RAPPORT sur la demande de défense de l'immunité et des privilèges de Luigi de Magistris

27.3.2012 - (2011/2097(IMM))

Commission des affaires juridiques
Rapporteur: Bernhard Rapkay

Procédure : 2011/2097(IMM)
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A7-0073/2012

PROPOSITION DE DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN

sur la demande de défense de l'immunité et des privilèges de Luigi de Magistris

(2011/2097(IMM))

Le Parlement européen,

–   vu la demande de Luigi de Magistris en date du 11 avril 2011, communiquée en séance plénière le 9 mai 2011, en vue de la défense de son immunité dans le cadre d'une procédure en instance devant le tribunal de Cosenza (Italie),

–   ayant entendu Luigi de Magistris, conformément à l'article 7, paragraphe 3, de son règlement,

–   vu les documents écrits présentés par Luigi de Magistris conformément à l'article 7, paragraphe 3, de son règlement,

–   vu les articles 8 et 9 du protocole n °7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne, ainsi que l'article 6, paragraphe 2, de l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976,

–   vu les arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne les 12 mai 1964, 10 juillet 1986, 15 et 21 octobre 2008, 19 mars 2010 et 6 septembre 2011[1],

–   vu l'article 68 de la Constitution de la République italienne,

–   vu l'article 6, paragraphe 3, et l'article 7 de son règlement,

–   vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A7-0073/2012),

A. considérant que Luigi de Magistris, député au Parlement européen, a demandé la défense de son immunité parlementaire dans le cadre d'une procédure engagée devant une juridiction italienne;

B.  considérant que la demande de Luigi de Magistris concerne un acte d'assignation déposé contre lui devant le tribunal de Cosenza au nom de Mme Vincenza Bruno Bossio concernant des déclarations faites par Luigi de Magistris dans son livre Assalto al PM, storia di un cattivo magistrato (Attaque contre le procureur – l'histoire d'un mauvais magistrat), publié en avril 2010;

C. considérant que, selon l'acte d'assignation, les déclarations faites dans ce livre constituent une diffamation, qui a fait l'objet d'une demande de dommages et intérêts;

D. considérant que le livre a été publié à une époque où Luigi de Magistris était député au Parlement européen, après avoir été élu aux élections au Parlement européen de 2009;

E.  considérant que, conformément à l'article 8 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne, les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions, et qu'aux termes de l'article 9 dudit protocole, ils bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays;

F.  considérant que Luigi de Magistris se réfère aux articles 8 et 9 du protocole, mais que, l'article 9 n'étant pas pertinent au regard de l'article 68 de la Constitution de la République italienne, il ne s'appuie donc manifestement que sur l'article 8;

G. considérant que, selon la pratique éprouvée du Parlement, le fait que la procédure judiciaire se déroule dans le cadre du droit civil ou administratif ou contient certains aspects relevant du droit civil ou administratif n'empêche pas en soi l'application de l'immunité conférée par ledit article;

H. considérant que les faits en cause, tels qu'exposés dans l'acte d'assignation et dans les documents écrits présentés par Luigi de Magistris à la commission des affaires juridiques, indiquent que les déclarations faites n'ont pas de rapport direct et évident avec l'exercice, par Luigi de Magistris, de ses fonctions de député au Parlement européen;

I.   considérant que Luigi de Magistris, en publiant le livre en question, n'agissait dès lors pas dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de député au Parlement européen;

1.  décide de ne pas défendre l'immunité et les privilèges de Luigi de Magistris;

2.  charge son Président de transmettre immédiatement la présente décision et le rapport de sa commission compétente à l'autorité compétente de la République italienne et à Luigi de Magistris.

  • [1]  Affaire 101/63 Wagner/Fohrmann et Krier Recueil [1964] 195, affaire 149/85 Wybot/Faure et autres Recueil [1986] 2391, affaire T-345/05 Mote/Parlement Recueil [2008] II-2849, affaires jointes C-200/07 et C‑201/07 Marra/De Gregorio et Clemente Recueil [2008] I-7929, affaire T-42/06 Gollnisch/Parlement (arrêt non encore publié au Recueil) et affaire C-163/10 Patriciello (arrêt non encore publié au Recueil).

