Résolution du Parlement européen sur la situation des prisonniers à Guantánamo
Le Parlement européen,
— vu la résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, du 25 avril 2005, sur la légalité de la détention de personnes par les États-Unis à Guantánamo Bay,
— vu le rapport de la commission des droits de l'homme des Nations unies du 15 février 2006 sur Guantánamo, qui demande que le centre de détention de Guantánamo soit fermé sans délai et que les détenus restants soient jugés ou libérés,
— vu les conclusions et les recommandations du comité des Nations unies contre la torture concernant les États-Unis d'Amérique, publiées le 19 mai 2006,
— vu la publication, par le ministère de la défense américain le 15 mai 2006, de la liste de 759 personnes qui sont ou ont été détenues à Guantánamo Bay, sans que l'on sache si cette liste est exhaustive ou non,
— vu les chiffres les plus récents du gouvernement américain concernant le nombre de détenus à Guantánamo, indiquant qu'environ 275 détenus ont été libérés, 465 détenus demeurent en détention et 133 sont destinés à être libérés,
— vu ses résolutions antérieures sur le droit des personnes détenues à Guantánamo à bénéficier d'un procès équitable, et notamment sa résolution du 7 février 2002 sur les conditions de détention des prisonniers à Guantánamo(1), sa recommandation à l'intention du Conseil, du 10 mars 2004, sur le droit des prisonniers de Guantánamo à un procès équitable(2) et sa résolution du 16 février 2006 sur Guantánamo(3),
— vu sa résolution du 18 mai 2006 sur le rapport annuel sur les droits de l'homme dans le monde 2005 et la politique de l'UE à cet égard(4),
— vu la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984,
— vu les orientations de l'Union européenne concernant la lutte contre la torture et la peine de mort ainsi que ses lignes directrices de l'Union européenne sur le dialogue avec les pays tiers en matière de droits de l'homme, adoptées en 2001,
— vu la réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne qui s'est tenue à Vienne les 27 et 28 mai 2006,
— vu les appels lancés notamment par la Chancelière allemande, par le Premier ministre britannique et par le Secrétaire général des Nations unies, demandant la fermeture du centre de détention de Guantánamo,
— vu l'article 103, paragraphe 4, de son règlement,
A. rappelant que, selon le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nul ne peut faire l'objet d'une détention arbitraire et nul ne peut être privé de sa liberté si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi, et priant instamment toutes les parties d'appliquer les dispositions de ce pacte,
B. considérant que les rapports faisant état de sévices infligés aux personnes détenues par les Américains, de tentatives de suicide de détenus et d'une mutinerie à Guantánamo Bay sont extrêmement préoccupants; constatant que les États-Unis n'ont pris que des dispositions limitées pour enquêter et, lorsque les faits sont avérés, pour sanctionner le personnel impliqué,
C. considérant que les suicides de trois détenus à Guantánamo Bay, survenus le 10 juin 2006, ont accentué la préoccupation internationale concernant les infrastructures de détention,
D. se félicitant que quelques détenus aient bénéficié du droit de s'entretenir en privé avec des juristes indépendants,
1. appelle à nouveau le gouvernement américain à fermer le centre de détention de Guantánamo Bay et demande instamment que chaque prisonnier soit traité conformément au droit humanitaire international et, s'il est inculpé, jugé sans retard, dans le cadre d'une procédure équitable et publique, par un tribunal, éventuellement international, qui soit compétent, indépendant et impartial;
2. condamne toute forme de torture et de mauvais traitement et réaffirme la nécessité de respecter le droit international;
3. appelle les autorités américaines à mettre en œuvre la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à mettre fin immédiatement à toutes les "techniques d'interrogatoire spéciales", y compris aux méthodes qui recourent à l'humiliation sexuelle, au supplice de l'eau (water boarding), à l'enchaînement dans des positions inconfortables (short shackling) et à l'utilisation de chiens pour provoquer la peur, pratiques qui constituent des tortures ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants;
4. appelle le gouvernement américain à accorder aux instances des Nations unies et aux organisations internationales de défense des droits de l'homme un accès sans entrave aux détenus de Guantánamo Bay; constate que le comité international de la Croix-Rouge a été la seule organisation internationale à avoir un accès officiel auprès des détenus;
5. prend acte du fait que les autorités militaires américaines ont fait des efforts importants pour garantir que les détenus bénéficient de meilleures conditions qu'auparavant, notamment en ce qui concerne les soins médicaux, la nourriture, l'expression, l'exercice de leurs droits religieux ainsi que les activités récréatives;
6. estime que les améliorations apportées aux conditions de détention ne résolvent pas le cœur du problème, à savoir que c'est la violation de l'État de droit, du droit international et des normes relatives aux droits de l'homme qui constitue la véritable préoccupation;
7. déplore que le ministère de la défense américain envisage, semble-t-il, d'éliminer une disposition des règlements concernant le traitement des détenus qui interdit le traitement humiliant et de supprimer la référence explicite aux conventions de Genève et à la Convention contre la torture des Nations unies dans le règlement de l'armée américaine régissant les interrogatoires;
8. prend acte du fait que les États-Unis assimilent la lutte contre le terrorisme à une "guerre", sans reconnaître pour autant les droits des détenus relevant des conventions de Genève; estime qu'en dépit de la nature particulière de la lutte contre le terrorisme, le droit international doit s'appliquer;
9. constate que la construction du nouveau camp 6, qui doit s'ouvrir en août 2006 et qui sera doté de l'équipement le plus moderne, sans pour autant être pourvu de fenêtres, ne laisse guère prévoir la possibilité d'une fermeture rapide du site;
10. appelle les autorités américaines à veiller à ce que toutes les allégations de torture et autres mauvais traitements impliquant le personnel américain donnent lieu à des investigations rapides, approfondies et crédibles et soient suivies d'un jugement;
11. demande au gouvernement américain de clarifier si des mineurs ont été ou sont toujours détenus à Guantánamo, en violation de la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant;
12. demande aux autorités américaines de faire en sorte que les détenus libérés ne soient pas renvoyés dans un État où ils risquent d'être torturés ou soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants;
13. insiste sur le fait que le terrorisme contemporain, en particulier le terrorisme planétaire visant des États et leurs populations, représente une menace pour les droits de l'homme essentiels et fondamentaux dont jouissent nos sociétés; réitère sa conviction que la lutte contre le terrorisme, qui est une des priorités de l'Union européenne et des États-Unis, ne peut être menée au détriment de valeurs établies, fondamentales et partagées par tous, telles que le respect des droits de l'homme et de l'État de droit;
14. estime que le mépris du droit international dans la "guerre contre la terreur" qui a été proclamée affaiblit notablement la crédibilité et la puissance de la lutte contre le terrorisme;
15. invite l'Union européenne à adopter une approche commune dans la perspective du sommet UE-US et à mettre en place une action commune pour demander au gouvernement américain de fermer le centre de détention de Guantánamo Bay et d'agir conformément au droit international en ce qui concerne le traitement des détenus;
16. suggère, conformément à l'avis de la délégation de députés du Parlement européen qui s'est récemment rendue à Guantánamo, d'envoyer une délégation ad hoc à Guantánamo lorsque le Parlement européen le jugera nécessaire et approprié;
17. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au Haut représentant pour la PESC, aux parlements des États membres, au Secrétaire général des Nations unies, au Secrétaire général et au Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ainsi qu'au Président et au Congrès des États-Unis d'Amérique.