RAPPORT sur l’amélioration de la viabilité de la dette des pays en développement
28.3.2018 - (2016/2241(INI))
Commission du développement
Rapporteur: Charles Goerens
PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPÉEN
sur l’amélioration de la viabilité de la dette des pays en développement
Le Parlement européen,
– vu la section sur la dette et la viabilité de la dette du programme d’action d’Addis-Abeba (pp. 27 à 29),
– vu les rapports du Secrétaire général des Nations unies du 22 juillet 2014, du 2 août 2016 et du 31 juillet 2017 sur la soutenabilité de la dette extérieure et le développement,
– vu les principes de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) pour l’octroi de prêts et la souscription d’emprunts souverains responsables,
– vu la feuille de route de la CNUCED pour la restructuration des dettes souveraines (avril 2015),
– vu les directives opérationnelles du G20 sur le financement durable,
– vu la résolution 68/304 de l’Assemblée générale des Nations unies du 9 septembre 2014, intitulée «Établissement d’un cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine»,
– vu la résolution 69/319 de l’Assemblée générale des Nations unies du 10 septembre 2015 sur les principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine,
– vu les principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme,
– vu sa résolution du 19 mai 2015 sur le financement du développement, et en particulier ses paragraphes 10, 26, 40, 46 et 47[1],
– vu les rapports du groupe de réflexion «Global Financial Integrity» estimant l’échelle et la composition des flux financiers illicites,
– vu la loi belge du 12 juillet 2015 relative à la lutte contre les activités des fonds vautours (Moniteur belge du 11 septembre 2015),
– vu l’article 52 de son règlement intérieur,
– vu le rapport de la commission du développement (A8-0129/2018),
A. considérant que résoudre les problèmes de la dette souveraine des pays en développement constitue un élément important de la coopération internationale et peut contribuer à réaliser les objectifs de développement durable (ODD) dans les pays en développement;
B. considérant que la réalisation des ODD dans les pays en développement nécessite des investissements massifs et que les flux actuels de financement dans ce domaine laissent un écart estimé à environ 2,5 billions de dollars par an[2];
C. considérant que les prêts constituent l’une des sources possibles de financement du développement; considérant que les emprunts doivent être responsables et prévisibles; considérant que leurs coûts doivent être intégralement compensés par le rendement des investissements concernés et que les risques liés à l’endettement doivent être soigneusement évalués et abordés;
D. considérant que la crise de la dette des pays en développement dans les années 80 et 90 et une large campagne d’allègement de la dette ont débouché sur le lancement par le FMI et la Banque mondiale de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et de l’Initiative multilatérale d’allégement de la dette (IADM) afin que ces pays puissent progresser sur la voie des objectifs du Millénaire pour le développement;
E. considérant que ces mécanismes ne suffisent pas à mettre fin à la crise de la dette;
F. considérant que ces initiatives et le boom des prix des matières premières ont amélioré les finances de nombreux pays en développement et que les taux d’intérêt exceptionnellement bas depuis la crise financière de 2008 ont également soutenu la viabilité de la dette; considérant toutefois que les prix des produits de base ont chuté depuis 2008 et qu’une nouvelle crise de la dette a commencé dans des pays appauvris, le Mozambique, le Tchad, le Congo et la Gambie étant dans l’incapacité de payer;
G. considérant que les crises de la dette déclenchées par la baisse des prix des produits de base et la volatilité des flux des capitaux représentent une menace permanente pour la viabilité de la dette, notamment pour les pays en développement, qui continuent de dépendre des exportations de produits de base;
H. considérant que le nombre de pays en développement classés par le FMI et la Banque mondiale comme faisant face à une charge d’endettement insoutenable ou présentant un risque élevé ou moyen a augmenté et que la plupart des pays à faible revenu appartiennent désormais à l’une de ces catégories;
I. considérant que, selon le FMI, le niveau d’endettement moyen des pays d’Afrique subsaharienne a fortement augmenté, passant de 34 % du PIB en 2013 à 48 % en 2017;
J. considérant que plusieurs pays, dont l’Éthiopie, le Ghana et la Zambie, ont des niveaux d’endettement égaux ou supérieurs à 50 % de leur PIB, ce qui constitue une charge importante de la dette, compte tenu de la faible base d’imposition de la plupart des pays africains;
K. considérant que le service de la dette en pourcentage des dépenses publiques a considérablement augmenté depuis 2013, et que cela réduit sensiblement les possibilités d’investissement public;
