PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul
22.10.2018 - (2018/2885(RSP))
conformément à l’article 123, paragraphe 2, du règlement intérieur
Marietje Schaake, Pavel Telička, Petras Auštrevičius, Beatriz Becerra Basterrechea, Izaskun Bilbao Barandica, María Teresa Giménez Barbat, Marian Harkin, Nadja Hirsch, Ivan Jakovčić, Petr Ježek, Patricia Lalonde, Louis Michel, Javier Nart, Urmas Paet, Maite Pagazaurtundúa Ruiz, Frédérique Ries, Robert Rochefort, Jasenko Selimovic, Ramon Tremosa i Balcells, Ivo Vajgl, Hilde Vautmans, Cecilia Wikström au nom du groupe ALDE
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B8-0498/2018
B8-0503/2018
Résolution du Parlement européen sur le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur l’Arabie saoudite, et notamment celles du 11 mars 2014 sur l’Arabie saoudite, ses relations avec l’Union et son rôle au Moyen-Orient et en Afrique du Nord[1], du 12 février 2015 sur le cas de Raïf Badawi en Arabie saoudite[2], du 8 octobre 2015 sur le cas d’Ali Mohammed al-Nimr[3], du 31 mai 2018 sur la situation des défenseurs des droits des femmes en Arabie saoudite[4], ainsi que celle du 25 février 2016[5] sur la situation humanitaire au Yémen et celles du 30 novembre 2017[6] et du 4 octobre 2018[7] sur la situation au Yémen, par lesquelles il demande qu’un embargo européen sur les armes soit imposé à l’Arabie saoudite, compte tenu des graves allégations de violation du droit humanitaire international par l’Arabie saoudite au Yémen,
– vu la déclaration de la chancelière Angela Merkel, le 21 octobre 2018, annonçant la suspension temporaire des exportations d’armes vers le Royaume d’Arabie saoudite,
– vu les observations formulées les 9 et 15 octobre 2018 par la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR), Federica Mogherini, et sa déclaration du 20 octobre 2018, au nom de l’Union européenne, sur les derniers développements de l’affaire du journaliste saoudien Jamal Khashoggi,
– vu la déclaration du 16 octobre 2018 de Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, exhortant l’Arabie saoudite à dire tout ce qu’elle sait sur la disparition de Jamal Khashoggi,
– vu la déclaration du 9 octobre 2018 d’experts des Nations unies demandant une enquête sur la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul,
– vu la déclaration des ministres des affaires étrangères du G7, le 17 octobre 2018, sur la disparition de Jamal Khashoggi,
– vu la déclaration conjointe, le 14 octobre 2018, des ministres des affaires étrangères de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni sur la disparition de Jamal Khashoggi,
– vu le fait que l’Arabie saoudite est membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies,
– vu les orientations de l’Union européenne dans le domaine des droits de l’homme relatives à la liberté d’expression en ligne et hors ligne,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
– vu la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,
– vu la remise du prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, en 2015, au blogueur saoudien Raïf Badawi,
– vu l’article 123, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que l’éminent journaliste saoudien Jamal Khashoggi était porté disparu depuis le 2 octobre 2018, lorsqu’il est entré dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, et qu’il n’a plus été revu depuis; que des informations extrêmement préoccupantes sur son sort ont été révélées, ce qui a donné lieu à des allégations de possible exécution extrajudiciaire et d’assassinat fomenté par l’État;
B. considérant que, lors d’une conversation téléphonique avec le président des États-Unis, Donald Trump, le roi d’Arabie saoudite, Salmane ben Abdelaziz, a affirmé ne pas savoir ce qui était arrivé à Jamal Khashoggi;
C. considérant les allégations selon lesquelles: les images de vidéosurveillance auraient été retirées du consulat; il aurait été ordonné à tous les membres turcs du personnel de prendre une journée de congé; des parties du consulat auraient été repeintes depuis la disparition de Jamal Khashoggi; quinze Saoudiens, ayant pour la plupart des liens clairs avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, les services de la sécurité de l’État, l’armée ou d’autres ministères, seraient arrivés à Istanbul et en seraient repartis à bord de deux avions affrétés le 2 octobre 2018, jour de la disparition de Jamal Khashoggi;
D. considérant qu’à la suite de la disparition de Jamal Khashoggi, les autorités saoudiennes ont fait obstacle à la réalisation d’une enquête rapide, complète, effective, impartiale et transparente, en vue de la compromettre; que ce n’est qu’après la pression exercée par la communauté internationale et la conclusion d’un accord avec les autorités turques que les enquêteurs ont été autorisés à examiner l’intérieur du consulat saoudien, le 15 octobre 2018, et ont eu accès à la résidence du consul général le 17 octobre 2018; que, d’après les médias turcs, le consul général, Mohammed al-Otaïbi, a quitté le pays le 16 octobre 2018;
