PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur les lois sur le blasphème au Pakistan
25.11.2014 - (2014/2969(RSP))
conformément à l'article 135 du règlement
Marie-Christine Vergiat, Kateřina Konečná, Patrick Le Hyaric, Malin Björk, Stefan Eck, Javier Couso Permuy, Marina Albiol Guzmán, Ángela Vallina, Paloma López Bermejo, Younous Omarjee, Lidia Senra Rodríguez, Kostadinka Kuneva, Emmanouil Glezos, Sofia Sakorafa, Marisa Matias au nom du groupe GUE/NGL
B8‑0298/2014
Résolution du Parlement européen sur les lois sur le blasphème au Pakistan
Le Parlement européen,
– vu la déclaration universelle des droits de l'homme et la déclaration des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction,
– vu le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU pour l’indépendance des juges et des avocats, Gabriela Knaul, du 4 avril 2013, faisant suite à sa mission au Pakistan du 19 au 29 mai 2012,
– vu le Pacte international relative aux droits civils et politiques,
– vu ses précédentes résolutions sur le Pakistan,
– vu la recommandation du Parlement européen du 13 juin 2013 à l'intention du Conseil sur le projet de lignes directrices de l'Union sur la promotion et la protection de la liberté de religion ou de conviction,
– vu la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et notamment ses articles 10 et 11,
– vu le rapport final de la délégation de la sous-commission des droits de l’Homme du Parlement européen sur la République islamique du Pakistan, 25-29 août 2013, Islamabad et Lahore,
– vu les remarques de la présidence italienne au nom de la Haute représentante/Vice-président Catherine Ashton, sur la peine de mort au Pakistan et le cas d’Asia Bibi (22/10/2014)
– vu l'article 135, de son règlement,
A. considérant qu’au cours des 15 dernières années, plusieurs dizaines de personnes de différentes religions, dont des personnes de confession musulmane, ont été agressées et tuées après avoir été accusées de blasphème ; considérant que nombre des affaires récentes ont suscité des inquiétudes de la communauté internationale sur l'application des lois sur le blasphème; considérant que plusieurs centaines de personnes ont été tuées dans des attaques, des attentats ou des incidents liés au terrorisme depuis le début de l'année 2014 ;
B. considérant que la situation des droits politiques, sociaux et humains au Pakistan est un sujet de préoccupation profonde ;
C. considérant que le Pakistan a récemment ratifié sept des neuf principaux droits de l'Homme internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations unies, qui comprennent de nombreuses dispositions relatives à l'administration de la justice, au droit à un procès équitable, à l'égalité devant la loi et la non-discrimination ;
D. considérant que la population du Pakistan est majoritairement de confession musulmane mais également issue de nombreux groupes religieux minoritaires; considérant que les questions religieuses sont utilisées à des fins politiques et causent de nombreux conflits meurtriers dont les premières victimes sont souvent des femmes et des enfants, considérant que les autorités pakistanaises sont souvent réticentes ou incapables de protéger la population civile, en particulier les femmes, les minorités ethniques et religieuses, des journalistes et d'autres groupes vulnérables contre les abus, et traduire les coupables en justice ;
E. considérant que le gouvernement du Pakistan maintient son moratoire sur les exécutions de la peine capitale, mais que la peine de mort demeure encore largement utilisée; considérant que, selon les organisations des droits de l’Homme, il y a plus de 8000 personnes dans le couloir de la mort au Pakistan ;
F. considérant que le droit à la liberté de pensée, de croyance et de religion couvrant toutes les croyances, y compris les croyances religieuses, non religieuses, agnostiques et athées, le droit de ne pas croire et le droit de changer de religion ou de conviction, est un droit humain universel et une liberté fondamentale de chaque être humain, étroitement liés à d'autres droits de l'Homme et des libertés fondamentales consacrés par l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme; considérant que la discrimination, l'exploitation et le harcèlement des minorités non-musulmanes sont des faits de la vie quotidienne qui ne sont pas exclusivement pratiqués par des extrémistes ;
G. considérant la Recommandation du Parlement européen du 13 juin 2013 à l’intention du Conseil sur le projet de lignes directrices de l'Union sur la promotion et la protection de la liberté de religion ou de conviction qui « estime que la laïcité implique le rejet de toute ingérence religieuse dans le fonctionnement des institutions publiques, et de toute ingérence publique dans les affaires religieuses » ; considérant que la résolution du Parlement européen du 27 février 2014 sur la situation des droits fondamentaux dans l'Union européenne « rappelle que les lois nationales qui érigent le blasphème en infraction restreignent la liberté d'expression religieuse ou portant sur d'autres croyances, qu'elles sont souvent appliquées aux fins de la persécution, du mauvais traitement ou de l'intimidation de personnes appartenant à des minorités, notamment religieuses, et qu'elles peuvent sérieusement restreindre la liberté d'expression et la liberté de religion ou de croyance » ;
H. considérant le massacre du 4 novembre 2014 par une foule d’un couple de chrétiens accusés de blasphème à Kot Radha Kishan, en périphérie de Lahore, dans le Pendjab, qui selon des rumeurs auraient profané un Coran la veille ; considérant que le gouvernement du Pendjab aurait mis sur pied une commission afin d’accélérer l’enquête sur l’homicide de ce couple et ordonné une protection policière renforcée des quartiers chrétiens de la province ;
I. considérant que le 16 octobre 2014, la haute cour de Lahore a débouté de son appel Asia Bibi, une chrétienne condamnée à mort pour blasphème en 2010 en vertu de la section 295C du Code pénal pakistanais ; considérant que l’équité de son procès et les accusations sont fortement mise en doute, notamment par Amnesty International ;
