PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur le Cambodge: interdiction de l’opposition
12.12.2017 - (2017/3002(RSP))
conformément à l’article 135 du règlement intérieur
Marie-Christine Vergiat, Malin Björk, Miguel Urbán Crespo, Lola Sánchez Caldentey, Estefanía Torres Martínez, Tania González Peñas, Xabier Benito Ziluaga, Barbara Spinelli, Dimitrios Papadimoulis, Stelios Kouloglou, Kostadinka Kuneva, Takis Hadjigeorgiou au nom du groupe GUE/NGL
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B8-0686/2017
B8‑0692/2017
Résolution du Parlement européen sur le Cambodge: interdiction de l’opposition
Le Parlement européen,
– vu les précédentes résolutions du Parlement Européen sur le Cambodge, notamment celles du 14 septembre 2017,
– vu la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948,
– vu la déclaration de 1998 des Nations unies sur les défenseurs des droits de l'Homme,
– vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le pacte international relatif aux droits civils et politiques et notamment ses articles 14 et 25,
– vu les Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature des Nations Unies (1985)
– vu les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002)
– vu la déclaration sur les droits des peuples autochtones du 13 décembre 2007,
– vu la convention 169 de l'OIT sur les peuples indigènes et tribaux; vu la déclaration des droits des peuples autochtones de l'ONU;
– vu les différentes Convention de l’OIT notamment la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (nº 87) et la Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective (nº 98), la Convention sur les pires formes de travail des enfants (n°182) ;
– vu la résolution du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU du 26 juin 2014 appelant à la création d'un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée dont le mandat est d' « élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l'homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises »,
– vu le communiqué du Commissaire des droits de l’Homme de l'ONU exprimant ses inquiétudes sur des élections au Cambodge après l'interdiction de l'opposition du 17 novembre 2017,
– vu le communiqué du rapporteure spéciale sur les droits de l’Homme au Cambodge, Rhona SMITH, sur la démocratie cambodgienne menacée par des actions contre l'opposition du 12 octobre 2017,
– vu le débat au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme au Cambodge le 27 septembre 2017 à la suite du rapport de la rapporteure spéciale,
– vu la Constitution cambodgienne, en particulier son article 41, dans lequel sont consacrés les droits et libertés d'expression et d'assemblée, l'article 35 sur le droit à la participation,
– vu les Accords de Paix de Paris de 1991 et en particulier, l’article 29 de l’Accord pour un règlement politique global du conflit du Cambodge (ARPG),
– vu l'accord de coopération de 1997 entre la Communauté européenne et le Royaume du Cambodge,
– vu le communiqué de la Porte-parole pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’UE sur la dissolution du Parti national de sauvetage cambodgien du 16 novembre 2017
– vu le communiqué de la délégation locale de l'UE sur les développements politiques récents au Cambodge du 9 octobre 2017,
– vu l'article 135, de son règlement,
A.Considérant que le Premier ministre, M. Hun Sen, est à ce poste depuis 1998 et que le Parti du peuple cambodgien, outre un changement de nom, est au pouvoir de fait depuis 1979 ;
B. Considérant que les dernières élections locales de juin 2017 se sont déroulées de façon « pacifique, efficace et transparente » selon la rapporteure spéciale de l’ONU ; considérant que le CNRP, principal parti d’opposition, a recueilli près de 44% des voix ;
C. Considérant que les prochaines élections sont prévues pour juin 2018 ; considérant que la dissolution du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) a été ordonnée par la Cour Suprême du Royaume du Cambodge le 16 novembre 2017 ; considérant que quelques 118 responsables politiques de ce parti sont interdits d’exercer des activités politiques pour 5 ans ; considérant également que 489 maires de ce parti sont en passe d’être démis de leur mandat ; considérant que dans ce contexte un certain nombre de responsables de l’opposition ont dû partir à l’étranger;
D.Considérant que le Président de la Cour, Dith Munty, est membre du comité permanent du parti au pouvoir ; considérant que les articles 14 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Cambodge est partie, reconnaissent et protègent respectivement le droit de tout citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d'être élu, et le droit d'accéder aux fonctions publiques ainsi que le droit dans des affaires judiciaires à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; considérant également les Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature des Nations Unies et les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire qui énoncent des exigences en matière d'impartialité judiciaire, notamment la norme selon laquelle toutes les activités et associations politiques partisanes doivent cesser dès l'entrée en fonction dudit juge ;
E. Considérant que cette décision de dissolution du CNRP se base sur plusieurs articles de la loi sur les partis politiques, révisée à la hâte en février et juillet 2017 pour favoriser la suspension et la dissolution de partis politiques ; considérant également que la révision de la loi électorale réattribuerait la majorité des sièges du CNRP aux autres forces politiques qui représentent moins de 6% des voix des dernières élections en date ;
