RAPPORT sur l'exploitation sexuelle et la prostitution et leurs conséquences sur l'égalité entre les hommes et les femmes

3.2.2014 - (2013/2103(INI))

Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres
Rapporteure: Mary Honeyball


Procédure : 2013/2103(INI)
Cycle de vie en séance
Cycle relatif au document :  
A7-0071/2014

PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPÉEN

sur l'exploitation sexuelle et la prostitution et leurs conséquences sur l'égalité entre les hommes et les femmes (2013/2103(INI))

Le Parlement européen,

–    vu les articles 4 et 5 de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948,

–    vu la convention des Nations unies de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui,

–    vu l'article 6 de la convention de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui vise à lutter contre toutes les formes de traite des femmes et d'exploitation de la prostitution des femmes,

–    vu la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant adoptée en 1989,

–    vu la déclaration des Nations unies de 1993 sur l'élimination de la violence contre les femmes, et son article 2, qui précise que la violence contre les femmes inclut: "la violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la collectivité, y compris le viol, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel et l'intimidation au travail, dans les établissements d'enseignement et ailleurs, le proxénétisme et la prostitution forcée",

–    vu le protocole de Palerme de 2000 additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, annexé à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée,

–    vu l'objectif stratégique D.3 de la plateforme d'action de 1995 et de la déclaration de Pékin,

–    vu la convention n° 29 de l'OIT sur le travail forcé et son article 2, qui définit le travail forcé,

–    vu le point 11 de la déclaration de Bruxelles de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) sur la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains, qui appelle à une politique globale, multidisciplinaire et efficacement coordonnée impliquant les parties prenantes de l'ensemble des domaines concernés,

–    vu les recommandations du Conseil de l'Europe dans ce domaine, telles que la recommandation n° R (2000)11 sur la lutte contre la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, la recommandation n° R (2002)5 sur la protection des femmes contre la violence, et la recommandation 1545 (2002) sur la campagne contre la traite des femmes,

–    vu la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains,

–    vu la proposition de recommandation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe intitulée "Incriminer l'achat de services sexuels pour combattre la traite aux fins d'exploitation sexuelle", Document 12920 du 26 avril 2012,

–    vu la décision ministérielle de Vienne n° 1(12) de 2000 visant à soutenir les mesures de l'OSCE et le plan d'action de l'OSCE pour lutter contre le traite des êtres humains (décision n° 557, prise en 2003),

–    vu les articles 2 et 13 du traité sur l'Union européenne,

–    vu la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains,

–    vu la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil du 19 juillet 2002,

–    vu la résolution du Conseil relative à des initiatives destinées à lutter contre la traite des êtres humains et en particulier des femmes[1],

–    vu la stratégie de l'Union visant à l'éradication de la traite des êtres humains,

–    vu sa résolution du 15 juin 1995 sur la Quatrième conférence mondiale sur les femmes à Pékin: Lutte pour l'égalité, le développement et la paix[2],

–    vu sa résolution du 24 avril 1997 relative à la communication de la Commission sur les messages à contenu illicite et préjudiciable diffusés sur Internet[3],

–    vu sa résolution du 16 septembre 1997 sur la nécessité d'une campagne européenne de tolérance zéro à l'égard de la violence contre les femmes[4],

–    vu sa résolution du 24 octobre 1997 sur le livre vert de la Commission concernant la protection des mineurs et de la dignité humaine dans les services audiovisuels et d'information[5],

–    vu sa résolution du 6 novembre 1997 sur la communication de la Commission sur la lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants et l'aide-mémoire sur la contribution de l'Union européenne au renforcement de la lutte contre l'abus et l'exploitation sexuels d'enfants[6],

–    vu sa résolution du 16 décembre 1997 sur la communication de la Commission sur la traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle[7],

–    vu sa résolution du 13 mai 1998 sur la proposition de recommandation du Conseil concernant la protection des mineurs et de la dignité humaine dans les services audiovisuels et d'information[8],

–    vu sa résolution du 17 décembre 1998 sur le respect des droits de l'homme dans l'Union européenne[9],

–    vu sa résolution du 10 février 1999 sur l'harmonisation des formes complémentaires au statut de réfugié dans l'Union européenne[10],

–    vu sa résolution du 30 mars 2000 sur la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions sur la mise en œuvre des mesures de lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants[11],

–    vu sa résolution du 11 avril 2000 sur l'initiative de la République d'Autriche en vue de l'adoption d'une décision du Conseil relative à la lutte contre la pédopornographie sur Internet[12],

–    vu sa résolution du 18 mai 2000 sur les suites données à la plateforme d'action de Pékin[13],

–    vu sa résolution du 19 mai 2000 sur la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen intitulée "Pour de nouvelles actions dans le domaine de la lutte contre la traite des femmes"[14],

–    vu sa résolution du 15 juin 2000 sur la communication de la Commission relative aux victimes de la criminalité dans l'Union européenne: réflexion sur les normes et les mesures à prendre[15],

–    vu sa résolution du 12 juin 2001 sur la proposition de décision-cadre du Conseil relative à la lutte contre la traite des êtres humains[16],

–    vu sa résolution du 17 janvier 2006 sur des stratégies de prévention de la traite des femmes et des enfants vulnérables à l'exploitation sexuelle[17],

–    vu sa résolution du 2 février 2006 sur la situation actuelle de la lutte contre la violence à l'égard des femmes et une action future éventuelle[18],

–    vu sa résolution du 15 mars 2006 sur la prostitution forcée dans le cadre de manifestations sportives internationales[19],

–    vu sa résolution du 26 novembre 2009 sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes[20],

–    vu sa résolution du 5 avril 2011 sur les priorités et la définition d'un nouveau cadre politique de l'Union en matière de lutte contre la violence à l'encontre des femmes[21],

–    vu sa résolution du 6 février 2013 sur l'élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles en vue de la 57e session de la commission de la condition de la femme des Nations unies[22],

–    vu sa résolution du 23 octobre 2013 sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux: recommandations sur des actions et des initiatives à entreprendre[23],

–    vu la campagne de sensibilisation menée par le Lobby européen des femmes intitulée "Not for sale/Pas à vendre",

–    vu l'article 48 de son règlement,

–    vu le rapport de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres et l'avis de la commission du développement (A7-0071/2014),

