RAPPORT sur la demande de défense des privilèges et de l'immunité de Lara Comi
30.1.2014 - (2014/2014(IMM))
Commission des affaires juridiques
Rapporteur: Bernhard Rapkay
PROPOSITION DE DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN
sur la demande de défense des privilèges et de l'immunité de Lara Comi
Le Parlement européen,
– vu la demande présentée par Lara Comi le 16 octobre 2013 en vue de la défense de son immunité dans le cadre de la procédure judiciaire pendante devant le tribunal de Ferrare,
– ayant entendu Lara Comi le 5 novembre 2013, conformément à l'article 7, paragraphe 3, de son règlement,
– vu les articles 8 et 9 du protocole (n° 7) sur les privilèges et immunités de l'Union européenne ainsi que l'article 6, paragraphe 2, de l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976,
– vu les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 mai 1964, du 10 juillet 1986, ainsi que du 15 octobre 2008, du 21 octobre 2008, du 19 mars 2010 et du 6 septembre 2011,
– sur sa décision du 14 janvier 2014 sur la demande de défense des privilèges et de l'immunité de Lara Comi,
– vu l'article 6, paragraphe 3, et l'article 7 de son règlement,
– vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A7-0067/2014),
A. considérant que Lara Comi, députée au Parlement européen, a demandé la défense de son immunité parlementaire dans le cadre d'une citation à comparaître devant le tribunal de Ferrare, qui lui a été signifiée le 1er octobre 2013 et qui a pour objet une demande visant à indemniser le préjudice que les propos qu'elle a tenus durant un débat politique télévisé auraient provoqué;
B. considérant que Lara Comi avait déjà demandé le 30 juillet 2013 la défense de son immunité parlementaire dans le cadre d'une procédure judiciaire ouverte par le parquet du procureur de la République de Ferrare à la suite d'une plainte pour diffamation aggravée dénonçant les mêmes propos que ceux visés par ladite décision;
C. considérant que l'article 8 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne, auquel se réfère expressément Laura Comi dans sa demande de défense, dispose que les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions;
D. considérant que, dans l'exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu'assemblée législative démocratique et à assurer l'indépendance des députés dans l'accomplissement de leurs tâches;
E. considérant que le Parlement dispose d'un large pouvoir d'appréciation quant à l'orientation qu'il entend donner à une décision faisant suite à une demande de défense d'immunité formée par un député;
F. considérant que la Cour a reconnu qu'une déclaration effectuée par un député hors de l'enceinte du Parlement européen pouvait constituer une opinion exprimée dans l'exercice de ses fonctions au sens de l'article 8 du protocole, dans la mesure où l'important n'est pas le lieu où la déclaration a été effectuée, mais sa nature et son contenu;
G. considérant que l'immunité dont jouissent les députés au Parlement européen dans le cadre des procédures judiciaires s'étend également aux procédures civiles;
H. considérant que Lara Comi a été invitée à une émission télévisée en sa qualité de députée au Parlement européen et non au titre de déléguée nationale d'un parti qui était, par ailleurs, déjà représenté par autre invité, conformément aux dispositions nationales visant à assurer une représentation équilibrée des forces politiques lors des débats télévisés organisés en périodes électorales, comme c'était le cas en l'espèce;
I. considérant que, dans les démocraties modernes, il est constant que le débat politique n'a pas uniquement lieu au sein du Parlement, dès lors qu'il se décline également en différents moyens de communication allant de déclarations à la presse à la présence sur Internet;
J. considérant que, lors de l'émission télévisée incriminée, Lara Comi est intervenue en sa qualité de députée au Parlement européen et a abordé des thèmes politiques englobant notamment les marchés publics et la criminalité organisée, des domaines qui ont toujours su retenir son attention au niveau européen;
L. considérant que, le lendemain, Lara Comi a personnellement présenté ses excuses à la partie offensée, excuses réitérées lors d'une autre émission de télévision diffusée sur une chaîne nationale;
M. considérant qu'en l'espèce, il s'agit des mêmes propos que ceux pour lesquels il avait déjà, le 14 janvier 2014, pris le parti de défendre l'immunité de Lara Comi dans le cadre d'une procédure pénale pendante devant le même tribunal de Ferrare;
1. décide de défendre les privilèges et l'immunité de Lara Comi;
2. charge son Président de transmettre immédiatement la présente décision et le rapport de sa commission compétente à l'autorité compétente de la République italienne et à Laura Comi.
EXPOSÉ DES MOTIFS
1. Contexte
Lors de la séance plénière du 9 septembre 2013, le Président a fait savoir que, conformément à l'article 6, paragraphe 3, du règlement, il avait reçu une demande de Lara Comi concernant la défense de son immunité parlementaire et invoquant l'article 8 du protocole sur les privilèges et les immunités de l'Union européenne. Le Président a renvoyé cette demande à la commission juridique, conformément à l'article 6, paragraphe 3, du règlement.
