PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur le sort des réfugiés Rohingya et des charniers en Thaïlande
19.5.2015 - (2015/2711(RSP))
conformément à l'article 135 du règlement
Marie-Christine Vergiat, Malin Björk, Patrick Le Hyaric, Lola Sánchez Caldentey, Younous Omarjee, Marina Albiol Guzmán, Verónica Lope Fontagné, Pablo Iglesias au nom du groupe GUE/NGL
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B8-0469/2015
B8‑0480/2015
Résolution du Parlement européen sur le sort des réfugiés Rohingya et des charniers en Thaïlande
Le Parlement européen,
– vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme,
– vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966,
– vu la Revue Universelle Périodique devant le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies du 5 octobre 2011
– vu le rapport de la commission contre la torture de l'ONU du 20 juin 2014 et ses conclusions,
– vu le communiqué du conseil des droits de l'Homme de l'ONU du 1er avril 2015 "UN expert dismayed over Thai leader’s intimidating statements against freedom of the press"
– vu ses résolutions antérieures sur la Thaïlande, notamment celles du 12 mars 2014 sur la situation et les perspectives d'avenir du secteur européen de la pêche dans le cadre de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Thaïlande, du 6 février 2014 sur la situation en Thailande et du 13 juin 2013 sur la situation des musulmans Rohingyas,
– vu le communiqué de presse de la délégation de l'UE en Thaïlande du 18 août 2014, " EU to increase humanitarian assistance to Rohingya and Bangladeshi migrants in detention centers to € 325 000"
– vu les conclusions et engagement de la 20ème rencontre interministérielle UE-ANASE du 23 juillet 2014,
– vu le communiqué de Human Rights Watch du 1er mai 2015, "Thailand: Mass Graves of Rohingya Found in Trafficking Camp ",
– vu le communiqué de la HRVP sur les développements en Thaïlande du 2 avril 2015,
– vu l'article 135, de son règlement,
A. considérant les découvertes de fosses communes de migrants en ce mois de mai 2015, dans la province de Songkhla, à la frontière malaisienne de la Thaïlande; considérant la découverte d'une fosse commune contenant vingt-six corps de migrants le 1er mai 2015; considérant que la découverte d'un autre charnier le 5 mai 2015, à 1 kilomètre seulement de la première découverte tragique,
B. considérant que la province de Songkhla est une zone de transit empruntée chaque année par des milliers de réfugiés; considérant que ces réfugiés sont internés par les passeurs dans des conditions inhumaines où ils manquent de tout dans des camps de "transit" ou "camps-prisons" dissimulés dans la jungle sur la route du trafic d'humains vers la Malaisie en attendant que des proches les délivrent contre rançons; considérant que de nombreux migrants ne survivent pas à leurs conditions de détention et sont alors jetés dans des fosses;
C. considérant que cinq fonctionnaires de Padang Besar ont été arrêtés pour trafic d'être humain présumé, que deux autres sont en cavale et qu'un Birman dans la province voisine de Nakhon Si Thammarat a été placé en détention;
D. considérant qu'ils existent très certainement de nombreuses autres fosses communes encore non découvertes; considérant que d’autres morts seront inéluctablement à déplorer si la Thaïlande et la région ne s'engagent pas à la hauteur des événements ;
Les Rohingya, minorité persécutée la plus concernée
E. considérant que les autorités ont indiqué que les corps retrouvés dans les fosses étaient vraisemblablement des migrants Rohingya, musulmans originaires de Birmanie ; considérant que les autres seraient des Bangladais;
F. considérant que les Rohingyas sont considérés par l’ONU comme l’une des minorités les plus « persécutées du monde »;
G. considérant que les violences à l’égard des Rohingyas se sont encore accentués depuis les massacres de 2012 dans la province birmane de l'Arakhan majoritairement bouddhiste; considérant que cette minorité musulmane, estimée aujourd'hui à 800 000 membres, n'est pas reconnue par le Myanmar comme faisant partie des 135 ethnies répertoriées officiellement et sont de facto apatrides ; considérant que les Rohingyas sont victimes de persécution, de racisme et de violences tout particulièrement au travers de la destruction de leurs propriétés et lieux de culte, d'arrestations collectives, d'emprisonnements arbitraires, d'actes de torture, de viols, ainsi que de restrictions à la libre circulation, au mariage et à l'accès à l'éducation au Myanmar;
H. Considérant que cette situation les poussent à fuir le Myanmar et à chercher refuge dans les pays voisins et notamment en Thaïlande où ils sont victimes d’une véritable traite d’êtres humains qui s’est aggravée depuis 2012 ;
I. considérant que les Rohingyas sont considérés comme des "immigrants illégaux" par la Thaïlande ; considérant qu'il a été rapporté par les ONG que près de 3 000 Rohingyas ayant fui le Myanmar sont détenus dans des conditions inhumaines dans des centres thaïlandais de détention pour migrants ; considérant que l'assistance humanitaire de l'UE pour les centres de détention des migrants Rohingyas et Bangladais n’est doté que de 325 000 euros ce qui est insuffisant pour garantir le respect des droits fondamentaux ainsi que des conditions de détention dignes ;
