre de $ 311 millions, devait être remboursée par l'augmentation du prix de l'eau;
  • -le monopole du consortium sur le secteur était assuré par l'organisation de l'impossibilité pour les populations locales de s'approvisionner à d'autres sources d'eau potable.

Initialement fixée à 35%, l'augmentation des tarifs a atteint 400%. Face à la mobilisation de la population urbaine et rurale, le gouvernement a dû céder et le consortium renoncer au projet.

3.   La politique de l'eau de l'UE

La Commission et le Conseil basent entièrement leur politique de développement sur les principes définis en 1993 par la Banque mondiale dans son rapport "La gestion de l'eau".

L'approche qui y est défendue n'est que partiellement valide, dans la mesure où:

-   le problème central de la politique de l'eau à l'échelle mondiale et dans la grande majorité des situations locales est l'inadéquation entre l'offre et la demande;

-   la priorité est donnée au modèle "français" de gestion de l'eau fondée sur le PPP (partenariat public/privé); de l'avis général, le PPP constitue l'une des formes les plus avancées de privatisation de l'eau; les pouvoirs publics réalisent les investissements d'infrastructures et fixent le cadre général le plus favorable à l'action du secteur privé chargé, pour sa part, de gérer les services d'adduction, de distribution, de maintenance du réseau et de traitement des eaux usées;

-   le principe de la récupération du coût total (retour sur l'investissement situé, en règle générale, autour d'un tiers du prix) détermine le prix de l'eau à usage domestique;

-   le financement de l'accès à l'eau doit être assuré par la consommation, même si ce principe n'est pas appliqué de manière cohérente à l'agriculture et à l'industrie, secteur énergétique y compris;

-   la participation des citoyens et le rôle des femmes sont à peine mentionnés.

Bien que rangée à ces principes, la communication de la Commission ne parle pas de la privatisation de l'eau et ne mentionne ni ne remet en cause la clause de conditionnalité qu'impose la Banque mondiale aux pays du tiers monde demandeurs de prêts. Nul ne s'en étonnera: les principales entreprises privées bénéficiaires de ce système ne sont-elles pas, entre autres, françaises (Suez, Vivendi ou Saur Bouygues) et allemande (RWE)?

4.   Le Sommet de Johannesburg: des propositions au rabais

Les décisions prises à Johannesburg ne font que reconduire les politiques menées depuis les années 90 conformément aux prescriptions du FMI, de la Banque mondiale et de l'OMC. En effet, la "grande nouveauté" de Johannesburg a été de reprendre les objectifs du Sommet du Millénaire de 2000 et de la Conférence de Monterrey de mars 2002. L'engagement n'est cependant plus d'éradiquer la pauvreté le plus rapidement possible mais de réduire de moitié, à l'horizon 2015, le nombre de personnes privées d'eau potable saine et de services sanitaires. Cet objectif a été salué comme un progrès majeur, signe d’une grande ambition mondiale.

En s'assignant un tel objectif, les dirigeants des pays les plus riches et puissants de la planète montrent qu'ils s'accommodent fort bien de la pérennisation de la pauvreté dans le monde. Pour quantifier l'objectif, ils ont choisi comme chiffre de référence les 1,3 milliard de pauvres (les plus démunis, ceux qui "vivent" avec moins de $ 1par jour) et les 1,2 milliard privés d'eau potable. Ils acceptent donc l'idée qu'il subsistera 650 millions de pauvres en 2015.

Ils n'ont toutefois pas tenu compte des 1,4 milliard de pauvres "vivant" avec moins de $ 2 par jour. En effet, selon l’ONU, il y a 2,7 milliards de pauvres dans le monde (dont 1,3 milliard doivent se contenter de moins de $ 1par jour). Il restera donc toujours 1,4 milliard de pauvres vivant avec moins de $ 2 par jour. En additionnant ces deux chiffres, on conclut qu'il y aura 2,5 milliards de pauvres en 2015.

Enfin, la démographie n'a pas été prise en considération. En effet, si l'on considère que d'ici 15 ans, on aura enregistré la naissance de 1,2 milliard de personnes (80 millions/an) en Asie, en Amérique latine et en Afrique et que 200 millions d'entre elles seront "riches", 1 milliard de nouveaux pauvres seront venus peupler la planète pour amener, en 2015, le nombre de pauvres à plus de 3 milliards d'individus. Objectif ambitieux?