Cette demande portant sur une procédure pénale s'accompagne d'une deuxième demande de défense présentée le 16 octobre 2013 par Lara Comi dans le cadre d'une citation à comparaître à audience fixe, qui lui a été signifiée le 1er octobre 2013 au titre d'une procédure civile ayant pour objet une demande destinée à réparer le préjudice qu'auraient provoqué les faits à l'origine de la procédure pénale. Laura Comi a exercé son droit à être entendue sur les deux points par la commission des affaires juridiques lors de sa réunion du 5 novembre 2013.
Le 24 janvier 2013, lors de l'émission télévisée Servizio pubblico, Lara Comi débattait avec Antonio Ingroia, dirigeant d'un parti politique, de différents aspects concernant les marchés publics et la criminalité organisée dans le cadre de la faillite de l'agence Coopcostruzioni. Une discussion s'est alors engagée sur le sujet avec Roberto Soffritti, ancien maire de Ferrare et candidat aux élections nationales italiennes de février 2013 sur la liste politique d'Antonio Ingroia.
Monsieur Soffritti fait valoir que les propos exprimés à son égard par Lara Comi lors de ce débat portent atteinte à sa réputation et a donc déposé plainte pour diffamation aggravée au sens de l'article 595, alinéas 2 et 3, du code pénal italien et de l'article 30 de la loi 223 du 6 août 1990. Parallèlement, Monsieur Soffriti a signifié à Lara Comi une citation à comparaître devant le tribunal de Ferrare pour régler au civil le préjudice qu'auraient causé lesdits propos.
Pour sa part, Lara Comi soutient qu'elle est intervenue en qualité de députée au Parlement européen et qu'elle a abordé le thème des marchés publics, un sujet d'intérêt général qui lui a toujours tenu à cœur lors de ses activités au Parlement européen.
2. Droit et procédure concernant l'immunité des députés au Parlement européen
L'article 8 du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l'Union européenne est libellé comme suit:
Article 8
Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions.
La procédure au sein du Parlement européen est régie par les articles 6 et 7 de son règlement. Les dispositions applicables sont les suivantes:
Article 6 – Levée de l'immunité
1. Dans l'exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu'assemblée législative démocratique et à assurer l'indépendance des députés dans l'accomplissement de leurs tâches. (...)
3. Toute demande adressée au Président par un député ou un ancien député en vue de défendre l'immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.
4. Dans les cas où un député est arrêté ou privé de sa liberté de déplacement en violation supposée de ses privilèges et immunités, le Président peut prendre d'urgence, après consultation du président et du rapporteur de la commission compétente, une initiative visant à confirmer les privilèges et immunités du député concerné. Le Président communique son initiative à la commission et en informe le Parlement.
Article 7 – Procédures relatives à l'immunité
1. La commission compétente examine sans délai et dans l'ordre dans lequel elles ont été présentées les demandes de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.
2. La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l'adoption ou le rejet de la demande de levée de l'immunité ou de défense de l'immunité et des privilèges.
3. La commission peut demander à l'autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu'elle estime nécessaires pour déterminer s'il convient de lever ou de défendre l'immunité. Les députés concernés se voient offrir la possibilité de s'expliquer; ils peuvent présenter autant de documents et d'éléments d'appréciation écrits qu'ils jugent pertinents. Chacun d'eux peut être représenté par un autre député. (...)
6. Dans les cas de défense d'un privilège ou d'une immunité, la commission précise si les circonstances constituent une entrave d'ordre administratif ou autre à la liberté de déplacement des députés se rendant au lieu de réunion du Parlement ou en revenant, d'une part, ou à l'expression d'une opinion ou d'un vote dans l'exercice de leur mandat, d'autre part, ou encore si elles sont assimilables aux aspects de l'article 9 du protocole sur les privilèges et immunités qui ne relèvent pas du droit national, et présente une proposition invitant l'autorité concernée à tirer les conclusions qui s'imposent.
7. La commission peut émettre un avis motivé sur la compétence de l'autorité en question et sur la recevabilité de la demande, mais ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l'opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui lui sont imputés, même dans le cas où l'examen de la demande permet à la commission d'acquérir une connaissance approfondie de l'affaire. (...)
3. Justification de la décision proposée
Dans sa demande, Lara Comi invoque expressément l'article 8 du protocole sur les privilèges et les immunités de l'Union européenne.
