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Compte rendu in extenso des débats
Lundi 23 avril 2007 - Strasbourg Edition JO

23. Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante (Livre vert) (débat)
Procès-verbal
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  Le Président. - L’ordre du jour appelle le rapport (A6-0133/2007) de M. Sánchez Presedo, au nom de la commission des affaires économiques et monétaires, sur le Livre vert intitulé «Actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante» (2006/2207(INI)).

 
  
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  Antolín Sánchez Presedo (PSE), rapporteur. - (ES) Monsieur le Président, Madame la Commissaire Kroes, Mesdames et Messieurs, l’existence de la liberté économique, le fonctionnement du marché intérieur et la durabilité du développement européen sont inextricablement liés à la politique de concurrence. Depuis la signature du traité de Rome il y a 50 ans, son importance n’a cessé de croître. La concurrence est un indicateur de la vitalité et de l’excellence européennes, une politique clé en vue de réaliser la stratégie de Lisbonne et les objectifs de l’Union.

Les infractions à la concurrence déséquilibrent le jeu, influencent les flux d’échanges entre les États membres et entament la confiance dans les règles. Elles réduisent le dynamisme et les résultats de l’Union. Il est important que nous disposions de mécanismes de dissuasion et de réaction.

Les infractions ont principalement été traitées au moyen d’actions publiques de nature administrative. La centralisation de l’application de l’article 81, paragraphe 3, - à travers un contrôle préalable de la Commission, atténué au moyen des règlements d’exemption à partir des années 1980 - a été victime de son propre succès; la demande de davantage de concurrence et d’une meilleure concurrence a révélé son inefficacité économique et ses insuffisances juridiques.

Le rôle des actions civiles a été mis en évidence par la Cour de justice des Communautés européennes lorsque l’arrêt Courage contre Crehan de 2001 a reconnu que tout un chacun pouvait avoir recours aux organes judiciaires nationaux pour réclamer des dommages et intérêts résultant des actions du contrevenant.

La modernisation du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil a mis fin au monopole de la Commission et a admis un système plus ouvert, applicable de manière décentralisée par les autorités administratives constituant le réseau des autorités communautaires de la concurrence, mais aussi directement par les autorités judiciaires nationales.

La possibilité d’intenter des actions civiles n’est pas quelque chose d’exotique, mais plutôt un retour à la jurisprudence classique en vertu de laquelle le droit communautaire impose des obligations aux États et aux particuliers et a des effets verticaux et horizontaux qui nécessitent une protection judiciaire. Leur utilisation dans les États membres - selon une étude commandée par la Commission - est très diverse et totalement sous-développée - contrairement aux États-Unis où neuf procédures de demande sur dix sont judiciaires. Le rapporteur juge positif que la Commission publie un livre vert en vue d’identifier les obstacles barrant la route aux actions civiles et de trouver des moyens de les éliminer.

Dans un système de concurrence avancé, une action publique contre l’impunité des entreprises contrevenantes devrait être complétée par des actions civiles contre l’immunité et l’indemnité à l’égard des préjudices subis par les victimes de leurs actions. Faciliter les actions civiles renforcera l’efficacité des règles de concurrence. Les arguments en cette faveur incluent l’efficacité et la justice. L’imposition d’amendes est insuffisante, à moins qu’elle ne soit accompagnée d’actions civiles en vue d’empêcher le contrevenant de prendre l’avantage sur ses concurrents grâce à son infraction et de donner compensation aux victimes des préjudices causés. Le rapport estime que les actions publiques et privées constituent deux piliers qui ont pour objectif complémentaire de garantir la discipline du marché dans l’intérêt public et de protéger les intérêts privés des acteurs de ce marché.

L’application du droit communautaire de la concurrence par les autorités administratives et judiciaires ne doit pas entraîner un manque d’uniformité. Les jugements ne doivent pas varier en fonction de l’autorité qui les rend. C’est un point crucial. Il faut maintenir l’acquis communautaire et l’efficacité des programmes de clémence, coordonner les actions publiques et privées et intensifier la coopération entre toutes les autorités compétentes.

