PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur les mesures prises récemment par la Fédération de Russie à l’encontre des juges, procureurs et enquêteurs lituaniens chargés du dossier des événements tragiques survenus le 13 janvier 1991 à Vilnius
25.11.2019 - (2019/2938(RSP))
conformément à l’article 132, paragraphe 2, du règlement intérieur
Rasa Juknevičienė, Roberta Metsola, Andrius Kubilius, Michael Gahler
au nom du groupe PPE
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B9-0182/2019
B9-0182/2019
Résolution du Parlement européen sur les mesures prises récemment par la Fédération de Russie à l’encontre des juges, procureurs et enquêteurs lituaniens chargés du dossier des événements tragiques survenus le 13 janvier 1991 à Vilnius
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur la Russie,
– vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention européenne des droits de l’homme),
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
– vu la convention d’entraide judiciaire de l’Union européenne,
– vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
– vu les principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature,
– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que la Fédération de Russie, en vertu de ses engagements au regard de la déclaration universelle des droits de l’homme et de la convention européenne des droits de l’homme, et en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, est tenue de respecter les principes de la démocratie et de l’état de droit ainsi que les libertés fondamentales et les droits de l’homme;
B. considérant que, entre le 11 et le 13 janvier 1991, les forces armées de l’URSS ont commis un acte d’agression contre l’État indépendant de Lituanie et sa population, lequel a fait 14 victimes et quelque 800 blessés;
C. considérant que ce massacre a été dénoncé par la communauté internationale, y compris par le chef du Conseil suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, au cours d’une manifestation de masse qui a eu lieu à Moscou quelques jours plus tard;
D. considérant que la Fédération de Russie a reconnu le rétablissement de l’indépendance de la République de Lituanie, le 11 mars 1990, dans le traité conclu entre celle-ci et la République socialiste fédérative soviétique de Russie sur le fondement des relations entre États du 29 juillet 1991;
E. considérant que le 27 mars 2019, le tribunal régional de Vilnius a rendu son jugement sur l’affaire dite du «13 janvier», dans lequel il juge que 67 anciens fonctionnaires de l’URSS, aujourd’hui citoyens de la Fédération de Russie, de la République de Biélorussie et/ou de l’Ukraine, sont coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et d’implication dans l’agression contre l’État de Lituanie;
F. considérant que, lors de l’instruction préparatoire dans l’affaire du 13 janvier, les autorités de la République de Lituanie ont insisté auprès des autorités compétentes de la Fédération de Russie pour obtenir une assistance juridique dans le cadre de ces procédures pénales, mais que cette dernière n’a pas coopéré;
G. considérant que la Fédération de Russie a pris en charge les droits et obligations de l’ancienne Union soviétique, à laquelle celle-ci a succédé;
H. considérant qu’en 2018 et en 2019, la commission d’enquête de la Fédération de Russie a engagé des procédures pénales contre les procureurs et les juges de la République de Lituanie participant à l’enquête et aux auditions dans l’affaire du 13 janvier;
I. considérant que les poursuites pénales engagées par la Fédération de Russie, lesquelles reposent sur des motivations politiques, pourraient se traduire par un recours abusif au système Interpol et à d’autres accords bilatéraux et multilatéraux de coopération dans le but de restreindre les droits des procureurs chargés de l’instruction et des juges du fond dans le cadre des recherches, des interrogatoires et des arrestations effectués dans le cadre de l’affaire du 13 janvier;
J. considérant que les médias étatiques ainsi que les représentants officiels de la Fédération de Russie mènent une campagne de propagande et de désinformation visant à donner crédit à des théories du complot concernant l’affaire du 13 janvier, et que cette démarche s’inscrit dans le cadre de la guerre hybride menée contre l’Union européenne et les démocraties;
K. considérant que les juges des États membres sont aussi des juges de l’Union européenne dans son ensemble;
L. considérant que l’indépendance du pouvoir judiciaire est un fondement de l’état de droit et qu’elle est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie et au respect des droits de l’homme; que l’indépendance du pouvoir judiciaire est consacrée par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme;