E. considérant que, le 14 octobre 2018, le Royaume d’Arabie saoudite a publié une déclaration par laquelle il menace de réagir à toute mesure restrictive ou visant à l’obliger à rendre des comptes que des gouvernements ou des organisations pourraient prendre en réaction à la disparition de Jamal Khashoggi;
F. considérant que l’Arabie saoudite a reconnu que le meurtre de Jamal Khashoggi a eu lieu dans son consulat à Istanbul;
G. considérant que les responsables turcs et saoudiens ont annoncé une enquête commune sur la disparition de Jamal Khashoggi; que des experts des Nations unies ont demandé une enquête internationale et indépendante sur sa disparition;
H. considérant que les États sont tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la torture, les disparitions forcées et les autres violations graves des droits de l’homme, d’enquêter sur les allégations d’actes correspondant à ces crimes et d’en poursuivre les auteurs présumés;
I. considérant que la liberté d’opinion et d’expression de la presse et des médias, aussi bien en ligne que hors ligne, sont des droits fondamentaux de tout être humain, constituent des conditions préalables cruciales et des catalyseurs de la démocratisation et des réformes, et sont essentielles pour l’équilibre des pouvoirs; que des médias libres, diversifiés et indépendants sont essentiels dans toute société pour défendre et protéger les droits de l’homme; qu’en révélant les abus de pouvoir, en mettant en lumière la corruption et en remettant en question les idées reçues, les journalistes sont souvent spécifiquement exposés aux intimidations et à la violence;
J. considérant que l’Arabie saoudite compte le plus grand nombre d’utilisateurs de Twitter au Moyen-Orient; que l’Arabie saoudite figure sur la liste des «ennemis d’internet» tenue par Reporters sans frontières, en raison de la censure des médias saoudiens et de l’internet, et des peines infligées aux personnes qui critiquent le gouvernement ou la religion; que Raïf Badawi, lauréat en 2015 du prix Sakharov, a subi un châtiment corporel et est toujours en prison, pour avoir simplement exprimé pacifiquement son opinion;
K. considérant que les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes saoudiens résidant hors du royaume, y compris dans des capitales occidentales, subissent des menaces visant leur famille en Arabie saoudite;
L. considérant que, ces derniers mois, sous la houlette du prince héritier Mohammed ben Salmane, une répression à grande échelle est menée contre d’éminents défenseurs des droits de l’homme, avocats, journalistes, écrivains et blogueurs, répression qui s’est intensifiée depuis que le prince héritier a commencé à renforcer son contrôle des services de sécurité du pays;
M. considérant que le régime saoudien mène, dans le même temps, une onéreuse campagne médiatique internationale où il se dépeint comme une puissance qui se modernise et annonce des réformes en en faisant la publicité dans des journaux et sur des panneaux d’affichage dans les capitales occidentales; que le prince héritier Mohammed ben Salmane s’est rendu aux États-Unis pour une «tournée dans l’ensemble du pays» et a rencontré le président américain ainsi que de nombreux dirigeants et d’éminentes personnalités des secteurs de la technologie et du divertissement, y compris des célébrités;
N. considérant que le régime saoudien a, à plusieurs reprises, fait pression sur des pays et des organisations internationales, les a contraints et menacés, et a entravé des enquêtes internationales indépendantes en réaction aux critiques émises par ces pays et organisations au sujet des atteintes aux droits de l’homme en Arabie saoudite ou des violations du droit humanitaire international commises au Yémen;
O. considérant que des systèmes de surveillance et d’autres biens à double usage ont été utilisés pour suivre et tracer les déplacements des défenseurs des droits de l’homme et de ceux qui émettent des critiques en Arabie saoudite;
1. condamne la disparition forcée de Jamal Khashoggi ainsi que son exécution extrajudiciaire présumée ou assassinat présumé fomenté par l’État, et présente ses condoléances à ses proches;
2. est extrêmement préoccupé par les informations sur le sort de Jamal Khashoggi et l’implication présumée d’agents saoudiens; prend acte de l’enquête en cours menée par les autorités turques et saoudiennes; demande toutefois une enquête internationale indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort de M. Khashoggi; exige que les responsables soient identifiés et traduits en justice devant une juridiction reconnue, crédible, indépendante et impartiale;