Le rapport propose un modèle communautaire en accord avec la culture juridique de l’Union, qui tient compte des traditions juridiques des États membres. Il est opposé à un glissement vers le modèle américain, puisqu’il n’est pas favorable à l’introduction des caractéristiques particulières de ce modèle, telles que des organes judiciaires composés de non-professionnels, les actions collectives, le paiement de dommages et intérêts punitifs équivalents au triple du préjudice causé, les exigences strictes en matière de divulgation de documents et le système d’honoraire des avocats et de frais de justice.

Nous devons compenser les déséquilibres et veiller à ce que les responsabilités soient assumées, sans violer le principe d’égalité d’armes ni stimuler artificiellement le caractère litigieux. L’objectif est d’encourager l’utilisation rationnelle d’actions juridiques et pas l’activisme judiciaire et, surtout, de promouvoir le règlement précoce et à l’amiable des litiges.

La concurrence communautaire est une compétence exclusive de l’Union européenne. Les procédures administratives et judiciaires nationales ne changent rien à cet état de fait et ne doivent pas empêcher l’existence d’orientations communes en matière de sanctions, conformément aux principes de meilleure législation.

Je conclurai en remerciant le rapporteur de la commission des affaires juridiques, M. Doorn, pour sa précieuse coopération, les rapporteurs fictifs pour leur aide et les députés qui ont présenté des amendements pour leur contribution.

J’apprécie le dialogue constant et exemplaire entretenu avec la Commission au cours de la rédaction du rapport et je demanderai à la commissaire de continuer à démontrer son engagement pour le prochain livre blanc.

 
  
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  Neelie Kroes, membre de la Commission. - (EN) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, nous sommes réunis ce soir pour débattre d’un sujet d’une importance fondamentale: les droits.

La Cour de justice a été claire: le droit à des dommages et intérêts est indispensable pour garantir l’efficacité des règles communautaires sur la concurrence. Les consommateurs et les clients des entreprises n’utilisent cependant pas leurs droits. Les préjudices ne sont pas réparés, tandis que la société et l’économie absorbent les pertes: telle est la réalité. La situation est manifestement injuste, incompatible avec notre Communauté de droit et contraire à nos objectifs communs de compétitivité. La Commission européenne, ainsi je pense que la plupart des membres de cette Assemblée, ne peuvent tolérer cette situation.

Notre livre vert a exposé les problèmes. La recherche de solutions appropriées requiert une approche extrêmement prudente et mesurée, ancrée dans les traditions juridiques européennes et définie par un dialogue avec les acteurs concernés, et en particulier avec le Parlement. C’est pourquoi la Commission a prévu de publier un livre blanc, accompagné d’une étude d’impact, afin de susciter une discussion plus approfondie aux alentours de la fin de l’année.

Le rapport de M. Sánchez Presedo fournit une foule de données pertinentes pour alimenter le processus. Je félicite sincèrement le rapporteur et je remercie les rapporteurs fictifs et la commission des affaires économiques et monétaires pour l’ensemble de leur travail. Je remercie en outre M. Doorn et les membres de la commission des affaires juridiques pour leur contribution. Nous accorderons la plus grande attention à toutes les recommandations du Parlement dans la préparation du livre blanc.

J’ai conscience que d’aucuns redoutent que l’encouragement des actions civiles en demandes et intérêts n’aboutisse à une culture du procès à l’américaine. Nous prendrons certainement ce facteur en considération dans l’élaboration du livre blanc. Mais, à l’heure actuelle, les victimes ne pèsent pas lourd dans la balance. Il faut trouver des solutions européennes soigneusement équilibrées. Des solutions communes qui satisfont aux critères rigoureux de la proportionnalité et de la subsidiarité doivent uniquement être élaborées si les règles nationales ne garantissent pas efficacement le droit à des dommages et intérêts.

