RAPPORT sur la demande de levée de l'immunité de Massimo D'Alema

6.11.2008 - (2008/2298(IMM))

Commission des affaires juridiques
Rapporteur: Klaus-Heiner Lehne

Procédure : 2008/2298(IMM)
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A6-0422/2008
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A6-0422/2008
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PROPOSITION DE DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN

sur la demande de levée de l'immunité de Massimo D'Alema

(2008/2298(IMM))

Le Parlement européen,

–   vu la demande de levée de l'immunité de Massimo D'Alema, transmise par le Procureur italien de la République près le tribunal de Milan, en date du 16 mai 2008, et communiquée en séance plénière le 6 juin 2008,

–   vu l'article 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, du 8 avril 1965, ainsi que l'article 6, paragraphe 2, de l'Acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976,

–   vu les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 mai 1964 et du 10 juillet 1986[1],

–   vu l'article 6 et l'article 7 de son règlement,

–   vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A6‑0422/2008),

1.  décide de ne pas autoriser l'utilisation des écoutes téléphoniques en question et de ne pas lever l'immunité de Massimo D'Alema;

2.  charge son Président de transmettre immédiatement la présente décision et le rapport de sa commission compétente aux autorités italiennes compétentes.

  • [1]  Affaire 101/63, Wagner/Fohrmann et Krier, Recueil 1964, p. 383, et affaire 149/85, Wybot/Faure et autres, Recueil 1986, p. 2391.

EXPOSÉ DES MOTIFS

I. FAITS

Par sa lettre du 28 mai 2008 adressée au Président du Parlement européen, Hans‑Gert Pöttering, le parquet du tribunal de Milan deamndait l'autorisation d'utiliser, dans le cadre d'une procédure pénale, des écoutes téléphoniques "indirectes" entre une personne faisant l'objet d'une enquête et l'ex-député européen Massimo D'Alema.

En l'espèce, il s'agit de la procédure pénale 19195/2005 relative à la tentative de prise de contrôle de la Banca Nazionale del Lavoro, dans le cadre de laquelle un groupe de personnes soupçonnées d'avoir contrevenu à la loi italienne – laquelle sanctionne les délits de manipulation du marché et de délit d'initiés sur la base des articles 184 et 185 du décret législatif n° 58 de 1998 (texte unique sur la finance) – font l'objet d'une enquête et de poursuites.

Dans le cadre des enquêtes préliminaires, des conversations téléphoniques ont été interceptées conformément au Code italien de procédure pénale.

Quelques unes de ces conversations comportent des échanges entre les personnes inquiétées et certains députés italiens, parmi lesquels M. D'Alema, à l'époque député au Parlement européen. Il s'agit donc d'écoutes indirectes de conversations entre des parlementaires et des interlocuteurs réalisées dans le respect de la loi.

L'Article 4 de la loi 140/2003 prévoit que les écoutes directes concernant un parlementaire national sont soumises à autorisation préalable du Parlement italien.

S'agissant des écoutes indirectes, selon l'article 6, paragraphe 3, de la loi 140/2003, le juge d'instruction, également à la demande des parties intéressées ou du parlementaire concerné, en ordonne la destruction dès lors qu'elles ne lui paraissent pas utiles pour la procédure pénale.

Dans le cas où, à la demande d'une partie au procès, le juge estime au contraire nécessaire et utile de les utiliser, il sollicite au préalable l'autorisation de le faire à la Chambre à laquelle le député appartient ou a appartenu, conformément à l'article 6, paragraphe 2.

Le 20 juillet 2007, le juge d'instruction, Clementina Forleo, a demandé à la Chambre des députés (pour les députés D'Alema, Fassino et Cicu) et au Sénat (pour les sénateurs La Torre et Comincioli), l'autorisation d'utiliser les écoutes en question.

Au mois d'octobre 2007, la Chambre des députés s'est déclarée non compétente en ce qui concerne Massimo D'Alema, étant donné qu'à l'époque des écoutes, celui-ci était député au Parlement européen.

Sur la base de cette décision de la Chambre des députés, le parquet du tribunal de Milan s'est adressé au Parlement européen afin de solliciter de sa part l'autorisation d'utiliser les écoutes indirectes impliquant Massimo D'Alema.

II. DROIT ET OBSERVATIOSN D'ORDRE GÉNÉRAL SUR L'IMMUNITÉ DES DÉPUTÉS AU PARLEMENT EUROPÉEN

Les articles 9 et 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (PPI)[1], disposent que:

Article 9

"Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions."

Article 10

"Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient:

a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b) sur le territoire de tout autre État membre, de l'exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L'immunité les couvre également lorsqu'ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L'immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l'immunité d'un de ses membres."