F. Considérant l’arrestation de M. Kem SOKHA, président du CNRP, le 3 septembre dernier pour des motifs de « trahison et espionnage »; considérant que, selon l’article 443 du code pénal, il est passible d’une peine de prison allant de 15 à 30 ans; considérant que ces charges font suite à une intervention publique filmée en Australie dans laquelle il explique avoir été régulièrement conseillé par les Etats-Unis d’Amérique ; considérant que cela constitue un flagrant délit selon la loi cambodgienne et justifierait à ce titre une arrestation indépendamment de son immunité parlementaire ;
G. Considérant que chaque membre du Parlement prête serment de préserver la politique de neutralité et de non-alignement du Cambodge et de refuser l’ingérence de toute force étrangère dans les affaires du pays ; considérant que ces dispositions s’expliquent largement au regard de l’Histoire du pays qui a douloureusement souffert des ingérences extérieures et des conséquences qu’elles ont entrainées ;
H. Considérant que Sam RAINSY, ancien leader du CNRP, a annoncé son retour en politique le 16 novembre dernier, appelant l’armée à retourner les armes contre le gouvernement qu’il accuse de défendre les intérêts de la Chine ;
I. Considérant que la justice cambodgienne a annoncé la libération de l'ex-sénateur d'opposition, Hong Sok Hour, le 25 octobre dernier, condamné en novembre 2016 à 7 ans de prison pour avoir fait circuler une fausse version du traité frontalier de 1979 entre le Cambodge et le Vietnam mettant en cause le parti au pouvoir ;
J. Considérant que le pays jouit d’une société civile fleurissante et active mais de plus en plus menacée ; considérant qu’il existe plus de 6 000 associations et ONG, nationales et internationales ; considérant que la loi sur les ONG (LANGO) du 13 juillet 2015 complique considérablement le travail des militants des droits de l’Homme ; considérant que lorsque les associations ne sont pas contraintes de fermer, les dispositions larges et ambiguës de cette loi, comme l'exigence de "neutralité" de l'article 24, combinées à des sanctions draconiennes limitent et menacent leur capacité d’investigation ;
K. Considérant que la question des droits fonciers reste un sujet de préoccupation majeur au Cambodge ; considérant que la propriété foncière privée qui fut abolie sous le régime des Khmers rouges explique en partie nombre de dossiers fonciers actuels potentiellement litigieux ; considérant que les autorités cambodgiennes se sont donnés comme objectifs de terminer la procédure d’enregistrement en 2023 ; considérant néanmoins que, depuis une loi de 2001, 2 millions d’hectares, soit 56% des terres arables du pays sont passées aux mains de sociétés privées ; considérant qu’un grand nombre de personnes a été exproprié de force, sans compensation et que les ONG travaillant sur ces questions sont particulièrement menacées ;
L. Considérant que l’ONG Mother Nature Cambodia, a été contrainte de se désenregister le 18 septembre dernier ; considérant que peu auparavant, le 11 septembre, Hun VANNAK and Doem KUNDY, deux de ses militants, ont été arrêtés ; considérant qu’ils étaient à l’origine de la révélation du scandale impliquant des exportations vraisemblablement frauduleuses vers le Singapour ; considérant que le 28 septembre, l’ONG Equitable Cambodia a été contrainte à une fermeture temporaire alors que cette dernière suit de près les activités de la compagnie sucrière, la Phnom Penh Sugar, qui a reçu en 2010 d’importantes concessions de terres ; considérant que Tep Vanny, résistante emblématique contre les expulsions forcées et l’accaparement des terres, purge actuellement une peine de 30 mois de prison et risque d'être condamnée dans deux autres affaires ;
M. Considérant les récentes fermetures de médias tels que Radio Free Asia, Voice of America et Cambodia Daily ; considérant que le 7 décembre deux journalistes de Radio Free Asia ont été accusés d’espionnage ; considérant également que l'Institut national démocratique (NDI) a été expulsé du pays en août 2017 et que le Cambodia Center for Human Rights, fondé par Kem SOKHA est menacé de fermeture également ; considérant que, parallèlement aux motifs invoqués pour ces fermetures, ces organismes sont majoritairement financés par le gouvernement des États-Unis ; considérant que le gouvernement ne soutient pas pour autant le développement d’une société civile initiée par les Cambodgiens eux-mêmes ;
N. Considérant que, selon l’index 2017 de la liberté de la presse dans le monde de Reporters sans Frontières, le Cambodge se situe dans la moyenne - au demeurant basse - des pays de l’ANASE, devant la Malaisie et le Viêt Nam et juste derrière le Myanmar soit la 132ème place ;
O. Considérant que bien que le taux de croissance du pays demeure élevé et relativement stable, le Cambodge est un des pays du monde ayant le plus faible PIB par habitant ; considérant que 44% des exports du secteur textile, principale ressource financière du pays, se font avec l’UE ; considérant que la situation des travailleurs du secteur demeure particulièrement précaire ;
P. Considérant enfin les Accords de Paix de Paris et en particulier, l’article 29 de l’Accord pour un règlement politique global du conflit du Cambodge (ARPG) permet aux co-Présidents de la conférence (la France et l’Indonésie) d’engager en urgence des consultations avec les membres de ladite Conférence et les parties prenantes pertinentes en vue de prendre les dispositions appropriées pour assurer le respect des engagements des Accords de l’Etat de droit et de la démocratie au Cambodge.