J’ai également entendu qu’une augmentation du nombre d’actions civiles engendrerait des coûts supplémentaires pour les entreprises. Nous avons entendu des arguments similaires il y a quelques années à propos du principe du «pollueur payeur» pour l’environnement. Le fait est que les ententes et autres abus sont aujourd’hui à l’origine de coûts substantiels, mais cachés. Les recherches empiriques révèlent que les ententes internationales font grimper les prix de plus de 20 %. La Commission a arrêté récemment des décisions en matière d’ententes sur le caoutchouc synthétique, un dispositif de commutation à isolation au gaz et le verre acrylique. Toutes ces ententes alourdissaient les coûts pour les entreprises et nuisaient à la compétitivité européenne. Le moment est arrivé d’introduire le principe selon lequel l’auteur d’une infraction à la concurrence doit payer. N’oublions pas que, si certaines industries doivent provoquer une certaine pollution pour faire des affaires, le milieu de la concurrence n’a aucun besoin et aucune excuse pour les infractions. Peut-être les auteurs d’infraction n’apprécient-ils pas d’être contraints de réparer les dommages qu’ils causent, mais ils ne devraient tout simplement pas enfreindre les règles en premier lieu. Le choix leur appartient.

J’ai la conviction que l’assurance que les entreprises et les consommateurs ne soient pas lésés par le comportement illicite de certains opérateurs représente un combat qui mérite d’être livré. J’espère de tout cœur que le Parlement émettra cette semaine un message fort à l’appui de cet objectif. Nous examinerons les modalités détaillées ensemble à un stade ultérieur, sur la base d’un livre blanc qui sera équilibré et pondéré et soumis à l’analyse sévère et extrêmement pertinente de cette Assemblée.

 
  
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  Bert Doorn (PPE-DE), rapporteur pour avis de la commission des affaires juridiques. - (NL) Monsieur le Président, je pense que c’est maintenant la troisième fois que je m’adresse à cette Assemblée au sujet du droit de la concurrence aux environs de minuit. Je ne sais pas quelles peuvent en être les raisons, mais je ne m’explique pas pourquoi la concurrence devrait forcément être considérée comme une sorte de sujet nocturne.

En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires juridiques, je voudrais formuler quelques observations. La question fondamentale est de savoir si les citoyens et les entreprises qui ont subi des préjudices en raison d’infractions au droit des ententes devraient avoir droit à des dommages et intérêts. Je pense que oui, tout comme la commission des affaires juridiques. Nous pensons que, dans ces cas, il devrait exister un droit d’obtenir des dommages et intérêts dans les États membres, qui devraient prévoir des procédures de ce type, dont l’organisation leur incomberait. Dans certains États membres, le gouvernement devra d’abord établir qu’une infraction a été commise. Dans d’autres États membres, les choses se passeront différemment, mais toujours conformément aux procédures des États membres. Évidemment, il y a également la question de savoir si des procédures de ce type peuvent être imposées par Bruxelles aux États membres. Vous pourriez les persuader qu’il est nécessaire d’instaurer de telles procédures, mais qu’elles soient imposées est, à notre avis, une toute autre histoire. Il ne s’agit après tout pas du droit des ententes, mais du droit civil qui, comme le droit pénal, est l’apanage des États membres, un domaine dans lequel l’Union européenne ne peut intervenir. C’est la raison pour laquelle nous avons de sérieux doutes quant à une possible base juridique sur laquelle reposeraient des mesures juridiques européennes visant à introduire des procédures de ce type.

En fait, ce raisonnement est également valable pour toutes les autres questions et observations du livre vert qui touchent à la fourniture de preuves, par exemple la nomination d’experts ou les actions collectives. Ce sont tous des exemples qui entrent dans le champ d’application du droit civil national, à l’égard duquel l’Union européenne ne peut prescrire aucune législation. Voilà les principales observations que nous avons faites au sein de la commission des affaires juridiques.

