Allocution
prononcée par M. Klaus Hänsch
Président du Parlement Européen
devant le Conseil Européen
Turin Vendredi
le 29 mars 1996


Monsieur le Président du Conseil européen,

Mesdames et Messieurs,

Le traité de Maastricht ne voit dans la Conférence intergouvernementale qui va s'ouvrir aujourd'hui qu'une sorte de conférence de révision de ce traité.

Le monde et l'Europe ont toutefois subi au cours des quatre dernières années des changements trop profonds pour que l'on puisse se contenter d'apporter de simples retouches au traité sur l'Union européenne.

L'Europe ne doit pas seulement être unie par l'argent, elle doit l'être également par des valeurs communes.

I.

L'Union européenne s'apprête à introduire une monnaie unique.

Le Parlement européen approuve la détermination avec laquelle non seulement les gouvernements allemand et français, mais pratiquement tous les gouvernements, s'en tiennent à la date butoir et au respect des critères de convergence pour l'introduction de la monnaie unique.

Les monnaies seront communautarisées; ce n'est pas le cas jusqu'à présent de la politique économique.

Il n'est pas bon que cette situation se prolonge.

Il faut à l'Union de meilleurs instruments de coordination des politiques financière et budgétaire des États membres et donc une direction macro-économique globale.

Les citoyennes et les citoyens de l'Union n'accepteront à la longue la monnaie unique que si la communauté de la monnaie s'accompagne également d'une communauté s'étendant à d'autres questions vitales pour l'Europe: avant tout lors de la création d'emplois et de justice sociale, mais également dans la politique étrangère et de sécurité, dans la lutte contre le crime organisé au niveau international, dans la protection de l'environnement et pas la moindre, dans la protection sanitaire.

La solidarité - également la solidarité financière - entre les États membres est un commandement de l'Union. Mais elle ne saurait consister à prendre des décisions et des mesures au nom de la responsabilité nationale, et à faire assumer par la Communauté les risques et les dommages de ces décisions.

Je salue le fait que le Gouvernement français veuille faire de la création d'un modèle social européen un sujet de la Conférence intergouvernementale - ne renvoyez pas cette initiative dans des groupes de travail mais réalisez-la.

Dans le nouveau traité, l'objectif d'un niveau d'emploi élevé doit être visible.

Il doit faire partie intégrante de la politique de l'Union.

Certes, la responsabilité d'une politique active de l'emploi incombe au premier titre aux États membres. Ceci restera ainsi.

L'Union européenne ne peut remplacer les efforts nationaux.

Elle ne devrait pas l'essayer.

Mais elle doit pouvoir orienter, coordonner et soutenir les efforts des États membres.

Trop nombreux sont ceux qui considèrent l'Union comme une sorte d'entreprise de réparation permettant de maintenir en vie des entreprises ou des branches démodées tout entières qui ne sont plus compétitives et permettant également de compenser les dégâts.

Cette situation doit changer.

L'Union doit devenir une agence pour l'encouragement de l'innovation, le renforcement de la compétitivité globale et pour la création de l'emploi.

Vous n'avez eu de cesse de proclamer, lors de chaque Conseil européen, depuis celui de décembre 1993 à Bruxelles jusqu'à celui de décembre 1995 à Madrid, la lutte contre le chômage dans l'Union comme priorité suprême.

Vous avez également souligné l'importance majeure que revêtent les initiatives communes pour la modernisation des structures économiques européennes.

Lorsqu'actuellement, pour la révision des perspectives financières, la Commission présente des propositions de financmeent de mise en route des projets dans le cadre des réseaux transeuropéens, donnez-lui le feu vert.

Mais si vous êtes parvenus à la conviction que les réseaux transeuropéens ne représentent pas un instrument approprié pour le renforcement de la compétitivité de l'économie européenne - en ce cas, abandonnez-les.

Mais ne laissez pas les Conseils européens devenir des sommets aux simples effets d'annonce.

II.

La réforme institutionnelle de l'Union est profondément indifférente aux citoyennes et citoyens.

Ils réclament une meilleure politique, de l'emploi, de la protection de l'environnement, de la sécurité interne et externe - mais nous devons savoir que sans réformes institutionnelles, il ne peut y avoir de politique meilleure.

L'Union a ouvert aux États d'Europe centrale et orientale, ainsi qu'à Chypre et à Malte, la perspective de l'adhésion et a annoncé que les négociations d'adhésion commenceraient six mois après la conclusion de la présente Conférence intergouvernementale.

Avec la structure actuelle des procédures de décision, l'Union n'est pas capable de s'élargir. La Conférence intergouvernementale doit donner à l'Union cette capacité d'élargissement, autrement dit, elle doit assurer et renforcer à l'intérieur et à l'extérieur sa capacité d'action.