Comme la Cour l'a expliqué, le champ d'application de l'immunité absolue visée à l'article 8 doit être établi sur la base du seul droit communautaire[1]. La Cour a, par ailleurs, dit qu'une déclaration effectuée par un député européen en dehors du Parlement européen ayant donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d'origine au titre du délit d'opinion constitue un avis exprimé dans l'exercice des fonctions parlementaires relevant de l'immunité correspondante lorsque cette déclaration correspond à une appréciation subjective qui présente un lien direct et évident avec l'exercice de telles fonctions[2].
Le principe justifiant l'immunité parlementaire prévue par l'article 8 du protocole réside dans la liberté des députés de s'engager dans des débats dans des domaines d'intérêt public, sans être tenus de moduler leur point de vue de manière à le rendre acceptable ou inoffensif pour l'auditoire en craignant, dans le cas contraire, d'être attaqué ou poursuivi[3]. Il est dès lors inévitable que les opinions exprimées par un parlementaire européen seront, dans certains cas, considérées par différentes personnes comme étant excessives, irritantes ou offensantes. Néanmoins, dans un contexte libéral et démocratique, l'importance d'un débat sans entraves sur des questions publiques est telle qu'en principe, même ceux qui expriment des points de vue offensants ou extrémistes ne devraient pas être réduits au silence. Cette conception s'applique notamment aux membres du Parlement qui, du fait de la nature même de leurs fonctions, jouent un rôle central dans un système de gouvernement représentatif.
La logique sous-tendant cette approche est reprise dans la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l'homme qui a même étendu la protection du débat politique aux propos offensifs et scandaleux dans la mesure où qu'ils présentent très souvent "une capacité unique de focaliser l'attention, de remettre en cause des idées toutes faites et de choquer le public, l'amenant ainsi à prendre conscience de modes de vie qui ne lui sont pas familiers"[4].
Dans ces conditions, il convient d'interpréter l'article 8 du protocole en ce sens qu'il englobe non seulement les déclarations de fait et les jugements de valeur sur des problèmes d'intérêt général ou politique mais également les déclarations qui, eu égard à leur contenu ou à leur formulation, peuvent irriter ou offenser tant l'opinion publique en général que les particuliers qui en sont les destinataires directs ou indirects, pour autant que ces déclarations s'inscrivent fonctionnellement dans le cadre de l'exercice de l'activité parlementaire.
Dans ce contexte, la commission des affaires juridiques estime que les faits incriminés, tels qu'ils ressortent de la citation, de l'acte d'accusation concernant les mêmes faits et de l'audition de Lara Comi, indiquent que les déclarations effectuées par l'intéressée non seulement portent sur de vrais sujets d'intérêt général – marchés publics et criminalité organisée – mais qu'ils présentent également un lien direct et évident avec l'exercice de ses fonctions de députée au Parlement européen. Il convient en outre de tenir compte des excuses que Lara Comi a personnellement présentées sans tarder à la partie offensée, excuses réitérées par la suite lors d'une autre émission de télévision diffusée sur une chaîne nationale.
Enfin, comme la commission des affaires juridiques l'a énoncé à plusieurs reprises, si les propos d'un député sont couverts par l'immunité visée à l'article 8 du protocole, cette immunité produit ses effets non seulement dans une procédure pénale mais aussi dans une procédure civile éventuelle ayant pour objet une action en réparation fondée sur lesdits propos. À cet égard, la commission des affaires juridiques convient qu'il s'agit en l'espèce des mêmes propos que ceux pour lesquels le Parlement avait déjà, le 14 janvier 2014, pris le parti de défendre l'immunité de Lara Comi dans le cadre d'une procédure pénale.
4. Conclusions
Eu égard aux observations qui précèdent, la commission des affaires juridiques recommande au Parlement, conformément à l'article 6, paragraphe 3, du règlement et après examen des raisons plaidant tant en faveur que contre la défense de l'immunité, de défendre les privilèges et l'immunité de Lara Comi.
- [1] Arrêt Marra cité, point 26.
- [2] Arrêt Patriciello cité, point 41.
- [3] Cour européenne des droits de l'homme, arrêt A./Royaume-Uni, requête 35373/97, point 75, Recueil des arrêts et décisions 2002-X.
- [4] R. Post, dans "Constitutional Domains: Democracy, Community, Management", éd. Harvard University Press, 1995, page 139.
RÉSULTAT DU VOTE FINAL EN COMMISSION
Date de l'adoption |
21.1.2014 |
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Résultat du vote final |
+: –: 0: |
10 0 1 |
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Membres présents au moment du vote final |
Lidia Joanna Geringer de Oedenberg, Sajjad Karim, Klaus-Heiner Lehne, Antonio Masip Hidalgo, Bernhard Rapkay, Evelyn Regner, Francesco Enrico Speroni, Dimitar Stoyanov, Cecilia Wikström, Tadeusz Zwiefka |
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Suppléante présente au moment du vote final |
Eva Lichtenberger |
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