A.  considérant que la prostitution et la prostitution forcée sont des phénomènes comportant une dimension de genre et une dimension internationale, puisqu'entre 40 et 42 millions de personnes sont concernées dans le monde entier, la grande majorité des personnes prostituées étant des femmes et des filles, et presque tous les clients étant des hommes, et considérant qu'elles constituent par conséquent tant une cause qu'une conséquence de l'inégalité entre les hommes et les femmes, qu'elles ne font qu'aggraver;

B.   considérant que la prostitution est une forme d'esclavage incompatible avec la dignité de la personne humaine et ses droits fondamentaux;

C.  considérant que la traite des êtres humains, des femmes et des enfants en particulier, en vue de leur exploitation sexuelle ou autre, constitue l'une des plus flagrantes violations des droits de l'homme; considérant que la traite des êtres humains progresse au niveau international sous l'effet de l'augmentation de la criminalité organisée et de sa rentabilité;

D.  considérant que le travail est l'une des principales sources d'épanouissement humain et qu'il permet aux individus de contribuer de façon solidaire au bien-être collectif;

E.   considérant que la prostitution et la prostitution forcée sont intrinsèquement liées à l'inégalité des genres dans la société et qu'elles ont une incidence sur le statut des femmes et des hommes dans la société et la perception de leur rapport et de la sexualité;

F.   considérant que la santé sexuelle et génésique est favorisée par des comportements sains et de respect mutuel en matière de sexualité;

G.  considérant que la directive 2011/36/UE du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes adopte des dispositions fermes concernant les victimes;

H.  considérant que toute politique relative à la prostitution a des répercussions sur la réalisation de l'égalité entre les hommes et les femmes, qu'elle a un impact sur la compréhension des questions liées au genre et qu'elle envoie des messages et fournit des normes à une société, notamment à sa jeunesse;

I.    considérant que la prostitution fonctionne comme une activité économique et crée un marché qui interconnecte divers acteurs et sur lequel proxénètes et souteneurs calculent et agissent afin de protéger ou de développer leurs marchés et d'optimiser leurs profits, et considérant que les acheteurs de prestations sexuelles jouent un rôle essentiel, puisqu'ils maintiennent la demande sur ce marché;

J.    considérant que, selon l'OMS, la santé sexuelle "nécessite une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d'avoir des expériences sexuelles agréables, sans risque et exemptes de coercition, de discrimination et de violence";

K.  considérant que, dans la prostitution, tous les actes intimes sont rabaissés à une valeur marchande et que l'être humain est donc réduit à une marchandise ou un objet à disposition du client;

L.   considérant que la grande majorité des personnes prostituées sont originaires de groupes vulnérables;

M.  considérant le lien étroit qui existe entre le proxénétisme et la criminalité organisée;

N.  considérant qu'autour de la prostitution fleurissent la criminalité organisée, la traite d'êtres humains, des crimes très violents et la corruption, et que ceux qui ont le plus à gagner d'une légalisation sont les proxénètes qui se convertiraient en "hommes d'affaires";

O.  considérant les résultats de différentes études, qui montrent que la moitié des acheteurs continuent à acheter des services sexuels malgré des signes évidents que les personnes prostituées ont moins de 18 ans;

P.   considérant que les marchés de la prostitution alimentent la traite des femmes et des enfants et conduisent à une montée de la violence contre celles-ci, en particulier dans les pays où l'industrie du sexe a été légalisée[24];

Q.  considérant que la prostitution et la traite des femmes et des filles sont liées, étant donné que la demande en femmes pour la prostitution, qu'elles soient victimes de la traite ou non, est identique; considérant que la traite est un moyen d'approvisionner les marchés de la prostitution en femmes et en filles;

R.   considérant que les données de l'Union européenne montrent que la politique actuelle de lutte contre la traite des êtres humains n'est pas efficace et qu'il existe actuellement un problème en ce qui concerne l'identification et la poursuite des trafiquants, raison pour laquelle il est nécessaire de renforcer les enquêtes sur les dossiers de traite à des fins sexuelles ainsi que les poursuites et les condamnations à l'encontre des trafiquants d'êtres humains;

S.   considérant que de plus en plus de jeunes, parmi lesquels un nombre inquiétant d'enfants, sont forcés de se prostituer;

T.   considérant que la contrainte sous laquelle sont exercées les activités de prostitution peut être directe et physique, ou indirecte par des pressions sur la famille dans le pays d'origine par exemple, et que la contrainte peut être une contrainte psychologique insidieuse;

U.  considérant que la principale responsabilité dans la lutte contre la traite des êtres humains incombe aux États membres et qu'en avril 2013, seuls six États membres avaient notifié la transposition intégrale de la directive européenne relative à la lutte contre la traite des êtres humains, dont le délai de transposition a expiré le 6 avril 2013;

V.  considérant que la Commission, dans sa stratégie pour l'égalité entre les femmes et les hommes (2010-2015), déclare que "les inégalités entre les femmes et les hommes violent les droits fondamentaux";

W. considérant qu'il existe des divergences considérables dans la façon dont les États membres s'attaquent à la prostitution et que deux approches principales sont appliquées: l'une voit la prostitution comme une violation des droits des femmes – comme une forme d'esclavage sexuel – qui engendre et maintient l'inégalité des genres pour les femmes; l'autre soutient que la prostitution en tant que telle promeut l'égalité des genres en soutenant le droit de la femme à contrôler ce qu'elle veut faire de son corps; considérant que, dans une approche comme dans l'autre, les États membres ont la compétence de décider de la manière dont ils traitent le problème de la prostitution;

X.  considérant qu'il existe une différence entre la prostitution "forcée" et la prostitution "volontaire", mais qu'il est évident que la prostitution constitue une forme de violence contre les femmes;

Y.  considérant que la question de la prostitution doit être traitée avec une vision à long terme et dans la perspective de l'égalité entre hommes et femmes;

Z.   considérant que le proxénétisme, qui revient à autoriser l'exploitation sexuelle d'autrui, a été légalisé dans plusieurs États membres, notamment l'Allemagne, les Pays-Bas et la Grèce; considérant que les Pays-Bas sont inclus dans la liste de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime reprenant les principales destinations des victimes de la traite des êtres humains;