 
  
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  Jonathan Evans, au nom du groupe PPE-DE. - (EN) Monsieur le Président, la commissaire a déclaré dans son intervention qu’elle escomptait que le Parlement apporte un soutien substantiel à une action dans ce domaine. Je souhaite affirmer clairement au nom de mon groupe que nous saluons la publication du livre vert et que nous nous réjouissons d’ores et déjà de la publication du livre blanc. Nous pensons que les droits des citoyens ne sont pas appliqués correctement dans ce domaine et, bien entendu, nous souhaitons garantir que davantage soit fait qu’à l’heure actuelle.

Ainsi toutefois que la commissaire l’a elle-même précisé, il faudra trouver un équilibre délicat, notamment pour les raisons que M. Doorn a énoncées, et à la lumière de l’audition organisée par M. Sánchez Presedo, durant laquelle nous avons consacré une demi-journée à l’examen de ces questions difficiles.

À titre personnel, je suis profondément décidé à considérer que les progrès accomplis à cet égard font partie intégrante du programme tout entier de la Commission sur la modernisation de la politique de concurrence. Assurons donc que nul ne puisse douter que nous encourageons la Commission dans ses nouvelles mesures.

Ainsi que la commissaire l’a remarqué clairement, il existe toutefois un souci réel, tant parmi les gouvernements des États membres que parmi le monde des entreprises, d’éviter l’expérience des États-Unis. Il ne suffit pas de dire que «nous ne ferons pas ce que les États-Unis ont fait», spécialement lorsque - cela doit être souligné - le rapport de M. Sánchez Presedo, après qu’il a analysé cet aspect en long, en large et en travers, recherche en quelque sorte à résoudre toutes ces difficultés en modifiant la charge de la preuve, en instaurant des dommages et intérêts punitifs - à tout le moins par rapport aux ententes - et la gratuité des procès, en confondant les compétences européennes et nationales, en changeant les règles sur la divulgation et en excluant du calcul des coûts de ces procès tout principe relatif à la subsidiarité, à la proportionnalité ou à l’existence d’une base juridique appropriée.

En conséquence, lorsqu’on demande pourquoi nous sommes préoccupés par ce rapport, c’est parce qu’il est devenu un sapin de Noël qui arbore trop de boules. Nous sommes favorables à une ouverture, mais nous ne sommes certainement pas favorables à l’amorce d’un processus qui pourrait nous conduire sur le chemin des États-Unis, à l’opposé des souhaits de la Commission et à l’opposé des souhaits de toutes les personnes qui ont collaboré à ce rapport.

 
  
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  Ieke van den Burg, au nom du groupe PSE. - (NL) Monsieur le Président, le groupe socialiste au Parlement européen est heureux de soutenir l’initiative prise par la commissaire dans ce livre vert. C’est la raison pour laquelle nous voudrions faire valoir qu’il est sage de ne pas préciser à ce stade que certains points ne devraient pas être examinés de manière plus approfondie. Nous voulons que la Commission ait tout le loisir d’examiner convenablement un certain nombre de choses et de les compléter par des évaluations d’impact afin d’étudier leurs effets. Après tout, je peux imaginer qu’en ce qui concerne le livre vert, nous aussi nous arriverons à la conclusion que ce n’est pas la voie la plus évidente à suivre et que, en effet, certaines choses doivent être complétées ou précisées. Nous ne voulons cependant pas prendre de décision à ce sujet pour le moment. C’est la raison pour laquelle nous demandons au groupe du parti populaire européen (démocrates-chrétiens) et des démocrates européens de reconsidérer un certain nombre de ces points ou, éventuellement, de proposer une formule qui laisserait un peu plus de place à ce que la conclusion devrait être, de manière, quoi qu’il arrive, à donner la possibilité à la Commission d’examiner la question de façon plus approfondie. Nous jetterons alors également un œil critique sur nos propres amendements. Je voudrais ainsi vous inviter à examiner une fois encore cela de près demain.

