Proposition de résolution - B6-0625/2006Proposition de résolution
B6-0625/2006

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

24.11.2006

déposée à la suite de la question pour réponse orale B6‑0428/2006
conformément à l'article 108, paragraphe 5, du règlement
par Jean-Marie Cavada
au nom de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures
sur les progrès enregistrés par l'UE dans la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) (articles 2 et 39 du traité UE)

Procédure : 2006/2610(RSP)
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B6-0625/2006
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B6‑0625/2006

Résolution du Parlement européen sur les progrès enregistrés par l'UE dans la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) (articles 2 et 39 du traité UE)

Le Parlement européen,

–  vu l'article 2 du traité UE qui fixe à l'Union l'objectif de se développer en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice,

–  vu l'article 39 du même traité qui charge le Parlement européen de tenir un débat annuel sur les progrès réalisés dans ce domaine,

–  vu les réponses données par le Conseil lors du débat du 27 septembre 2006 à la question orale B6-0428/2006 ainsi que la présentation par la Commission de ses communications faisant état de la mise en œuvre du programme de La Haye et de ses perspectives futures,

–  vu les débats intervenus lors de la rencontre parlementaire des 2 et 3 octobre 2006 organisée conjointement avec le Parlement de Finlande,

–  vu l'article 108, paragraphe 5, de son règlement,

A.  considérant que, dans un monde de plus en plus globalisé et soumis à des crises et à des tensions persistantes, à des inégalités économiques et à des flux migratoires en constante augmentation, à des confrontations idéologiques et culturelles qui concernent un nombre croissant de personnes et à des menaces terroristes de portée inconnue, la demande des citoyens européens de pouvoir jouir au sein de l'Union de plus de liberté, de sécurité et de justice ne cesse d'augmenter,

B.  considérant que, sept ans après les conclusions de Tampere, l'Union européenne (UE) n'a pas de politique cohérente en matière d'immigration et, plus particulièrement, n'a pas de politique pour ce qui concerne l'immigration légale,

C.  prenant acte que ces facteurs de pressions externes

  • -n'avaient pas pu être pris en compte en 1999 par le Conseil européen lors de l'adoption du premier programme de Tampere et qu'ils l'ont été d'une façon insuffisante lors de la définition du programme de La Haye en novembre 2004;
  • -sont déjà incontrôlables au niveau de chaque État membre, et qu'ils deviendront difficilement contrôlables par l'Union elle‑même, si celle-ci ne se donne pas rapidement les moyens de ses ambitions et ne s'affirme pas comme un interlocuteur crédible pour les politiques liées à l'espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) face à d'autres organisations internationales, telles que les Nations unies ([1]) ou, au niveau régional, l'Union africaine pour les politiques de migration et de développement, ou, sur le continent européen, sans une coopération plus structurée avec le Conseil de l'Europe et ses organes en charge de la promotion de l'État de droit et de la protection des droits fondamentaux ([2]),

D.  rappelant qu'en l'absence d'un acquis cohérent et de positions partagées par ses États membres, l'UE n'est pas en mesure d'influencer sérieusement, dans les domaines de l'ELSJ, la position des pays tiers, y compris de ses alliés tels que les États‑Unis; que cela peut affecter sa crédibilité, en plus de la contraindre à subir l'initiative politique et stratégique de ces pays,

E.  considérant que cette faiblesse stratégique sur le plan de l'UE n'est pas seulement due au fait que ces politiques n'ont été transférées au niveau de l'UE que récemment ([3]), mais surtout que le transfert s'est fait lors des traités de Maastricht et d'Amsterdam avec beaucoup de réserves de la part des États membres, et que le passage au régime législatif ordinaire, déjà prévu en 1993, n'a eu lieu que par des avancées limitées en 1999, en 2001, en 2004 et, enfin, en 2005 lors de l'activation (partielle), avec le plan de La Haye, de la "passerelle" prévue par l'article 67 du traité CE,

F.  rappelant qu'encore aujourd'hui la multiplication des bases juridiques pour un même objectif politique, la multiplication des conflits et des recours juridictionnels pour délimiter la portée des compétences des institutions, la règle de l'unanimité et, surtout, l'absence d'un vrai contrôle démocratique et juridictionnel rendent la situation actuelle des politiques du troisième pilier très fragile du point de vue du respect par l'UE des principes sur lesquels elle déclare se fonder (article 6 du traité UE),