5.   Conclusions: l'eau pour tous.

L'accès à eau, élément indispensable pour la vie et la santé, est désormais inscrit dans les droits fondamentaux de l'être humain. Après une large mobilisation citoyenne, le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels a pris l'initiative de l'inclure dans le commentaire général du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Les 145 pays qui ont ratifié ce pacte sont désormais tenus d'assurer progressivement aux populations l'accès universel, équitable et non discriminatoire à une eau saine. Il s'agit d'un premier pas important vers un changement de la politique de l'eau. Face à cette nouvelle situation, l'UE doit axer sa politique sur les priorités suivantes:

a)   au Nord comme au Sud, la mise en place de nouveaux modes de production et de consommation fondés sur:

-   une gestion durable de l'eau mettant en avant une agriculture écologique essentiellement basée sur les ressources locales, les technologies vertes et les coopératives à l'échelle des communautés régionales; et

-   de nouveaux systèmes d’irrigation préférant aux systèmes d'irrigation actuels et largement responsables des déséquilibres hydrologiques (déperditions par évapotranspiration) une agriculture respectueuse de l'environnement grâce à de nouveaux modes d'irrigation, de captage d'eau et d'utilisation des eaux usées recyclées.

Il faut par ailleurs éviter le piège de l'offre "d'eau virtuelle" - importation de produits agricoles grands consommateurs d'eau - et réduire la quantité d'eau nécessaire à la production locale dans le cadre du libre-échange commercial. En effet, une agriculture moins vorace en eau peut malgré tout accroître la dépendance agricole et alimentaire vis-à-vis des grands groupes agro-alimentaires.

b)   La création d'institutions participatives et représentatives

-   gestion communautaire: les meilleurs gestionnaires de l'eau sont les citoyens et les communautés locales. La propriété de l'eau et sa gestion (distribution et traitement des eaux usées) doivent rester ou revenir dans le domaine public et communautaire, sous un contrôle démocratique strict. À cette fin, l'UE peut aider les pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine à définir des plans (locaux, continentaux, interrégionaux et par bassin) de promotion et de développement des services d'eau, à former des entreprises "locales" (régionales, nationales, continentales) de type coopératif et mutualiste chargées d'assurer les services d'eau sur une base économique et financière adaptée.

-   création d’organisations régionales chargées, sur une base représentative élargie, de coordonner de la politique de l'eau entre les pays partageant un même bassin. L'eau doit contribuer à la solidarité entre les communautés, les pays, les sociétés, les sexes et les générations afin de renforcer la gestion rationnelle et démocratique de l'eau au niveau régional.

-   réglementation internationale: des cadres réglementaires clairs au niveau international et mondial doivent être mis en place pour concrétiser une politique de l'eau durable et solidaire. Les instances parlementaires auront un rôle fondamental à jouer dans ce domaine.

-   instruments de financement innovateurs: chacun reconnaît l'inefficacité et l'inadéquation des actuels instruments de financement public et privé. En outre, il est évident que laisser le marché régler seul les problèmes d'accès à l'eau potable et d'agriculture durable à finalité alimentaire est une illusion.

Le programme d'aide au développement de l'Union européenne doit donc soutenir financièrement les municipalités et leur permettre de rénover les infrastructures pour donner aux populations vulnérables l'accès à l'eau potable.

En ce qui concerne la création d'un Fonds européen pour l'eau: COM(2003) 211 final

La création du Fonds européen pour l'eau en faveur des pays ACP, en général, et des pays africains, en particulier, est en soi une bonne initiative. De toutes les régions du monde, l’Afrique dispose de la couverture la plus faible en matière d’approvisionnement en eau et d’assainissement : plus d’un Africain sur trois (soit plus de cent millions de personnes) n’a pas accès aux infrastructures d’approvisionnement en eau et en assainissement.

Le problème est encore plus grave en Afrique sub-saharienne, où seulement 60% des habitants ont accès à des sources d’eau salubres. Les différents programmes de privatisation des services publics de l’eau au cours de ces dernières années n’ont fait qu’amplifier la crise dans la plupart des pays africains. En effet, la privatisation s’est traduite par l’augmentation du coût des services de l’eau et de l’assainissement, ce qui a rendu l’accès à l’eau plus difficile, notamment pour les populations les plus pauvres. Les hausses de prix, la pénurie d’eau et la sécheresse, les maladies d’origine hydrique, la pollution industrielle, etc. font partie du lot quotidien des populations africaines.