J. considérant qu’en octobre 2014, Mohammad Asghar, ressortissant britannique d'origine pakistanaise, diagnostiqué malade mental au Royaume-Uni mais néanmoins emprisonné pour blasphème, a été blessé par balle par un gardien de prison ; considérant que son agresseur a été arrêté et inculpé de tentative de meurtre par les autorités provinciales, et que huit autres gardiens de prison ont été suspendus de leurs fonctions ;
K. considérant la mort le 7 mai dernier d’un militant des droits de l’Homme et avocat, Rashid Rehman, qui défendait alors le cas d’un citoyen accusé de blasphème ; considérant que la protection de l’avocat n’était pas assurée, considérant le manque d’indépendance et le manque d’efficacité du système judiciaire pakistanais, considérant que selon le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU pour l’indépendance des juges et des avocats, Gabriela Knaul, du 4 avril 2013 « en moyenne, les juges ont apparemment 200 cas par jour sur lesquels se prononcer - parfois jusqu'à 300 cas » et que « cette situation est humainement impossible à traiter » ;
L. considérant que l’organisation de groupes de citoyens, parfois constitués en véritables milices, attaquant des particuliers à la suite d'accusations de blasphème, y compris en détention, représente un danger pour la sécurité publique ; considérant que ces événements démontre l’incapacité du gouvernement pakistanais à faire face à la violence de ces groupes ;
M. considérant que ce type de violence perpétués par des milices est alimenté par les lois répressives relatives au blasphème, qui entretiennent le climat de peur pour les minorités religieuses ; considérant que l’impunité qui entoure les violences dont sont la cible les minorités religieuses au Pakistan est omniprésente ;
N. considérant que la liberté d’expression, notamment des médias, n’est toujours pas garantie ; considérant que le 20 octobre 2014, l’Autorité pakistanaise de régulation des médias (PEMRA) a suspendu les émissions de la chaîne privée ARY TV pour 15 jours, accusée d’avoir « calomnié » la justice du pays après avoir diffusé une interview d’un homme faisant actuellement l’objet d’un procès très médiatisé devant la haute cour de Lahore ; considérant que sa diffusion demeure fortement réduite ;
O. considérant que l’arrestation le 12 septembre 2014 des auteurs présumés de la tentative d’assassinat contre Malala Yousafzai donne aux autorités pakistanaise la responsabilité de se montrer à la hauteur des droits à l’éducation et des droits des femmes et des filles défendus par la jeune récipiendaire du prix Nobel de la paix 2014 et du prix Sakharov 2013 ;
P. considérant que des drones américains procèdent régulièrement à des attaques et des exécutions extrajudiciaires dans les régions tribales du Pakistan; considérant que ces attaques alimentent le développement de l'extrémisme religieux, considérant que les décennies de violence et de guerre en Afghanistan ont entraîné la déstabilisation de la région dans son ensemble et le renforcement des groupes religieux extrémistes ;
1. exhorte les autorités pakistanaise à abroger de toute urgence les lois relatives au blasphème qui violent les droits à la liberté d'expression et à la liberté de pensée, de conscience et de religion et qui visent aussi bien les musulmans eux-mêmes que les minorités religieuses ou les avocats les défendant ;
2. réaffirme la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui comprends les droits de croire et de ne pas croire, de pratiquer la religion de son choix et de changer de religion; condamne toute forme de discrimination et d'intolérance, rappelle que le Parlement européen a défini le 27 février 2014 le sécularisme comme « le meilleur moyen de garantir la non-discrimination et l'égalité entre les religions ainsi qu'entre les croyants et les non-croyants » ;
3. demande aux autorités pakistanaises de traduire en justice les responsables du lynchage et du massacre du 4 novembre 2014 du couple de chrétiens accusés de blasphème ;
4. prie instamment les autorités pakistanaises de libérer Asia Bibi immédiatement et sans condition, et de prendre des mesures efficaces pour assurer la sécurité de cette femme et de sa famille ;
5. demande aux autorités pakistanaises à veiller à ce que la condamnation de Mohammad Asghar soit annulée, que cet homme soit libéré et que sa sécurité soit garantie ; demande de s'assurer que tous les responsables présumés de l'attaque visant Mohammad Asghar soient traduits en justice dans le cadre d'un procès équitable, sans que la peine de mort ne soit requise contre eux ;
6. demande aux autorités pakistanaises de condamner sans équivoque l'assassinat de M. Rashid Rehman et demande de reconnaître publiquement que les défenseurs des droits de l'homme ont un rôle légitime à jouer pour assurer la paix, la justice et la démocratie et d’assurer la protection des avocats défendant les cas de blasphème ;
7. appelle le gouvernement pakistanais à instaurer un moratoire immédiat et effectif sur toutes les exécutions et à commuer toutes les condamnations à mort en vue d'abolir la peine capitale, le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit ;
8. invite les autorités pakistanaises à suivre les recommandations du Rapporteur spécial de l’ONU pour l’indépendance des juges et des avocats, Gabriela Knaul, dans son rapport du 4 avril 2013 notamment sur la réforme du système juridique pour respecter les droits fondamentaux et assurer son efficacité, délimiter clairement ses pouvoirs dans la Constitution, étendre l’application de la Constitution et de la juridiction de la Cour Suprême à tout le territoire pakistanais et envisager l’abolition de la Cour Fédérale de la Charia ; demande en outre à ce que toutes les allégations de corruption dans le système judiciaire soient l'objet d'enquêtes en vertu de règles claires et transparentes, fixées à l'avance, et dans le respect des garanties fondamentales d'un procès équitable.
9. demande aux autorités pakistanaises d’assurer ses engagements internationaux en matière de démocratie, de respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, notamment en vue d’assurer en toute circonstance la liberté d'expression et le droit à un procès équitable ;
10. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au gouvernement et à l’Assemblée nationale du Pakistan.