AA. considérant qu'on estime à 400 000 le nombre de personnes prostituées sur le territoire allemand, mais que seules 44 personnes prostituées sont officiellement enregistrées auprès des organismes sociaux suite à la loi de 2002 légalisant la prostitution; considérant qu'il n'existe pas d'indications valables permettant de penser que cette loi a réduit la criminalité et considérant qu'un tiers des procureurs allemands ont indiqué que la légalisation de la prostitution a "compliqué leur travail relatif aux cas de poursuites pour traite des êtres humains et proxénétisme";

AB. considérant que la tendance générale est à la banalisation de la prostitution et à la considérer comme une activité normale, de "loisir", mais également comme une activité professionnelle;

1.   reconnaît que la prostitution et l'exploitation sexuelle sont des questions étroitement liées aux genres et des violations de la dignité humaine, qu'elles sont contraires aux principes régissant les droits de l'homme, parmi lesquels l'égalité entre hommes et femmes, et sont par conséquent contraires aux principes de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment l'objectif et le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes;

2.   souligne que la santé et les droits sexuels et génésiques de toutes les femmes doivent être respectés, en ce inclus le droit de disposer de leur corps et de leur sexualité, sans coercition, sans discrimination et sans violence;

3.   souligne que la prostitution et la traite des êtres humains sont liées à plusieurs égards et reconnaît que la prostitution, tant à l'échelle mondiale qu'en Europe, alimente la traite des femmes et des filles vulnérables, dont une grande majorité ont entre 13 et 25 ans; souligne que, comme le montrent les données de la Commission, la majorité (62 %) d'entre elles sont victimes de la traite aux fins d'exploitation sexuelle, que les femmes et les filles représentent 96 % des victimes recensées et présumées et que la part des victimes originaires de pays extraeuropéens est en hausse depuis quelques années;

4.   reconnaît cependant que l'absence de données fiables, précises et comparables entre pays, due en majorité au caractère illégal et souvent invisible de la prostitution et de la traite des êtres humains, maintient l'opacité du marché de la prostitution et entrave la prise de décisions politiques, raison pour laquelle tous les chiffres reposent uniquement sur des estimations;

5.   souligne que les données montrent que la criminalité organisée est un acteur de premier plan là où le proxénétisme est légal[25];

6.   souligne que, selon les données, la majorité des personnes prostituées sont reconnues en tant que personnes vulnérables dans nos sociétés;

7.   souligne que la prostitution est également un problème de santé, compte tenu de ses effets préjudiciables sur la santé des personnes qui se prostituent, lesquelles sont davantage susceptibles de souffrir de traumatismes sexuels, physiques et mentaux, d'addiction à l'alcool et aux stupéfiants et de perte d'estime de soi, et d'être confrontées à un taux de mortalité supérieur à celui de la moyenne de la population; souligne que de nombreux acheteurs de prestations sexuelles demandent des rapports sexuels commerciaux non protégés, ce qui accroît le risque d'effet préjudiciable sur la santé, aussi bien des personnes qui se prostituent que des acheteurs;

8.   souligne que la prostitution forcée, la prostitution et l'exploitation dans l'industrie du sexe peuvent avoir des conséquences physiques et psychologiques dévastatrices et durables pour la personne concernée (même après l'arrêt de la prostitution), en particulier chez les enfants et les adolescents, au-delà du fait qu'elles sont à la fois une cause et une conséquence de l'inégalité entre les hommes et les femmes et qu'elles perpétuent des stéréotypes de genre et un mode de réflexion stéréotypé concernant les femmes proposant des prestations sexuelles, comme l'idée que les corps des femmes et des filles sont à vendre afin de satisfaire la demande masculine en matière sexuelle;

9.   invite par ailleurs les États membres à instaurer, conformément au droit interne, des consultations de conseil et de santé régulières et confidentielles pour les personnes prostituées en dehors des lieux de prostitution;

10. note que les prostituées constituent un groupe à haut risque en ce qui concerne la contamination par le VIH et les autres maladies sexuellement transmissibles;

11. invite les États membres à échanger les bonnes pratiques sur les manières de réduire les dangers associés à la prostitution de rue;

12. reconnaît que la prostitution et la prostitution forcée ont une incidence sur la violence contre les femmes en général dans la mesure où la recherche sur les clients de services sexuels montre que les hommes qui achètent du sexe ont une image dégradante de la femme[26]; suggère par conséquent aux autorités nationales compétentes que l'interdiction d'achat de services sexuels soit assortie d'une campagne de sensibilisation des hommes;

13. souligne que les personnes prostituées sont particulièrement vulnérables socialement, économiquement, physiquement, psychologiquement, émotionnellement et dans leurs attaches familiales, et qu'elles subissent un risque de violence et de blessure plus élevé que dans n'importe quelle autre activité; estime dès lors que les forces de police nationales doivent être encouragées à s'attaquer, entre autres, au faible taux de condamnation des viols contre des prostituées; souligne que les personnes prostituées sont également sujettes à l'opprobre publique et à la stigmatisation de la société, même lorsqu'elles arrêtent de se prostituer;

14. attire l'attention sur le fait que les femmes prostituées ont le droit de devenir mères, d'élever leurs enfants et d'en prendre soin;

15. souligne que la normalisation de la prostitution a des répercussions sur la violence contre les femmes; souligne notamment les données qui indiquent que les hommes achetant des prestations sexuelles sont davantage susceptibles de commettre des actes sexuellement coercitifs et divers actes de violence contre les femmes, et qu'ils présentent fréquemment des attitudes misogynes;

16. s'inquiète de la progression du nombre de jeunes hommes qui achètent des services de prostitution à des fins de divertissement et qui, dans ce cadre, traitent les femmes et les filles comme des objets sexuels, ce qui entraîne souvent des actes de violence;

17. note que 80 à 95 % des personnes prostituées ont souffert d'une forme de violence avant d'entrer dans la prostitution (viol, inceste, pédophilie), que 62 % d'entre elles déclarent avoir été violées et que 68 % souffrent de troubles de stress post-traumatique – un pourcentage similaire à celui des victimes de la torture[27];

18. souligne que la prostitution infantile ne peut jamais être volontaire, puisque les enfants n'ont pas la capacité de "consentir" à la prostitution; exhorte les États membres à combattre la prostitution infantile (impliquant des personnes de moins de 18 ans) le plus énergiquement possible car il s'agit de la forme la plus grave de prostitution forcée; réclame d'urgence une approche de tolérance zéro fondée sur la prévention, la protection des victimes et les poursuites à l'encontre des clients;