L. considérant les changements profonds qu’a connu le paysage mondial de la dette publique pendant les dernières décennies, avec l’émergence d’investisseurs privés ainsi que de la Chine comme acteurs centraux;
M. considérant que la composition de la dette des pays en développement a évolué, les créanciers privés et les conditions commerciales jouant un rôle de plus en plus important, l’exposition à la volatilité des marchés financiers augmentant par ailleurs, avec des conséquences sur la viabilité de la dette; considérant que l’emprunt en monnaie nationale élimine le risque de change, mais que le manque de capitaux nationaux peut rendre cette situation défavorable ou irréalisable;
N. considérant que les menaces à la viabilité de la dette comprennent des chutes dans les termes de l’échange, les catastrophes naturelles et d’origine humaine, les évolutions défavorables et la volatilité des marchés financiers internationaux, mais aussi les prêts et emprunts irresponsables, la mauvaise gestion des finances publiques, le détournement de fonds et la corruption; considérant qu’un meilleur fonctionnement de la mobilisation des ressources intérieures offre de grandes possibilités d’amélioration de la viabilité de la dette;
O. considérant la nécessité de participer au renforcement des capacités des administrations fiscales et au transfert des connaissances dans les pays partenaires;
P. considérant que les principes de la CNUCED pour l’octroi de prêts et la souscription d’emprunts souverains responsables et les directives opérationnelles du G20 sur le financement durable sont des contributions utiles pour arrêter un cadre normatif, mais que les pratiques irresponsables doivent prioritairement être bannies grâce à des principes transparents, à des arrangements dissuasifs contraignants et à force exécutoire et, dans des cas justifiés, au recours à des sanctions;
Q. considérant que la viabilité de la dette des États dépend non seulement de leur stock de dette, mais aussi des garanties financières explicites et implicites (passifs éventuels) qu’ils ont pu émettre et d’autres facteurs; considérant que les partenariats public-privé comportent souvent des garanties liées et que les risques de sauvetages futurs de banques peuvent également être importants;
R. considérant que l’analyse de la viabilité de la dette ne doit pas se concentrer uniquement sur des considérations économiques telles que les perspectives de croissance économique de l’État débiteur et sa capacité d’assurer le service de sa dette, mais qu’elle doit prendre en considération l’impact du fardeau de la dette sur la capacité du pays de réaliser tous les droits de l’homme;
S. considérant que le recours croissant aux partenariats public-privé dans les pays en développement dans le cadre du plan d’investissement extérieur de l’Union et du pacte du G20 avec l’Afrique pourrait creuser la dette nationale; considérant que les investisseurs des partenariats public-privé sont protégés par des traités bilatéraux d’investissement, notamment leurs mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, qui leur permettent d’intenter une procédure contre les États d’accueil;
T. considérant l’existence de dettes odieuses contractées par des régimes pour rendre possible des transactions corrompues ou d’autres opérations illégitimes qui sont connues par les créanciers comme telles et qui représentent un fardeau considérable pour les populations, notamment pour les populations les plus vulnérables;
U. considérant que la transparence des prêts accordés aux gouvernements des pays en développement est essentielle pour garantir la responsabilité de l’octroi des prêts; considérant que l’absence de transparence a constitué un facteur clé contribuant aux prêts irresponsables accordés au Mozambique, qui ont été arrangés sans contrôler sérieusement la capacité du pays à les rembourser et qui ont ensuite été cachés aux marchés financiers et à la population mozambicaine;
V. considérant que la dette odieuse est définie comme une dette contractée par un régime et servant à financer des actions contre l'intérêt des citoyens de l'État, ce dont les créanciers avaient connaissance, et qu’il s'agit d'une dette personnelle du pouvoir qui l'a contractée auprès de créanciers agissant en pleine connaissance des intentions de l'emprunteur; considérant que le concept manque néanmoins d'un consensus en raison de l'opposition ferme de certains créanciers;
W. considérant que la mobilisation des ressources intérieures est entravée notamment par l’évasion fiscale et la concurrence fiscale dommageable et par le transfert de bénéfices des entreprises transnationales; considérant que l’initiative de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) est une réponse bienvenue mais insuffisante à ce phénomène; considérant qu’il y a lieu de créer un organe intergouvernemental pour la coopération fiscale, sous l’égide des Nations unies, afin de permettre aux pays en développement de participer à part égale à la réforme mondiale des règles fiscales internationales en vigueur, comme il le demande dans sa résolution du 6 juillet 2016 sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet[3];
