PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la Tanzanie
11.12.2018 - (2018/2969(RSP))
conformément à l’article 135 du règlement intérieur
Marie‑Christine Vergiat, Malin Björk, Miguel Urbán Crespo, Tania González Peñas, Xabier Benito Ziluaga, Estefanía Torres Martínez, Anne Sander, Paloma López Bermejo, Patrick Le Hyaric, Marina Albiol Guzmán, Dimitrios Papadimoulis, Stelios Kouloglou, Emmanuel Maurel au nom du groupe GUE/NGL
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B8-0570/2018
Le Parlement européen,
-Vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 et les Pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits civils et politiques (ratifiée le 11 juin 1976 par la Tanzanie) et aux droits économiques sociaux et culturels,
- vu la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
- vu la charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1986,
- vu le protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (protocole de Palerme),
- vu la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ratifiée le 20 aout 1985 par la Tanzanie;
-vu la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant ratifié le 10 juin 1991 par la Tanzanie et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants ratifié par la Tanzanie le 24 avril 2003,
-vu les Conventions de l’OIT et notamment les n°97 et 143 sur les travailleurs migrants et celles sur les libertés syndicales ;
-vu les rapports annuels sur les droits de l’Homme du Parlement Européen,
-vu le Rapport de l’Experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme sur sa mission en République-Unie de Tanzanie présenté devant la Trente-septième session du Conseil des droits de l’Homme du 26 février-23 mars 2018
-vu ses résolutions antérieures et en particulier celle du 12 mars 2015 sur la Tanzanie, notamment la question de l'accaparement des terres ;
-Vu l'article 135, de son règlement,
A. Considérant que la situation se détériore rapidement pour les médias, les défenseurs des droits de l'Homme et les membres des partis d'opposition ; considérant que depuis le début de 2018, des dizaines de membres de l'opposition politique et de parlementaires ont été violemment attaqués et même tués ; considérant que le 22 février, Godfrey Luena, membre du Parlement et du Chama Cha Demokrasia Na Maendeleo (CHADEMA), principal parti d'opposition tanzanien, et défenseur des droits de la terre, a été tué à la machette devant son domicile ; considérant qu’un certain nombre de membres de partis d'opposition et de législateurs ont également été pris pour cible dans ce qui semble être une campagne systématique de harcèlement judiciaire ; considérant parmi les autres cas inquiétants, deux leaders de l'opposition, le député de CHADEMA, Joseph Mbilinyi, et le chef du parti, Emmanuel Masonga, ont été condamnés à cinq mois de prison le 26 février 2018 pour avoir insulté le Président John Magufuli lors d'un rassemblement politique ;
B. Considérant les dispositions vagues et excessives de la loi de 2015 sur la cybercriminalité, qui habilitent le gouvernement à interdire et sanctionner arbitrairement la diffusion d'articles de journaux ou de publications sur les médias sociaux qu'il juge critiques, considérant la loi sur les services aux médias, entrée en vigueur en novembre 2016, oblige tous les journalistes à obtenir une licence ce qui , permet aux autorités de déterminer unilatéralement quels journalistes peuvent légalement faire leur métier t érige en infraction pénale la diffamation et la sédition;
C. Considérant que le règlement sur les communications électroniques et postales (contenu en ligne), entré en vigueur en mars 2018, criminalise un large éventail de formes de liberté d'expression en ligne ; considérant qu’en vertu de la réglementation, tous les blogueurs et les personnes exploitant des services de diffusion en continu de radio et de télévision en ligne doivent obtenir une licence et payer un droit annuel de plus de 900 $ avant de pouvoir publier du contenu en ligne ; considérant les dispositions conférant au gouvernement le pouvoir de révoquer un permis si un site ou un blogueur publie un contenu "causant une gêne" ou "conduisant à un désordre public" ;
D. Considérant que la Tanzanie occupe la 93e place sur 180 pays, au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF). Un recul de 10 places par rapport à l’année dernière ; considérant que le 21 novembre 2017 le journaliste tanzanien Azory Gwanda a disparu, considérant qu’un an plus tard aucune enquête crédible n’a eu lieu ; considérant qu’en novembre 2018, Angela Quintal, coordonnatrice du programme pour l'Afrique auprès du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), et son collègue Muthoki Mumo ont été arrêtés et remis en liberté après des pressions exercées par les institutions internationales ;