19. observe que la prostitution infantile, tout comme l'exploitation sexuelle des mineurs, sont en augmentation, notamment à travers les réseaux sociaux, où la fraude et l'intimidation sont monnaie courante;

20. attire l'attention sur le phénomène naissant de la prostitution des mineures, qui n'est pas assimilable aux abus sexuels et qui résulte d'une situation économique difficile et de négligence de la part des parents;

21. souligne la nécessité de politiques efficaces accordant une attention particulière au retrait des personnes prostituées mineures du marché dit de la prostitution, à la prévention de leur entrée sur ce marché et à la lutte contre les pratiques contraires aux objectifs de la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant et à son protocole facultatif;

22. estime que l'achat de services sexuels de prostituées âgées de moins de 21 ans devrait constituer une infraction pénale, tandis que les services fournis par les prostituées ne devraient pas être sanctionnés;

23. attire l'attention sur le phénomène de "sollicitation" (grooming), c'est-à-dire la prostitution de filles mineures ou tout juste majeures en échange de produits de luxe ou de petites sommes d'argent qui leur permettent de couvrir les frais quotidiens ou les frais de scolarité;

24. attire l'attention des États membres sur le fait que l'éducation est un élément important de la prévention de la prostitution et de la criminalité organisée qui y est liée; recommande donc de réaliser, dans les établissements scolaires, des campagnes d'information et de prévention spécifiques adaptées en fonction de l'âge des participants et de faire de l'éducation à l'égalité un objectif fondamental du processus d'éducation des jeunes;

25. attire l'attention sur le fait que la publicité de services sexuels dans les journaux et sur les réseaux sociaux peut constituer une façon de soutenir la prostitution et la traite des êtres humains;

26. attire l'attention sur le rôle croissant d'internet et des réseaux sociaux dans l'enrôlement de nouvelles et jeunes prostituées par les réseaux de traite d'êtres humains; appelle à mener les campagnes de prévention sur internet également, en prenant en compte les cibles vulnérables de ces réseaux de traite d'êtres humains;

27. attire l'attention sur certains effets, essentiellement négatifs, de la production des médias de masse et de la pornographie, en ligne en particulier, qui créent une image défavorable de la femme, lesquels peuvent avoir une incidence sur le mépris à l'égard de la personnalité humaine de la femme et présentent celle-ci en tant que marchandise; met également en garde contre toute volonté d'interpréter la liberté sexuelle comme une autorisation de mépriser les femmes;

28. souligne que la normalisation de la prostitution a des répercussions sur l'image qu'ont les jeunes de la sexualité et des relations entre hommes et femmes; relève que, selon certaines études, la prostitution est un outil de contrôle social de la sexualité des jeunes;

29. souligne que les personnes prostituées ne doivent pas être considérées comme des criminelles, comme c'est le cas dans certains États membres, par exemple au Royaume-Uni, en France, en République d'Irlande et en Croatie, et appelle tous les États membres à abroger la législation répressive contre les personnes prostituées;

30. appelle les États membres à s'abstenir de considérer les prostituées comme des criminelles et de les sanctionner, et à développer des programmes visant à assister les prostituées/les travailleurs du sexe à quitter la profession s'ils le souhaitent;

31. considère que la réduction de la demande doit faire partie d'une stratégie intégrée de lutte contre la traite dans les États membres; estime que la demande peut être réduite grâce à une législation faisant peser la charge du délit sur ceux qui achètent des services sexuels et non sur les personnes qui les proposent, d'une part, et à des amendes rendant la prostitution moins lucrative financièrement pour les organisations criminelles/la criminalité organisée, d'autre part;

32. considère que la manière la plus efficace de lutter contre la traite des femmes et des filles à des fins d'exploitation sexuelle et d'améliorer l'égalité entre les hommes et les femmes est le modèle mis en œuvre en Suède, en Islande et en Norvège (que l'on appelle le modèle nordique), lequel est actuellement examiné par plusieurs pays européens, où l'achat de services sexuels constitue un acte criminel, mais pas les services des personnes prostituées;

33. souligne que puisque la prostitution constitue un problème transfrontalier, il incombe aux États membres de veiller à lutter contre l'achat de services sexuels en dehors de leur territoire en introduisant des mesures comparables à celles qui ont été prises en Norvège, où un citoyen est passible de sanctions pour des services sexuels achetés à l'étranger;

34. souligne que les données confirment l'effet dissuasif du modèle nordique sur la traite en Suède, où la prostitution et le trafic sexuel n'ont pas augmenté, et que ce modèle bénéficie du soutien croissant de la population, en particulier des jeunes, ce qui démontre que la législation a entraîné une modification des comportements;

35. souligne les résultats d'un récent rapport gouvernemental finlandais réclamant la pénalisation intégrale de l'achat de prestations sexuelles, étant donné que l'approche finlandaise consistant à pénaliser un tel achat auprès des victimes de la traite s'est avérée inefficace dans la lutte contre cette dernière;

36. est convaincu que la législation offre l'occasion de préciser en quoi consistent des normes sociales acceptables et de créer une société qui reflète ces valeurs;

37. estime que considérer la prostitution comme un "travail sexuel" légal, dépénaliser l'industrie du sexe en général et légaliser le proxénétisme n'est pas une solution qui permet de mettre les femmes et les filles vulnérables à l'abri de la violence et de l'exploitation, et produit l'effet inverse en leur faisant courir le risque de subir un niveau de violence plus élevé, tout en encourageant la croissance du marché de la prostitution, et donc du nombre de femmes et de filles persécutées;

38. condamne les démarches et les discours politiques qui affirment que la prostitution peut être une solution pour les femmes migrantes en Europe;

39. invite dès lors les États membres à donner à la police et aux autorités compétentes, conformément au droit interne, le droit d'entrer dans les endroits où la prostitution est pratiquée et d'y pratiquer des contrôles indépendamment de tout motif;

40. prie instamment la Commission et les États membres de mobiliser les moyens et les outils nécessaires pour lutter contre la traite et l'exploitation sexuelle et pour faire reculer la prostitution, qui constituent des violations des droits fondamentaux des femmes, et des mineures en particulier, et de l'égalité entre les hommes et les femmes;