X. considérant que les flux financiers illicites des pays en développement et des pays émergents sont estimés à 1 billion de dollars par an et drainent continuellement de ces pays des ressources nationales nécessaires, en particulier pour la poursuite des ODD; considérant que ces flux agissent comme un moteur de l’emprunt extérieur et sapent la capacité de rembourser les dettes;
Y. considérant que la réalisation du programme à horizon 2030 et du programme d’action d’Addis-Abeba suppose d’envisager de nouvelles possibilités de financement des ODD, telles que la mise en place de taxes sur les transactions financières et d’une taxe sur les opérations en devises étrangères; considérant que, selon les estimations de la Banque des règlements internationaux, une taxe sur les opérations en devises étrangères de 0,1 % financerait facilement les ODD dans tous les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure[4];
Z. considérant la nécessité de s’attaquer aux flux financiers illicites en vue de les éliminer définitivement d’ici 2030 en luttant notamment contre la fraude fiscale et en intensifiant la coopération internationale à l’aide de mesures facilitant la divulgation des données fiscales aux autorités compétentes et la transparence fiscale à la fois dans les pays d’origine et de destination;
AA. considérant que les arrangements existants pour traiter les défauts de paiement du service de la dette par les États diffèrent fondamentalement des procédures d’insolvabilité pour les sociétés établies dans les juridictions nationales, en ce sens qu’il n’y a pas d’arbitre impartial devant une juridiction; considérant que les crédits à court terme, soumis à conditions et décaissés par tranches, sont fournis par le FMI, dont la mission est d’assurer la stabilité du système financier international; considérant que le Club de Paris des États créanciers ne prend que des décisions en matière d’allégement de la dette en ce qui concerne les prêts bilatéraux officiels accordés par ses membres; considérant que le Club de Londres des créanciers privés ne prend que des décisions concernant les prêts bancaires commerciaux accordés par ses membres; considérant qu’il n’existe pas d’instance permanente pour la coordination des décisions relatives à la restructuration de la dette par l’ensemble des créanciers d’un pays surendetté;
AB. considérant que le FMI reste la principale instance de discussion des questions relatives à la restructuration de la dette souveraine et exerce ainsi une influence significative sur l’Union européenne et ses États membres;
AC. considérant que les fonds vautours ciblant des débiteurs en détresse et interférant avec des processus de restructuration de leurs dettes ne doivent pas bénéficier d’appui légal et judiciaire pour ces activités destructrices, et que des mesures supplémentaires doivent être prises à cet égard;
AD. considérant que si l’allégement de la dette a offert aux pays à faible revenu de nouvelles possibilités, il y a lieu de noter qu’il s’agit d’une intervention ponctuelle destinée à rétablir la viabilité de la dette qui ne traite pas les causes profondes de l’accumulation d’une dette excessive, et qu’il convient de faire face en premier lieu aux défis que sont par exemple la corruption, la faiblesse des institutions et la vulnérabilité aux chocs extérieurs;
1. souligne que le recours à l’emprunt responsable et prévisible est un outil indispensable aux pays en développement pour leur assurer un avenir dans la dignité; souligne en revanche que la viabilité de la dette est une condition préalable pour réaliser le programme à horizon 2030; relève, toutefois, que le financement de la dette ne devrait servir qu’à compléter des instruments non créateurs de dette, tels que l’impôt et les recettes tarifaires et l’aide publique au développement, et ne devrait constituer qu’un deuxième choix par rapport à ces solutions étant donné qu’il comporte des risques de crise inhérents et considérables qui nécessitent la mise en place d’institutions adéquates pour la prévention et la résolution des crises de la dette;
2. souligne que l’accès aux marchés financiers internationaux permet aux pays en développement de mobiliser des fonds en vue de réaliser les objectifs de développement;
3. note avec inquiétude que les prêts accordés aux pays appauvris ont explosé depuis 2008; craint un cycle d’une nouvelle crise de la dette; met l’accent sur la nécessité d’une transparence accrue, d’une meilleure réglementation concernant les prêteurs et d’une justice fiscale, ainsi que sur la nécessité de permettre aux pays d’être moins dépendants à l’égard des exportations de produits de base;
4. rappelle que l’emprunt représente un moyen important pour soutenir l’investissement, qui est primordial pour atteindre le développement durable, y inclus les ODD;
