PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la destruction de sites culturels par le groupe État islamique
28.4.2015 - (2015/2649(RSP))
déposée conformément à l'article 128, paragraphe 5, du règlement
Silvia Costa, Sylvie Guillaume, Krystyna Łybacka, Enrico Gasbarra, Alessia Maria Mosca, Andi Cristea, Vilija Blinkevičiūtė, Viorica Dăncilă, Victor Negrescu, Momchil Nekov, Luigi Morgano, Liliana Rodrigues, Marlene Mizzi, Nicola Caputo, Afzal Khan au nom du groupe S&D
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B8-0375/2015
B8-0403/2015
Résolution du Parlement européen sur la destruction de sites culturels par le groupe État islamique
Le Parlement européen,
– vu l'article 167 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (traité FUE) qui dispose que "l'action de l'Union vise à encourager la coopération entre États membres", notamment dans le domaine de "la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d'importance européenne" et que "l'Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture",
– vu le règlement (CE) no 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels[1],
– vu le règlement (CE) no 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003 concernant certaines restrictions spécifiques applicables aux relations économiques et financières avec l'Iraq et abrogeant le règlement (CE) no 2465/1996[2],
– vu le règlement (UE) no 1332/2013 du Conseil du 13 décembre 2013 modifiant le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie[3], adopté sur la base de la décision 2013/760/PESC du Conseil du 13 décembre 2013 modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie[4],
– vu l'action commune 2001/555/PESC du Conseil du 20 juillet 2001 relative à la création d'un centre satellitaire de l'Union européenne[5], modifiée par l'action commune 2009/834/PESC du Conseil[6],
– vu la résolution du Conseil d'octobre 2012 sur la création d'un réseau informel d'autorités et d'experts en matière répressive, compétents dans le domaine des biens culturels (EU CULTNET),
– vu la convention de l'Unesco du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels,
– vu le deuxième protocole de la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, adopté en 1999,
– vu la convention de l'Unesco du 16 novembre 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel,
– vu la convention de l'Unesco du 17 octobre 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel,
– vu la convention de l'Unesco du 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
– vu la convention d'Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés,
– vu la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies du 12 février 2015 sur les menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d'actes de terrorisme[7],
– vu la charte de Venise de 1964 sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, qui fournit un cadre international pour la préservation et la restauration des bâtiments anciens,
– vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale adopté le 17 juillet 1998, et notamment son article 8, paragraphe 2, point b) ix), qui reconnaît comme crime de guerre l'acte de "diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires",
– vu sa résolution du 12 mars 2015 sur le rapport annuel 2013 sur les droits de l'homme et la démocratie dans le monde et sur la politique de l'Union européenne en la matière, dont le paragraphe 211 dispose que "les formes intentionnelles de destruction du patrimoine culturel et artistique, telles qu'elles se déroulent actuellement en Syrie et en Iraq, devraient être poursuivies en tant que crimes de guerre et crimes contre l'humanité"[8],
– vu les questions au Conseil et à la Commission sur la destruction de sites culturels par le groupe "État islamique" (O-000031/2015 – B8-0115/2015 and O-000032/2015 – B8-0116/2015),
– vu l'article 128, paragraphe 5, et l'article 123, paragraphe 2, de son règlement,
A. considérant que de nombreux sites archéologiques, religieux et culturels en Syrie, en Iraq et en Tunisie ont récemment fait l'objet de destructions ciblées par des groupes d'extrémistes liés notamment au groupe "État islamique" (EI), et qu'Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco, a qualifié ces attaques systématiques contre le patrimoine culturel de "nettoyage culturel";
B. considérant que, selon l'Unesco, l'expression "nettoyage culturel" désigne une stratégie visant à supprimer intentionnellement la diversité culturelle en ciblant délibérément des personnes en fonction de leur appartenance culturelle, ethnique ou religieuse, alliée à des attaques délibérées de leurs lieux de culte, de mémoire et d'enseignement, et que cette stratégie de nettoyage culturel est mise en œuvre en Iraq et en Syrie, où elle prend la forme d'attaques contre le patrimoine culturel, à la fois contre des expressions physiques, matérielles et édifiées de la culture telles que des monuments et des bâtiments, et contre des minorités et des expressions immatérielles de la culture telles que les coutumes, les traditions et les croyances[9];
