RAPPORT sur le rôle des femmes en Turquie dans la vie sociale, économique et politique
10.6.2005 - (2004/2215(INI))
Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres
Rapporteur: Emine Bozkurt
PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPÉEN
sur le rôle des femmes en Turquie dans la vie sociale, économique et politique
Le Parlement européen,
– vu le rapport régulier de 2004 et la recommandation de la Commission européenne concernant les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion (COM(2004)0656)[1] et sa résolution[2] du 15 décembre 2004 sur ce rapport,
– vu la décision du Conseil européen du 17 décembre 2004 d'ouvrir les négociations avec la Turquie concernant l'adhésion à l'Union européenne,
– vu l'acquis communautaire dans le domaine des droits des femmes et de l'égalité des genres,
– vu l'article 45 de son règlement,
– vu le rapport de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres (A6‑0175/2005),
A. considérant que la Turquie est prête pour ouvrir les négociations concernant son adhésion à l'Union européenne dès le 3 octobre 2005,
B. considérant que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW)[3] fait partie du droit international et a la primauté sur le droit national turc, tel que reconnu par l'article 90 de la constitution turque; que la Turquie est partie à la CEDAW depuis 1985 et au protocole facultatif à celle-ci depuis 2002,
C. considérant que l'adoption de l'acquis communautaire est obligatoire pour les candidats qui souhaitent adhérer à l'Union européenne,
D. considérant que les droits des femmes et l'égalité des genres font partie de l'acquis communautaire,
E. considérant que les récentes réformes législatives en Turquie dans le domaine des droits de la femme ont permis de progresser dans la mise en œuvre de l'acquis, mais que la mise en œuvre concrète de ces réformes et changements et l'obtention de résultats tangibles n'en demeurent pas moins très problématiques,
F. considérant que les progrès réalisés dans le domaine de la législation doivent maintenant être mis en œuvre et que le nouveau code pénal n'est pas encore entré en vigueur, mais qu'il devrait l'être le 1er juin 2005,
G. considérant que le rapport régulier de la Commission européenne sur les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion[4] relève, en ce qui concerne la situation de la femme, plusieurs sujets préoccupants, notamment la violence contre les femmes, en particulier la violence domestique et les crimes d'honneur et de tradition, le taux élevé d'analphabétisme, le peu de femmes au parlement et dans les organes de représentation locaux, le faible taux de participation des femmes au marché du travail et la discrimination qui prévaut sur celui-ci,
H. considérant que le sous-développement économique et social dans certaines zones urbaines et rurales en général et dans certaines régions défavorisées de Turquie, ainsi que l'immigration et les problèmes qui en découlent, tels que la pauvreté et les inégalités dans les quartiers défavorisés, aggravent les problèmes des femmes dans ces régions et affaiblissent leur position, qui est aussi fragilisée par des structures sociales patriarcales dominantes;
I. considérant qu'il a été fait état de centaines de cas de torture auprès d'instances gouvernementales turques ainsi que d'organisations de défense des droits de l'homme, aussi bien durant l'année 2003 que durant l'année 2004, et que la plupart des 2000 demandes d'asile présentées par des citoyens turcs (dont de nombreuses femmes) ont été agréées par des États membres de l'UE en 2003,
J. considérant que, faute de stratégie intégrée axée sur la couverture des besoins économiques, sociaux et culturels des femmes kurdes, celles-ci subissent une aggravation chronique de leurs problèmes (analphabétisme, santé précaire, pauvreté, exclusion, etc.),
K. considérant qu'une situation de discrimination négative des femmes peut parfois être résolue au mieux par des mesures temporaires de discrimination positive, comme le recommande, entre autres, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et qu'il est indispensable de disposer de modèles des rôles que les femmes peuvent jouer en occupant des postes de pouvoir et de prise de décisions, y compris au niveau le plus élevé,
L. considérant que le gouvernement turc n'a pas encore conclu de négociation avec la Commission concernant sa participation au programme Daphné II visant à combattre la violence envers les femmes, et qu'il ne semble pas disposé à verser sa propre contribution financière,
M. considérant qu'il ressort d'estimations de l'UNICEF que, chaque année entre 600.000 et 800.000 filles ayant atteint l'âge de la scolarité obligatoire ne vont pas à l'école, soit parce qu'elles en sont empêchées par leur famille, soit du fait de l'absence d'infrastructures qui permettraient aux enfants de fréquenter les écoles de campagne,