Pour ma part, je voudrais également aborder ce point sous un angle néerlandais, puisque nous avons actuellement, aux Pays-Bas, un débat très animé à ce sujet. Enfin, les gens découvrent ce que la politique de concurrence au niveau européen signifie et comment nous luttons contre ces ententes, car lors d’une récente affaire néerlandaise, la commissaire a imposé de fortes amendes à des brasseurs de bière. C’est bien sûr un sujet sur lequel tout le monde aux Pays-Bas pense avoir son mot à dire. C’est un exemple très illustratif, car cette entente dans le secteur de la bière impliquait des accords de prix entre les brasseurs de bière, qui ont également une influence énorme sur le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Le résultat de ces accords est que les gens, les clients finaux, payaient le prix fort pour leurs bières, chose qui faisait déjà matière à débat aux Pays-Bas depuis l’introduction de l’euro. Cet exemple montre cependant une fois encore que les amendes qui sont alors perçues sont d’abord transmises à la Commission avant d’être redirigées vers les États membres, et ne finissent pas directement dans les mains de ces consommateurs. Les entrepreneurs du secteur de l’hôtellerie et de la restauration peuvent intenter une action en justice contre ces brasseurs de bière pour voir s’ils peuvent récupérer une partie des dommages et intérêts, mais cela n’est d’aucune utilité pour le consommateur, l’utilisateur final. À cet égard, cet exemple est très intéressant pour voir comment il est possible de progresser. Après tout, l’utilisateur final est dupé par des ententes de ce type. Cet exemple illustre également mon point de vue et je voudrais par conséquent demander à cette Assemblée de laisser la porte ouverte et de découvrir comment nous pouvons faire davantage bénéficier le consommateur, l’utilisateur final, de cette politique d’entente.

 
  
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  Sharon Bowles, au nom du groupe ALDE. - (EN) Monsieur le Président, lorsque nous avons discuté pour la première fois du livre vert de la Commission, je me suis sentie comme une sorte de Cassandre moderne augurant d’une cohorte de malheurs. Je m’en suis peut-être mieux sortie que Cassandre en ce que vous, Madame la Commissaire, ainsi que le rapporteur, vous avez pris au sérieux mes inquiétudes - j’hésite à les appeler des «prédictions». Mes inquiétudes sont intégrées dans le rapport dont nous débattons, quoique peut-être légèrement seulement - peut-être même trop légèrement pour certains de mes collègues. Je peux donc soutenir la décision de vous accorder une marge de manœuvre pour étudier les possibilités à la fois d’actions de suivi et d’actions indépendantes. Je peux partager une philosophie de reconnaissance mutuelle des décisions, mais je tiens à affirmer clairement que cet objectif se situe dans le futur, et non maintenant.

Mes principales réserves subsistantes ont trait à l’ampleur de la récompense qu’il faudrait proposer pour que le système soit mis sur les rails, en particulier pour les actions indépendantes. L’on peut d’ailleurs remarquer le rapport à ce sujet qui a été publié récemment au Royaume-Uni. Si la récompense est démesurée, que ce soit pour les consommateurs, les juristes ou les entreprises en concurrence, je crains que, peu importe la manière dont nous façonnons nos règles, nous courons le risque d’être poussés en direction de certains des pires aspects des actions en dommages et intérêts que nous pouvons observer aux États-Unis. J’emploie le terme «poussés» parce que cela se passe de cette manière. Personne n’arrive là de son plein gré. Dès lors que le triomphateur exercera son emprise sur le territoire entier de l’UE, un équilibre extrêmement délicat doit être mis en place.