C. considérant que dans certaines circonstances, des actes de destruction du patrimoine culturel ont déjà été considérés comme des crimes contre l'humanité[10]; que, notamment lorsque ces actes sont dirigés contre les membres d'un groupe religieux ou ethnique, ils peuvent être assimilés au crime de persécution, tel que défini à l'article 7, paragraphe 1, point h), du Statut de la Cour pénale internationale;
D. considérant que de tels actes de destruction de sites et d'objets culturels et historiques ne sont pas un phénomène récent et ne se limitent pas à l'Iraq et à la Syrie; que, selon l'Unesco, "le patrimoine culturel est une composante importante de l'identité culturelle des communautés, groupes et individus, et de la cohésion sociale, de sorte que sa destruction intentionnelle peut avoir des conséquences préjudiciables sur la dignité humaine et les droits de l'homme"[11]; soulignant que, comme l'a exposé entre autres l'Unesco, le produit du pillage de sites culturels et religieux et du trafic d'objets culturels et religieux en Iraq et en Syrie, notamment par l'EI, sert à financer ses activités terroristes, si bien que les objets d'art et culturels deviennent de fait des "armes de guerre";
E. considérant que, grâce aux fonds alloués par l'Union européenne, l'Unesco et d'autres partenaires stratégiques ont lancé, le 1er mars 2014, le "projet de sauvegarde d'urgence du patrimoine syrien" pour une période de trois ans, destiné en particulier à assurer la protection d'urgence du patrimoine culturel syrien;
F. considérant que l'Union européenne a ratifié la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée le 20 octobre 2005, qui a été le premier instrument international à reconnaître la double nature, économique et culturelle, des biens culturels, qui "ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale";
G. considérant que la convention de l'Unesco concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels, adoptée le 17 novembre 1970, et la convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, adoptée le 24 juin 1995, constituent des instruments importants permettant de renforcer la protection du patrimoine culturel mondial;
H. considérant que le commerce illégal de biens culturels constitue désormais le troisième marché illicite par ordre d'importance, après les stupéfiants et les armes, que ce commerce illicite est dominé par les réseaux criminels organisés et qu'il manque aux mécanismes nationaux et internationaux l'équipement et le soutien nécessaires pour lutter contre ce phénomène[12];
I. considérant que, même si la lutte contre le commerce illicite des biens culturels n'est pas une compétence spécifique de l'Union, dans la mesure où elle n'est pas inscrite comme telle dans les traités, elle relève cependant de plusieurs domaines de compétence de l'Union, comme le marché intérieur, l'espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ), la culture et la politique étrangère et de sécurité commune (PESC);
J. considérant qu'il est urgent de mieux coordonner la lutte contre le commerce illicite des biens culturels et de collaborer étroitement afin de promouvoir la sensibilisation et le partage d'informations ainsi que de renforcer les cadres juridiques; rappelant, dans ce contexte, que dans ses conclusions datées de décembre 2011 relatives à la prévention de la criminalité visant les biens culturels et à la lutte contre ce phénomène, le Conseil recommandait entre autres aux États membres de renforcer la coopération entre les services répressifs et les autorités chargées de la culture ainsi que les entités privées;
K. considérant qu'en octobre 2012, une résolution du Conseil a créé un réseau informel d'autorités et d'experts en matière répressive, compétents dans le domaine des biens culturels (EU CULTNET), dont le principal objectif consiste à améliorer les échanges d'informations utiles pour empêcher le commerce illégal de biens culturels, ainsi qu'à recenser et partager les informations relatives aux réseaux criminels soupçonnés d'être impliqués dans un tel trafic;
L. considérant que le samedi 28 mars 2015, Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco, a lancé à Bagdad la campagne #Unite4Heritage, destinée à obtenir un soutien international en faveur de la protection du patrimoine culturel en utilisant la force des réseaux sociaux;
1. condamne fermement les destructions de sites culturels, archéologiques et religieux par l'EI en Syrie et en Iraq;
2. invite la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à prendre des mesures appropriées au niveau politique, conformément à la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies du 12 février 2015, afin de mettre un terme au commerce illégal des biens culturels provenant de Syrie et d'Iraq tant que ces pays seront en proie à la guerre, en empêchant ainsi qu'ils ne servent à financer des actes terroristes;
3. invite la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à recourir à la diplomatie culturelle et au dialogue interculturel pour réconcilier les différentes communautés et reconstruire les sites détruits;