G.  mettant en garde contre les risques de développer, en dehors des traités européens, des sujets faisant déjà l'objet de propositions de la part des institutions européennes; souhaitant engager un débat ouvert basé sur la coopération loyale entre les institutions européennes et avec les parlements nationaux sur l'insertion du traité de Prüm au sein du traité communautaire afin que le Parlement européen puisse exercer un contrôle démocratique,

H.  prenant acte du fait que les États membres sont les premiers à être conscients de cette situation déficitaire du point de vue démocratique, juridictionnel et même fonctionnel et que, en signant le traité constitutionnel, ils se sont engagés à rendre obligatoire, à partir de novembre 2006, ce qui dans le traité de Maastricht n'était qu'une faculté reconnue au Conseil,

I.  convaincu que l'activation des "passerelles", prévues par les articles 67 du traité CE et 42 du traité UE, est non seulement conforme à la situation constitutionnelle actuelle, mais compatible avec la situation constitutionnelle future et que, par conséquent, le Conseil devrait l'activer aussi au titre de l'article 18 de la Convention de Vienne qui engage les parties à coopérer loyalement pour créer les conditions les plus favorables en vue de la future ratification,

J.  partageant la proposition de la Commission d'activer, dans le courant de 2007, les passerelles prévues par l'article 67 du traité CE (en supprimant les limites à la juridiction de la Cour pour les matières du titre IV du traité CE) et l'article 42 du traité UE, comme déjà recommandé le 14 octobre 2004 par le Parlement européen au Conseil européen ([4]),

K.  rappelant que l'activation de la "passerelle" laisse ouverte la possibilité pour le Conseil de décider de ses conditions de vote et que, dans ce contexte, plusieurs solutions pourraient être trouvées pour préserver dans certains cas et/ou pour des périodes déterminées l'unanimité, pourvu qu'en tout cas, dans toutes ces matières qui touchent les droits des citoyens européens, il y ait codécision avec le Parlement européen, ce dernier ne pouvant pas être considéré moins déterminant que le plus petit des États membres,

L.  considérant que les "passerelles" activées sur la base des traités existants sont d'ores et déjà cohérentes avec le cadre imposé par le traité constitutionnel et ne doivent pas aller au delà de ce que prévoit celui-ci (par exemple en matière de quotas dans la politique migratoire),

M.  considérant qu'il est aussi indispensable qu'on définisse vers quoi les "passerelles" devraient tendre et que, si de nouveaux objectifs ne peuvent pas être ajoutés aux traités existants, il serait plus qu'opportun de prévoir dans les deux années à venir une consolidation/simplification de l'acquis de l'Union dans le domaine de l'ELSJ, tel qu'il s'est formé au fur et à mesure de la coopération entre États membres, notamment depuis le traité de Maastricht; qu'une telle œuvre de consolidation et de simplification devrait viser la suppression des nombreuses incohérences et, autant que possible, généraliser les acquis des coopérations renforcées (voir Schengen),

N.  considérant la forte demande en faveur d'une amélioration de la coopération pratique déjà en l'état des traités actuels, en provenance des citoyens et des praticiens aussi bien que du Conseil, au sein duquel a manqué jusqu'à aujourd'hui un accord permettant de faire avancer vraiment cette coopération,

O.  considérant que les nouveaux États membres qui satisfont aux critères de Schengen et qui sont à même d'adhérer au système ne doivent pas être injustement pénalisés par des retards importants dans la mise en application du SIS II (système d'information de Schengen de deuxième génération),

P.  considérant qu'il a fait preuve d'une remarquable célérité et d'esprit de compromis en obtenant un accord en première lecture sur les trois textes législatifs qui constituent le "paquet" relatif à la base juridique du SIS II,

1.  demande à la Commission de soumettre au Conseil en 2007 le projet de décision activant l'article 42 du traité UE et transférant dans le cadre communautaire (titre IV du traité CE) les dispositions relatives à la coopération policière (y compris Europol) et judiciaire en matière pénale (y compris Eurojust);

2.  demande au Conseil:

  • -d'adopter d'urgence, en conformité avec l'avis du Parlement, le projet de décision fondé sur l'article 67, paragraphe 2, du traité CE pour ce qui est de la suppression des limitations aux compétences de la Cour de justice dans le cadre du titre IV du traité CE et de tout mettre en œuvre pour accélérer le traitement des recours préjudiciels dans les matières relevant de l'ELSJ;
  • -de prévoir l'extension de la codécision avec le Parlement et de la majorité qualifiée au Conseil dans tous les cas où cela est possible conformément aux traités en vigueur, tels que l'immigration légale ou l'intégration des ressortissants des pays tiers, comme prévu en 2004 par la présidence néerlandaise du Conseil;