Une autre de mes priorités serait d’assurer que les actions soient bien étayées et que nous ne soyons pas confrontés en fin de compte à des actions s’apparentant à un chantage telles qu’elles se produisent aux États-Unis. Je reconnais qu’il sera difficile d’atteindre le bon compromis et qu’il faudra tenir compte des disparités nationales dans les pratiques et les traditions juridiques, mais si nous réussissons, nous disposerons d’un outil extrêmement utile, qui en vaudra largement la chandelle. J’attends également le livre blanc avec impatience, mais je vous avertis que je n’ai peut-être pas encore rangé mon habit de Cassandre au placard.

 
  
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  Pervenche Berès (PSE). - Monsieur le Président, Madame la Commissaire, vous avez devant vous une tâche ardue car je vois bien que les avis seront très contrastés de part et d’autre. Vous aurez, d’un côté, le soutien d’un certain nombre d’associations de consommateurs qui se féliciteront de votre proposition. De l’autre côté, vous aurez de nombreux groupes d’intérêt qui dénonceront les risques d’une telle direction dans le domaine du droit de la concurrence.

Pour autant, dès lors que vous proposez une initiative dans un domaine qui est le vôtre en matière de lutte contre les ententes, vous vous situez à un niveau où l’action de la Commission est sans doute moins contestée qu’ailleurs. Je pense notamment à la façon dont la Commission évalue telle ou telle proposition de fusion.

Dans le domaine des ententes, le terrain est, d’une certaine manière, plus favorable à un accord plus large entre les États membres et les acteurs publics. L’idée est donc au fond de compléter l’action publique par une action privée. Nous n’en sommes encore qu’au stade préliminaire, et nous voyons bien que le chemin sera semé d’embûches. Il y a ceux qui, comme mon collègue Doorn, imaginent que la Commission n’a pas à se prononcer sur des initiatives dans ce domaine, parce que tout cela relèverait du droit civil des États membres. Et puis, il y a ceux qui - je crois d’ailleurs que tous les orateurs se sont prononcés ce soir en ce sens -, s’inquiètent du potentiel de dérives d’une telle initiative et, lorsque l’on pense dérives dans ce domaine, tout le monde a à l’esprit la dérive du système américain, où les victimes au secours desquelles la défense prétend voler sont en réalité - si j’ose dire - la vache à lait des professions du droit. Et manifestement, personne dans cet hémicycle ne souhaite voir le droit de la concurrence européen s’engager dans une telle action.

Vous nous avez annoncé un livre blanc, vous nous avez annoncé un étude d’impact: cette fois encore, nous examinerons vos propositions dans un esprit de contribution, avec la volonté d’améliorer, grâce à ces propositions, la capacité du droit de la concurrence à s’adresser aux préoccupations des citoyens et à répondre à ce qu’ils peuvent normalement attendre d’une juste application du droit de la concurrence.

Mais, encore une fois, et je ne suis pas la première ce soir à le dire, tout ce qui risque de nous embarquer dans une dérive des procédures contribuant à alimenter des professions qui, par ailleurs, trouvent beaucoup d’autres manières de faire du chiffre d’affaires, n’aurait pas notre soutien. C’est dans cet esprit d’ouverture et dans le souci, souvent manifesté dans cet hémicycle, de défendre les droits des consommateurs que nous soutiendrons et que nous examinerons vos propositions.

 
  
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  Diana Wallis (ALDE). - (EN) Monsieur le Président, je souhaiterais remercier la commissaire pour son initiative et le rapporteur pour son rapport. Je me propose de mettre l’accent sur les actions potentielles des consommateurs, appelées les actions collectives ou représentatives. Elles ne doivent pas être pour les entreprises le croque-mitaine sous les traits duquel elles sont souvent dépeintes. Si nous souhaitons des consommateurs informés et responsables, qui n’ont pas besoin d’être couvés par l’État, ce raisonnement dans lequel les consommateurs sont traités en adultes a pour corollaire que nous devons les autoriser à engager des actions ensemble pour obtenir une indemnisation. Après tout, pourquoi l’État devrait-il être la seule instance de répression en matière de concurrence? Ce sont les consommateurs qui sont perdants à la suite de comportements contraires aux règles de concurrence, mais ils ne reçoivent souvent aucune indemnisation ou réparation.