41. prie les États membres de transposer le plus rapidement possible dans leur législation nationale la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, surtout en ce qui concerne la protection des victimes;

42. prie instamment la Commission d'évaluer les conséquences qu'a entraînées à ce jour le cadre juridique européen destiné à éliminer la traite à des fins d'exploitation sexuelle, d'entreprendre des recherches supplémentaires sur les formes que prennent la prostitution, la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle ainsi que la progression du tourisme sexuel dans l'Union européenne, ainsi que de favoriser l'échange de bonnes pratiques entre États membres;

43. souligne que la Commission devrait continuer à financer des projets et des programmes de lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle;

44. appelle les États membres à concevoir et à mettre en œuvre des politiques de lutte contre la traite, l'exploitation sexuelle et la prostitution, et à veiller à ce que toutes les parties prenantes pertinentes, telles que les ONG, la police, les autres forces de l'ordre et les services sociaux et médicaux, soient soutenues et associées aux décisions et travaillent dans un esprit de coopération;

45. reconnaît que la grande majorité des personnes prostituées aimerait arrêter mais s'en sent incapable; souligne que ces personnes ont besoin d'un accompagnement adéquat, notamment psychologique et social, pour sortir des réseaux d'exploitation sexuelle et de la dépendance qui y est souvent liée; propose par conséquent aux autorités compétentes de mettre en place des programmes visant à aider ces personnes à sortir de la prostitution, en étroite collaboration avec les parties prenantes;

46. souligne l'importance de la formation adéquate des services de police, et du personnel du système judiciaire de manière plus générale, aux différentes dimensions liées à l'exploitation sexuelle, dont la dimension de genre et l'immigration, et prie instamment les États membres d'encourager les autorités policières à coopérer avec les victimes et à les inciter à témoigner, d'encourager l'existence de services spécialisés au sein de la police et d'employer des femmes policières; insiste sur la coopération en matière judiciaire entre les États membres pour mieux lutter contre les réseaux de traite d'êtres humains en Europe;

47. attire l'attention des autorités nationales sur l'effet de la récession économique sur le nombre croissant de femmes et de filles, y compris les femmes migrantes, forcées à entrer dans la prostitution, et appelle ces autorités à les aider à trouver d'autres moyens de gagner leur vie et à soutenir un environnement dépourvu de risques pour celles qui continuent à se prostituer;

48. souligne que les problèmes économiques et la pauvreté sont des causes majeures de prostitution chez les jeunes femmes et les filles; rappelle dès lors que les stratégies préventives sexospécifiques, les campagnes nationales et européennes ciblant spécifiquement les communautés socialement exclues ainsi que les personnes en situation de vulnérabilité accrue (telles que les personnes handicapées et les jeunes se trouvant dans le système de protection de l'enfance) et les mesures de réduction de la pauvreté et de sensibilisation de ceux qui achètent comme de ceux qui proposent des prestations sexuelles, ainsi que l'échange de bonnes pratiques, sont des éléments fondamentaux de la lutte contre l'exploitation sexuelle des femmes et des filles, notamment chez les migrantes; recommande que la Commission instaure une semaine européenne de lutte contre la traite des êtres humains;

49. souligne que l'exclusion sociale est un facteur essentiel contribuant à augmenter la vulnérabilité des femmes et des filles défavorisées face à la traite des êtres humains; souligne également que la crise économique et sociale a provoqué des pertes d'emploi qui ont souvent obligé les femmes les plus vulnérables, y compris les femmes de couches sociales plus élevées, à s'engager dans la prostitution/l'industrie du sexe afin de remédier à leur pauvreté et à leur exclusion sociale; invite les États membres à résoudre les problèmes sociaux fondamentaux contraignant les hommes, les femmes et les enfants à se prostituer;

50. prie instamment les États membres de financer des organisations travaillant sur le terrain au moyen de stratégies de soutien et de sortie, de fournir des services sociaux innovants aux victimes de la traite ou de l'exploitation sexuelle, notamment aux femmes migrantes et sans papiers, en évaluant leurs besoins individuels et les risques de manière à apporter l'assistance et la protection requises, de mettre en œuvre des politiques – au moyen d'une approche globale et des divers services de police, d'immigration, de santé et d'éducation – visant à aider les femmes et les filles vulnérables à quitter la prostitution, tout en veillant à ce que ces programmes disposent d'une base juridique et des ressources financières nécessaires à la réalisation de ces objectifs; insiste sur l'importance d'un suivi psychologique et sur la nécessaire réinsertion sociale des victimes de l'exploitation sexuelle; rappelle que ce processus nécessite du temps et la construction d'un projet de vie constituant une alternative crédible et viable pour les anciennes prostituées;

51. souligne qu'un plus grand nombre d'analyses et de preuves statistiques sont nécessaires pour déterminer le modèle le plus efficace pour lutter contre la traite des femmes et des filles à des fins d'exploitation sexuelle;

52. prie instamment les États membres d'évaluer tant les effets positifs que les effets négatifs de la criminalisation de l'achat de services sexuels sur la réduction de la prostitution et de la traite des êtres humains;

53. appelle l'Union européenne et ses États membres à développer une politique de prévention sexospécifique dans les pays d'origine des personnes prostituées en raison de la traite des êtres humains, dirigée tant vers les acheteurs de services sexuels que les femmes et les mineures, par l'intermédiaire de sanctions, de campagnes de sensibilisation et de l'éducation;

54. demande à l'Union européenne et aux États membres de prendre des mesures décourageant la pratique du tourisme sexuel à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union;

55. demande que le Service européen pour l'action extérieure prenne des mesures pour mettre fin à la pratique de la prostitution dans les zones de conflit où des forces militaires de l'Union sont présentes;

56. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission.