5. estime que l’emprunt est indissociable des autres moyens de financement du développement, dont notamment les rentrées commerciales, le produit de la recette fiscale, les envois de fonds des migrants vers les pays en développement, ainsi que l’aide publique au développement; rappelle, en particulier, que la mobilisation des ressources nationales au moyen de la fiscalité est la principale source de revenus pour le financement du développement durable; prie instamment l’Union européenne, à cette fin, de renforcer son assistance au renforcement des capacités des pays en développement pour juguler les flux financiers illicites, de soutenir la mise en place d’un système fiscal efficace, progressif et transparent conforme aux principes de bonne gouvernance et de contribuer davantage à la lutte contre la corruption et au recouvrement des avoirs volés;
6. s’inquiète de l’augmentation substantielle de la dette tant privée que publique dans nombre de pays en développement et de ses incidences négatives sur leur capacité de financement des dépenses d’investissement dans la santé et l’éducation, l’économie, les infrastructures et la lutte contre le changement climatique;
7. rappelle que les plans d’ajustement structurel des années 1990 appliqués aux États surendettés ont gravement hypothéqué le développement des secteurs sociaux de base et réduit leur capacité d’assumer les fonctions régaliennes essentielles pour maintenir la sécurité;
8. souligne que les mesures d’allègement de la dette ne doivent pas être susceptibles d’entraver la fourniture des services de base et d’affecter négativement la réalisation de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le développement dans l’État bénéficiaire;
9. estime que les premiers responsables du développement excessif de la dette (extérieure) d’un État sont les autorités politiques qui le gouvernent, mais que les débiteurs et les créanciers doivent partager la responsabilité de la prévention et de la résolution des situations d’endettement non viables; souligne, de façon plus générale, la coresponsabilité des débiteurs et des créanciers dans la prévention et la résolution des crises de la dette à travers l’octroi de prêts et la souscription d’emprunts responsables;
10. souligne que les financements mixtes risquent d’entraîner une bulle de dettes, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes, et de limiter les ressources de ces pays à affecter au service de la dette; invite dès lors les bailleurs de fonds à fournir la majeure partie de leur aide aux pays les moins développés sous la forme de subventions; réaffirme que toute décision visant à promouvoir des partenariats public-privé par le recours à des financements mixtes dans les pays en développement doit reposer sur une évaluation rigoureuse des mécanismes en jeu, en particulier sur le plan du développement et de l’additionnalité financière, de la transparence et de la responsabilité, ainsi que sur les enseignements tirés des expériences antérieures; demande que l’examen du Fonds européen pour le développement durable (FEDD) inclue des critères clairs de viabilité de la dette;
11. souligne qu’il importe de définir un mécanisme de sauvegarde permettant d’empêcher le passif éventuel de l’État de porter atteinte à la viabilité de la dette des pays en développement; exhorte, en particulier, les banques multilatérales de développement à effectuer des évaluations d’impact ex ante en matière de risques financiers des projets de partenariats public-privé (compte tenu de tous les risques financiers sur toute la durée de vie des projets en question), de sorte à ne pas porter atteinte à la viabilité de la dette des pays en développement; est d’avis que le FMI et la Banque mondiale devraient inclure tous les coûts liés aux partenariats public-privé dans leur analyse de la viabilité de la dette;
12. considère que les règles ou les instruments en vigueur à l’heure actuelle sont soit insuffisants soit peu ou pas assez contraignants;
13. demande à l’Union et à ses États membres de lutter activement contre les paradis fiscaux, l’évasion fiscale et les flux financiers illicites, qui ne font qu’augmenter la dette des pays en développement, de coopérer avec ces derniers pour réprimer les pratiques agressives d’évasion fiscale, et de chercher des moyens de les aider à résister à la pression de s’engager dans une concurrence fiscale qui porterait atteinte à la mobilisation des ressources nationales en faveur du développement;
14. estime que, lorsque les autorités constatent des situations de détournement des fonds publics, les créanciers doivent déclencher des mesures d’alerte et, si celles-ci ne sont pas efficaces, imposer des sanctions consistant en une suspension des prêts voire en une obligation de remboursement avant expiration des conditions contractuelles;
15. demande à la Commission et aux États membres de soutenir les pays en développement dans la promotion de la mise à disposition publique des données relatives à leur dette souveraine et d’appuyer l’éducation sociale en la matière, étant donné que des informations détaillées concernant l’état des finances publiques sont rarement accessibles à la société civile dans les pays en développement;
