RECOMMANDATION sur le projet de décision du Conseil autorisant les États membres à ratifier, dans l'intérêt de l'Union européenne, le protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930, de l'Organisation internationale du travail pour ce qui est des questions relatives à la politique sociale
23.7.2015 - (06732/2015 – C8-0079/2015 – 2014/0259(NLE)) - ***
Commission de l'emploi et des affaires sociales
Rapporteur: Patrick Le Hyaric
PROJET DE RÉSOLUTION LÉGISLATIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN
sur le projet de décision du Conseil autorisant les États membres à ratifier, dans l'intérêt de l'Union européenne, le protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930, de l'Organisation internationale du travail pour ce qui est des questions relatives à la politique sociale
(06732/2015 – C8-0079/2015 – 2014/0259(NLE))
(Approbation)
Le Parlement européen,
– vu le projet de décision du Conseil (06732/2015),
– vu la demande d'approbation présentée par le Conseil conformément à l'article 153, paragraphe 2, en liaison avec l'article 153, paragraphe 1, points a) et b), l'article 218, paragraphe 6, deuxième alinéa, point a), sous-point v), et l'article 218, paragraphe 8, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (C8-0079/2015),
– vu l'article 99, paragraphe 1, premier et troisième alinéas, l'article 99, paragraphe 2, et l'article 108, paragraphe 7, de son règlement,
– vu la recommandation de la commission de l'emploi et des affaires sociales (A8-0243/2015),
1. donne son approbation au projet de décision du Conseil;
2. charge son Président de transmettre la position du Parlement au Conseil, à la Commission et aux gouvernements et parlements des États membres.
JUSTIFICATION SUCCINCTE
Introduction
Le travail forcé est une violation des droits humains et une atteinte à la dignité de millions de femmes, d'hommes, de jeunes filles et de jeunes garçons.
La lutte contre cette forme d'exploitation, la plus violente, est à la base de grands mouvements politiques et philosophiques d'émancipation. En voulant affranchir les êtres humains d'une chaîne de domination politiques, culturelles et de dépendances matérielles, le combat émancipateur s'est toujours attaqué au travail servile qui interdit l'ouverture des autres droits.
Au XXIe siècle, le travail forcé concerne pourtant 21 millions de personnes, victimes d'une exploitation qui génère 150 milliards de dollars de revenus par an pour ceux qui l'organisent et l'encadrent.
Aux formes classiques d'exploitations fondées sur la contrainte physique ou matérielle s'ajoutent de nouvelles, notamment dans les pays riches et, parfois, malgré l'existence d'un état de droit. Plus subtiles et sournoises mais tout aussi violentes, celles-ci se fondent sur l'espérance. Elles touchent les hommes, femmes et enfants qui veulent s'affranchir de leurs conditions et ont engagé un changement dans leur vie pour y parvenir.
Si, officiellement, l'esclavage pour dette n'existe plus, sur le continent européen, 880 000 personnes dans l'Union européenne, 1,6 millions sur l'ensemble du continent, souffrent de ces nouvelles formes de travail forcé. Des hommes et des femmes à qui l'on a proposé un emploi à l'étranger se retrouvent piégés par leurs prétendus employeurs, des migrants par leurs passeurs, des enfants fragilisés par le déracinement.
Les populations les plus fragiles, femmes, enfants, migrants, sont celles à qui les pires tâches et conditions sont imposées: la prostitution, la mendicité, les travaux les plus durs et les plus dégradants. À la violence de l'exploitation s'ajoutent une violence physique, une agression psychologique constante, la peur et l'isolement.
Ces nouvelles formes de traite et d'exploitation, comme les anciennes, doivent être brisées par le droit et des actions déterminées pour le faire respecter. C'est l'objectif du protocole de l'Organisation internationale du travail (OIT) de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé de 1930 sur lequel porte cette recommandation de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen.
Le protocole
Le protocole de 2014 de l'OIT relatif à la convention sur le travail forcé de 1930 vient actualiser cette convention en lui donnant de nouveaux outils de lutte contre le travail forcé et en lui donnant un caractère juridiquement contraignant.
Partant du fait que "le contexte et les formes du travail forcé ont changé", le protocole estime "nécessaires" des mesures de prévention et de protection, ainsi que la mise en place de mécanismes de recours et de réparation tels que l'indemnisation et la réparation des préjudices matériels et physiques. Il appelle également à un renforcement des moyens et de la coopération entre États dans la lutte contre les formes contemporaines d'esclavage, reconnaissant par là leur caractère de plus en plus international.
Les dispositions du protocole renforcent le cadre juridique international en établissant l'obligation d'empêcher le travail forcé et d'assurer aux victimes une protection et un accès à des mécanismes de recours, tels que l'indemnisation.
Les articles 1er et 6 demandent aux États membres de l'OIT d'élaborer une politique nationale et un plan d'action national visant la suppression effective et durable du travail forcé et de prendre des mesures pour appliquer les dispositions du protocole, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs.