Capacité d'action accrue signifie:

- Nous avons besoin d'une Commission "amaigrie", en ce qui concerne le nombre des commissaires, mais pas d'une Commission "amoindrie" en ce qui concerne ses compétences.

Les petits États membres ont besoin de ceci, car:

  • Nous avons besoin, dans ce contexte, d'une nouvelle et juste pondération des voix au Conseil, combinée avec une nouvelle définition de la majorité, qui empêche la constitution de groupes consolidés - grands contre petits, pauvres contre riches, Sud contre Nord, etc.,
  • Nous avons besoin d'une procédure de décision en vertu de laquelle le Conseil pourra désormais statuer à la majorité sur l'ensemble de la législation "normale" de l'Union.

Demander que le Parlement européen obtienne, dans tous les domaines où le Conseil des ministres peut statuer à la majorité, un droit de codécision paritaire et identique ne mettra pas en péril la capacité d'action de l'Union.

C'est ce que nous enseigne l'expérience de la procédure de codécision en vertu du traité de Maastricht.

D'après cette procédure, nous avons conclu 52 actes juridiques, dont 19 seulement ont nécessité la procédure de conciliation, et toutes les procédures ont été achevées par le Parlement dans les délais prévus.

Le Parlement européen est saisi actuellement en première lecture de 26 projets. En revanche, 58 projets attendent d'être conclus par le Conseil en première lecture.

En tout et pour tout, ce sont 262 propositions sur lesquelles doit statuer non pas le Parlement, mais le Conseil.

* * *

Au sein de l'Union européenne, la composante communautaire et la composante intergouvernementale continueront à coexister et devront être intimement associées l'une à l'autre.

Les citoyennes et citoyens de l'Union ne cherchent à vrai dire guère à savoir si la lutte contre la criminalité économique internationalisée, le trafic de drogue, le terrorisme, etc, s'effectue dans le cadre de la procédure communautaire ou de la coopération intergouvernementale, mais ils veulent, à juste titre, que ce combat soit mené et gagné en commun. Ils veulent avec raison une politique étrangère et de sécurité commune qui corresponde au poids économique de l'Union.

Toutefois, coopération intergouvernementale et efficacité ne sont pas synonymes.

Cela n'apparaît jamais plus évident que dans le troisième pilier du traité de Maastricht.

Pas une seule des cinq conventions qui ont été arrêtées jusqu'alors au niveau intergouvernemental n'est à ce jour ratifiée et n'est entrée en vigueur.

Dans certains domaines tels que la politique étrangère et de sécurité commune, mais également en matière de politique intérieure et de justice, la coopération des gouvernements peut permettre la souplesse nécessaire.

Si certains États membres, qui sont disposés à le faire et en mesure de le faire, peuvent aller de l'avant tout en restant ouverts à tous ceux qui veulent les rejoindre, l'Union tout entière peut progresser - à condition toutefois que cette avant-garde ne devienne pas un directoire et que la coopération intergouvernementale ne mine pas les procédures communautaires existantes.

* * *

N'attendez-pas de moi un exposé sur les demandes qu'adresse le Parlement européen à la Conférence intergouvernementale.

Nous soutenons et complétons ce qu'a proposé la majorité du groupe de réflexion.

Au nom du Parlement européen, je remercie bien vivement la présidence italienne d'avoir trouvé une formule qui permette d'associer le Parlement à la Conférence intergouvernementale sans porter atteinte au principe selon lequel il s'agit d'une Conférence des gouvernements.

Ceci nous donne, bien plus que lors des négociations sur le Traité de Maaastricht, la possibilité d'appliquer aux débats notre expérience et de faire valoir nos points de vue forgés à la suite des innombrables contacts que nous avons eus avec les citoyennes et citoyens de l'Union.

De la sorte, nous pourrons renforcer également le dialogue sur la Conférence intergouvernementale avec les parlements nationaux ainsi qu'avec les ressortissants de l'Union avant de vous en soumettre le résultat en vue d'une décision.

La Conférence intergouvernementale qui s'ouvre aujourd'hui à Turin doit, tout comme la conférence de Messine il y a 40 ans, se concentrer sur le nécessaire, faire preuve de la même hardiesse de vues politiques et déployer la même volonté politique.

Le Parlement européen apportera sa contribution à cette entreprise.

Le Parlement européen est aux côtés de tous ceux qui oeuvrent pour faire de l'Union une conjonction d'États au sein de laquelle les peuples d'Europe partagent non seulement leurs craintes, mais à nouveau leurs espérances.


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