16. demande l’élaboration d’une réglementation propre à prévenir l’octroi de prêts à des gouvernements manifestement corrompus et à sanctionner tout créancier leur octroyant des prêts en connaissance de cause;
17. demande à la Commission d’élaborer, en coordination avec tous les principaux acteurs internationaux et les pays concernés, un livre blanc comprenant une vraie stratégie de lutte contre l’endettement excessif des pays en développement dans une approche multilatérale précisant les droits, les devoirs et les responsabilités de tous les acteurs impliqués et envisageant les dispositifs institutionnels les mieux à même de traiter équitablement et durablement le problème de la dette; plaide en faveur de la création d’un code de conduite en matière de gestion du crédit pour les acteurs institutionnels, politiques et privés;
18. souligne que la plupart des objectifs de développement durable sont assimilables aux droits de l’homme et constituent dès lors une fin au service de la lutte contre la pauvreté, contrairement au remboursement de la dette, qui n’est qu’un moyen;
19. approuve «les principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme» du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, selon lesquels le droit à la réalisation des objectifs de développement durable devrait primer le devoir de remboursement de la dette; invite les États membres de l'Union européenne à promouvoir le recours systématique aux évaluations de l’incidence sur les droits de l'homme dans le cadre des évaluations de la viabilité de la dette effectuées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale;
20. demande à l’Union et à ses États membres d’adhérer à ces principes dans leurs prêts bilatéraux et dans leurs actions au sein des institutions financières internationales;
21. note que les évaluations de la viabilité de la dette effectuées par le FMI et la Banque mondiale sont généralement utilisées par les prêteurs pour les guider dans l’octroi de prêts; met l’accent sur la nécessité de remédier aux failles, plus particulièrement en ce qui concerne le contrôle de la dette privée extérieure et le manque d’intégration des droits de l’homme;
22. invite les acteurs du développement à faire évaluer l’incidence du service de la dette sur la capacité de financement des pays très endettés à la lumière des ODD, qui constituent pour eux une obligation de résultat d’ici l’an 2030 et qui doivent primer sur les droits des créanciers qui, en toute connaissance de cause, octroient des prêts à des gouvernements corrompus;
23. appuie la recommandation de la CNUCED de créer un fonds africain pour la stabilisation des prix des produits de base en vue de réduire la nécessité de recourir à des prêts lorsque ces prix baissent;
24. demande aux États membres et autres pays créanciers concernés d’accorder davantage de financements pour les investissements visant les ODD et de tenir leur promesse de longue date d’allouer 0,7 % du RNB à l’aide publique au développement; leur demande d’accorder ce financement sous forme de subventions plutôt que de prêts lorsqu’il appert des rapports d’évaluation que la dégradation des finances publiques compromet durablement la réalisation des ODD; exhorte, en outre, les États créanciers à mettre sur pied de nouvelles sources de financement innovantes et diversifiées afin de réaliser les ODD, telles qu’une taxe sur les opérations en devises étrangères ou une taxe sur les transactions financières, qui peuvent contribuer à la viabilité de la dette du pays, en particulier en temps de crise financière;
25. est préoccupé par la révision par le Comité d’aide au développement de l’OCDE des critères de déclaration de l’APD, en particulier pour les instruments du secteur privé, étant donné que l’élargissement de ces critères encouragera le recours à certaines modalités d’aide, notamment les prêts et les garanties; relève que, pendant que ces discussions sont en cours, les bailleurs de fonds sont actuellement déjà autorisés à déclarer certains prêts et garanties comme étant de l’APD alors qu’aucun ensemble de règles n’a encore été convenu; met l’accent sur la nécessité d’y inclure des garanties en matière de transparence et d’endettement;
26. souligne qu’il convient de promouvoir la transparence afin de renforcer la responsabilité des acteurs concernés; met l’accent sur l’importance du partage à la fois des données et des processus liés à la restructuration de la dette souveraine;
27. approuve et demande à l’Union européenne d’appuyer la mise en œuvre des principes définis par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement pour une politique responsable en matière de crédit, principes qui mettent en exergue notamment la coresponsabilité des créanciers et des emprunteurs (principes de la CNUCED pour l’octroi de prêts et la souscription d’emprunts souverains responsables) tout comme le contrôle parlementaire indispensable dans les opérations de financement public; estime que les principes de la CNUCED pour l'octroi de prêts et la souscription d'emprunts responsables devraient devenir des instruments juridiquement contraignants et exécutoires;
