PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la Thailande
4.2.2014 - (201/2551(RSP))
conformément à l'article 122 du règlement
Marie-Christine Vergiat au nom du groupe GUE/NGL
B7‑0124/2014
Résolution du Parlement européen sur la Thailande
(201/2551(RSP))
Le Parlement européen,
– vu la Revue Universelle Périodique devant le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies du 5 octobre 2011
– vu le rapport 2012 de l'UNICEF sur la Thaïlande
– vu les déclarations des Nations Unies des 26 décembre 2013 et 14 janvier 2014
– vu les déclarations de Catherine Ashton du 26 novembre 2013, 13 décembre 2013 et 23 janvier 2014
– vu ses précédentes résolutions sur la Thaïlande en particulier celles du 5 Février 2009, 20 mai 2010 et 17 février 2011
– vu l'article 122 de son règlement,
A. Considérant que la Thaïlande est affaiblie par la crise politique amorcée en 2006 lorsque le premier ministre Thaksin Shinawatra a été victime d'un coup d'Etat militaire et s'est réfugié à Londres, considérant que cette crise politique à atteint son apogée entre mars et mai 2010 lors de manifestations massives contre le gouvernement, durant lesquelles au moins 90 personnes ont trouvé la mort et plus de 2 000 ont été blessées; considérant que des compensations financières ont été versées aux familles des victimes mais qu’aucune enquête n'a été menée jusqu'à ce jour et qu’en conséquence aucun responsable n'a été traduit en justice;
B. Considérant qu'en juillet 2013, le Parti du pouvoir du peuple, mené par Yingluck Shinawatra, a remporté les élections à une écrasante majorité;
C. Considérant qu'en octobre 2013, le parti Pheu Thai (PTP anciennement Parti du pouvoir du peuple) a annoncé vouloir mettre en œuvre une amnistie pour tous les individus responsables de violences politiques et de corruption entre 2006 et 2011, y compris une amnistie pour les autorités qui ont ordonné la répression contre les manifestants, pour les soldats qui ont mené la répression et pour les personnes reconnues coupables de corruption après le coup d'Etat de 2006, considérant que le Sénat thaïlandais a rejeté cette proposition d'amnistie;
D. Considérant que depuis l'annonce de cette amnistie, les chemises jaunes (opposition liée au Parti Démocrate notamment composé des élites de la capitales réunies derrière le roi, l'armée, la justice et les hauts fonctionnaires) organisent des manifestations sur le modèle de celles de 2010 et réunissant plus de 100 000 personnes principalement à Bangkok, considérant que les manifestants réclament la démission du gouvernement de Yingluck Shinawatra au motif que cette amnistie pourrait permettre le retour de Thaksin Shinawatra, considérant que le Parti Démocrate et le Conseil du peuple pour une réforme politique (PDRC) demandent également l'établissement d'un conseil non élu, une limitation du rôle des élections dans le système politique et du droit de vote des paysans;
E. Considérant que le 21 janvier 2014, le gouvernement a annoncé 60 jours d'état d'urgence à Bangkok, interdisant les rassemblements publics, considérant que, malgré tout, les mobilisations continuent;
F. Considérant que, selon différents rapports d'ONG au moins 10 personnes auraient été tuées et plus de 200 gravement blessés depuis le début des protestations , les deux partis s'accusant mutuellement de provocations, considérant que le 26 Janvier, un manifestant anti- gouvernement a été abattu alors qu'il essayait avec d'autres de bloquer les bureaux de vote à Bangkok, considérant que les partisans du gouvernement ont attaqué un cortège de manifestants de l'opposition, considérant qu'à l'approche des élections, la présence militaire a augmenté en masse à Bangkok;
G. considérant que Yingluck Shinawatra a dissout le gouvernement et a annoncé que de nouvelles élections pour le 2 Février 2014; considérant que le Pheu Thai Party au pouvoir s'attend à gagner ces élections;
H. considérant que les groupes d'opposition ont annoncé qu'ils boycotteraient les élections car ils craignent la réélection du gouvernement Pheu Thai;
I. Considérant que le processus électoral de ce weekend a été particulièrement tendu, les manifestants anti-gouvernementaux ayant empêché les candidats de s'inscrire, bloqué la livraison des urnes et empêché les gens de voter, considérant que selon les autorités le vote a été interrompu dans 69 des 375 circonscriptions du pays,
J. considérant que la crise politique actuelle en Thaïlande reflète les profondes divisions, les inégalités et les tensions qui existent au sein de la société thaïlandaise aujourd'hui, considérant que les populations rurales pauvres du nord et du nord-est du pays ont généralement soutenu Thaksin Shinawatra et les gouvernements qui lui sont liés, alors que les classes moyennes ainsi que certaines franges de la classe ouvrière urbaine et de la partie sud du pays sont plus inclinés à soutenir le parti démocrate ;
K. considérant que le PDRC a annoncé que, dans le cas où le « Conseil du Peuple» arrive au pouvoir, il mettrait fin "au programme populiste" de l'ère Thaksin , considérant que cela est largement compris par la population rurale comme une annonce de la fin du système des "Fonds Village" (aide rurale), la fin du moratoire sur la dette agraire t de la couverture des soins de santé universels;
