PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la situation de la population Rohingya
6.12.2017 - (2017/2973(RSP))
déposée conformément à l’article 123, paragraphe 2, du règlement intérieur
Barbara Lochbihler, Jordi Solé, Igor Šoltes, Judith Sargentini au nom du groupe Verts/ALE
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B8-0668/2017
B8-0673/2017
Résolution du Parlement européen sur la situation de la population Rohingya
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions précédentes sur la Birmanie/le Myanmar et sur la situation des musulmans Rohingyas, notamment celles du 14 septembre 2017[1], du 7 juillet 2016[2] et du 15 décembre 2016[3],
– vu les conclusions du Conseil du 16 octobre 2017 sur la Birmanie/le Myanmar,
– vu les observations de Federica Mogherini, vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR), formulées le 19 novembre 2017 dans la ville de Cox’s Bazar (Bangladesh),
– vu le communiqué de presse conjoint du 25 novembre 2016 relatif au troisième dialogue UE-Myanmar sur les droits de l’homme,
– vu les conclusions du Conseil du 4 décembre 2015 sur l’apatridie,
– vu la déclaration du président du Conseil de sécurité de l’ONU du 6 novembre 2017 sur la violence dans l’État de Rakhine,
– vu le rapport du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme intitulé «Situation des droits de l’homme des musulmans Rohingyas et d’autres minorités au Myanmar» du 20 juin 2016 et le rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Myanmar du 18 mars 2016,
– vu la 27e session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la situation des droits de l’homme de la minorité musulmane Rohingya et des autres minorités de l’État de Rakhine au Myanmar/en Birmanie et sa résolution du 5 décembre 2017, qui condamne fermement le Myanmar/la Birmanie pour la «commission très probable de crimes contre l’humanité» par les forces de sécurité de l’État, assistées par des acteurs non étatiques de l’État de Rakhine,
– vu la convention des Nations unies relative au statut des réfugiés de 1951 et le protocole de 1967 joint à celle-ci,
– vu la convention des Nations unies de 1954 relative au statut des apatrides et la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie,
– vu le plan d’action global 2014-2024 du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour mettre fin à l’apatridie,
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,
– vu le rapport final de la commission consultative sur l’État de Rakhine,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux de 1966,
– vu la charte de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN),
– vu l’article 123, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que l’État de Rakhine en Birmanie/au Myanmar abrite environ un million de Rohingyas, une minorité essentiellement musulmane qui se voient refuser la pleine citoyenneté et les droits associés en vertu de la loi sur la citoyenneté de la Birmanie/du Myanmar, qui fait d’eux des apatrides;
B. considérant que la population des Rohingyas est l’une des minorités les plus persécutées au monde et qu’elle est désormais en grande partie confinée dans des campements et des zones isolées et subit de graves restrictions à sa liberté de circulation au sein et en dehors de l’État de Rakhine; considérant que cette privation de liberté menace leur survie et leur sécurité, les dépossède de leurs droits à la santé et à l’enseignement, et les condamne au travail forcé, à des violences sexuelles et à des restrictions de leurs droits politiques;
C. considérant que la dernière escalade des tensions, en août 2017, a donné lieu à une réaction extrêmement disproportionnée des autorités de la Birmanie/du Myanmar, comprenant des violations des droits de l’homme systématiques et à grande échelle avérées, perpétrées à l’encontre de la population Rohingya, notamment la destruction de quartiers entiers, des massacres, des viols et de la torture;
D. considérant que, depuis août 2017, plus de 625 000 Rohingyas ont trouvé refuge au Bangladesh voisin; considérant que les personnes qui fuient le pays empruntent des itinéraires périlleux sur lesquels ils sont à la merci des tirs armés, de multiples dangers sur le chemin mais aussi de la faim et du manque d’assistance médicale; considérant que des dizaines de Rohingyas, dont des femmes et des enfants, ont perdu la vie en chemin;
E. considérant que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) a demandé au gouvernement de la Birmanie/du Myanmar un rapport extraordinaire sur la situation des femmes et des filles Rohingyas;