28. estime que la transparence et la responsabilité sont essentielles pour soutenir l’octroi de prêts et la souscription d’emprunts souverains responsables; invite, à cette fin, les États membres à s’appuyer sur les engagements pris dans le programme d’action d’Addis-Abeba, ainsi que sur les directives opérationnelles du G20 sur le financement durable pour rendre les prêteurs plus responsables de leurs prêts, en se fondant sur les principes de transparence et de responsabilité en vigueur dans les industries extractives (Initiative pour la transparence des industries extractives), et pour promouvoir la mise à disposition publique des données relatives à la dette souveraine, y compris le passif éventuel, par la collecte de ces données dans un registre public centralisé; demande aux États membres de rendre systématiquement publiques les informations concernant leurs activités de prêt aux pays en développement;
29. met l’accent sur la nécessité de convenir de règles internationales contraignantes s’attaquant aux dettes odieuses et illégitimes; estime, dès lors, que la restructuration de la dette devrait s’accompagner d’un audit indépendant de la dette de manière à distinguer les prêts illégitimes et odieux des autres prêts; souligne que les prêts illégitimes et odieux devraient être annulés;
30. déplore le refus en 2015 par les États membres de l’Union européenne, conformément à la position commune du Conseil 11705/15 (du 7.9.2015), d’approuver la résolution 69/319 de l’Assemblée générale des Nations unies sur les principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine, qui a pourtant été adoptée majoritairement au sein de l’Assemblée générale le 10 septembre 2015;
31. souligne qu’il importe d’assurer au mieux la cohérence des actions menées au niveau du FMI et dans le contexte des Nations unies ainsi que la coordination des positions entre les États membres;
32. met l’accent sur la nécessité de résoudre la crise de la dette d’une manière équitable, rapide et durable à travers la mise en place d’un mécanisme international de restructuration de la dette, qui s’appuie sur la feuille de route de la CNUCED pour la restructuration des dettes souveraines et l’idée de la commission «Stiglitz» d’établir une juridiction internationale pour la restructuration des dettes;
33. demande aux États membres de l’Union d’activer le mandat adopté dans la résolution 69/319 de l’Assemblée générale des Nations unies du 10 septembre 2015 en vue de:
a) mettre en place des mécanismes d’alerte précoce fondés sur la déclaration d’une large détérioration de la viabilité de la dette qui permettrait d’identifier à un stade précoce les vulnérabilités des pays très endettés et les risques auxquels ils sont exposés;
b) permettre, en coordination avec le FMI, la mise en place d’un cadre juridique multilatéral pour une restructuration ordonnée et prévisible de la dette des États afin d’éviter qu’elle ne devienne insoutenable et par souci d’améliorer la prévisibilité pour les investisseurs; plaide en faveur d’une représentation équitable des pays en développement au sein des organes de prise de décision des institutions financières internationales;
c) faire en sorte que l’Union européenne soutienne les pays en développement dans la lutte contre la corruption, les activités criminelles, l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent;
34. demande à la Commission et aux États membres d’œuvrer, dans les instances internationales et avec le secteur privé, à l’élaboration d’un cadre réglementaire qui garantira la transparence totale des conditions et de la propriété des prêts accordés aux pays en développement, tel que le pacte pour la transparence des prêts actuellement examiné par certaines institutions financières;
35. déplore les pressions exercées sur des États tels que la Tunisie pour les encourager à ne pas mener d’audits publics sur les origines et les conditions de leurs dettes; prie l’Union européenne de coopérer avec d’autres bailleurs de fonds et institutions internationales telles que le FMI pour protéger et encourager le droit des États de mener des audits publics de la dette;
36. demande avec insistance l’adoption d’une règle applicable en cas de menace d’insolvabilité, qui priverait le créancier du droit de poursuivre en justice l’État emprunteur si l’emprunt en question n’a pas été dûment autorisé par son parlement national;
37. demande aux États membres d’adopter, sous l’impulsion de la Commission, un règlement s’inspirant de la loi belge portant sur la lutte contre la spéculation des fonds vautours sur la dette;
38. demande aux créanciers institutionnels et privés d’accepter un moratoire sur la dette au lendemain d’une catastrophe naturelle ou d’une crise humanitaire aiguë, y compris l’afflux massif sporadique d’immigrants, afin de permettre à l’État emprunteur de consacrer tous ses moyens au retour à la normale;
39. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission.