E. Considérant que de nombreux enfants et adolescents, en particulier des filles, sont exposés à des violations des droits de l'Homme, notamment des violences sexuelles généralisées, des châtiments corporels, des mariages d'enfants et des grossesses précoces, qui rendent leur scolarité difficile, voire impossible;
F. Considérant que la Tanzanie a officieusement interdit l’école aux filles enceintes ou mariées depuis 2002; considérant que les écoles tanzaniennes expulsent régulièrement les filles enceintes et que le nombre de celles-ci est estimée à 8 000 par an ; considérant qu’à la suite de l'annonce du président Magufuli en juin 2017, les filles enceintes ou les mères adolescentes sont officiellement bannies des écoles primaires ou secondaires publiques; considérant que les filles sont parfois soumises à un test de grossesse avant leur inscription à l‘école, considérant qu’en juin 2018, le Président a annoncé que les élèves ne seraient pas autorisées à retourner à l‘école après leur accouchement;
G. H. Considérant que, début novembre 2018, la Banque mondiale a suspendu un prêt de 300 millions de dollars à la Tanzanie qui devait être consacré à l’amélioration de l’accès à l’enseignement secondaire avant de relancer le programme une semaine après ; considérant que d’après des informations relayées par Reuters, le vice-président de l’institution pour l’Afrique Ghanem a déclaré que le programme suspendu avait été relancé à la suite des discussions menées avec les autorités locales, considérant que le gouvernement se serait engagé à mettre en place une stratégie devant faciliter la réinsertion de ces filles dans le système scolaire ;
H. Considérant que le gouvernement ne respecte pas ses obligations internationales de relever l'âge minimum du mariage à 18 ans pour les garçons et les filles;
I. Considérant que l'homosexualité constitue un crime en Tanzanie, puni d'une peine minimale de 30 ans et pouvant aller jusqu'à la prison à perpétuité, considérant que celle-ci est ainsi pratiquée en cachette et que depuis l'élection du président Magufuli en octobre 2015 qu'une véritable rhétorique officielle stigmatisant l'homosexualité, aussi bien masculine que féminine, s'est développée.
J. Considérant que le 29 octobre 2018, le gouverneur de la province de Dar es Salaam en Tanzanie a lancé une campagne contre l'homosexualité, appelant ses administrés à dénoncer les personnes LGBTI afin qu'elles soient arrêtées et traduits en justice ; considérant que plusieurs dizaines de personnes auraient été arrêtées depuis ;
K. Considérant que le 4 novembre 2018, le gouvernement du pays a déclaré par voie de communiqué que cette campagne homophobe lancée par le gouverneur de la région de Dar es Salaam ne reflétait que "ses vues personnelles et non la position du gouvernement tanzanien", et qu’il voulait « par ailleurs rappeler et réaffirmer qu'il continuera à respecter toutes les conventions internationales en matière de droits de l'Homme auxquelles il est partie » ;
L. Considérant que le 9 septembre 2018, le président John Magufuli a publiquement mis en garde les Tanzaniens contre l'utilisation de moyens de contraception, affirmant que ceux qui choisissent les options du planning familial sont des « paresseux » et les accusant de ne pas vouloir travailler dur pour assumer la responsabilité de nourrir leurs enfants ; considérant que le 19 septembre, le ministère tanzanien de la Santé, du développement communautaire, du genre, des personnes âgées et de l'enfance a interdit la diffusion à la radio et à la télévision de tous les spots du planning familial, jusqu’à nouvel ordre ;
M. Considérant que le 15 novembre la ministre du Développement du Danemark, Ulla Tornaes a annoncé que son pays suspendait les 9,8 millions de dollars d'aide à la Tanzanie après des "commentaires homophobes inacceptables" d'un haut responsable politique ;
N. Considérant que le 15 novembre 2018, l’UE a annoncé réexaminer son aide financière à la Tanzanie en raison de la dégradation récente du respect "des droits de l'Homme et de l'État droit" dans le pays ; considérant que l'UE, est le premier contributeur d'aide pour le développement en Tanzanie avec près de 100 millions de dollars chaque année (88 millions d'euros).