F. considérant que le Bangladesh a déposé une plainte contre les autorités de la Birmanie/du Myanmar en raison de la pose de mines terrestres sur une partie de sa frontière avec le Bangladesh;
G. considérant les rapports signalant que les agences des Nations unies ne sont toujours pas autorisées à fournir de l’aide humanitaire, sous la forme d’aliments, d’eau et de médicaments, aux Rohingyas;
H. considérant que le 10 septembre 2017, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a déclaré que la situation en Birmanie/au Myanmar «semble être un exemple classique de nettoyage ethnique»;
I. considérant que le 5 décembre 2017, Zeid Ra’ad Al Hussein a recommandé à l’Assemblée générale des Nations unies de mettre en place un nouveau mécanisme pour assister les enquêtes criminelles contre des auteurs d’actes de violence à l’égard des musulmans Rohingyas;
1. réaffirme ses plus vives préoccupations et condamne la persistance de la violence, des violations graves des droits de l’homme et des disparitions humaines, des destructions des moyens de subsistance et des logements dans l’État de Rakhine, qui constituent des crimes contre l’humanité et, à ce titre, relèvent de la compétence universelle; exprime sa sympathie et sa solidarité à l’égard de la population Rohingya; rappelle que les autorités de la Birmanie/du Myanmar ont le devoir de protéger, sans discrimination, tous les civils contre les abus, d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et d’en poursuivre les responsables, conformément aux normes et obligations en matière de droits de l’homme;
2. exige du commandant en chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing, qu’il ordonne à toutes les troupes placées sous son contrôle de cesser immédiatement leur campagne de violations des droits de l’homme et de crimes contre l’humanité à l’encontre des Rohingyas;
3. réaffirme la position de l’Union européenne selon laquelle les auteurs de crimes contre l’humanité doivent répondre de leurs actes et les victimes avoir droit à la justice et à réparation; s’engage fermement à tout mettre en œuvre pour mettre fin à des décennies d’impunité et garantir l’exercice de la justice face aux graves crimes contre les droits de l’homme perpétrés par toutes les parties en Birmanie/au Myanmar;
4. salue l’engagement exprimé par Aung San Suu Kyi envers le respect de l’état de droit et presse le gouvernement de la Birmanie/du Myanmar de saisir la Cour pénale internationale en tant que juridiction de dernier ressort des graves crimes contre les droits de l’homme commis depuis le 25 août 2017 (auto-saisine au titre de l’article 12, paragraphe 3, du statut de Rome);
5. insiste sur le fait qu’il ne peut y avoir d’impunité pour les atrocités commises et que l’incapacité persistante de l’armée et des autorités civiles à coopérer avec les Nations unies dans le cadre de ses enquêtes indépendantes et impartiales et l’absence de dépôt d’une déclaration au titre de l’article 12, paragraphe 3, donneront lieu à des sanctions visant les auteurs de crimes et les personnes responsables de l’impunité pour les crimes commis;
6. exhorte le Conseil et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) à prononcer, sans plus tarder, des sanctions punitives visant les commandants militaires et de police présumés coupables de graves crimes contre les droits de l’homme ainsi que les sociétés militaires dont ils tirent des revenus;
7. demande que l’actuel embargo de l’Union sur les armes soit étendu d’urgence à toutes les activités de maintenance, d’assistance, de formation et de coopération avec l’armée de Birmanie/du Myanmar;
8. souligne que les Rohingyas déplacés, dont un grand nombre se trouve désormais au Bangladesh, sont des réfugiés; réaffirme le principe de non-refoulement et soutient l’évaluation du HCR en date du 24 novembre selon laquelle «pour l’instant, les conditions de retours sûrs et durables ne sont pas réunies dans l’État de Rakhine en Birmanie/au Myanmar»; insiste sur le fait que tous les retours doivent être volontaires et se dérouler en toute sécurité et dans la dignité, afin d’ouvrir la voie à des solutions durables;