  • [1]  JO C 260 du 29.10.2003, p. 4.
  • [2]  JO C 166 du 3.7.1995, p. 92.
  • [3]  JO C 150 du 19.5.1997, p. 38.
  • [4]  JO C 304 du 6.10.1997, p. 55.
  • [5]  JO C 339 du 10.11.1997, p. 420.
  • [6]  JO C 358 du 24.11.1997, p. 37.
  • [7]  JO C 14 du 19.1.1998, p. 19.
  • [8]  JO C 193 du 17.8.2006, p. 126.
  • [9]  JO C 98 du 9.4.1999, p. 267.
  • [10]  JO C 150 du 28.5.1999, p. 203.
  • [11]  JO C 040 du 7.2.2001, p. 20.
  • [12]  JO C 40 du 7.2.2001, p. 41.
  • [13]  JO C 59 du 23.2.2001, p. 258.
  • [14]  JO C 59 du 23.2.2001, p. 307.
  • [15]  JO C 67 du 1.3.2001, p. 304.
  • [16]  JO C 53 du 28.2.2002, p. 114.
  • [17]  JO C 287 du 24.11.2006, p. 18.
  • [18]  JO C 288 du 25.11.2006, p. 16.
  • [19]  JO C 291 du 30.11.2006, p. 292.
  • [20]  JO C 285 du 21.10.2010, p. 53.
  • [21]  JO C 296 du 2.10.2012, p. 26.
  • [22]  Textes adoptés de cette date, P7_TA(2013)0045.
  • [23]  Textes adoptés de cette date, P7_TA(2013)0444.
  • [24]  Le rapport 2006 de Sigma Huda, rapporteure spéciale des Nations unies sur la traite des êtres humains, notamment des femmes et des enfants, soulignait l'incidence directe des politiques relatives à la prostitution sur l'échelle de la traite des êtres humains.
  • [25]  Rapport conjoint de la municipalité d'Amsterdam et du ministère néerlandais de la justice précisant que la moitié des entreprises introduisant une demande de licence en matière de prostitution comptaient un ou plusieurs directeurs ayant un casier judiciaire.
  • [26]  Plusieurs études sur les clients de l'industrie du sexe sont consultables ici: http://www.womenlobby.org/spip.php?article1948&lang=fr.
  • [27]  Farley, M., "Violence against women and post-traumatic stress syndrome", Women and Health, 1998; Damant, D. et al., "Trajectoires d'entrée en prostitution: violence, toxicomanie et criminalité", Journal international de victimologie, n° 3, avril 2005.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La prostitution est un phénomène difficile à quantifier puisqu'il est illégal dans la plupart des États membres. Selon un rapport de la Fondation Scelles publié en 2012, la prostitution, à l'échelle mondiale, concerne entre 40 et 42 millions de personnes, dont 90 % dépendent d'un proxénète. Le premier rapport d'Eurostat présentant des données officielles relatives à la prostitution a été publié en avril 2013[1]. Il était consacré à la traite des êtres humains dans l'Union européenne entre 2008 et 2010.

Nous pouvons être certains d'une chose: la prostitution et l'exploitation sexuelle sont incontestablement des questions liées au genre étant donné que des femmes et des filles, volontairement ou sous la contrainte, vendent leur corps à des hommes qui paient pour ce service. En outre, la majorité des personnes qui subissent la traite à des fins d'exploitation sexuelle sont des femmes et des filles.

Une forme de violence contre les femmes et une violation de la dignité humaine et de l'égalité entre les sexes

La prostitution et l'exploitation sexuelle des femmes et des filles sont des formes de violence et, en tant que telles, font obstacle à l'égalité entre les femmes et les hommes. Presque tous ceux qui achètent des services sexuels sont des hommes. L'exploitation dans l'industrie du sexe est à la fois une cause et une conséquence de l'inégalité entre les sexes et perpétue l'idée que les corps des femmes et des filles sont à vendre.

La prostitution est de toute évidence une violation absolument épouvantable de la dignité humaine. Étant donné que la dignité humaine est spécifiquement mentionnée dans la charte des droits fondamentaux, le Parlement se doit de fournir des informations sur la prostitution dans l'Union européenne et d'examiner comment renforcer l'égalité entre les sexes et les droits de l'homme à cet égard.

Un lien direct avec la traite et la criminalité organisée

La prostitution dans l'Union européenne et dans le monde est directement liée à la traite des femmes et des filles. Soixante-deux pour cent des femmes qui ont fait l'objet de la traite sont victimes de l'exploitation sexuelle.

De plus en plus de femmes et de filles sont victimes de la traite en provenance non seulement de l'extérieur de l'Union mais aussi de certains États membres (p.ex. la Roumanie et la Bulgarie) vers d'autres parties de l'Union européenne. C'est pourquoi l'Union européenne doit s'attaquer à cette traite entre l'Est et l'Ouest et prendre des mesures vigoureuses afin de lutter contre cette forme particulière de violence à l'égard des femmes.

La prostitution est un élément majeur de la criminalité organisée; que ce soit du point de vue de l'étendue et de la portée du phénomène comme des sommes concernées, elle n'est supplantée que par la drogue. Le site internet Havocscope[2] estime les recettes de la prostitution à près de 186 milliards de dollars par an dans le monde.

Étant donné que la prostitution est, dans les faits, très largement gérée par la criminalité organisée et qu'elle fonctionne à l'image d'un marché où la demande encourage l'offre, les services répressifs dans l'ensemble de l'Union doivent mener une action énergique et appropriée visant à poursuivre les criminels tout en protégeant les victimes, les personnes prostituées et les femmes et les filles victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. Dans un domaine séparé mais connexe qui requiert également l'attention, la prostitution sur l'internet est en augmentation et est liée dans certains cas à des sites Internet qui proposent de la pornographie.

Contrainte économique

La précarité financière entraîne parfois les femmes dans la prostitution. La crise financière actuelle a des effets pernicieux puisque les femmes (en particulier des mères seules) sont de plus en plus nombreuses à entrer dans la prostitution dans leur propre pays; dans d'autres cas, elles sont originaires de pays plus pauvre du Sud de l'Union européenne et se prostituent dans le Nord. La prostitution est donc liée à l'égalité des genres dans la mesure où elle est directement liée au rôle et à la place des femmes dans la société, à leur accès au marché du travail, à la prise de décision, à la santé et à l'éducation ainsi qu'aux choix qui s'offrent à elles dans le contexte de l'inégalité structurelle entre les sexes.