N. considérant que, dans l'ensemble, il est constaté une énorme pénurie de données précises sur la situation des femmes en Turquie en ce qui concerne la violence envers les femmes, et que les données disponibles ne couvrent pas encore toutes les problématiques sur les droits des femmes,
O. considérant que l'on assiste à une diminution croissante de la participation des femmes au marché du travail turc,
P. considérant que la participation des femmes dans les organes de prise de décisions en Turquie est extrêmement faible, les femmes ne constituant que 4,4% du parlement et seulement 1% des représentants des assemblées locales, et avec une faible proportion de femmes dans les centres économiques et politiques de prise de décision;
Q. considérant que l'indépendance économique des femmes est cruciale pour leur capacité à faire valoir leurs droits,
R. considérant que les 14 refuges pour les femmes victimes de violences existant en Turquie ne couvrent pas les besoins d'une population de près de 70 millions d'habitants et que même les modestes possibilités données par la loi en vigueur, à savoir un refuge pour chaque municipalité de plus de 50.000 habitants, ne sont pas assez exploitées,
S. considérant que le 6 mars 2005, la police a violemment réprimé une manifestation à Istanbul dans le cadre de la journée internationale de la femme,
1. souligne que le respect des droits de l'homme, y compris les droits des femmes, est une condition sine qua non pour l'adhésion à l'Union européenne et demande à la Commission européenne d'inscrire la question des droits de l'homme y compris les droits de la femme à une place primordiale dans l'ordre du jour des négociations avec la Turquie;
2. souligne que le gouvernement turc devrait tenir soigneusement ou établir le cas échéant, un registre national légal des mariages et des naissances afin de garantir à tout homme et toute femme un plein droit à la citoyenneté et la possibilité de jouir pleinement des droits fondamentaux qui leur appartiennent, tels que l'accès à l'éducation et aux soins médicaux;
3. salue les réformes législatives entreprises récemment par le gouvernement et le parlement turcs notamment au niveau de la constitution, du code civil, du code pénal et du code du travail, en ce qui concerne la situation des femmes, mais est préoccupé par l'insuffisance de progrès réalisés dans le domaine de l'application et de la mise en œuvre de la législation dans le domaine des droits de la femme et réclame dès lors l'adoption de mesures, de programmes et de projets concrets axés sur la mise en œuvre et le contrôle permanent de l'application de la législation, notamment en procédant régulièrement à des études d'incidence sur le plan de l'égalité entre femmes et hommes;
4. salue le gouvernement turc pour les récents changements juridiques qui rendent les crimes d'honneur passibles d'emprisonnement à vie et permettent de punir les complices de crime d'honneur; salue et approuve la reconnaissance du viol conjugal comme un crime, demande aux gouvernements des États membres de l'Union européen de suivre cet exemple;
5. souligne la nécessité d'une mise en œuvre pleine et effective de la nouvelle législation et demande au gouvernement turc de doter la direction générale sur le statut des femmes d'un mandat clair et de ressources financières et en personnel suffisantes;
6. invite le gouvernement turc à procéder aux réformes indispensables ainsi qu'à leur application correcte au chapitre de la protection et de la dignité des minorités dans le pays, notamment des communautés kurdes dans le sud-est de la Turquie, où la situation demeure préoccupante sous l'angle des droits de la femme (analphabétisme, exclusion sociale et professionnelle, pauvreté, etc.); et invite le gouvernement turc à coopérer avec les maires dans ces régions en vue d'élaborer et de promouvoir des programmes ciblés en matière d'égalité des chances et en faveur des droits des femmes;
7. souligne que le gouvernement, avec l'aide de la direction générale et en collaboration avec les ONG de femmes, doit prévoir une approche globale assortie d'objectifs qualitatifs et quantitatifs pour garantir les droits des femmes qui respecte et reconnaisse pleinement les droits fondamentaux des femmes en tant que droits individuels, indépendamment de leurs rôles traditionnels en tant qu'épouses et mères dans un engagement politique total et souligne que le gouvernement doit mettre en œuvre une approche intégrée de l'égalité entre femmes et hommes, conformément à l'article 10 de la Constitution, doit créer, au niveau national et local, un budget ventilé par genre et lancer et développer régulièrement des projets concernant les droits des femmes;
8. reconnaît le rôle positif joué par la société civile dans la réalisation des récentes réformes législatives et reconnaît que pour la réalisation des changements démocratiques, l'information et la mobilisation de toute la classe politique, de la société civile, des communautés religieuses et des médias sont nécessaires;