9. prie instamment les autorités de la Birmanie/du Myanmar d’accorder immédiatement un accès sans entrave à l’État de Rakhine à l’aide humanitaire internationale, comprenant un soutien spécifique aux catégories vulnérables, comme les enfants, les personnes âgées et les victimes de violences sexuelles; exhorte le gouvernement de la Birmanie/du Myanmar à mettre en œuvre des mesures conformément à la résolution 2106 (2013) du Conseil de sécurité des Nations unies en vue de prévenir les incidents de violences sexuelles et d'y répondre; invite instamment le gouvernement à coopérer également avec le CEDAW dans le cadre de son processus d’établissement de rapports;
10. demande aux autorités de la Birmanie/du Myanmar d’accorder un accès à des observateurs indépendants, notamment la mission d’enquête des Nations unies créée par le Conseil des droits de l’homme en mars 2017, afin de garantir l’indépendance et l’impartialité des enquêtes sur les allégations de violations graves des droits de l’homme par toutes les parties; se félicite de la demande de la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies de nommer un envoyé spécial pour la Birmanie/le Myanmar;
11. demande une nouvelle fois au gouvernement de la Birmanie/du Myanmar de supprimer immédiatement toutes les mines terrestres le long de sa frontière avec le Bangladesh et de coopérer pleinement avec les Nations unies et les observateurs internationaux au cours de ce processus;
12. reconnaît les efforts considérables déployés par le gouvernement du Bangladesh et son peuple face à cette gigantesque crise humanitaire, en ouvrant généreusement leurs frontières et leurs cœurs aux réfugiés Rohingyas qui fuient la Birmanie/le Myanmar dans le plus grand besoin; demande instamment à l’Union européenne et à ses États membres d’accroître encore davantage leur aide financière et matérielle à l’hébergement des réfugiés afin de permettre au gouvernement du Bangladesh de continuer à soutenir les Rohingyas jusqu’à ce qu’ils puissent retourner en toute sécurité et de leur plein gré là où ils se sentiront chez eux; demande au Bangladesh de continuer à faciliter les opérations humanitaires des ONG internationales en simplifiant la charge bureaucratique et en remédiant aux restrictions à la circulation;
13. se félicite que l’Union ait coorganisé une conférence des donateurs qui a rapporté 35 promesses de don pour un total de 344 millions de dollars des États-Unis; déplore néanmoins que ce montant reste en deçà de l’objectif global et fait observer que seul un tiers des fonds ont été mis à disposition à ce jour: demande instamment à la communauté internationale d’assurer le financement nécessaire, tant pour la population Rohingya confrontée au déplacement que pour la population locale du Bangladesh touchée;
14. se dit profondément préoccupé par les rapports faisant état de traite des femmes et des jeunes filles Rohingyas en Birmanie/au Myanmar et au Bangladesh, et exhorte les autorités des deux pays à coopérer avec le HCR et les organisations de défense des droits de l’homme pour mettre un terme à cette traite et à fournir aux femmes et aux jeunes filles qui en sont victimes une protection et un soutien;
15. prend acte de l’accord bilatéral de rapatriement conclu entre le Bangladesh et la Birmanie/le Myanmar le 23 novembre 2017, en reconnaissance du droit des Rohingyas à retourner et à résider de façon permanente en Birmanie/au Myanmar; souligne toutefois qu’aucun retour ne doit être forcé, tout particulièrement tant que la violence et la répression, qui ont été décrites comme étant assimilables à du «nettoyage ethnique», persistent; souligne que les biens pillés et volés devraient être restitués à leurs propriétaires Rohingyas et que les rapatriés devraient être indemnisés pour les décès qu’ils ont subis ainsi que les pertes de leurs biens et de leurs cultures; prie instamment les autorités bangladaises de veiller, avant de procéder aux retours, à ce qu’une stratégie globale soit en place en Birmanie/au Myanmar en vue du retour et de l’intégration des Rohingyas; insiste en outre sur le fait que les autorités de la Birmanie/du Myanmar doivent offrir des assurances crédibles que les personnes rapatriées ne seront pas envoyées de force dans des campements isolés en raison de leur appartenance ethnique ou religieuse;
16. invite le gouvernement de la Birmanie/du Myanmar à reporter ses projets économiques et d’infrastructures – y compris la création de toute nouvelle zone économique, industrielle ou commerciale spéciale – jusqu’à ce que les garanties nécessaires aient été mises en place pour veiller à ce qu’elles profitent à l’ensemble des communautés, sans discrimination, et ne portent pas préjudice à la terre et aux droits fonciers des Rohingyas et aux membres d’autres communautés qui ont été déplacés de leurs foyers et sont devenus des réfugiés ou qui ont été déplacés à l’intérieur du pays;