3.  demande au Conseil européen de donner comme orientations au Conseil et à la Commission de:

a)  recadrer la législation européenne autour de l'exigence fondamentale d'assurer un haut niveau de protection des droits fondamentaux au sein de l'Union et, lorsqu'il est question des droits des personnes, de ne pas se limiter aux seules questions de nature transfrontière; dans ce contexte, le Parlement européen devrait pouvoir profiter de l'expertise et du support de la future Agence des droits fondamentaux;

b)  s'activer pour renforcer la protection des principes fondateurs de l'UE (article 6 du traité UE) ainsi que des mécanismes d'alerte et de sanctions prévus par l'article 7 du traité UE; la jurisprudence des Cours européennes, des Cours constitutionnelles et les enquêtes lancées tant au niveau du Conseil de l'Europe que du Parlement européen suffisent à montrer que le respect de ces principes doit être une préoccupation constante des États membres ainsi que des institutions de l'UE, et que ceux-ci devraient se donner des critères publics de référence pour l'amélioration de la qualité de la justice et de la coopération policière; dans ce contexte, l'activation de la procédure d'alerte prévue par l'article 7, paragraphe 1, du traité UE devrait entrer parmi les mesures normales d'entraide nécessaires à assurer un niveau élevé de protection des principes prévus par l'article 6 du traité UE;

c)  répondre à la demande d'une amélioration effective de la coopération pratique à travers le renforcement et l'harmonisation des pouvoirs dont disposent actuellement Eurojust et ses membres nationaux, notamment par l'attribution d'un pouvoir effectif de coordination des enquêtes et poursuites, d'un pouvoir de faire déclencher des poursuites et de contribuer au règlement des conflits de compétences, ainsi que par l'attribution à Europol du pouvoir d'organiser et de coordonner des enquêtes et actions opérationnelles conjointement avec les autorités compétentes des États membres, dans le cadre d'équipes communes d'enquête; les parlements nationaux et le Parlement européen devraient débattre chaque année des progrès et problèmes rencontrés dans ce type d'activité et vérifier si des adaptions sont rendues nécessaires au niveau de la législation nationale et européenne;

d)  s'assurer que, par le biais de la législation européenne, on ne crée pas un état de surveillance et que les ingérences de l'autorité publique dans l'exercice des libertés individuelles sont strictement limitées et soumises à révision périodique, en associant le Parlement européen et les parlements nationaux;

e)  combler le déficit actuel au niveau de la législation européenne en matière de traitement des données confidentielles lorsque celles-ci sont détenues par des institutions de l'UE; prévoir, par conséquent, la révision de l'article 9 du règlement (CE) n° 1049/01 et la création, au sein du Parlement européen, d'une commission pour le contrôle des activités confidentielles;

f)  promouvoir, par l'adoption de recommandations du Conseil, la mise en œuvre dans les États membres de l'UE des principes/recommandations du Secrétaire général du Conseil de l'Europe en application de l'article 52 de la Convention européenne des droits de l'homme pour ce qui est du contrôle parlementaire des services secrets (voir en particulier les futures recommandations de la commission parlementaire chargée de l'examen du dossier des vols de la CIA);

4.  demande au Conseil de présenter dans les meilleurs délais au Parlement européen l'orientation qu'il est en train de dégager au sujet du projet de décision-cadre sur la protection des données à caractère personnel traitées dans le cade de la coopération policière et judiciaire en matière pénale; met en garde contre le risque de vider cette proposition de sa substance et rappelle les engagements pris par le Conseil pour l'implication politique du Parlement européen dans l'adoption de cette décision-cadre;

5.  invite les parlements nationaux à vérifier dans les meilleurs délais l'impact, au niveau national, des nouvelles dispositions envisagées par le Conseil en matière de protection des données, de mise en œuvre du principe de disponibilité et d'interconnexion des bases de données traitées à des fins sécuritaires; se déclare d'ores et déjà intéressé à prendre en compte les résultats d'un tel examen dans les avis qu'il rendra au Conseil sur ces sujets;

6.  demande instamment à la Commission de publier chaque année un rapport sur les activités du groupe des commissaires chargés des droits fondamentaux; l'engage également à fournir dès que possible une récapitulation des activités et des décisions de ce groupe pour les deux dernières années et demie;