9. demande à la Commission européenne et au gouvernement turc de reconnaître le rôle des organisations pour les droits des femmes comme partenaires du gouvernement, de les soutenir et de leur fournir des fonds suffisants pour assurer leur indépendance conformément aux pratiques de l'Union européenne;
10. demande au gouvernement turc de poursuivre un dialogue significatif avec la société civile, de coopérer dans la mesure du possible et de consolider cette coopération par des structures et des institutions officielles stables et d'associer les ONG au processus de négociation concernant l'adhésion à l'UE;
11. souligne l'importance d'une coopération structurée entre les partenaires sociaux et entre les ONG turques et les ONG de l'Union européenne, par exemple par des programmes d'échange et le "jumelage" de telles organisations;
12. affirme que des fonds suffisants pour les ONG en Turquie, dans le cadre de l'Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l'homme, doivent être prévus dans les perspectives financières pour 2007-2013;
13. demande à la Commission européenne, à la lumière du troisième pilier de sa stratégie d'adhésion, et en coopération avec le gouvernement turc, de lancer et supporter des débats au sein de la société turque sur les droits des femmes, en organisant des débats, notamment sur la violence, l'analphabétisme, le droit à l'éducation, et particulièrement dans les zones rurales et défavorisées;
14. condamne l'utilisation excessive de la force par des membres des forces de police durant les manifestations et salue l'engagement du gouvernement à faire respecter la circulaire du ministère de l'intérieur du 17 août 2004 sur la prévention et les sanctions en cas d'éventuelle utilisation disproportionnée de la force par les forces de sécurité; engage le gouvernement à mener des actions de sensibilisation sur les droits des femmes et à fournir la formation réclamée au paragraphe 15 de la présente résolution;
15. estime que la protection des droits des femmes est encore insuffisante dans la pratique, en particulier en ce qui concerne la violence envers les femmes et prie le gouvernement de se concentrer davantage sur la mise en œuvre de la législation, notamment par la création à bref délai de refuges, en soutenant les initiatives de la société civile et en prévoyant dans les budgets nationaux et municipaux des crédits suffisants pour financer les refuges publics et ceux créés par les ONG, ainsi qu'une formation obligatoire prenant en considération les aspects liés à l'égalité entre femmes et hommes et à la violence pour les fonctionnaires, le personnel de la police, de la justice, du milieu médical et de l'enseignement;
16. demande au gouvernement turc de modifier la loi sur les municipalités n° 5215 relative aux refuges afin de rendre obligatoire l'établissement de refuges multiples dans toutes les municipalités de plus de 50.000 habitants et d'aider et de soutenir les ONG en fournissant de tels refuges et des installations similaires;
17. reconnaît que le Turquie a déjà commencé à mettre en œuvre la législation et se félicite des projets individuels qui ont déjà été mis en place; reconnaît par ailleurs le rôle positif que la Commission européenne a joué concernant ces projets;
18. demande au gouvernement turc de veiller à la création de nouvelles garderies afin de faciliter l'insertion professionnelle des femmes;
19. salue comme une première étape l'annonce du gouvernement de l'ouverture de 5 nouveaux refuges avant la fin de l'année 2005;
20. demande au gouvernement turc d'envisager sérieusement une participation au programme Daphné II visant à combattre la violence envers les femmes;
21. condamne les situations de polygamie, de mariage forcé, les crimes de tradition, les crimes d'honneur et la violence contre les femmes en général, y compris le harcèlement sexuel au travail et demande au gouvernement turc dans son ensemble et aux membres des cabinets, individuellement, de faire de même, de chercher des moyens d'empêcher ces crimes, d'y mettre un terme, de punir avec une égale sévérité les crimes de tradition et les crimes d'honneur et d'organiser et de participer à des campagnes de sensibilisation sur ces questions et de soutenir financièrement les campagnes des ONG dans ce domaine;
22. prie instamment le gouvernement de prendre des mesures visant à garantir la sécurité des victimes d'actes de violence et des témoins durant les procédures judiciaires en cas de violence contre les femmes;
23. se félicite de la criminalisation des tests de virginité et des examens gynécologiques forcés; constate qu'une dérogation est prévue dans les cas où une ordonnance a été rendue par une juridiction, mais souligne que, même dans un tel cas, le consentement des femmes devrait être indispensable;
24. demande au gouvernement d'apporter aux femmes qui ont été, ou qui risquent d'être victimes de violence, les soins de santé et l'assistance et la sécurité juridiques appropriés en les rendant facilement accessibles, et d'établir des lignes d'assistance téléphoniques à leur intention pour signaler les actes de la violence et demander de l'aide;