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1. S’inquiète de la détérioration de la situation politique et de l’aggravation de la répression au Cambodge ;
2. Réitère ses plus vives inquiétudes au sujet de la tenue d'élections crédibles, libres transparentes et équitables au Cambodge l'année prochaine, notamment après la décision de la Cour suprême de dissoudre le principal parti d'opposition, qui a été faite à un moment où on assiste à atteintes graves à la liberté de la presse et à une répression croissante d’un certain nombre d’acteurs de la société civile dans le pays ;
3. Condamne la dissolution du CNRP ainsi que l’arrestation de Kem SOKHA ; demande instamment au gouvernement de mettre fin aux poursuites à l’encontre des membres de l’opposition et des ONG et de garantir en tout lieu les libertés d’expression et notamment celle de la presse, d’association et de manifestation ; invite de nouveau à lever les charges qui pèsent en particulier contre M. Kem SOKHA et Mme Tep VANNY; demande la libération de tous les prisonniers d’opinion ; demande à l’UE et à ses Etats membres d’agir en ce sens auprès des autorités au Cambodge ;
4. Invite de nouveau les autorités cambodgiennes à prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour assurer la sérénité et la crédibilité des élections de 2018 en faisant respecter le droit international, notamment en ce qui concerne les droits de l’opposition, la liberté d’expression et notamment celle de la presse, d’association et de réunion ; demande à ce titre de revoir fondamentalement la législation existante sur les partis et les élections;
5. Rappelle les dispositions constitutionnelles et les engagements internationaux du Cambodge, notamment le PIDCP, sur le pluralisme et les libertés d’association et d’expression; rappelle également sa demande à la commission électorale nationale du Cambodge et aux autorités gouvernementales compétentes de faire en sorte que tous les électeurs admissibles, y compris les travailleurs migrants et les détenus, aient la possibilité et le temps de s’inscrire ;
6. Invite les autorités cambodgiennes à tout mettre en œuvre pour assurer l’indépendance de la justice, en particulier en ce qui concerne les procureurs et juges ; demande de respecter le droit à la présomption d’innocence, de limiter le recours à la détention provisoire et de permettre aux accusés d’assister à leur procès en considérant les cas où la sécurité publique du pays est directement et véritablement menacée ;
7. Soutient l’appel des 55 ONG à réunir les membres de la Conférence de Paris sur le Cambodge, ainsi que les autres parties prenantes pertinentes, permettant de discuter de l’Etat de droit et de la démocratie au Cambodge afin d’encourager le gouvernement cambodgien à revenir en arrière ;
8. Soutient les recommandations de la rapporteure spéciale de l’ONU, notamment en matière de lutte contre l’accaparement des terres et de mécanismes judiciaires de protection des victimes ; prie instamment les autorités cambodgiennes de mettre fin aux expulsions forcées et à l'accaparement des terres ; rappelle sa demande au gouvernement cambodgien de reprendre le dialogue avec ses partenaires, notamment la société civile, en vue de parvenir à une compensation exhaustive et inclusive;
9. Soutient les travaux du groupe de travail intergouvernemental de l’ONU visant à « élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l'Homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises » ; demande instamment aux institutions de l’UE et aux États membres de travailler pleinement à cet objectif, en particulier son caractère contraignant ;
10. Rappelle l’obligation de respecter les normes internationales et notamment les Conventions de l’OIT ; souligne sa préoccupation au regard de la persistance de la pauvreté même si des progrès importants ont été accomplis par le pays au cours des vingt-cinq dernières années ; s’inquiète particulièrement de la situation des femmes travaillant dans les industries du textile et sucrière ; Constate que l’accord commercial de l’UE « Tout sauf les armes » a largement participé au processus d’augmentation des inégalités dans le pays en favorisant le phénomène d’accaparement des terres qui a permis notamment aux entreprises multinationales européennes de dominer largement les secteurs sucrier et textile ; demande à la Commission européenne, conformément au paragraphe 1 de l'article 15 du Système général de préférences, que cet accord fasse l’objet d’un audit notamment en ce qui concerne les concessions économiques dans le secteur agro-industriel ;
11. Charge son président de transmettre la présente résolution à la Vice-présidente de la Commission et Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux gouvernements et aux parlements des États membres, aux gouvernements des pays membres de l'ANASE et du Forum Asie Europe (ASEM), au secrétariat de l'ASEM, au Secrétaire général de l'ONU et au Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, ainsi qu'au gouvernement et à l'assemblée nationale du Royaume du Cambodge.