L. considérant qu’il existe de graves atteintes aux droits de l'Homme dans toute la Thaïlande, notamment des restrictions à la liberté d'expression et au droit de réunion et d'organisation, la mise en cause des droits des réfugiés et des migrants;
M. considérant que bien que la Thaïlande ait ratifié la Convention n°19 de l'OIT , les travailleurs migrants connaissent peu de protection et sont particulièrement exposés à l'exploitation, à la violence physique et sexuelle, considérant que le trafic des travailleurs est un phénomène important, considérant que la situation est particulièrement préoccupante dans le secteur de la pêche où en l'absence de syndicats le travail forcé, ainsi que le travail des enfants sont des phénomènes croissants ;
N. considérant que l'insulte à la monarchie (ou crime de "lèse -majesté ") est considérée comme un crime dans la société thaïlandaise, considérant que l'opposition ainsi que les partis de gouvernement ont décidé que les condamnations pour des motifs de lèse-majesté seraient exclus de l'amnistie possible, considérant que l'article 112 du code pénal et la loi sur les crimes informatiques sont utilisés pour poursuivre les personnes critiquant la monarchie,
O. considérant que le 23 Janvier 2014, la Cour pénale de Bangkok a condamné Somyot Prueksakasemsuk, rédacteur en chef du journal la Voix de Taksin, à 11 ans de prison pour des articles faisant référence à la monarchie de manière négative ;
P. considérant que la libération sous caution a été refusée à Somyot Prueksakasemsuk lors de sa longue détention préventive et que le groupe de contrôle des Nations unies sur la détention arbitraire considère que les conditions de détention provisoire constituent une violation des droits de l'Homme;
Q. considérant que la poursuite des affrontements dans les provinces frontalières du sud , qui ont coûté la vie à plus de 5.000 personnes au cours de ces dernières années, demeure un grave sujet de préoccupation ;
R. considérant que la Commission européenne négocie actuellement un accord de libre- échange entre l'UE et la Thaïlande.
1. Déplore le climat dans lequel se sont tenues les élections mais demande à ce que leur résultat soit respecté, estime que seul un processus démocratique à long terme, prenant en compte les problèmes politiques, économiques et sociaux de la population pourra permettre de résoudre les divisions profondément enracinées dans la société thaïlandaise qui sont la cause sous-jacente de cette crise,
2. demande aux autorités thaïlandaises de garantir, de faire respecter le droit de manifester et d'abroger les lois relatives à la lèse-majesté, en particulier l'article 112 du code pénal, invite tous ceux qui participent aux manifestations de s'abstenir d'utiliser la violence contre les civils ;
3. Est très préoccupé par l'escalade de la violence et des divisions entre les populations urbaines et rurales de la Thaïlande, déplore le nombre de pertes humaines au cours des récents affrontements entre partisans et adversaires du gouvernement Pheu Thai et exprime ses plus vives condoléances aux familles des victimes;
4. Estime que la déclaration d'état d'urgence durant 60 jours à Bangkok n'est pas une solution pour faire face à la crise politique actuelle; estime que les droits démocratiques, y compris le droit de manifester doivent être garantis, est inquiet de la présence militaire accrue dans les rues de Bangkok et alerte sur le fait que la situation peut échapper à tout contrôle et pourrait conduire à une véritable guerre civile dans le pays;
5. Déplore vivement le fait qu'aucune enquête impartiale et indépendante n'ait été menée sur les évènements de mars à mai 2010 et qu’aucun des auteurs de violences n'ait été traduit en justice, estime que cette enquête constitue une étape importante vers la reconstruction de la confiance entre les différentes parties profondément divisées de la société Thaïlandaise;
6. Est d'avis que seule une Assemblée constituante représentant véritablement toutes les parties et régions du pays - y compris de la classe ouvrière, des paysans et des franges les plus modestes de la population et des minorités - et démocratiquement élue pourrait élaborer une nouvelle Constitution qui défende véritablement les intérêts et les droits de toutes les personnes vivant et travaillant en Thaïlande,
7. Souligne qu'une Constitution véritablement démocratique devrait consacrer, défendre et garantir l'accès aux droits économiques et sociaux fondamentaux notamment l'accès de la population aux ressources et les droits démocratiques y compris les droits des travailleurs et les droits des minorités;
8. Demande la libération immédiate de Somyot Prueksakasemsuk et de tous les prisonniers condamnés pour des motifs de lèse-majesté ainsi que la libération de tous les prisonniers arrêtés et détenus pour avoir exercé leurs droits démocratiques;
9. Demande à la Commission de geler les négociations sur un éventuel accord de libre-échange entre l'UE et la Thaïlande jusqu'à ce que toutes les questions en rapport aux droits de l'Homme soient résolues ;
10. charge son Président de transmettre la présente résolution à la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union européenne, au Service européen pour l'action extérieure, aux gouvernements et parlements des États membres de l'Union européenne, au gouvernement du Royaume de Thaïlande, au Secrétaire général des Nations unies, à la Directrice générale de l'UNESCO ainsi qu'aux gouvernements des pays membres de l'ANASE.