25. prend note des récents changements juridiques en Turquie qui rendent les crimes d'honneur passibles d'emprisonnement à vie et permettent de punir les complices de crime d'honneur; salue la reconnaissance du viol conjugal comme un crime et demande au gouvernement turc de veiller à ce que les sanctions pénales prévues soient effectivement appliquées; demande aux Etats membres de l'Union européenne de lutter contre les crimes d'honneur sur leurs territoires;
26. demande à la Commission européenne de soutenir la réalisation d'études de prévalence indépendantes et exhaustives permettant entre autres, de fournir des données fiables, en particulier en ce qui concerne le taux d'analphabétisme chez les femmes, les problèmes concernant la participation des femmes au marché de l'emploi et la violence contre les femmes, notamment la violence domestique et les crimes d'honneur, de façon à aider les autorités responsables à prendre les mesures qui s'imposent;
27. prie la Turquie, en tant que partie à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et à son protocole facultatif, de ratifier le protocole additionnel n°12 à la convention européenne sur les droits de l'homme[5] qui traite de la prévention des discriminations;
28. suggère l'adoption d'un système de quota obligatoire combiné à une position d'alternance sur les listes électorales comme la meilleure manière possible d'améliorer la participation des femmes à la politique turque à court terme, propose que les lois turques pertinentes soient modifiées en conséquence;
29. encourage les partis politiques turcs à étendre le rôle de femmes dans la hiérarchie des partis au-delà des sections féminines, pour leur confier des rôles clés dans la structure organisationnelle des partis et à mener des actions de sensibilisation sur l'importance de la participation des femmes à la politique et à trouver, former et soutenir des candidates aux fonctions politiques; estime que cette politique peut être renforcée en coopération avec d'autres partis politiques européens contribuant à un échange mutuel et effectif d'expériences et de points de vue;
30. accueille favorablement la proposition d'établir une commission des droits des femmes et de l'égalité des genres au parlement turc, dotée des pleins pouvoirs législatifs; demande instamment que la législation nécessaire soit adoptée dès que possible et invite cette commission à être en contact régulier avec la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen;
31. invite le parlement turc à garantir également la présence de femmes députées parmi la délégation à la commission parlementaire mixte UE-Turquie;
32. réaffirme sa demande aux autorités turques de redoubler d'efforts pour garantir le droit des femmes à l'éducation et pour que celles dont le libre accès à l'éducation est entravé par des difficultés provenant de leur famille ou de leur environnement social ou culturel soient informées de leurs droits, et suggère au gouvernement turc de garantir le droit à l'éducation aux niveaux primaire et secondaire, de renforcer les mesures d'aide financière aux parents, notamment dans les zones rurales ou défavorisées, de manière à les inciter à scolariser leurs enfants et spécialement les filles; considérant le taux élevé d'analphabétisme chez les femmes;
33. demande au gouvernement turc de prendre les mesures nécessaires, en particulier dans les régions rurales ou défavorisées, pour combattre l'analphabétisme notamment par l'organisation de campagnes d'information et de sensibilisation sur l'importance de l'éducation et son apport possible à l'économie et à la société, avec une attention particulière quant à l'éducation des filles;
34. considère que la promotion d'un système éducatif sensible au genre et la participation obligatoire des filles dont les familles vivent essentiellement dans des régions décentralisées permettront d'améliorer le niveau social tout en amorçant une sensibilisation de la société aux questions d'égalité entre les sexes; encourage dès lors le processus qui vise à rendre l'éducation plus sensible au genre, par exemple en renouvelant les matières d'enseignement conformément à l'article 5 du CEDAW et demande au gouvernement de veiller à ce que l'on enseigne aux filles et aux garçons les droits des femmes et l'égalité des genres
35. demande à la Commission et au gouvernement turc de lancer des campagnes de communication (télévision et radio) sur l'importance dévolue au respect des droits des femmes et à ses incidences positives sur les plans social et professionnel;
36. souligne que la Turquie doit se conformer pleinement à l'acquis communautaire dans le domaine de l'égalité de rémunération, de l'égalité des chances, de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans la vie professionnelle et sur le marché du travail et doit améliorer l'accès des femmes au marché du travail et à la formation tout au long de la vie comme mesures de lutte contre les discriminations en permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale;