EXPOSÉ DES MOTIFS

1.        Historique

Lors de la séance du 9 mai 2011, le Président a annoncé, conformément à l'article 6, paragraphe 3, du règlement, qu'il avait reçu de M. Luigi de Magistris, le 11 avril 2011, une demande de défense de son immunité parlementaire, référence étant faite aux articles 8 et 9 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne et à l'article 68 de la Constitution de la République italienne, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 3 du 29 octobre 1993. Le Président a renvoyé cette demande à la commission des affaires juridiques, conformément à l'article 6, paragraphe 3. M. de Magistris a été entendu par cette commission le 26 janvier 2012, conformément à l'article 7, paragraphe 3.

Le contexte dans lequel s'inscrit la demande de défense est le suivant: M. de Magistris a été appelé à comparaître devant le tribunal de Cosenza par Mme Vincenza Bruno Bossio concernant des déclarations faites par Luigi de Magistris dans son livre Assalto al PM, storia di un cattivo magistrato (Attaque contre le procureur – l'histoire d'un mauvais magistrat), publié en avril 2010. Dans son livre, Luigi de Magistris met en cause la procédure criminelle "Why Not", qui impliquait Mme Vincenza Bruno Bossio en sa qualité de défenderesse.

Mme Vincenza Bruno Bossio juge gravement diffamatoires les déclarations faites à la page 119 du livre où il est dit d'elle qu'elle a tenté à plusieurs reprises d'obtenir illégalement des informations sur l'enquête que menait Luigi de Magistris.

Quant à lui, Luigi de Magistris fait valoir que, dans son livre, il exprime son avis sur des questions relevant de l'intérêt public, ce qui constitue une manifestation de l'activité politique d'un membre du Parlement européen, qui a le droit d'exprimer son opinion sur des sujets d'intérêt public légitime. Il confirme qu'il a mené des enquêtes au cours de l'affaire criminelle "Why not", qui ont suscité un grand intérêt du fait de la nature grave des comportements criminels qui seraient impliqués dans cette affaire.

2.        Droit et procédure applicables à l'immunité des députés au Parlement européen

Les articles 8 et 9 du protocole (n° 7) sur les privilèges et immunités de l'Union européenne sont libellés comme suit (soulignement ajouté):

Article 8

Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions.

Article 9

Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient:

a)  sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays;

b)  sur le territoire de tout autre État membre, de l'exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L'immunité les couvre également lorsqu'ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L'immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l'immunité d'un de ses membres.

L'article 68 de la Constitution de la République italienne est libellé comme suit:

Article 68 (Immunité)

(1)       Les membres du Parlement ne peuvent être appelés à répondre des opinions exprimées et des votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions.

(2)       Sans l'autorisation de la chambre à laquelle il appartient, aucun membre du Parlement ne peut être soumis à une fouille corporelle ou une perquisition domiciliaire, ni être arrêté ou autrement privé de sa liberté personnelle, ou maintenu en détention, hormis en exécution d'une condamnation pénale irrévocable ou bien s'il est appréhendé en flagrant délit.

(3)       Une même autorisation est nécessaire pour soumettre les membres du Parlement à des interceptions, sous quelle forme que ce soit, de conversations ou de communications et à la saisie de correspondance.

La procédure du Parlement européen est régie par les articles 6 et 7 du règlement, dont les dispositions pertinentes sont libellées comme suit:

Article 6 – Levée de l'immunité

1.  Dans l'exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu'assemblée législative démocratique et à assurer l'indépendance des députés dans l'accomplissement de leurs tâches. (...)

3.  Toute demande adressée au Président par un député ou un ancien député en vue de défendre l'immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

4.  Dans les cas où un député est arrêté ou privé de sa liberté de déplacement en violation supposée de ses privilèges et immunités, le Président peut prendre d'urgence, après consultation du président et du rapporteur de la commission compétente, une initiative visant à confirmer les privilèges et immunités du député concerné. Le Président communique son initiative à la commission et en informe le Parlement.

Article 7 – Procédures relatives à l'immunité

1.  La commission compétente examine sans délai et dans l'ordre dans lequel elles ont été présentées les demandes de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.

2.  La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l'adoption ou le rejet de la demande de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.

3.  La commission peut demander à l'autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu'elle estime nécessaires pour déterminer s'il convient de lever ou de défendre l'immunité. Les députés concernés se voient offrir la possibilité de s'expliquer; ils peuvent présenter autant de documents et d'éléments d'appréciation écrits qu'ils jugent pertinents. Chacun d'eux peut être représenté par un autre député. (...)