L'article 2 établit les mesures que les États membres de l'OIT doivent prendre pour empêcher le travail forcé:
• l'éducation et l'information des personnes, notamment celles considérées comme particulièrement vulnérables, ainsi que des employeurs;
• des efforts pour garantir que le champ d'application et le contrôle de l'application de la législation pertinente en matière de prévention du travail forcé couvrent tous les travailleurs et tous les secteurs de l'économie et que les services de l'inspection du travail sont renforcés;
• la protection des personnes, en particulier des travailleurs migrants, contre d'éventuelles pratiques abusives ou frauduleuses au cours du processus de recrutement et de placement;
• un appui à la diligence raisonnable dont doivent faire preuve les secteurs tant public que privé; et
• une action contre les causes profondes qui accroissent le risque de travail forcé.
Concernant les victimes de travail forcé, l'article 3 dispose que des mesures efficaces doivent être prises pour les identifier, les libérer et les protéger et pour permettre leur rétablissement et leur réadaptation, ainsi que pour leur prêter assistance et soutien sous d'autres formes.
L'article 4 enjoint aux États membres de l'OIT de veiller à ce que toutes les victimes aient accès à des mécanismes de recours et de réparation, tels que l'indemnisation, et à ce que les autorités compétentes ne soient pas tenues d'engager de poursuites à l'encontre des victimes pour avoir pris part à des activités illicites qu'elles auraient été contraintes de réaliser.
L'article 5 impose une coopération internationale pour assurer la prévention et l'élimination du travail forcé et l'article 7 supprime les dispositions transitoires de la convention.
Adéquation avec les politiques et objectifs de l'Union européenne
L'Union a inscrit dans son droit primaire l'interdiction du travail forcé en reprenant la charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs mais aussi la charte sociale européenne du Conseil de l'Europe dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne[1].
Bien que l'Union n'ait pas encore adhéré à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour de justice de l'Union européenne s'est déjà appuyée sur ce texte, dans lequel l'article 4 interdit l'esclavage et le travail forcé.
Par conséquent, les politiques de l'Union doivent s'employer à défendre les droits de l'homme et le travail décent, les promouvoir, et éradiquer la traite des êtres humains. Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de ses frontières.
Point de vue du rapporteur
Les droits du travail constituent l'un des principaux piliers du travail décent et fournissent l'instrument principal de lutte contre l'exploitation par le travail. Par conséquent, toute entorse à ces droits, contournements par le biais d'autres politiques comme la liberté de circulation, ou pressions politiques pour la réforme des droits du travail dans le sens d'un rabaissement des normes initiales vont à l'encontre d'une application la plus large de normes décentes du travail.
À cet effet, l'application qui est faite de la directive sur le détachement des travailleurs est inquiétante puisqu'elle peut créer de facto un vide juridique et permet à des entreprises de fermer les yeux, voire d'encourager via la chaîne de sous-traitance, des entorses aux règles, minima et pratiques en vigueur. Les inspecteurs du travail nationaux ne pouvant traiter de manière adéquate les cas transnationaux relevant de cette directive, toutes les dérives, y compris celles sous la forme de travaux forcé, sont possibles. Or, l'article 2 du protocole appelle à un renforcement des services de l'inspection du travail afin de faire appliquer la législation du travail.
Le protocole demande aux gouvernements de prendre des mesures en vue de mieux protéger les travailleurs, en particulier les travailleurs migrants, des pratiques de recrutement abusives et frauduleuses. Cela ne peut être fait de manière adéquate sans un réel renforcement des moyens de faire respecter le droit du travail et sans l'affirmation claire et sans équivoque que celui-ci prime, tout comme le droit à l'action collective, la libre circulation ou le droit de la concurrence. La ratification de cette convention devrait à cet effet être accompagnée d'une réflexion sur l'incidence des politiques européennes sur le droit du travail.
L'autre angle mis en avant par ce protocole pour protéger les êtres humains du travail forcé porte sur la prévention et la réparation.
La prévention ne peut être efficace sans une dédiabolisation et un traitement humaniste de l'immigration irrégulière. Les migrants sont souvent les premières victimes du travail forcé, notamment les femmes, et la pénalisation de leur statut juridique – s'ils ne sont pas en règle – ou de l'activité qu'on les force à faire (sur les 150 milliards de dollars de profits tirés du travail forcé, deux tiers proviennent de l'exploitation sexuelle) les éloigne des structures juridiques qui pourraient faire valoir leurs droits.
Il est donc important de sortir ces personnes de l'isolement dans lequel elles sont confinées par leurs exploiteurs et des systèmes juridiques trop répressifs envers la migration irrégulière.