Cette proposition n’est en rien renversante: la Cour de justice européenne reconnaît déjà le droit à engager une action. Nous devons à présent le faciliter, rendre la justice accessible aux perdants et garantir que l’indemnisation soit répartie sur une base équitable et ne bénéficie pas seulement à une poignée de privilégiés.

Telle doit être la démarche complémentaire à la reconnaissance de consommateurs informés: leur donner un réel pouvoir à travers le renforcement de la justice et du droit de recours. Cela devrait en réalité contribuer à un meilleur fonctionnement de notre marché intérieur. Les consommateurs sont souvent les meilleurs juges d’une infraction aux principes de concurrence. Nous ne devons pas craindre d’exploiter cette force au profit de l’intérêt général.

Chacun sait pertinemment que nous ne souhaitons pas d’actions de groupe à l’américaine. Nous avons donc aujourd’hui l’occasion unique de concevoir un modèle européen, qui respecte les valeurs européennes de notre société et de notre justice.

 
  
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  Neelie Kroes, membre de la Commission. - (EN) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, il y a 40 ans, dans l’affaire van Gend & Loos, la Cour de justice a donné aux acteurs du marché et aux citoyens européens les droits qui leur étaient nécessaires pour jouer un rôle central dans notre projet européen. L’environnement juridique dans lequel se trouvent à ce jour les victimes d’ententes ou d’abus de position dominante n’est pas acceptable. J’ai bien compris que tout le monde s’accorde sur ce point. Je souhaiterais vous remercier pour le débat enrichissant de ce soir sur les moyens qui permettraient d’améliorer progressivement cet environnement juridique, et je me réjouis du vote du Parlement sur le rapport. La question est réglée sur ce point.

Je souhaiterais à présent répondre à quelques remarques formulées lors de notre débat de ce soir. M. Doorn a soulevé la question de la base juridique. Elle est importante et tout à fait claire. Au stade d’un livre vert, et en l’absence d’une proposition de la Commission, il est relativement prématuré - si vous me permettez l’expression - de se pencher sur la question de la base juridique. Le Traité offre des bases juridiques appropriées, d’ordre spécifique et général, pour l’adoption de mesures dans ce domaine et je suppose que nous pourrions en convenir. Une base pertinente et, partant, la procédure applicable, peuvent toutefois uniquement être identifiées à la lumière de la nature, des objectifs et de la portée de toute mesure particulière qui pourrait être envisagée après le livre blanc. J’examinerai néanmoins à quel point il pourrait être opportun d’intégrer un commentaire sur les bases juridiques dans le prochain livre blanc. Il subsiste donc un point à éclaircir à cet égard.

Je suis consciente de l’impératif de circonspection en ce qui concerne les règles nationales de procédure. Aucun doute ne plane à ce sujet. Il s’agit d’un avertissement sans équivoque. En substance, nous possédons d’ores et déjà une législation européenne uniforme sur la concurrence et, par sa nature même, toute infraction aux règles sur les ententes et les abus de position dominante s’accompagne de répercussions transfrontalières en ce qu’elle affecte notre marché intérieur, que nous cherchons précisément à protéger. Il me paraît relever du bon sens que le droit à une indemnisation puisse également être appliqué de la même manière à travers l’ensemble de notre marché intérieur.

La Commission peut uniquement tendre à une harmonisation des dispositions dans la mesure où les règles de procédure des États membres ne garantissent pas efficacement les droits essentiels conférés par le Traité. Toute mesure proposée devrait passer les épreuves implacables de la subsidiarité, de la proportionnalité et de la nécessité. Ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure, le livre blanc s’accompagnera d’une étude d’impact.