M. considérant que les principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature prévoient qu’il incombe à toutes les institutions, gouvernementales et autres, de respecter l’indépendance du pouvoir judiciaire; qu’ils proscrivent également toute intervention injustifiée ou ingérence dans les procédures judiciaires[1];
N. considérant que la déclaration universelle des droits de l’homme consacre en particulier les principes d’égalité devant la loi, de présomption d’innocence et de droit à être entendu équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi;
O. considérant que l’article premier de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, que la Fédération de Russie a ratifiée, dispose que « [les] Parties contractantes s’engagent à s’accorder mutuellement, selon les dispositions de la présente convention, l’aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions dont la répression est, au moment où l’entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de la partie requérante»;
1. prend acte du fait que les actions entamées par les autorités russes en ce qui concerne les juges et les procureurs lituaniens violent des valeurs juridiques fondamentales, notamment l’indépendance du pouvoir judiciaire, ainsi que le principe selon lequel la limitation des libertés fondamentales et des droits de l’homme n’est légale qu’aux fins pour lesquelles de telles restrictions sont imposées par le droit international;
2. rappelle que le fait d’engager des poursuites pénales contre des procureurs et des juges pour leurs activités professionnelles constitue une prise d’influence inacceptable qui interfère avec la primauté du droit;
3. souligne que les poursuites engagées dans de telles affaires pénales ne sauraient être considérées comme légitimes;
4. condamne fermement ces violations des principes fondamentaux et normes du droit international commises par les autorités russes;
5. proteste contre les poursuites pénales engagées pour des motifs politiques par la Fédération de Russie contre les juges et procureurs lituaniens pour leurs activités professionnelles;
6. souligne que toute situation créant un précédent pour la poursuite de procureurs et de juges d’un État indépendant au titre de l’exercice de leurs devoirs constitutionnels ne saurait être tolérée ni justifiée, et considère qu’il s’agit d’un moyen de pression pour empêcher ceux-ci d’accomplir ces devoirs;
7. souligne que les garanties universellement reconnues de l’indépendance des juges et des procureurs proscrivent toute ingérence, de quelque nature que ce soit, dans l’administration de la justice par les tribunaux, toute prise d’influence, aussi minime soit-elle, sur un jugement, ainsi que la poursuite d’un juge pour un arrêt rendu ou l’ingérence dans les investigations du parquet;
8. demande aux pouvoirs publics de la Fédération de Russie de mettre un terme aux poursuites pénales engagées contre les procureurs chargés de l’instruction et les juges du fond dans l’affaire du 13 janvier;
9. demande aux autorités russes compétentes, en application du traité conclu le 29 juillet 1991 entre la Lituanie et la République socialiste fédérative soviétique de Russie sur le fondement des relations entre États, de déterminer la responsabilité des personnes qui ont dirigé l’agression commise du 11 au 13 janvier 1991 contre l’État de Lituanie ou qui y ont participé, et de prêter assistance aux autorités répressives de la République de Lituanie pour que justice soit faite dans l’affaire du 13 janvier;
10. demande aux autorités compétentes russes de se conformer aux demandes d’entraide judiciaire de la République de Lituanie dans l’affaire du 13 janvier;
11. demande aux autorités compétentes russes de mettre fin à la campagne de désinformation et de propagande menée par des représentants de la Fédération de Russie;
12. exhorte les États membres de l’Union, s’ils devaient recevoir des demandes d’entraide judiciaire de la part de la Fédération de Russie en lien avec les poursuites pénales engagées en Russie contre les procureurs et les juges travaillant sur l’affaire du 13 janvier, de considérer ces demandes comme étant politiquement motivées, de coopérer étroitement avec les autorités lituaniennes et de rejeter les demandes en question;
13. charge son Président de transmettre la présente résolution à la vice-présidente de la commission/haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au Conseil de l’Europe, à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et au président, au gouvernement et au parlement de la Fédération de Russie.
- [1] https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/IndependenceJudiciary.aspx