Une vraie réflexion européenne doit porter sur les facteurs de risques définis par l'OIT dans son dernier rapport sur le travail forcé[2] qui poussent les individus vers le travail forcé: chute de revenus et pauvreté, vulnérabilité liée au manque d'éducation et à l'analphabétisme, populations fragiles (femmes, enfants migrants). La stratégie européenne de lutte contre la pauvreté devrait aller bien plus loin qu'une simple coordination d'actions nationales, fixer des objectifs contraignants de réduction de la pauvreté, et intégrer les mots du préambule de ce protocole selon lesquels le travail forcé "contribue à perpétuer la pauvreté et fait obstacle à la réalisation d'un travail décent pour tous".
La réparation du préjudice pose quant à elle la responsabilité de l'employeur, mais elle devrait aussi poser la responsabilité du donneur d'ordre pour éviter une dilution de la responsabilité dans la chaîne de sous-traitance.
Enfin, l'Union ne peut être une force de progrès si elle limite ce dernier à ses frontières et la soumet aux impératifs de la concurrence internationale. La diplomatie européenne comme la politique commerciale doivent être bien plus déterminées dans leurs relations à l'égard des pays tiers qui ne respectent pas la convention de l'OIT sur le travail forcé de 1930 et son protocole de 2014.
De la domestique philippine isolée et exploitée en Europe aux travailleurs qui construisent les stades de la coupe du monde au Qatar, en passant par les drames du travail des enfants et la violence de l'exploitation sexuelle, les mêmes logiques et réseaux criminels sont en place et ne peuvent être tolérés.
Par conséquent, le rapporteur propose de donner son consentement à la proposition de décision du Conseil.
RÉSULTAT DU VOTE FINAL EN COMMISSION
Date de l’adoption |
15.7.2015 |
|
|
|
|
Résultat du vote final |
+: –: 0: |
52 1 1 |
|||
Membres présents au moment du vote final |
Laura Agea, Guillaume Balas, Tiziana Beghin, Brando Benifei, Mara Bizzotto, Vilija Blinkevičiūtė, Enrique Calvet Chambon, David Casa, Ole Christensen, Martina Dlabajová, Lampros Fountoulis, Elena Gentile, Arne Gericke, Danuta Jazłowiecka, Agnes Jongerius, Rina Ronja Kari, Jan Keller, Ádám Kósa, Agnieszka Kozłowska-Rajewicz, Zdzisław Krasnodębski, Jérôme Lavrilleux, Patrick Le Hyaric, Jeroen Lenaers, Verónica Lope Fontagné, Thomas Mann, Dominique Martin, Anthea McIntyre, Elisabeth Morin-Chartier, Emilian Pavel, Georgi Pirinski, Marek Plura, Terry Reintke, Sofia Ribeiro, Maria João Rodrigues, Claude Rolin, Anne Sander, Sven Schulze, Siôn Simon, Jutta Steinruck, Romana Tomc, Yana Toom, Ulrike Trebesius, Ulla Tørnæs, Marita Ulvskog, Renate Weber, Tatjana Ždanoka, Jana Žitňanská, Inês Cristina Zuber |
||||
Suppléants présents au moment du vote final |
Tim Aker, Lynn Boylan, Tania González Peñas, Sergio Gutiérrez Prieto, Ivo Vajgl, Monika Vana |
||||
VOTE FINAL PAR APPEL NOMINAL EN COMMISSION COMPÉTENTE AU FOND
52 |
+ |
|
ALDE |
Enrique Calvet Chambon, Martina Dlabajová, Yana Toom, Ulla Tørnæs, Ivo Vajgl, Renate Weber |
|
ECR |
Arne Gericke, Zdzisław Krasnodębski, Anthea McIntyre, Ulrike Trebesius, Jana Žitňanská |
|
EFDD |
Laura Agea, Tiziana Beghin |
|
ENF |
Mara Bizzotto, Dominique Martin |
|
PPE |
David Casa, Danuta Jazłowiecka, Agnieszka Kozłowska-Rajewicz, Ádám Kósa, Jérôme Lavrilleux, Jeroen Lenaers, Verónica Lope Fontagné, Thomas Mann, Elisabeth Morin-Chartier, Marek Plura, Sofia Ribeiro, Claude Rolin, Anne Sander, Sven Schulze, Romana Tomc |
|
GUE/NGL |
Lynn Boylan, Tania González Peñas, Rina Ronja Kari, Patrick Le Hyaric, Inês Cristina Zuber |
|
S&D |
Guillaume Balas, Brando Benifei, Vilija Blinkevičiūtė, Ole Christensen, Elena Gentile, Sergio Gutiérrez Prieto, Agnes Jongerius, Jan Keller, Emilian Pavel, Georgi Pirinski, Maria João Rodrigues, Siôn Simon, Jutta Steinruck, Marita Ulvskog |
|
Verts/ALE |
Terry Reintke, Monika Vana, Tatjana Ždanoka |
|
1 |
- |
|
NI |
Lampros Fountoulis |
|
1 |
0 |
|
EFDD |
Tim Aker |
|
Légende des symboles:
+ : pour
- : contre
0 : abstention