37. invite le gouvernement turc à exposer la situation des droits des femmes travaillant dans des entreprises familiales ou des exploitations agricoles et de celles travaillant clandestinement;
38. invite le gouvernement turc à promouvoir des échanges scolaires, associatifs ou autres entre jeunes européens et jeunes turcs des deux sexes;
39. demande à la Commission européenne et au gouvernement turc de continuer de mettre sur pied et de soutenir des projets d'emploi pour les femmes, y compris des projets établis par les ONG et demande au gouvernement turc de mettre en œuvre les plans d'action nationaux pour l'emploi concernant les femmes et l'emploi, comme c'est le cas actuellement dans les États membres de l'Union européenne;
40. demande aux organisations syndicales et aux autres partenaires sociaux de l'Union européenne et de la Turquie de coopérer pour renforcer la proportion des femmes sur le marché du travail en Turquie ainsi que dans des fonctions exécutives dans différents secteurs du marché du travail;
41. souligne son intention de surveiller étroitement la situation des femmes en Turquie, de faire rapport chaque année sur le sujet par l'intermédiaire de sa commission des droits de la femme et de l'égalité des genres et charge la Commission européenne de faire de même;
42. invite la Commission, dans le cadre de la présentation de son premier rapport au Conseil, en décembre 2005, sur le rythme des réformes, lequel déterminera le progrès des négociations, à recenser de façon globale et systématique les progrès accomplis à cette date sur la voie du changement et de la mise en œuvre de la législation en faveur des droits des femmes;
43. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission ainsi qu'au secrétaire général du Conseil de l'Europe et au gouvernement et au parlement turcs.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Aux fins de l'élaboration du présent projet de rapport, le rapporteur a été en contact régulier et a eu des discussions approfondies avec toute une série de parties intéressées en Turquie et dans l'Union européenne, tant dans le domaine public que privé. Ces travaux ont consisté en :
- un échange de vues entre l'ambassadeur Demiralp, représentant permanent de la Turquie auprès de l'Union européenne, et les membres de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen le 25 novembre 2004,
- une visite avec des membres de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres d'une exposition intitulée "Femmes en Turquie - Mères, sultanes et déesses" au BOZAR le 6 janvier 2005,
- un échange de vues avec l'équipe de la Commission européenne chargée de l'élargissement à la Turquie le 27 janvier 2005,
- une visite de la délégation de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres en Turquie, comprenant des discussions avec le parlement turc, le premier ministre, le ministre de la condition féminine, le ministre de la justice et les représentants syndicaux, des visites d'universités et de projets locaux ainsi que des échanges de vue avec plusieurs organisations des droits de la femme; la visite s'est déroulée du 31 janvier au 2 février 2005;
- une audition publique sur la question des droits des femmes en Turquie au Parlement européen le 16 mars 2005;
- un échange de vues entre le ministre turc de la condition féminine, Güldal Aksit, et le commissaire européen chargé de l'emploi, des affaires sociales et de l'égalité des chances, Valdimir Spidla le 16 mars 2005.
Votre rapporteur regrette que le règlement du Parlement européen n'ait pas permis à la délégation en Turquie de visiter également les zones rurales, mais espère que les rencontres avec leurs représentants auront contribué à brosser un tableau complet de la situation dans toute la Turquie. Votre rapporteur recommande qu'à l'avenir une permission spéciale soit accordée pour prolonger un voyage de délégation au-delà des trois jours officiellement prévus.
Société civile
Les relations entre les ONG et le gouvernement turc n'ont pas toujours été très faciles. C'est la raison pour laquelle le présent rapport souligne l'importance d'une attitude ouverte de coopération entre la société civile et le gouvernement. Cela consiste notamment à permettre aux ONG et aux autres organisations de manifester. Comme le recours à la force excessif durant une manifestation à Istanbul le 6 mars 2005 a suscité un tollé général, votre rapporteur a jugé opportun d'inclure dans le présent exposé des motifs un bref aperçu de l'incident, sur la base des premières conclusions de la délégation de la Commission européenne en Turquie. C'est sur la base de ces conclusions que le rapport condamne l'usage excessif de la force, mais salue aussi l'engagement du gouvernement à punir les auteurs et à faire en sorte que cela ne se reproduise plus.