2. La procédure, au sein du Parlement européen, est régie par les articles 6 et 7 du règlement. Les dispositions pertinentes sont les suivantes:

Article 6 - Levée de l'immunité:

"1. Dans l'exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu'assemblé législative démocratique et à assurer l'indépendance des députés dans l'accomplissement de leurs tâches. (…)

3. Toute demande adressée au Président par un député ou un ancien député en vue de défendre l'immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente. (…)"

Article7 - Procédures relatives à l'immunité:

"1. La commission compétente examine sans délai et dans l'ordre dans lequel elles ont été présentées les demandes de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.

2. La commission présente une proposition de décision qui se limite à recommander l'adoption ou le rejet de la demande de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.

3. La commission peut demander à l'autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu'elle estime nécessaires pour déterminer s'il convient de lever ou de défendre l'immunité. Les députés concernés se voient offrir la possibilité de s'expliquer; ils peuvent présenter autant de documents et d'éléments d'appréciation écrits qu'ils jugent pertinents. Chacun d'eux peut être représenté par un autre député.

4. Lorsque la demande de levée de l'immunité porte sur plusieurs chefs d'accusation, chacun d'eux peut faire l'objet d'une décision distincte. Le rapport de la commission peut, exceptionnellement, proposer que la levée de l'immunité concerne exclusivement la poursuite de l'action pénale, sans qu'aucune mesure d'arrestation, de détention ou toute autre mesure empêchant les députés d'exercer les fonctions inhérentes à leur mandat puisse être adoptée contre ceux-ci, tant qu'un jugement définitif n'a pas été rendu.

(…)

6. Dans les cas de défense d'un privilège ou d'une immunité, la commission précise si les circonstances constituent une entrave d'ordre administratif ou autre à la liberté de déplacement des députés se rendant au lieu de réunion du Parlement ou en revenant, d'une part, ou à l'expression d'une opinion ou d'un vote dans l'exercice de leur mandat, d'autre part, ou encore si elles sont assimilables aux aspects de l'article 10 du protocole sur les privilèges et immunités qui ne relèvent pas du droit national, et présente une proposition invitant l'autorité concernée à tirer les conclusions qui s'imposent. (…)"

L'article 68, paragraphes 1 et 2, de la Constitution italienne, dispose:

Article 68

"Les membres du Parlement ne peuvent être appelés à répondre des opinions exprimées et des votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions.

Sans l’autorisation de la Chambre à laquelle il appartient, aucun membre du Parlement ne peut être soumis à une fouille personnelle ou à une perquisition domiciliaire, ne peut être arrêté ou autrement privé de sa liberté personnelle, ou maintenu en détention, hormis en exécution d’une condamnation irrévocable ou s’il est appréhendé au moment où il commet un délit ou un crime pour lequel est prévue l’arrestation obligatoire en cas de flagrance.

Une même autorisation est nécessaire pour soumettre les membres du Parlement à des interceptions, sous quelque forme que ce soit, de conversations ou de communications et à la saisie de correspondance."

LOI du 20 juin 2003 n. 140

(publiée au Journal officiel italien n. 142 du 21 juin 2003)

DISPOSITIONS POUR L'EXÉCUTION DE L'ARTICLE 68 DE LA CONSTITUTION EN MATIÈRE DE PROCÉDURES PÉNALES À L'ÉGARD DES HAUTS FONCTIONNAIRES DE L'ÉTAT

Art. 4.

1. Lorsque des perquisitions de la personne ou du domicile, des inspections personnelles, des écoutes, sous quelque forme que ce soit, de conversations ou de communications, la confiscation de correspondances ou l'obtention de tableaux de communications d'un député sont nécessaires, ou bien quand il est nécessaire de procéder à son arrestation, à l'exécution d'une mesure conservatoire personnelle coercitive ou interdictive, ou encore en cas de comparution forcée ou de mesures de sécurité ou préventives de nature personnelle, et dans le cas de toute autre mesure de privation de liberté personnelle, l'autorité compétente demande directement l'autorisation de la Chambre à laquelle le député concerné appartient.

2. L'autorisation est demandée à l'autorité qui a délivré la mesure devant être exécutée; dans l'attente de ladite autorisation, l'exécution de la mesure est suspendue.

3. L'autorisation n'est pas demandée si le membre du Parlement est pris en flagrant délit, auquel cas la loi prévoit l'arrestation obligatoire, ou bien s'il s'agit d'exécuter une sentence irrévocable de condamnation.

4. En cas de dissolution de la Chambre à laquelle le parlementaire appartient, la demande d'autorisation devient caduque à compter du début de la législature suivante, mais peut être renouvelée et présentée à la Chambre compétente au début de ladite nouvelle législature.

Art. 6. 

1. Outre les cas prévus à l'article 4, également à la demande des parties ou du parlementaire concerné, le juge d'instruction peut décider, à la Chambre du Conseil, une fois les parties entendues dans le respect du principe de confidentialité, conformément à l'article 269, paragraphes 2 et 3, du Code de procédure pénale, et dès lors qu'il les considère comme non pertinents aux fins du procès, de la destruction intégrale ou partielle des procèsverbaux et des enregistrements de conversations ou de communications interceptées, quelle que soit leur forme, au cours de procédures concernant des tiers, auxquelles des membres du parlement ont pris part, ou bien celle des tableaux de communications obtenus dans le cadre d'un tel procès.