O. Considérant les améliorations et les efforts du gouvernement de Tanzanie, pour garantir les droits des Tanzaniens atteints d’albinisme ; considérant néanmoins les difficultés qui doivent encore être surmontées pour réduire le nombre d’attaques visant les personnes atteintes d’albinisme la discrimination dont ils font l’objet en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation et la situation des personnes atteintes d’albinisme qui vivent dans des écoles refuges ;
P. Considérant que les travailleuses domestiques tanzaniennes basées à Oman et aux Émirats arabes unis se voient imposer une charge de travail excessive pour des salaires impayés, et subissent des abus physiques et sexuels ; considérant qu’en raison de lacunes, les législations et politiques tanzaniennes relatives à l’embauche et aux migrations exposent, dès le moment du départ, ces Tanzaniennes à des abus potentiels et ne parviennent pas à fournir une assistance adéquate à celles qui sont exploitées ; considérant que les règles abusives de parrainage par visa « kafala » dans ces deux États et l’insuffisance des politiques tanzaniennes exposent les ressortissantes tanzaniennes à des formes d’exploitation ;
Q. Considérant que l’économie tanzanienne demeure très tributaire de l‘agriculture, qui représente environ 30% du PIB et emploie près de 80% de la population active ; considérant que la Tanzanie est un pays riche en ressources naturelles notamment l'un des principaux producteurs d'or de l'Afrique et dispose de ressources pétrolières et gazières importantes ; considérant qu’il y a plus de 14 grands projets extractivistes dans le pays, avec plus de 20 sociétés étrangères impliquées dans dans la seule exploration du pétrole
R. Considérant que l’ouverture au tourisme ces dernières années a entrainé une velléité grandissante des promoteurs étrangers notamment dans la région du Serengeti où vivent les Masai ; considérant les tensions fortes pour le contrôle des terres cultivables ou rares à des fins spéculatives, entre puissances ou entreprises étrangères (au premier rang desquelles l’Arabie Saoudite) et populations locales ; considérant que ce néocolonialisme foncier a provoqué une limitation drastique des terrains accessibles aux Massaï et entrainé une forte paupérisation des populations locales et très souvent des expulsions forcées des communautés traditionnelles de leurs terres et habitations pour mettre en place de soi-disant aires protégées et zones réservées aux safaris et aux lodges ; considérant que des allégations d'actes répréhensibles éclaboussent depuis des années Tanzania Conservation Limited, une filiale de la compagnie américaine Thomson Safaris, et Othello, qui organisent des voyages de chasse pour la famille royale des Émirats arabes unis ; considérant que depuis mai 2017 des dizaines de milliers de Masaïs se retrouvent sans toit depuis que le gouvernement tanzanien a incendié leurs maisons pour libérer la savane; considérant qu’on leur refuseraient maintenant l'accès à l'eau potable et aux pâturages dont ils ont besoin pour survivre ;
1 Est particulièrement inquiet par la détérioration des droits de l’Homme dans le pays et notamment par la répression des journalistes, des défenseurs des droits de l’Homme, des responsables et membres de l’opposition et des personnes LGBTI ou soupçonnées comme telle ainsi que par les discriminations sexuelles et de genre que connait le pays ;
2. Estime indispensable la mise en place d’enquêtes indépendantes devraient sur les agressions contre les journalistes, les défenseurs des droits de l'Homme et les membres de partis d'opposition en vue de traduire en justice les responsables présumés ; s’alarme par conséquent que la disparition d’Azory Gwanda n’ait toujours pas été élucidée et demande au gouvernement de tout mettre en œuvre pour que ces crimes ne restent pas impunis ;
3. demande au gouvernement tanzanien de revenir sur toutes les dispositions invalidantes et restrictives de la loi sur la cybercriminalité, du règlement sur les communications électroniques et postales (contenu en ligne) et de la loi sur les services de médias, souligne la nécessité de garantir en toutes circonstances la liberté d'expression et des médias conformément aux normes internationales des droits de l'Homme ; estime que les cas de journaux interdits, suspendus ou condamnés à une amende en vertu de la loi de 2016 sur les services de médias devraient être réexaminés afin de leur permettre de poursuivre leurs activités sans ingérence indue ;