Devant cette détresse des populations, les réponses apportées par les bailleurs de fonds ne sont pas à la hauteur des besoins. Le rapport du Panel mondial sur le financement des infrastructures de l'eau, réalisé sous la présidence de Michel Camdessus, ancien directeur du FMI, souligne à cet égard la nécessité de mobiliser 100 milliards de dollars supplémentaires par an pour fournir de l'eau potable au 1,1 milliard d'individus qui en sont dépourvus aujourd'hui dans les pays en voie de développement. Le défi à relever dans ce domaine reste donc important. En proposant de créer un Fonds spécial pour l'eau, destiné aux pays ACP, la Commission tente, selon ses propres termes, d'enclencher un catalyseur qui permettra d'attirer un financement important en provenance de plusieurs sources, notamment d'investisseurs privés.

Cette proposition s'articule ainsi au tour des trois axes : contribution financière d'un montant de 1 milliard d'euros, mise en place d'une agence pour la gestion des fonds et association des secteurs privés/publics ainsi que des institutions financières internationales pour réaliser ses objectifs.

1.   La contribution de l'UE

La Commission propose d'allouer 1 milliard d'euros de la réserve du FED, prévue par l'accord de Cotonou. Si le besoin de mobiliser un fonds substantiel pour répondre aux besoins des pays ACP, notamment des pays africains, dans ce domaine est largement reconnu par tous, force est de constater que ce fonds ne constitue pas une mobilisation financière additionnelle. D'autre part, cette décision unilatérale, qui met les pays ACP devant un fait accompli, sape l'esprit du partenariat de l'accord de Cotonou, basé sur le principe de concertation, de renforcement de capacité et d'appropriation des politiques de développement par les pays ACP.

On peut par ailleurs s'interroger sur les raisons pour lesquelles les Country Strategy Papers, censés identifier les axes prioritaires d'intervention du Fonds européen, n'ont pas mis l'accent sur la politique de l'eau comme priorité absolue. Le manque chronique de ressources à affecter aux infrastructures de distribution et d'assainissement d'eau est l'une des principales raisons qui expliquent les vagues de privatisations ou de participation du secteur privé dans le financement des services publics concernés.

Il est aussi important de souligner que l’utilisation de ce Fonds est soumise à des conditions telles que le respect de "la bonne gestion des affaires publiques", qui a fait l'objet de critiques majeures lors de la conclusion de l'accord de Cotonou. A cause de ses définitions diverses et imprécises, ce concept ne fait pas partie des éléments essentiels de cet accord. L’introduction de la bonne gouvernance comme condition, pour bénéficier du Fonds européen, risque de susciter des conflits entre les pays ACP et l’UE.

Par ailleurs, la décision de la Commission d'affecter 1 milliard d'euros du budget global du FED pourrait créer un précédent dangereux qui menace, si elle se généralise, le concept de sécurité et de prévisibilité des ressources FED pour les pays ACP.

2.   Association des secteurs privés/publics

Les secteurs privés tels que la BEI, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, etc. sont appelées à alimenter ce Fonds. Si l'argent est indispensable pour réaliser les objectifs fixés, l'ingénierie financière prévue par cette initiative suscite des interrogations quant à son objectif principal, c'est à dire la fourniture d'eau et le système d'assainissement aux populations les plus défavorisées.

Il est clair que la participation du secteur privé dans le financement des infrastructures des services d’eau et d’assainissement augmente leur part dans le capital des entreprises de l’eau. Or, la spécificité des consommateurs africains, qui sont en majorité pauvres, est incompatible avec les intérêts d’investisseurs privés qui ne cherchent qu’à maximiser leurs profits. L'expérience de ces trente dernières années en matière de financement des pays pauvres, même dans le domaine de l'eau, prouve que la privatisation s’accompagne souvent d'augmentations des prix, sans que la qualité et l’offre des services d’eau ne soient améliorées. Les subventions et les crédits des institutions multilatérales financières telles que la BEI et la Banque mondiale n'ont pas réussi à empêcher l'aggravation de la situation des pays supposés en être les "bénéficiaires".

