RAPPORT sur la demande de levée de l'immunité de Florian Philippot

28.1.2016 - (2015/2267(IMM))

Commission des affaires juridiques
Rapporteur: Laura Ferrara

Procédure : 2015/2267(IMM)
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A8-0014/2016
Textes déposés :
A8-0014/2016
Débats :
Textes adoptés :

PROPOSITION DE DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN

sur la demande de levée de l'immunité de Florian Philippot

(2015/2267(IMM))

Le Parlement européen,

–  vu la demande de levée de l'immunité de Florian Philippot, transmise le 2 septembre 2015 par le ministère de la justice de la République française dans le cadre d'une procédure en diffamation devant le tribunal de grande instance de Nanterre (réf. JIJI215000010), et communiquée en séance plénière le 16 septembre 2015,

–  vu l'audition de Florian Philippot, conformément à l'article 9, paragraphe 5, de son règlement,

–  vu les articles 8 et 9 du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne ainsi que l'article 6, paragraphe 2, de l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976,

–  vu les arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne le 12 mai 1964, le 10 juillet 1986, les 15 et 21 octobre 2008, le 19 mars 2010, le 6 septembre 2011 et le 17 janvier 2013[1],

–  vu l'article 26 de la Constitution de la République française,

–  vu l'article 5, paragraphe 2, l'article 6, paragraphe 1, et l'article 9 de son règlement,

–  vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A8-0014/2016),

A.  considérant qu'une juridiction française a demandé la levée de l'immunité de Florian Philippot, député au Parlement européen, dans le cadre de poursuites pénales engagées par un État tiers;

B.  considérant que l'article 8, du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne dispose que les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions.

C.  considérant en outre que l'article 9 du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne dispose que les membres du Parlement européen bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays;

D.  considérant que l'article 26 de Constitution de la République française dispose qu'«[a]ucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions», et qu'«[a]ucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté» sans autorisation parlementaire;

E.  considérant que Florian Philippot est accusé par le gouvernement d'un État tiers, plus exactement le Qatar, d'avoir diffamé ledit État lors d'une émission radiophonique le 9 janvier 2015 et d'une émission télévisée le 19 janvier 2015, au cours desquelles il a laissé entendre que le Qatar financerait le terrorisme;

F.  considérant que l'article 8, du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne et l'article 26 de la Constitution française interdisent toute procédure civile ou pénale à l'encontre d'un député en raison d'opinions exprimées dans l'exercice de ses fonctions.

G.  considérant que «[d]ans le système français, la protection des représentants du peuple dans l'accomplissement de leur mandat remonte à 1789. Elle trouve son fondement dans le respect de la souveraineté populaire et dans la nécessité, dans un État démocratique, pour les représentants élus d'exercer librement leur mandat, sans crainte de poursuites judiciaires ou d'une ingérence de l'exécutif ou du judiciaire»[2];

H.  considérant que cette immunité absolue suppose que les opinions exprimées par un député européen au cours de réunions officielles du Parlement ou en d'autres lieux comme, par exemple, dans les médias, ne peuvent être attaquées lorsqu'il existe «un lien entre l'opinion exprimée et les fonctions parlementaires»[3];

I.  considérant que l'expression en public d'opinions sur la politique extérieure de l'Union européenne et d'États tiers entre dans les fonctions d'un député européen;

J.  considérant que, par conséquent, les conditions déterminant la levée de l'immunité de Florian Philippot ne sont pas réunies;

K.  considérant que s'il était estimé, mais tel n'est pas le cas, que l'article 8 du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne ne s'appliquait pas à l'espèce, la demande des autorités françaises devrait être examinée conformément à l'article 9 du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne, en combinaison avec l'article 26, deuxième alinéa, de la Constitution de la République française, et devrait donc être considérée comme une demande d'autorisation de soumettre Florian Philippot «en matière criminelle ou correctionnelle, [à] une arrestation ou [à] toute autre mesure privative ou restrictive de liberté»;

L.  considérant que l'immunité parlementaire a généralement pour objet de permettre au pouvoir législatif de s'acquitter de ses missions constitutionnelles indépendamment de toute ingérence injustifiée, en particulier du pouvoir exécutif[4]; que, manifestement, ce principe s'applique également à une procédure pénale pour diffamation engagée par un État tiers à l'encontre d'un député;

M.  considérant qu'il n'est donc pas nécessaire d'examiner la question du fumus persecutionis, à savoir si l'intention sous-jacente de la procédure pénale est de nuire à l'activité politique du député;

1.  décide de ne pas lever l'immunité de Florian Philippot;

2.  charge son Président de transmettre immédiatement aux autorités françaises la présente décision et le rapport de sa commission compétente.

RÉSULTAT DU VOTE FINALEN COMMISSION COMPÉTENTE AU FOND

Date de l’adoption

28.1.2016

 

 

 

Résultat du vote final

+:

–:

0:

17

0

0

Membres présents au moment du vote final

Joëlle Bergeron, Marie-Christine Boutonnet, Mady Delvaux, Julia Reda, Evelyn Regner, Pavel Svoboda, Tadeusz Zwiefka

Suppléants présents au moment du vote final

Jytte Guteland, Heidi Hautala, Sylvia-Yvonne Kaufmann, Virginie Rozière

Suppléants (art. 200, par. 2) présents au moment du vote final

Stefan Eck, Eleonora Evi, Sylvie Goddyn, Andrey Novakov, Younous Omarjee, Gabriele Preuß

  • [1]  Arrêt de la Cour du 12 mai 1964 dans l'affaire 101/63, Wagner/Fohrmann et Krier, ECLI:EU:C:1964:28; arrêt de la Cour du 10 juillet 1986 dans l'affaire 149/85 Wybot/Faure et autres, ECLI:EU:C:1986:310; arrêt du Tribunal du 15 octobre 2008 dans l'affaire T-345/05, Mote/Parlement, ECLI:EU:T:2008:440; arrêt de la Cour de justice du 21 octobre 2008 dans les affaires jointes C-200/07 et C-201/07, Marra/De Gregorio et Clemente, ECLI:EU:C:2008:579; arrêt du Tribunal du 19 mars 2010 dans l'affaire T-42/06, Gollnisch/Parlement, ECLI:EU:T:2010:102; arrêt de la Cour du 6 septembre 2011 dans l'affaire C-163/10, Patriciello, ECLI: EU:C:2011:543; arrêt du Tribunal du 17 janvier 2013 dans les affaires jointes T-346/11 et T-347/11, Gollnisch/Parlement, ECLI:EU:T:2013:23.
  • [2]  Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 17 décembre 2002 dans l'affaire A./Royaume-Uni, point 47.
  • [3]  Arrêt de la Cour du 6 septembre 2011 dans l'affaire C-163/10, Patriciello, ECLI: EU:C:2011:543, point 33.
  • [4]  Sascha Hardt, Parliamentary Immunity. A Comprehensive Study of the Systems of Parliamentary Immunity of the United Kingdom, France, and the Netherlands in a European Context, coll. «Ius Commune Europaeum Series» n° 119, Intersentia, ISBN 978-1-78068-191-7, Maastricht, juillet 2013.