4. Partage les recommandations du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et le droit d'association pacifique, y compris la levée du régime de permission et le recours en cas de refus illégal du droit à la liberté de réunion pacifique et invite le gouvernement tanzanien à les mettre en œuvre ;
5. Condamne fermement les déclarations et la campagne homophobe du gouverneur de la province de Dar es Salaam ; souligne que le gouvernement tanzanien a le devoir de protéger l’ensemble de sa population et défendre les droits de l’Homme sans discrimination ; insiste sur le devoir du gouvernement de veiller à ce que personne, en particulier représentants officiels, ne fasse des déclarations ou ne prennent des mesures pour semer la haine et mettant la vie des personnes en danger en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
6. demande au gouvernement d'abroger les lois, politiques et autres obstacles qui empêchent les femmes et les filles de bénéficier des services et informations nécessaires à une vie en bonne santé ; souligne que le droit à disposer de son corps et l’accès aux soins génésiques, reproductifs et sexuels est un droit inaliénable et doit être garanti ;
7. demande à la Tanzanie de défendre l'égalité des droits de toutes les filles et de tous les garçons pour mener à bien un enseignement primaire et secondaire de qualité sur une base égale, en supprimant toutes les politiques ou interdictions et pratiques éducatives discriminatoires en vigueur, et en adoptant une politique permettant aux étudiantes enceintes et aux mères adolescentes de rester à l'école; demande en outre à la Tanzanie de relever l'âge légal du mariage des garçons et des filles à 18 ans ;
8. Demande au gouvernement tanzanien de mettre en place des lois et des politiques visant à prévenir et à lutter contre les abus à l’égard des travailleurs domestiques tanzaniens à l'étranger, y compris par une réglementation et une surveillance stricte du recrutement, des programmes de formation fondés sur les droits et une assistance consulaire adéquate,
9. Souligne de nouveau le droit inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui inclus de disposer de leurs ressources naturelles et de leurs terres; estime dès lors que les problèmes de la Tanzanie ne pourront être résolus qu'en veillant à garantir les mêmes droits à tous les citoyens et en s'attaquant aux problèmes liés au contrôle des terres agricoles fertiles, au chômage et à la pauvreté, à la lutte contre la corruption, contre la pauvreté, contre les inégalités et les discriminations et par la promotion des réformes sociales, politiques et économiques;
10. Se déclare extrêmement inquiet par la situation dans laquelle se trouve les populations Masaï ; dénonce l’utilisation de la force par les autorités et par les forces de sécurités ; demande instamment au gouvernement de Tanzanie de tenir ses promesses et d’arrêter les expulsions et violences à l’encontre des Masaï ; demande de la même façon à ce qu’une enquête indépendante soit menée afin de définir les responsabilités de chacun, y compris des acteurs privés, dans ces expulsions et dans l’atteinte aux droits de la population Masaï afin que les responsables soient jugés et que réparation soit faite aux populations concernées ;
11. Demande à la Commission de surveiller et de faire un rapport au Parlement Européen sur les dépenses des programmes de développement et sur le budget de l'UE liés à la gouvernance de la terre, en vue d'assurer que ces programmes promeuvent les droits de l’Homme et abordent les défis liés à l'accaparement des terres, notamment en assurant le contrôle local par le biais de l’usufruit ou de la propriété des terres par les populations concernées ;
12. Soutien les efforts de l’ONU pour mettre en place de nouvelles normes internationales contraignantes sur les sociétés transnationales et les droits de l’Homme ; demande à l’UE et aux États Membres de s’investir pleinement dans cet objectif en évaluant, et le cas échéant en prenant des sanctions à l’encontre des entreprises européennes actives en Tanzanie qui portent atteinte aux droits de l’Homme ;
13. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au gouvernement de Tanzanie, aux institutions de l'Union africaine, au Secrétaire général des Nations unies, à l'Assemblée générale des Nations unies, aux coprésidents de l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE et au Parlement panafricain