- [1] JO C 353 du 27.9.2016, p. 2.
- [2] World Investment Report 2014. Investing in the SDGs: An Action Plan, UNCTAD 2014, pp. 140-145.
- [3] Textes adoptés de cette date, P8_TA(2016)0310.
- [4] «Revoir la viabilité de la dette». Document d’information pour le rapport 2016 de la CNUCED sur le développement économique en Afrique: «Dynamique de la dette et financement du développement en Afrique».
EXPOSÉ DES MOTIFS
La dette peut être salutaire ou maléfique. Elle est salutaire si l’objet financé par le recours à l’emprunt peut encore servir au moment de l’amortissement de celui-ci. Elle est source de malheur quand l’argent emprunté sert à financer des dépenses de consommation ou lorsqu’il est rongé par la corruption. La dette pour investir dans le durable, le cash pour régler les dépenses de consommation, telle devrait être la ligne de conduite aussi bien pour les personnes privées que pour les acteurs économiques ou politiques. Emprunter à la légère reporte la charge de l’amortissement aux futures générations. Prêter à la légère participe de la prise de risque irresponsable tant pour les épargnants que pour les emprunteurs.
Le présent rapport ne vise pas à reproduire un énième état des lieux de la dette des pays en développement. Il ambitionne de doter l’Union européenne de quelques règles élémentaires susceptibles sinon de résoudre le problème de la dette excessive du moins de prévenir de nouvelles dérives en la matière. À cette fin, il importe de prendre en considération les principaux agrégats dans leur interaction. Il serait judicieux de faire accepter, ensuite, par l’ensemble des acteurs institutionnels, politiques et privés un code de conduite qui fasse en sorte que le recours au crédit soit une partie de la solution plutôt que l’origine d’une spirale infernale marquée par le déclin économique, la misère sociale, les problèmes d’insécurité et autre crise de gouvernance des pays en développement.
L’Union européenne est un acteur de tout premier plan qui ambitionne d’inscrire son action extérieure dans la promotion de la démocratie, dans le respect du droit international et des droits de l’homme, dans une approche de partenariat équilibré, et dans l’éradication de la pauvreté. Elle vient de déclarer les objectifs pour le développement durable comme priorité absolue dans le cadre de sa stratégie 2030.
Premier acteur mondial en matière de coopération au développement, l’UE est devenue une référence incontournable pour tous les autres pays actifs dans ce domaine, mais elle pourrait encore mieux faire. Son rôle phare la prédestine à privilégier le multilatéralisme là où la conjugaison des efforts de tous peut apporter une vraie valeur ajoutée.
C’est pourquoi l’UE doit donner, Commission et États membres confondus, une inflexion nouvelle à l’aide publique au développement en visant notamment à mieux encadrer l’octroi de prêts aux pays en développement. Prêter à des États rongés par la corruption où l’apport de fonds sert avant tout à enrichir les prédateurs à la tête de l’État disqualifie à la fois le créancier et le récipiendaire. Un gouvernement qui va emprunter sans l’autorisation de son parlement fuit le débat public et fait peu d’état des vraies aspirations de son peuple. L’acteur prêtant malgré tout à cet État, et qui peut ainsi se rendre complice de détournement de fonds publics, ne devrait plus à l’avenir, pouvoir compter sur le recouvrement de sa créance en cas de menace d’insolvabilité de l’État emprunteur. La réglementation dans nos États membres est à adapter en conséquence.