Malgré ce constat d'échec, le récent rapport Camdessus sur "Financing Water for All" a réaffirmé la priorité du financement, des pays pauvres dans le domaine de l'eau par les marchés financiers, les institutions multilatérales financières et par le secteur privé, dans le cadre d'un partenariat public-privé. Un tel système a démontré ce qu'il est en réalité, à savoir une forme de privatisation des biens et des services publics la plus "sûre" pour le privé. Or, la proposition de la Commission s'inscrit dans la même culture d'ingénierie financière. Le risque de voir les financements futurs bénéficier plutôt aux acteurs privés, en particulier les multinationales de l'eau européennes, n'est pas moindre. Déjà bien présentes dans les principales villes africaines et grâce au soutien de la Banque mondiale (principe de conditionnalité), elles "assurent" les services de distribution de l'eau, voire de traitement des eaux usées (cas plus rare).

3.   Gestion du Fonds

La Commission propose la mise en place d'une agence, séparée des structures existantes au niveau national ou régional, des pays ACP, sans même consulter au préalable les autorités de ces pays.

Cette proposition ressemble à bien des égards au modèle du "Water and Sanitation Programme" de la Banque mondiale, qui exécute les projets de la Banque, financés par plusieurs sources. Le problème que pose une telle agence est d’allonger la liste des intermédiaires qui rendent souvent inefficace l’exécution des projets. En effet, outre la sélection des projets qui relève naturellement de sa compétence, elle s’implique également dans la mise en œuvre et l’évaluation en évinçant parfois les promoteurs même des projets. Alors, les projets peuvent être détournés de leurs objectifs de départ ou de leurs méthodologies d’approche, surtout si les promoteurs et l'agence d’exécution sont d’inspirations politiques différentes en matière de développement.

En général, dans les ACP, il existe plusieurs catégories d’opérateurs dans les services de l’eau : public (État central et collectivités décentralisées), privé, associations/ONG et particuliers. Un Fonds de l’eau dans ce cadre doit pouvoir s’appuyer sur les mécanismes déjà existants en définissant de façon très claire et précise comment chaque acteur doit et peut accéder aux financements disponibles. Au lieu de mettre en place une nouvelle agence d’exécution, il serait judicieux de contribuer à la réforme des mécanismes existants afin de les rendre plus opérationnels, novateurs et efficaces.

4.   Conclusion

L'accès à l'eau ayant été reconnu récemment comme un droit humain, la répartition équitable des ressources demande des réponses adéquates que ce soit au niveau national, régional ou international. Pour renforcer la capacité des pays ACP et assurer la viabilité des projets, la politique de l'eau, en général, et l'accès à l'eau potable et aux services d'assainissement, en particulier, doivent être en priorité définis par les autorités nationales avec la participation, par le biais d’associations et de mouvements de la société civile, des populations concernées.

La Commission européenne doit donc se donner comme objectif principal de promouvoir la mise en œuvre d'une politique de l'eau qui prend en compte cette exigence. Au niveau de chaque pays, la participation des bénéficiaires dans le processus de conception, de formulation, de mise en œuvre et de suivi-évaluation du projet est une condition essentielle du succès de cette initiative. Au niveau régional, le Fonds doit aider à la mise en place des institutions régionales pour la gestion et la distribution équitable de l'eau autour des bassins transnationaux.

Il est aussi important d'inventer de nouvelles catégories d'instruments financiers, basées sur la solidarité internationale: la mis en œuvre d'une fiscalité internationale sur le modèle du prélèvement sur la consommation des eaux minérales en Europe et dans les pays ACP (entre ½ centime d'euro et un centime par bouteille produite).

Bien qu'elle ait déjà été remboursée plusieurs fois, la dette des pays ACP reste un goulet d’étranglement pour le développement. Les pays européens peuvent prendre une initiative pour annuler la dette et utiliser  la somme ainsi dégagée pour alimenter le Fonds européen pour l'eau.

Annexe

Pays

% population sans accès à l'eau potable

1990-1997

% de la population sans service sanitaire

1990-1997

Argentine

29

32

Bangladesh

5

57

Bolivie

37

42

Brésil

24

30

Burkina Faso

58

63

Chine

33

76

Éthiopie

75

81

Haïti

63

75

Inde

19

71

Madagascar

74

60

Maroc

35

42

Nicaragua

38

65

Pakistan

21

44

Paraguay

40

59

Soudan

27

49

Pérou

33

28

Sri Lanka

43

37

Togo

45

59

Turquie

51

20

Vietnam

57

79

Source : UNDP, Human Development Report 1999, pp. 146-148