Le dimanche 6 mars, la police turque à Istanbul a violemment dispersé une manifestation qui était organisée dans le cadre de la journée internationale de la femme. A cette occasion, il y a eu plusieurs manifestations liées à la journée internationale de la femme. Celle qui a été contrainte de se disperser était interdite sur le site où elle se déroulait et était constituée d'hommes et de femmes, pas uniquement de femmes. Toutes les autres manifestations se sont déroulées sans incident. Déjà en 2004, le ministre turc de l'intérieur a émis un mémorandum qui affirmait clairement que l'usage disproportionné de la force par la police était strictement interdit et devait être puni. A la suite des événements et de la réaction du public européen et des institutions européennes, les autorités turques ont diligenté une enquête et ont relevé six policiers de leurs fonctions dans l'attente des conclusions de l'enquête.
Violence contre les femmes
Bien qu'il existe très peu de données précises, fiables et indépendantes sur la violence envers les femmes en Turquie, votre rapporteur tient à vous faire partager les informations issues de la recherche en cours, qui contribue à illustrer l'ampleur du problème, mais ne prétend nullement fournir une image exhaustive de la situation. En raison de l'absence de données, ce rapport demande à la Commission européenne d'entreprendre et de soutenir des études de prévalence indépendantes.
Voici ce qui ressort des recherches en cours[6]:
Entre 1990 et 1996, sur 1259 femmes interrogées, 82,2% ont répondu qu'elles vivaient dans un environnement violent et 68% ont déclaré avoir été battues.
Selon les hommes, en 1995, 34% des femmes mariées ont subi des actes de violence de la part de leurs conjoints.
Presque toutes les femmes vivant dans les quartiers pauvres d'Ankara, ont subi, en 1995, des violences domestiques.
En 1998, 58% des femmes dans l'est et le sud-est de l'Anatolie ont subi des violences sexuelles.
En 1998, 23% des femmes à revenus moyens ou élevés ont subi des violences sexuelles ou ont été battues par leurs maris.
86,1% des victimes des violences domestiques sont des femmes.
39,2% des femmes considèrent qu'un mari a le droit de battre sa femme; 63% des jeunes femmes âgées entre 15 et 19 ans considèrent que les coups peuvent être justifiés.
Participation des femmes à la politique
La participation des femmes à la vie politique en Turquie reste dramatiquement faible. Les ONG et les femmes politiques réclament l'introduction du système des quotas. Il y a un débat juridique sur la question de savoir si l'article 10 de la nouvelle constitution turque, qui oblige le gouvernement à assurer l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, permet de prendre des mesures de discrimination positive. Selon votre rapporteur, soit cet article devrait être interprété comme n'interdisant pas l'adoption de mesures qui cherchent à inverser l'inégalité existante, telles que les systèmes de quota pour les élections, soit l'article devrait être modifié pour permettre explicitement de telles mesures. Dans un cas comme dans l'autre, ce rapport souligne que les chiffres dramatiquement bas de la participation des femmes à la politique turque justifient de telles mesures.
Éducation
Plus d'un demi-million de filles ne vont pas à l'école chaque année bien qu'en Turquie, la scolarité soit obligatoire pendant au moins 8 ans. Cela s'explique par plusieurs raisons. Les familles ne tiennent pas spécialement à ce que les filles reçoivent une éducation. En particulier dans le sud-est, le nombre de filles qui ne vont pas à l'école est excessivement élevé. Les conflits régionaux ont déstabilisé la société dans cette région. De nombreuses familles ont peur d'envoyer leurs enfants à l'école en raison de l'insécurité dans les transports. Le gouvernement a établi un programme avec l'UNICEF qui assure un transport sûr. On estime à 700.000 le nombre d'enfants transportés dans ces conditions. Cela fait partie du plan qui vise à amener 100% des enfants à l'école d'ici 2010. Cela comprend aussi une rémunération pour les familles les plus pauvres qui inscrivent leurs enfants à l'école, en donnant plus pour les filles que pour les garçons. L'éducation est cruciale pour abaisser le taux d'illettrisme en Turquie (actuellement 25% des femmes), qui lui est crucial pour permettre aux femmes de participer au marché du travail et à la vie politique.