Deux approches différentes de la prostitution et de l'exploitation sexuelle en Europe

La question de la prostitution et de l'égalité des genres est compliquée par la présence de deux modèles concurrents pour régler le problème. Le premier modèle considère la prostitution comme une violation des droits des femmes et comme un moyen de perpétuer l'inégalité entre les sexes. L'approche législative correspondante est abolitionniste et criminalise les activités relatives à la prostitution, y compris parfois l'achat de services sexuels, la prostitution en tant que telle n'étant pas illégale. Le second modèle soutient que la prostitution elle-même encourage l'égalité entre les sexes parce qu'elle favorise le droit des femmes à contrôler ce qu'elles veulent faire de leur corps. Les partisans de ce modèle affirment que la prostitution est une forme de travail comme une autre et que la meilleure manière de protéger les femmes qui se prostituent consiste à améliorer leurs "conditions de travail" et à professionnaliser la prostitution, qui devient alors un "travail sexuel". Par conséquent, dans le cadre de ce modèle "régulationniste", la prostitution et ses activités connexes sont légales et régulées. Les femmes sont libres d'engager des managers, que l'on appelle aussi des souteneurs. En revanche, on peut également considérer que se livrer à la prostitution et fournir des activités normales, ou les légaliser d'une quelconque façon, consiste à légaliser l'esclavage sexuel et l'inégalité des genres pour les femmes.

Les deux modèles existent bien sûr dans l'Union européenne. Le proxénétisme est légal dans plusieurs États membres, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche et au Danemark tandis que les personnes prostituées ou certaines de leurs activités (comme le racolage) sont criminalisées ou partiellement criminalisées au Royaume-Uni, en France et en République d'Irlande, entre autres. Pourtant, ni l'inégalité entre les sexes, ni la subordination sexuelle ne peuvent être combattues efficacement en supposant une symétrie de genre dans les activités de l'industrie du sexe qui n'existe pas[3].

Là où prostitution et proxénétisme sont légaux, de plus en plus d'éléments montrent les faiblesses du système. En 2007, le gouvernement allemand a admis que la loi légalisant la prostitution avait réduit la criminalité et que plus d'un tiers des procureurs allemands avaient fait savoir que la légalisation de la prostitution avait "compliqué leur travail relatif aux cas de poursuites pour traite des êtres humains et proxénétisme"[4]. Aux Pays-Bas, le maire d'Amsterdam a déclaré en 2003 que la légalisation de la prostitution n'avait pas permis de prévenir la traite: "il s'est avéré impossible de créer une zone sûre et contrôlable qui soit fermée aux abus de la criminalité organisée". Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, les Pays-Bas sont désormais l'une des premières destinations des victimes de la traite des êtres humains.

L'efficacité du modèle nordique

Étant donné que les recherches établissent de plus en plus que la légalisation de la prostitution et du proxénétisme ne promeut nullement l'égalité entre les sexes ni ne réduit la traite des êtres humains, le présent rapport conclut que la différence essentielle entre les deux modèles de l'égalité entre les sexes décrits ci-dessus réside dans le fait que considérer la prostitution comme un "travail" comme un autre contribue à maintenir les femmes dans la prostitution. Considérer la prostitution comme une violation des droits fondamentaux des femmes, c'est aider les femmes à sortir de la prostitution.

L'expérience menée en Suède, en Finlande et en Norvège (pays qui n'appartient pas à l'Union), c'est-à-dire les pays où opère le "modèle nordique" de gestion de la prostitution, va dans le sens de ce point de vue. La Suède a modifié ses lois en matière de prostitution en 1999 afin d'interdire l'achat de services sexuels et de dépénaliser la personne prostituée. En d'autres termes, la personne qui achète du sexe – presque toujours un homme – commet une infraction pénale, mais pas les femmes prostituées. La Suède a promulgué cette loi dans le cadre d'une initiative globale qui visait à lever tous les obstacles contrecarrant l'égalité entre les femmes et les hommes dans le pays.

L'effet de cette législation en Suède a été spectaculaire. Les prostituées suédoises sont dix fois moins nombreuses qu'au Danemark voisin où l'achat de services sexuels est légal et la population, moindre. La loi a aussi fait évoluer l'opinion publique. En 1996, 45 % des femmes et 20 % des hommes étaient favorables à la criminalisation des hommes qui achètent des services sexuels. En 2008, 79 % des femmes et 60 % des hommes étaient favorables à la loi en question. De surcroît, la police suédoise confirme que le modèle nordique a produit un effet dissuasif sur la traite à des fins d'exploitation sexuelle.

Les éléments qui attestent de l'efficacité du modèle nordique en ce qui concerne la réduction de la prostitution et de la traite des femmes et des filles – éléments qui favorisent l'égalité des genres – ne font qu'augmenter. Au contraire, les pays où le proxénétisme est légal restent confrontés à des problèmes de traite des êtres humains et de criminalité organisée, ces phénomènes étant liés à la prostitution. Le présent rapport soutient par conséquent le modèle nordique et invite instamment les gouvernements des États membres qui réservent un autre traitement à la prostitution à réexaminer leur législation à la lumière des succès obtenus par la Suède et par d'autres pays qui ont adopté le modèle nordique. Une telle action entraînerait d'importants progrès en matière d'égalité entre les hommes et les femmes dans l'Union européenne.

Le présent rapport n'est pas contre les femmes prostituées. Il s'oppose à la prostitution, mais pas aux femmes prostituées. En recommandant que le client – l'homme qui achète du sexe – soit jugé coupable et non la femme prostituée, il constitue une nouvelle avancée vers la pleine égalité entre les hommes et les femmes partout dans l'Union européenne.

OPINION MINORITAIRE

déposée par Angelika Niebler, Christa Klaß et Astrid Lulling

Le présent rapport d'initiative entend interdire toute forme de prostitution. Toutefois, nous estimons qu'il faut faire une distinction entre la prostitution forcée et la prostitution légale, comme le prévoit la législation communautaire.

La prostitution volontaire est reconnue comme emploi indépendant dans certains États membres de l'Union européenne. Elle est donc couverte par les obligations fiscales et de sécurité sociale. Les personnes qui se prostituent légalement doivent également respecter d'autres obligations légales (permis de travail et de séjour et enregistrement obligatoire auprès des autorités compétentes, par exemple). La façon de traiter la prostitution volontaire doit rester du ressort de chaque État membre.

Par contre, la prostitution forcée et la traite d'êtres humains constituent un problème transfrontalier qui ne peut pas être résolu par les États membres seuls. Au contraire, les États membres doivent coopérer étroitement pour combattre la prostitution forcée, la traite des êtres humains et la criminalité organisée. L'interdiction de l'achat de services sexuels dans certains États membres et pas dans d'autres a pour effet d'accroître l'offre de tels services dans les pays (limitrophes) qui ne sanctionnent pas les clients. Le rapport de Mary Honeyball comporte des propositions utiles pour les États membres en ce qui concerne les questions liées à la prostitution forcée.