M. Evans a mentionné la nécessité de se garder de favoriser une culture du procès et le risque que des prétentions injustifiées soient réclamées. La Commission encourage une culture de la concurrence compatible avec nos cultures juridiques européennes existantes. Nous mettrons en œuvre une approche mesurée et équilibrée parce que, tout comme vous, nous sommes résolus à éviter d’ouvrir la porte aux excès auxquels certaines autres juridictions ont assisté. Mais la peur est une très mauvaise conseillère. Aucune des caractéristiques essentielles du régime judiciaire américain relatif aux ententes et aux abus de position dominante n’est citée parmi les solutions potentielles dans le livre vert.

Bon nombre des partisans d’une simplification des actions en dommages et intérêts, à l’instar de Mme Bowles, ont insisté sur la nécessité de prévenir que la balance ne penche excessivement du côté des demandeurs. Ces mêmes observateurs ont toutefois également reconnu que les victimes d’ententes et d’abus de position dominante ne pèsent pas lourd à l’heure actuelle dans la balance et, par conséquent, qu’une intervention s’impose. La Commission aspire à une approche proportionnée et mesurée, élaborée en consultation avec les acteurs concernés.

Mme Wallis a abordé les actions collectives en demandes de dommages et intérêts. Eu égard aux coûts d’une procédure judiciaire, il est peu probable que des consommateurs isolés introduisent des prétentions en dommages et intérêts de faible montant contre les auteurs d’une infraction au droit de la concurrence. Il est donc opportun d’examiner les possibilités de recours collectif, ainsi qu’elle l’a affirmé à juste titre. Le livre vert traite des actions représentatives menées par des associations de consommateurs. Soyons donc clairs: je le répète, les actions de groupe avec possibilité d’exclusion de type américain ne figurent pas à l’ordre du jour et je ne les inscrirai pas à mon ordre du jour.

Dans les actions de groupe avec possibilité d’exclusion, les avocats agissent au nom d’un groupe indéterminé de personnes et poursuivent principalement leurs propres intérêts. Dans les actions représentatives, ils n’ont aucun intérêt distinct en dehors de l’intérêt des parties lésées qu’ils représentent. La Commission estime dès lors que les intérêts des consommateurs sont mieux desservis par une action représentative que par une action de groupe avec possibilité d’exclusion, et j’espère que cela rassurera également Mme Berès.

Votre engagement illustre l’importance du débat initié par le livre vert et il représente une source d’espoir dès lors que nous savons tous qu’il faut faire quelque chose. À n’en pas douter, le diable est dans le détail.

Je souhaiterais enfin faire passer deux messages fondamentaux. En premier lieu, j’espère que cette Assemblée donnera le signal ferme que la situation actuelle n’est pas acceptable - et c’est d’ailleurs ce que j’ai compris dans vos propos. Il s’agit purement d’une question de droits, et le Parlement a toujours soutenu sans relâche les droits dans toutes les politiques et tous les domaines de la coopération européenne. Nous devons procurer aux citoyens européens et aux entreprises européennes la possibilité d’exercer les droits qui leur sont conférés par la législation européenne sur la concurrence. Nous sommes en outre dans un domaine dans lequel la Communauté peut témoigner de son utilité pour l’existence quotidienne des citoyens et des entreprises.

Deuxièmement, c’est en travaillant ensemble dans le dialogue, par le biais d’idées et de critiques constructives, que nous réussirons à apporter des améliorations tout en contournant les pièges connus. Je suis impatiente de poursuivre le processus plus avant avec la publication du livre blanc au début de l’année prochaine.

Merci pour ce débat intéressant et merci spécialement, Monsieur le Rapporteur, pour le travail ardu consacré à cet important dossier.

 
  
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  Le Président. - Le débat est clos.

Le vote aura lieu mercredi à 12 heures.

 
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