6.  Dans les cas de défense d'un privilège ou d'une immunité, la commission précise si les circonstances constituent une entrave d'ordre administratif ou autre à la liberté de déplacement des députés se rendant au lieu de réunion du Parlement ou en revenant, d'une part, ou à l'expression d'une opinion ou d'un vote dans l'exercice de leur mandat, d'autre part, ou encore si elles sont assimilables aux aspects de l'article 9 du protocole sur les privilèges et immunités qui ne relèvent pas du droit national, et présente une proposition invitant l'autorité concernée à tirer les conclusions qui s'imposent.

7.  La commission peut émettre un avis motivé sur la compétence de l'autorité en question et sur la recevabilité de la demande, mais ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l'opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui lui sont imputés, même dans le cas où l'examen de la demande permet à la commission d'acquérir une connaissance approfondie de l'affaire. (...)

3.        Justification de la décision proposée

Les articles 8 et 9 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne ont été invoqués expressément par Luigi de Magistris dans sa demande. Au regard de l'article 68 de la Constitution de la République italienne, cité plus haut, l'article 9 n'est pas pertinent en l'espèce. Luigi de Magistris ne s'appuie donc manifestement que sur l'article 8.

Le livre en question a été publié à une époque où Luigi de Magistris était député au Parlement européen, après avoir été élu aux élections au Parlement européen de 2009.

Selon la pratique éprouvée du Parlement, le fait que la procédure judiciaire se déroule dans le cadre du droit civil ou administratif ou contient certains aspects relevant du droit civil ou administratif n'empêche pas en soi l'application de l'immunité conférée par l'article 8.

Ainsi que l'a déclaré la Cour de justice, l'étendue de l'immunité absolue conférée par l'article 8 "doit être établie sur la base du seul droit communautaire"[1]. Cependant, la Cour a également déclaré récemment "qu'une déclaration effectuée par un député européen en dehors du Parlement européen ayant donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d'origine au titre du délit de dénonciation calomnieuse ne constitue une opinion exprimée dans l'exercice des fonctions parlementaires relevant de l'immunité prévue à cette disposition que lorsque cette déclaration correspond à une appréciation subjective qui présente un lien direct et évident avec l'exercice de telles fonctions"[2]. La Cour a fourni d'autres éléments d'orientation quant à la définition d'un tel lien en précisant que les allégations d'un député devraient être susceptibles "de présenter un lien direct avec un intérêt général préoccupant les citoyens", et qu'un tel lien devrait dès lors s'imposer avec évidence[3] (soulignement ajouté).

En l'espèce, les déclarations faites par Luigi de Magistris se rapportent à des allégations faisant état du comportement répréhensible de tiers dans le cadre d'enquêtes pénales qu'il a conduites avant de devenir député au Parlement européen. Ces déclarations semblent dès lors plutôt éloignées de l'exercice des fonctions d'un député au Parlement européen et sont donc difficilement susceptibles de présenter un lien direct avec un intérêt général préoccupant les citoyens, et même si un tel lien pouvait être établi, il ne saurait s'imposer avec évidence.

Dans ce contexte, la commission estime que les faits en cause, tels qu'exposés dans l'acte d'assignation ainsi que dans les documents écrits et les communications orales présentés par Luigi de Magistris à la commission des affaires juridiques, indiquent que les déclarations faites n'ont pas de rapport direct et évident avec l'exercice, par Luigi de Magistris, de ses fonctions de député au Parlement européen.

La commission considère dès lors que Luigi de Magistris, en publiant le livre en question, n'agissait pas dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de député au Parlement européen.

4.        Conclusion

Eu égard aux considérations qui précèdent et conformément à l'article 6, paragraphe 3, du règlement, la commission des affaires juridiques recommande, après avoir examiné les arguments plaidant pour et contre la levée de l'immunité du député, que le Parlement européen ne défende pas l'immunité parlementaire de Luigi de Magistris.

  • [1]  Arrêt Marra précité, point 26.
  • [2]  Arrêt Patriciello précité, dispositif.
  • [3]  Arrêt Patriciello précité, paragraphe 36.

RÉSULTAT DU VOTE FINAL EN COMMISSION

Date de l'adoption

26.3.2012

 

 

 

Résultat du vote final

+:

–:

0:

9

2

1

Membres présents au moment du vote final

Luigi Berlinguer, Sebastian Valentin Bodu, Giuseppe Gargani, Klaus-Heiner Lehne, Antonio Masip Hidalgo, Bernhard Rapkay, Evelyn Regner, Alexandra Thein, Rainer Wieland, Cecilia Wikström

Suppléants présents au moment du vote

Piotr Borys, Eva Lichtenberger