4. suggère, à ce propos, que la Commission concentre ses efforts sur la prévention du commerce illicite des objets culturels et sur la lutte contre ce trafic, notamment en ce qui concerne les biens culturels iraquiens et syriens pris illégalement en Iraq depuis le 6 août 1990 et en Syrie depuis le 15 mars 2011, conformément au paragraphe 17 de la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies du 12 février 2015; considère que la Commission devrait concevoir une approche coordonnée pour lutter contre ce trafic, en travaillant de concert avec les responsables des services d'enquête au niveau national et en collaboration étroite avec l'Unesco et d'autres organisations internationales comme le Conseil international des musées (ICOM), le comité international du bouclier bleu de l'ICOM, Europol, Interpol, Unidroit et l'Organisation mondiale des douanes;
5. invite la Commission à demander à la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de faire intervenir le Centre satellitaire de l'Union européenne à Torrejón, dont la mission consiste à soutenir le processus de prise de décision de l'Union dans le cadre de la PESC en fournissant du matériel issu de l'analyse de l'imagerie par satellite qui permette de surveiller et de recenser les sites archéologiques et culturels de Syrie et d'Iraq ainsi que de soutenir les activités des archéologues syriens afin d'empêcher tout nouveau pillage et de protéger la vie des civils;
6. invite la Commission à créer un mécanisme d'échange d'informations rapide et sécurisé et de partage de bonnes pratiques entre les États membres afin de lutter efficacement contre le commerce illicite des biens culturels enlevés illégalement d'Iraq et de Syrie, et à envisager la mise en place de programmes européens de formation destinés aux magistrats, aux policiers et aux douaniers, aux administrations publiques et, plus généralement, aux acteurs du marché, afin de permettre à toutes les parties prenantes à la lutte contre le commerce illicite des biens culturels de développer et d'approfondir leur expertise;
7. demande à la Commission de soutenir la campagne #Unite4Heritage de l'Unesco en lançant une campagne d'information sur l'Iraq et la Syrie afin de mieux faire connaître l'importance du patrimoine culturel de ces pays, la façon dont le produit des pillages sert à financer les activités terroristes et les sanctions susceptibles d'être associées à l'importation illicite de biens culturels originaires de ces pays ou d'autres pays tiers;
8. demande à la Commission de réexaminer le règlement (CE) no 116/2009 du Conseil concernant l'exportation de biens culturels, afin de parvenir à un niveau plus élevé d'efficacité et d'envisager la création d'un instrument de contrôle des importations de biens culturels dans l'Union européenne;
9. demande au Conseil d'envisager la création, au sein d'Eurojust et d'Europol, d'une section spécialisée dans le commerce illicite de biens culturels qui serait chargée de coordonner, à l'échelon européen, les poursuites et les enquêtes des diverses autorités nationales, l'existence de sections spécialisées étant un prérequis en vue d'une meilleure utilisation des ressources destinées à empêcher et à combattre le trafic et le commerce illicite de biens;
10. demande à l'Union européenne de prendre les mesures nécessaires, en collaboration avec l'Unesco et la Cour pénale internationale, afin que la définition de crimes contre l'humanité dans le droit international soit élargie et inclue les actes délibérés de dégradation ou de destruction à grande échelle du patrimoine culturel de l'humanité;
11. demande à tous les États membres qui ne l'ont pas encore fait de ratifier la convention de l'Unesco de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels et la convention d'Unidroit de 1995;
12. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à la directrice générale de l'Unesco, au représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'homme, aux gouvernements et aux parlements des États membres, à la Coalition nationale syrienne ainsi qu'au gouvernement et au parlement d'Iraq.
- [1] JO L 39 du 10.2.2009, p. 1.
- [2] JO L 169 du 8.7.2003, p. 6.
- [3] JO L 335 du 14.12.2013, p. 3.
- [4] JO L 335 du 14.12.2013, p. 50.
- [5] JO L 200 du 25.7.2001, p. 5.
- [6] JO L 297 du 13.11.2009, p. 18.
- [7] http://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=54ef1f934
- [8] Textes adoptés de cette date, P8_TA(2015)0076.
- [9] http://www.unesco.org/new/fr/media-services/single-view/news/conference_report_heritage_and_cultural_diversity_at_risk_in_iraq_and_syria/
- [10] Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Kordić et Čerkez, 26 février 2001, IT-95-14/2, points 207 et 208.
- [11] Déclaration de l'Unesco de 2003 concernant la destruction intentionnelle du patrimoine culturel.
- [12] http://www.africa-eu-partnership.org/fr/newsroom/all-news/maroc-atelier-dechanges-sur-la-protection-des-biens-culturels-contre-le-pillage-le