La prostitution forcée et la traite des êtres humains doivent être combattues par tous les moyens disponibles. Il est toutefois indispensable de faire la distinction entre ces problèmes et la prostitution volontaire.

OPINION MINORITAIRE

déposée par Ulrike Lunacek, Marije Cornelissen, Iñaki Irazabalbeitia Fernández, Raül Romeva i Rueda et Sophia in 't Veld

La traite d'êtres humains, notamment de femmes et d'enfants, à des fins d'exploitation sexuelle, qu'on appelle également "prostitution forcée", constitue une violation de la dignité humaine et est contraire aux principes de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En avril 2013, seuls six États membres avaient notifié la transposition intégrale de la directive européenne relative à la lutte contre la traite des êtres humains, dont le délai de transposition a expiré le 6 avril 2013.

Le rapport ne fait pas de distinction entre prostitution forcée et prostitution résultant d'une décision individuelle. Or, la prostitution infantile ne peut jamais être volontaire, puisque les enfants n'ont pas la capacité de "consentir" à la prostitution.

Les politiques visant à rendre la prostitution invisible et à exclure les prostituées/travailleurs du sexe des lieux publics ne font qu'augmenter la stigmatisation, l'exclusion sociale et la vulnérabilité. Les États membres de l'Union européenne devraient s'abstenir de criminaliser et de sanctionner les travailleurs du sexe ou de vouloir rendre le travail sexuel illégal, ils devraient leur donner accès aux droits sociaux et définir des programmes destinés à les aider à quitter la profession si tel est leur souhait.

AVIS de la commission du développement (3.12.2013)

à l'intention de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres

sur l'exploitation sexuelle et la prostitution et leurs conséquences sur l'égalité entre les femmes et les hommes
(2013/2103(INI))

Rapporteure pour avis: Corina Creţu

SUGGESTIONS

La commission du développement invite la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres, compétente au fond, à incorporer dans la proposition de résolution qu'elle adoptera les suggestions suivantes:

1.  constate que la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle s'expliquent essentiellement par l'inégalité entre les hommes et les femmes et par la pauvreté, auxquelles s'ajoutent les inégalités ethniques et d'autres inégalités socio-économiques, ainsi que les conflits armés, et que les premières victimes en sont les femmes et les enfants issus de milieux défavorisés;

2.  souligne le fait qu'il convient d'accorder une attention particulière aux groupes les plus vulnérables, tels que les jeunes filles, les enfants handicapés et les femmes appartenant à des minorités;

3.  indique que la corruption joue un rôle important en ce sens qu'elle facilite et alimente la traite des êtres humains;

4.  fait observer que l'exploitation sexuelle est une forme de violence sexiste, principalement perpétrée par des hommes et surtout à l'encontre des femmes, et souligne par conséquent que, pour combattre ces cas extrêmes de violation des droits humains, il est capital d'éliminer et de prévenir toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des jeunes filles;

5.  appelle l'Union européenne, les organisations internationales, les gouvernements nationaux et les autres parties concernées à œuvrer de concert, à l'échelle européenne, afin de créer un cadre commun de dispositions permettant d'agir contre les causes fondamentales, de nature pénale (incluant celle de l'achat de services sexuels), de sanctions et de coopération transfrontière renforcée en ce qui concerne la protection contre les violences et l'exploitation sexuelles;

6.  souligne qu'il est important de prendre en compte la peur de la stigmatisation dans le cadre de la conception des politiques et des stratégies nationales d'assistance judiciaire dans les pays en développement, ainsi que dans tous les pays touchés par la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle, et exprime son inquiétude face à l'absence de services juridiques efficaces auprès desquels dénoncer les violences, notamment en cas de crise humanitaire;

7.  appelle l'Union européenne et ses États membres à prendre des mesures afin de mettre un terme au tourisme sexuel à partir d'États membres de l'Union vers d'autres destinations;

8.  souligne que les mesures de lutte contre l'exploitation sexuelle et la prostitution doivent mettre l'accent sur les zones de combat, conformément à la résolution 1325 du 31 octobre 2000 et à la résolution 1820 du 19 juin 2008 du Conseil de sécurité des Nations unies;

9.  invite l'Union européenne et ses États membres à décourager la demande d'exploitation résultant de la prostitution et de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle.

RÉSULTAT DU VOTE FINAL EN COMMISSION

Date de l'adoption

2.12.2013

 

 

 

Résultat du vote final

+:

–:

0:

20

1

0

Membres présents au moment du vote final

Ricardo Cortés Lastra, Charles Goerens, Filip Kaczmarek, Gay Mitchell, Norbert Neuser, Bill Newton Dunn, Maurice Ponga, Jean Roatta, Michèle Striffler, Alf Svensson, Keith Taylor, Patrice Tirolien

Suppléant(s) présent(s) au moment du vote final

Emer Costello, Agustín Díaz de Mera García Consuegra, Fiona Hall, Eduard Kukan, Bart Staes, Jan Zahradil

Suppléant(s) (art. 187, par. 2) présent(s) au moment du vote final

Fabrizio Bertot, Tanja Fajon, Miroslav Mikolášik

RÉSULTAT DU VOTE FINAL EN COMMISSION

Date de l'adoption

23.1.2014

 

 

 

Résultat du vote final

+:

–:

0:

14

2

6

Membres présents au moment du vote final

Marije Cornelissen, Edite Estrela, Iratxe García Pérez, Zita Gurmai, Mikael Gustafsson, Mary Honeyball, Rodi Kratsa-Tsagaropoulou, Constance Le Grip, Astrid Lulling, Krisztina Morvai, Angelika Niebler, Siiri Oviir, Antonyia Parvanova, Marina Yannakoudakis, Inês Cristina Zuber

Suppléants présents au moment du vote final

Izaskun Bilbao Barandica, Anne Delvaux, Iñaki Irazabalbeitia Fernández, Nicole Kiil-Nielsen, Christa Klaß, Angelika Werthmann

Suppléants (art. 187, par. 2) présents au moment du vote final

Michael Cashman