La restructuration de la dette quant à elle ne devrait plus rester un tabou pour l’Union européenne. L’adoption par les Nations Unies de la résolution A/RES/70/1 fait de la réalisation des ODD une priorité absolue. Laisser les États emprunter, respectivement prêter à la légère peut compromettre sérieusement la tenue de cet engagement. Aussi la coopération multilatérale peut-elle amener des éléments importants dans la recherche d’une solution au problème de la précarité, de l’extrême pauvreté et de l’insécurité qui résulte d’une charge excessive de la dette souveraine. La CNUCED est avant-gardiste en la matière et le présent rapport fait siennes les pistes indiquées dans son document " Les principes pour l’octroi de prêts et la souscription d’emprunts souverains responsables". Il n’y a pas de fatalité dans la misère que traversent les pays en développement fort endettés.
L’UE et ses États membres peuvent faire bouger les lignes en matière de responsabilisation de toutes les parties engagées dans les opérations d’emprunts souverains. Dissuader l’octroi de prêts dont l’impact sur le développement serait nul, faire de la participation des parlements des pays débiteurs des décideurs en matière de recours à l’emprunt, privilégier les voies de financement qui ne sont pas de nature à hypothéquer les futures générations, s’accorder sur une procédure d’insolvabilité des États en cessation de payement, faire primer le droit au développement des citoyens des pays en développement sur le droit au recouvrement des créances, telles sont les principales recommandations formulées dans le présent rapport.
Si nous voulons réaliser les ODD d’ici l’an 2030, il ne nous reste plus que douze ans. Douze ans pour répondre aux attentes suscitées par le nouveau Consensus européen pour le développement. En un mot comme en mille, l’UE ferait bien de tourner le dos à une politique qui déresponsabilise les créanciers et les émetteurs de papiers souverains et qui fait payer les victimes des crises de la dette.
INFORMATIONS SUR L’ADOPTIONPAR LA COMMISSION COMPÉTENTE AU FOND
Date de l’adoption |
20.3.2018 |
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Résultat du vote final |
+: –: 0: |
17 9 0 |
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Membres présents au moment du vote final |
Beatriz Becerra Basterrechea, Ignazio Corrao, Mireille D’Ornano, Nirj Deva, Charles Goerens, Enrique Guerrero Salom, Maria Heubuch, György Hölvényi, Teresa Jiménez-Becerril Barrio, Stelios Kouloglou, Linda McAvan, Norbert Neuser, Vincent Peillon, Cristian Dan Preda, Lola Sánchez Caldentey, Elly Schlein, Eleni Theocharous, Paavo Väyrynen, Bogdan Brunon Wenta |
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Suppléants présents au moment du vote final |
Agustín Díaz de Mera García Consuegra, Frank Engel, Cécile Kashetu Kyenge, Maria Noichl, Adam Szejnfeld, Rainer Wieland |
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Suppléants (art. 200, par. 2) présents au moment du vote final |
Jill Evans |
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VOTE FINAL PAR APPEL NOMINAL EN COMMISSION COMPÉTENTE AU FOND
17 |
+ |
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ALDE |
Beatriz Becerra Basterrechea, Charles Goerens, Paavo Väyrynen |
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ECR |
Nirj Deva |
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EFDD |
Ignazio Corrao, Mireille D'Ornano |
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GUE/NGL |
Stelios Kouloglou, Lola Sánchez Caldentey |
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S&D |
Enrique Guerrero Salom, Cécile Kashetu Kyenge, Linda McAvan, Norbert Neuser, Maria Noichl, Vincent Peillon, Elly Schlein |
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VERTS/ALE |
Jill Evans, Maria Heubuch |
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9 |
- |
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ECR |
Eleni Theocharous |
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PPE |
Agustín Díaz de Mera García Consuegra, Frank Engel, György Hölvényi, Teresa Jiménez-Becerril Barrio, Cristian Dan Preda, Adam Szejnfeld, Bogdan Brunon Wenta, Rainer Wieland |
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0 |
0 |
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Légende des signes utilisés:
+ : pour
- : contre
0 : abstention