17. observe qu’afin de faciliter les retours et de défendre les droits de l’homme universels des Rohingya, un effort global est nécessaire pour lutter contre une discrimination et une ségrégation institutionnalisées en Birmanie/au Myanmar; souligne, à cet égard, que le déni des droits des minorités en Birmanie/au Myanmar s’étend au-delà des Rohingyas et touche également les groupes ethniques des États de Kachin et de Shan;
18. regrette profondément que la loi sur la citoyenneté de la Birmanie/du Myanmar continue de s’appliquer, dès lors qu’en faisant d’eux des apatrides, elle empêche les Rohingyas de jouir de leurs droits fondamentaux; demande au gouvernement de la Birmanie/du Myanmar de modifier la loi sur la citoyenneté et de fournir aux résidents Rohingyas la documentation légale de citoyenneté; invite instamment le gouvernement à émettre des cartes d’identité sans mention de l’appartenance religieuse;
19. exige qu’il soit mis fin à la ségrégation de la population Rohingya en Birmanie/au Myanmar; demande que le couvre-feu imposé aux Rohingyas soit levé et que tous les postes de contrôle soient démantelés, à l’exception de ceux qui sont nécessaires; presse le gouvernement de la Birmanie/du Myanmar de faire en sorte que les résidents Rohingyas soient capables de se déplacer librement dans l’État de Rakhine et dans le reste du pays et que leurs droits d’accès aux soins de santé, à l’éducation et à l’emploi soient garantis;
20. rappelle que la commission consultative sur l’État de Rakhine a été créée à la demande du conseiller d’État; encourage les autorités de la Birmanie/du Myanmar à désigner dans les meilleurs délais un organisme d’exécution afin de mettre pleinement en œuvre les recommandations de la commission de Kofi Annan; encourage l’Union européenne et les Nations unies à apporter leur soutien à ce processus;
21. souligne la nécessité de veiller à ce que les investissements de l’Union, y compris l’aide au développement, contribuent à l’accessibilité des services universels pour l’ensemble de la population, et souligne que ces investissements ne doivent pas pérenniser la ségrégation en Birmanie/au Myanmar, qui a déjà conduit à l’institutionnalisation de la discrimination et des crimes contre l’humanité;
22. exhorte le gouvernement de la Birmanie/du Myanmar, y compris le conseiller d’État, à condamner les discours de haine et de harcèlement, à encourager le dialogue interculturel et interconfessionnel et à veiller au respect du droit universel à la liberté de religion ou de conviction;
23. demande en outre aux gouvernements régionaux et de l’ASEAN, notamment la Chine, de prendre des mesures immédiates pour accroître la pression sur le gouvernement de la Birmanie/du Myanmar afin qu’il mette un terme aux atrocités et protège tous les civils dans l’État de Rakhine; prie instamment la VP/HR et les États membres de l’Union de participer activement aux efforts visant à organiser une conférence internationale sur la situation des Rohingyas;
24. demande à Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Sakharov, de condamner les graves violations des droits de l’homme à l’encontre de la minorité Rohingya; rappelle la déclaration du 18 mai 2015 du porte-parole du parti de Mme Suu Kyi indiquant que le gouvernement de la Birmanie/du Myanmar devrait rétablir la citoyenneté de la minorité Rohingya; rappelle que le prix Sakharov est décerné à ceux qui, parmi d’autres critères, défendent les droits de l’homme, protègent les droits des minorités et respectent le droit international;
25. demande à l’Union européenne et à ses États membres de soutenir le plan d’action global 2014-2024 du HCR pour mettre fin à l’apatridie;
26. charge son Président de transmettre la présente résolution au gouvernement et au parlement de la Birmanie/du Myanmar, à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres de l’Union, au secrétaire général de l’ASEAN, à la Commission intergouvernementale de l’ASEAN sur les droits de l’homme, à la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, au Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés et au Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
- [1] Textes adoptés de cette date, P8_TA(2017)0351.
- [2] Textes adoptés de cette date, P8_TA(2016)0316.
- [3] Textes adoptés de cette date, P8_TA(2016)0506.