2. Dès lors que, à la demande d'une partie au procès, une fois les autres parties entendues conformément à l'article 268, paragraphe 6, du Code de procédure pénale, le juge d'instruction estime nécessaire d'utiliser les écoutes ou les tableaux de communications mentionnés au paragraphe 1, il en décide par ordonnance et adresse une demande d'autorisation à cette fin, dans les dix jours suivants, à la Chambre à laquelle le membre du parlement appartient ou appartenait au moment où les conversations ou communications ont été interceptées.

3. La demande d'autorisation est transmise directement à la Chambre compétente. Dans cette demande, le juge d'instruction indique les faits pour lesquels le procès a été engagé, les dispositions légales qui ont apparemment été violées ainsi que les éléments sur lesquels se fonde cette demande. Il joint en outre à cette demande la copie intégrale des procès-verbaux, des enregistrements et des tableaux de communications.

4. En cas de dissolution de la Chambre à laquelle le parlementaire appartient, la demande d'autorisation devient caduque à compter du début de la législature suivante, mais peut être renouvelée et présentée à la Chambre compétente au début de ladite nouvelle législature.

5. En cas de refus d'autorisation, les documents relatifs aux écoutes sont immédiatement détruits dans un délai de dix jours suivant la notification du refus.

6. Tous les procès-verbaux, enregistrements et tableaux de communications obtenus en violation des dispositions du présent article seront réputés irrecevables par le juge, quels que soient l'état d'avancement et le degré de la procédure.

III.      JUSTIFICATION DE LA DÉCISION PROPOSÉE

1) Il convient en premier lieu d'évaluer la compétence du Parlement européen à la lumière de la demande du parquet de Milan.

Dans le cas d'écoutes téléphoniques indirectes concernant un député, l'article 6, paragraphe 2, de la loi italienne 140/2003 dispose que: "Dès lors que, à la demande d'une partie au procès, une fois les autres parties entendues aux termes de l'article 268, paragraphe 6, du Code de procédure pénale, le juge d'instruction estime nécessaire d'utiliser les écoutes ou les tableaux de communications mentionnés au paragraphe 1, il en décide par ordonnance et adresse une demande d'autorisation à cette fin, dans les dix jours suivants, à la Chambre à laquelle le membre du parlement appartient ou appartenait au moment où les conversations ou communications ont été interceptées".

Il convient de rappeler que l'article 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (PPI) prévoit notamment que: "Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays (…)".

Sur la base de ces dispositions, et compte tenu du fait que M. D'Alema était député européen au moment des faits, le Parlement européen est compétent en la matière.

2) Sur la base de l'article 6 précité de la loi italienne 140/2003, si l'on comprend bien, la demande devrait porter sur l'autorisation d'utiliser d'éléments supposés probants. Cependant, d'après l'ordonnance du juge d'instruction, les preuves utilisées sont " déjà suffisantes pour étayer l'accusation pesant sur certains individus faisant l'objet d'une enquête", à savoir les tiers mis sur écoute, lesquels, en outre, sont déjà poursuivis, le procès les concernant étant déjà bien avancé.

En conséquence, de ce point de vue, la demande du parquet du tribunal de Milan est sans objet.

3) Dans le cas où la demande du parquet de Milan serait en revanche considérée comme une "autorisation de procéder", concernant M. D'Alema, il conviendrait de souligner que la législation italienne ne prévoit plus, depuis 1993, cette institution juridique et que par conséquent, dans ce cas, la demande serait réputée sans objet.

IV.      CONCLUSIONS

Compte tenu de ce qui précède, la commission juridique décide de ne pas autoriser l'utilisation des écoutes téléphoniques en question et de ne pas lever l'immunité de Massimo D'Alema.

  • [1]  Les protocoles associés aux traités font partie du droit communautaire primarie et ont le statut juridique que les traités. L’arrêt rendu dans le cadre d’une affaire relative à la responsabilité des fonctionnaires communautaires en ce qui concerne l’impôt sur la propriété dispose clairement que toute violation des PPI équivaut à une violation des obligations dérivant des traités (arrêt du 24 février 1988, Commission contre la Belgique, affaire 260/86, ECR. 966).

RÉSULTAT DU VOTE FINAL EN COMMISSION

Date de l’adoption

3.11.2008

 

 

 

Résultat du vote final

+:

–:

0:

11

0

0

Membres présents au moment du vote final

Monica Frassoni, Giuseppe Gargani, Lidia Joanna Geringer de Oedenberg, Klaus-Heiner Lehne, Manuel Medina Ortega, Aloyzas Sakalas, Francesco Enrico Speroni, Diana Wallis, Jaroslav Zvěřina, Tadeusz Zwiefka

Suppléant(s) présent(s) au moment du vote final

Renate Weber