7.  considère essentiel que, dans des politiques aussi sensibles que celles liées aux droits fondamentaux, à l'immigration et au renforcement de la sécurité, les institutions de l'UE ne visent pas à remplacer les États membres, mais interviennent en complément; qu'il faudrait d'ailleurs s'assurer que la communautarisation de la coopération policière et judiciaire en matière pénale soit accompagnée d'un certain droit de regard:

a)  tant pour l'actuel droit d'initiative législative des États membres (le Conseil pourrait s'engager à demander à la Commission au titre de l'article 208 du traité CE de soumettre des propositions législatives dans les domaines indiqués par un quart des États membres),

b)  que pour permettre aux parlements nationaux de prendre position sur des propositions en instance dans le domaine de l'ELSJ; actuellement, ceux-ci jouissent d'un délai de six semaines avant que le Conseil décide sur une proposition donnée; le Parlement européen pourrait s'engager à ne pas arriver à un accord en première lecture avec le Conseil avant le même délai;

8.  rappelle l'exigence de garder une certaine cohérence dans les compétences législatives au niveau de l'UE en prévoyant par exemple que la législation en matière d'immigration ne se limite pas seulement à l'immigration illégale, mais couvre aussi l'immigration légale;

9.  en ce qui concerne l'accord provisoire sur les dossiers personnels des passagers (PNR) conclu avec les États-Unis, exprime sa vive préoccupation au sujet de la lettre des États-Unis relative à l'interprétation de cet accord, laquelle montre que l'interprétation que les autorités américaines en font va au delà de son contenu, en ce qui concerne plus particulièrement la finalité de l'accord, l'accès des instances et organismes des États-Unis aux données PNR et le nombre des champs de données qui peuvent être consultés;

10.  demande instamment au Conseil d'adopter sans délai le projet de décision-cadre relatif à certains droits procéduraux accordés dans le cadre des procédures pénales dans l'Union européenne (COM(2004)0328), en tenant dûment compte de la position que le Parlement européen a adoptée le 12 avril 2005 (P6_TA(2005)0091);

11.  réitère la nécessité, comme prévu à Tampere en 1999:

  • -de généraliser le principe de reconnaissance mutuelle afin d'en faire la clé de voûte de la législation de l'UE,
  • -de renforcer ultérieurement l'accès à la justice comme cela est prévu par les propositions en matière de médiation civile, de demandes de faible importance et d'injonction de payer,
  • -de prévoir les mesures d'harmonisation législative seulement après une évaluation d'impact en matière de droits fondamentaux, en y associant les parlements nationaux;

12.  affirme la nécessité de préserver, même en cas de communautarisation du troisième pilier, et sans préjuger des prérogatives de la Commission, le droit des États membres de s'aider et de se contrôler réciproquement, comme cela est déjà le cas pour la coopération Schengen et pour la lutte contre le terrorisme;

13.  soutient la récente communication de la Commission visant la mise en place d'un système d'évaluation des politiques de l'ELSJ et rappelle que l'évaluation devrait:

a)  faire l'objet d'une communication annuelle au Parlement européen pour qu'il puisse en débattre conformément aux traités et en associant les parlements nationaux,

b)  impliquer davantage les représentants de la société civile et du monde universitaire dans l'évaluation de l'impact des politiques et des mesures liées à l'ELSJ;

14.  considère, enfin, que les plus beaux objectifs resteraient au niveau des intentions, s'ils ne sont pas épaulés par des ressources humaines et financières adéquates:

a)  mettant en œuvre au niveau de l'UE le principe de solidarité et de coopération loyale, y compris financière, entre les États membres,

b)  adaptant les compétences des agences européennes (Europol, Eurojust, Frontex, OLAF, CEPOL ...), afin de leur permettre de mettre en œuvre les priorités stratégiques définies par les États membres au niveau de l'UE,

c)  permettant de prévenir et de faire face à des situations de crises civiles de portée internationale; à ce sujet, il existe désormais une certaine expertise au niveau de la Commission et du Secrétariat général du Conseil pour la mise en commun, dans des délais très brefs, de ressources humaines, techniques et financières;

15.  demande à la Commission de s'engager à accélérer la mise en application du système d'information de Schengen de deuxième génération et de tenir le Parlement européen informé de l'état d'avancement des travaux, ainsi que d'exposer les motifs des retards qui se sont produits ou qui sont susceptibles de se produire;

16.  charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil européen au Conseil, à la Commission, ainsi qu'aux gouvernements et aux parlements des États membres.