Trafic d'êtres humains et enjeux de migrations dans la région
J. considérant que chaque année, des dizaines de milliers de candidats à l’exil transitent par le sud de la Thaïlande, vers la Malaisie et au-delà, pour fuir la pauvreté au Bangladesh, ou la violence dans le cas des Rohingya du Myanmar; considérant que des réfugiés et demandeurs d'asile de plus de 40 nationalités différentes arrivent en Thaïlande en nombre croissant;
K. considérant que l’annonce de la découverte de ces camps coïncide avec la volonté affichée de la junte thaïlandaise de montrer à la communauté internationale qu’elle prend en main la lutte contre le trafic d'êtres humains; considérant qu'au lendemain du coup d'État militaire de mai 2014, le pays a durci ses mesures en matière d'immigration et a appliqué plus strictement la politique relative aux mouvements de personnes sans papiers dans les zones frontalières; considérant qu'en conséquence les migrants tentent davantage de passer par la mer pour rejoindre la Malaisie et au-delà; considérant enfin que ces migrants sont les victimes involontaires de la nouvelle politique de la Thaïlande depuis la découverte de ces fosses, les migrants étant piégés à bord de bateaux bondés et souvent abandonnés en mer par leurs passeurs;
L. considérant qu'entre janvier et mars 2015, les Rohingya étaient 25 000 à avoir pris la mer, pour éviter de passer par la Thaïlande, soit près du double par rapport à l'an dernier ;
M. considérant que mardi 12 mai 2015 un bateau transportant environ 400 migrants venus du Myanmar et du Bangladesh a été remorqué par la marine indonésienne hors de ses eaux territoriales, un jour après son arrivée près des côtes; considérant qu'une autre embarcation, retrouvée le lendemain en train de dériver au large, n’a pas été autorisée à toucher terre ;
N. considérant que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a appelé le 12 mai les gouvernements du Sud-Est asiatique à retrouver et secourir les migrants qui se trouveraient piégés en mer et dont la vie est en danger;
O. considérant que la Thaïlande a annoncé qu'elle organiserait un sommet régionale consacré à l'immigration clandestine dans la région le 29 mai prochain ; considérant que d'autres pays du globe y participeraient également; considérant l'importance que peut relever la participation des Etats-membres de l'UE à ce sommet mais que celle-ci sera jugée à l'aune de la tragédie des migrants morts en mer Méditerranée et de leurs propres engagements pris devant la communauté internationale en matière de sauvetage en mer ;
P. considérant que les engagements pris lors de la dernière réunion interministérielle UE-ANASE en matière de lutte contre le trafic d'êtres humains, respect du droit humanitaire et assistance humanitaire sont largement insuffisants;
Situation politique générale
Q. considérant que le régime thaïlandais actuel dénie les principes internationaux de base de l'État de droit et de la démocratie à ses propres citoyens ; considérant que le coup d'Etat de mai 2014 est le 19ème depuis 1932; considérant que depuis le coup d’Etat, le général Prayuth Chan-Ocha assure le poste de Premier Ministre ; considérant la levée de la loi martiale remplacée par le décret 3/2015 accordant à la junte les pleins pouvoirs en matière de sécurité nationale sans passer par le Parlement, dont les membres sont désormais nommés par les militaires eux-mêmes et non plus élus par les citoyens thaïlandais;
R. considérant que la junte rejette l'idée d'organiser des élections dans l'immédiat; considérant qu'elle déploie un arsenal répressif massif restreignant les libertés d'expression et d'association; considérant notamment les propos alarmants du Premier Ministre contre ceux qui le critique, jugeant qu'il dispose alors du "droit de fermer des médias, d'arrêter les gens et demander l'exécution de certaines personnes"; considérant que l'article 112 du code pénal sur le "crime de lèse-majesté" et la loi sur les crimes informatiques sont utilisés à des fins répressives notamment à l'encontre des militants des droits de l'Homme, d’hommes et de femmes politiques et de journalistes; considérant notamment la quatrième année de détention abusive du militant des droits de l'Homme, Somyot Phrueksakasemsuk;
S. considérant l'usage de cours militaires pour juger des civils; considérant les détentions arbitraires, sans aucun contrôle judiciaire; considérant que des leaders des Chemises rouges sont enfermés dans des camps militaires pendant plusieurs jours et ne sont libérés qu'à la condition de ne plus s'engager dans des activités politiques;
T. considérant que la Thaïlande s'apprête à rédiger une nouvelle Constitution;
U. considérant que l'UE négocie depuis 2006 un Accord de partenariat et de coopération avec la Thaïlande qui devait contenir une clause droit de l'Homme; considérant que le Parlement européen a rappelé l'importance du respect des conventions de l'Organisation internationale du travail avant de donner son accord à l'accord de libre-échange ;