3. presse les autorités saoudiennes de révéler où se trouvent les restes de M. Khashoggi et demande aux autorités saoudiennes et turques de garantir pleinement la clarté et la transparence de leur enquête; prie instamment la VP/HR de soutenir l’appel des experts des Nations unies demandant une enquête internationale indépendante et de proposer un appui total et une assistance technique aux initiatives internationales ainsi qu’aux autorités turques aux fins de leur enquête;
4. rappelle que si la disparition et l’assassinat de Jamal Khashoggi sont attribués à des agents saoudiens, tant les individus que les institutions étatiques devront en répondre; invite la VP/HR et les États membres, à cet égard, à être prêts à imposer des sanctions ciblées, y compris des interdictions de visa et un gel des avoirs contre des ressortissants saoudiens, ainsi que des sanctions contre le Royaume d’Arabie saoudite au regard de la situation des droits de l’homme;
5. prie instamment la VP/HR, le Service européen pour l’action extérieure et les États membres de mener un dialogue structuré avec l’Arabie saoudite sur les droits de l’homme, les libertés fondamentales et le rôle préoccupant joué par le pays dans la région, dans le cadre des relations de l’Union européenne avec le Conseil de coopération du Golfe;
6. condamne le harcèlement actuel, par les autorités saoudiennes, de défenseurs des droits de l’homme, avocats, journalistes, écrivains et blogueurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, et insiste pour que les autorités saoudiennes prennent toutes les mesures nécessaires pour permettre à chacun d’exercer librement ses droits, sans harcèlement judiciaire ni quelque autres représailles que ce soit, telles que les menaces visant les familles;
7. demande aux autorités saoudiennes d’autoriser la presse et les médias indépendants, et de garantir la liberté d’expression à la fois en ligne et hors ligne ainsi que la liberté d’association et de réunion pacifique à tous les habitants du royaume; condamne la répression dont les défenseurs des droits de l’homme et les manifestants font l’objet lorsqu’ils manifestent pacifiquement; souligne que la défense pacifique des droits juridiques fondamentaux ou la formulation d’observations critiques sur les médias sociaux sont un droit élémentaire; prie instamment les autorités saoudiennes de lever les restrictions imposées aux défenseurs des droits de l’homme, qui interdisent à ces derniers de s’exprimer dans les médias sociaux et les médias internationaux;
8. rappelle aux autorités saoudiennes leurs obligations internationales en vertu de la déclaration universelle des droits de l’homme, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, et de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
9. invite l’Arabie saoudite à accélérer les réformes sociales et politiques, et rappelle qu’elle doit respecter pleinement les droits de l’homme et la dignité humaine, y compris la lutte contre l’impunité;
10. rappelle aux dirigeants saoudiens qu’ils se sont engagés à «respecter les normes les plus élevées dans la promotion et la protection des droits de l’homme» lorsque leur pays est devenu, après en avoir fait la demande, membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2013;
11. demande aux autorités saoudiennes d’empêcher toute nouvelle flagellation de Raïf Badawi et de libérer immédiatement et sans condition cet homme regardé comme un prisonnier d’opinion, qui n’a été emprisonné et condamné que pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression; demande aux autorités de l’Union européenne d’aborder la question de cette affaire dans tout contact de haut niveau;
12. demande un moratoire sur la peine de mort;
13. demande au Conseil d’imposer un embargo européen sur les armes à l’Arabie saoudite, conformément à la position commune 2008/944/PESC, ainsi qu’un embargo sur l’exportation de systèmes de surveillance et d’autres biens à double usage susceptibles d’être utilisés à des fins de répression en Arabie saoudite;
14. demande que la présente résolution soit traduite en arabe (saoudien);
15. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Service européen pour l’action extérieure, au secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, au haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, à S. M. le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud et au prince héritier Mohammed ben Salmane Al Saoud, au gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite et au secrétaire général du centre pour le dialogue national du Royaume d’Arabie saoudite.
- [1] JO C 378 du 9.11.2017, p. 64.
- [2] JO C 310 du 25.8.2016, p. 29.
- [3] JO C 349 du 17.10.2017, p. 34.
- [4] Textes adoptés de cette date, P8_TA(2018)0232.
- [5] JO C 35 du 31.1.2018, p. 142.
- [6] JO C 356 du 4.10.2018, p. 104.
- [7] Textes adoptés de cette date, P8_TA(2018)0383.