Participation des femmes au marché du travail
Selon les études menées par la fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, seuls 27% des femmes en Turquie participent actuellement au marché du travail, alors qu'en 1998, elles représentaient encore 35%. La législation et la disponibilité d'infrastructures de garde d'enfants se sont améliorées et la Commission européenne développe plusieurs projets qui visent à augmenter le nombre des femmes qui sont salariées, comme les programmes de formation professionnelle et les programmes d'aide aux femmes chefs d'entreprise. Le fait que le nombre de femmes dans la main-d'œuvre chute encore est donc préoccupant et surprenant étant donné que dans certains domaines, les femmes se débrouillent très bien, quelque 30% de juristes, professeurs et des docteurs étant des femmes. Cela s'explique en partie par la migration des zones rurales vers les zones urbaines et la participation relativement élevée des femmes dans le secteur dit informel, mais votre rapporteur croit que cela est également dû à la perception négative du public des femmes dans la main-d'œuvre. Les syndicats pourraient jouer un rôle important en organisant les femmes qui sont déjà salariées et celles qui cherchent un emploi, pour faciliter la participation des femmes au marché du travail. Dans ce contexte, ce rapport demande également la coopération entre les syndicats de l'Union européenne et ceux de Turquie.
Engagement du gouvernement turc
Une fois que le gouvernement turc reconnaît qu'il faut traiter un problème spécifique, les choses commencent à bouger rapidement. Le présent rapport doit être considéré comme un appel lancé au gouvernement turc pour qu'il reconnaisse que les femmes en Turquie rencontrent de graves problèmes dans leur vie de tous les jours, en famille, en société, au travail et en politique. Beaucoup a été fait sur papier, il reste maintenant à tout mettre en pratique. La mise en œuvre de la législation actuelle et la protection efficace des droits des femmes par les autorités turques, ainsi que le respect des ONG et leur soutien matériel sont une nécessité si la Turquie veut devenir membre de l'Union européenne. La balle est à présent dans le camp du gouvernement, et c'est à l'ancien joueur de football devenu premier ministre, M. Erdogan, d'agir.
PROCÉDURE (1)
Titre |
Rôle des femmes en Turquie dans la vie sociale, économique et politique | ||||||||||||
Numéro de procédure |
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Base réglementaire |
art. 45 | ||||||||||||
Commission compétente au fond |
FEMM18.11.2004 | ||||||||||||
Commission(s) saisie(s) pour avis |
AFET18.11.2004 |
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Avis non émis |
AFET28.4.2005 |
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Coopération renforcée |
0.0.0000 |
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Proposition(s) de résolution incluse(s) dans le rapport |
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Rapporteur(s) |
Emine Bozkurt14.10.2005 |
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Rapporteur(s) remplacé(s) |
Emine Bozkurt |
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Examen en commission |
20.4.20050.0.0000 |
26.5.2005 |
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Date de l'adoption |
26.5.2005 | ||||||||||||
Résultat du vote final |
pour: contre: abstentions: |
27 0 4 | |||||||||||
Membres présents au moment du vote final |
Emine Bozkurt, Hiltrud Breyer, Maria Carlshamre, Věra Flasarová, Lissy Gröner, Zita Gurmai, Anneli Jäätteenmäki, Rodi Kratsa-Tsagaropoulou, Pia Elda Locatelli, Angelika Niebler, Siiri Oviir, Doris Pack, Marie Panayotopoulos-Cassiotou, Christa Prets, Marie-Line Reynaud, Amalia Sartori, Eva-Britt Svensson, Britta Thomsen, Anna Záborská | ||||||||||||
Suppléants présents au moment du vote final |
Véronique De Keyser, Mary Honeyball, Karin Jöns, Christa Klaß, Zuzana Roithová, Feleknas Uca | ||||||||||||
Suppléants (art. 178, par. 2) présents au moment du vote final |
Alejandro Cercas, Alexandra Dobolyi, Ioannis Gklavakis, Manolis Mavrommatis, Zita Pleštinská, José Javier Pomés Ruiz, Andreas Schwab | ||||||||||||
Date du dépôt – A[6] |
10.6.2005 |
A6‑0175/2005 | |||||||||||