V. considérant que les relations UE-Thaïlande s'inscrivent également dans le cadre de la coopération avec les nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) dans lesquels le respect et la promotion des droits de l'Homme n’ont pas été intégré ;
1. Présente ses plus vives condoléances aux proches des victimes découvertes dans les charniers en Thaïlande, demande aux autorités thaïes que tout soit fait pour retrouver les coupables et qu'ils soient traduits en justice ;
2. demande la mise en place au plus vite d'une enquête indépendante sous l'égide de l'ONU portant y compris sur les implications éventuelles d’officiels thaïs dans le trafic d'êtres humains dans la région;
3. demande aux autorités régionales d'apporter son secours de toute urgence aux bateaux dérivant aux larges des côtes indonésiennes ;
4. rappelle que la plupart de ces migrants, particulièrement les Rohingya, sont des demandeurs d'asile potentiel au regard des discriminations et violences dont ils font l'objet dans leurs pays d'origine; invite donc instamment la Thaïlande à ratifier la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, et son protocole de 1967 et à mettre en place un cadre national d'asile respectueux des droits fondamentaux ;
5. invite le gouvernement thaïlandais à mettre immédiatement un terme aux conditions inhumaines de détention des migrants et réfugiés sur leur territoire et à leur permettre d'accéder aux agences des Nations unies pour les réfugiés; regrette qu'à ce jour, le général et Premier Ministre Prayuth Chan-ocha n'ait pas permis au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés de bénéficier des moyens nécessaires pour procéder à l’examen des demandes et d'accorder la protection nécessaire aux demandeurs d'asile notamment Rohingyas;
6. invite tous les pays de la région à respecter leurs obligations internationales en ce qui concerne les droits des réfugiés, notamment la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, et à ouvrir leurs frontières aux demandeurs d'asile Rohingyas, à leur fournir au moins une protection temporaire, et d’enjoindre le gouvernement birman à trouver des solutions durables pour que cesse les discriminations et violences à l’égard des Rohingyas;
7. rappelle que la communauté internationale a pressé le gouvernement birman de revoir sa loi de 1982 sur la citoyenneté pour faire en sorte que les Rohingyas ne soient plus apatrides et pour s'attaquer aux racines de la discrimination qui frappe de longue date la population Rohingya ;
8. invite de nouveau le gouvernement du Myanmar à accorder aux agences des Nations unies et aux ONG humanitaires, ainsi qu'aux journalistes et aux diplomates, un accès sans entrave à toutes les régions du pays, y compris à l'État de Rakhine, et à permettre à l'aide humanitaire d'atteindre sans restriction toutes les communautés victimes de violence ;
9. est particulièrement préoccupé par la mise en cause de fonctionnaires dans le trafic d'êtres humains; juge que cela dénote plus largement de la situation alarmante en matière de démocratie, d'Etat de droit et libertés fondamentales en Thaïlande; juge que la démocratie ne saurait être restaurée qu'avec le départ de la junte du pouvoir et l’organisation d’élections transparentes ;
10. demande à la Thaïlande d'appliquer intégralement la Convention contre la torture à laquelle la Thaïlande est partie et de revoir sa législation en conséquence, y compris sur la définition de la torture et sur les conditions de détention et les droits des détenus; enjoint les autorités thaï d'effectuer des enquêtes sur tous les rapports de torture et autre traitement dégradants et de traduire en justice les responsables, y compris officiels;
11. s'inquiète du lancement de la rédaction d'une nouvelle Constitution dans les conditions politiques actuelles; est d'avis que seule une Assemblée constituante représentant véritablement l’ensemble de la population du pays dans toute sa diversité y compris régionale, démocratiquement élue, peut élaborer une nouvelle Constitution qui défende véritablement les intérêts et les droits de toutes les personnes vivant et travaillant en Thaïlande,
12. demande aux autorités thaïlandaises de garantir et de faire respecter la liberté d'expression, le droit d'association et de réunion et d'abroger les lois relatives à la lèse-majesté, en particulier l'article 112 du code pénal, afin d'établir un climat de paix sociale ;
13. rappelle les engagements pris par la Thaïlande dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et demande la fin des détentions arbitraires et des jugements par les cours militaires de civils ;
14. demande à la Commission de geler les négociations sur un éventuel accord de libre-échange entre l'UE et la Thaïlande jusqu'à ce que les questions en matière de droits de l'Homme, d'Etat de droit et de démocratie soient résolues ; et l'invite à consulter étroitement le Parlement et la société civile dans ce processus;
15. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission/ haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au représentant spécial de l'ONU pour les droits de l'Homme, au gouvernement de la Thaïlande, au secrétaire général de l'ANASE et au secrétaire général des Nations unies.