PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la détérioriaton de la situation des droits de l’homme en Algérie, en particulier le cas du journaliste Khaled Drareni
24.11.2020 - (2020/2880(RSP))
conformément à l’article 144 du règlement intérieur
Marisa Matias
au nom du groupe GUE/NGL
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B9-0375/2020
B9‑0375/2020
Résolution du Parlement européen sur La détérioriaton de la situation des droits de l’homme en Algérie, en particulier le cas du journaliste Khaled Drareni
Le Parlement européen,
- vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948
- vu la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole de 1967,
- vu le pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques,
– vu ses précédentes résolutions sur l’Algérie,
- vu le protocole de la CEDEAO A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance,
– vu la charte de Nations Unies de 1945 et notamment son article 1, point 2 « sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes »
– vu la constitution Algérienne notamment ses articles 34-36, 39, 41, 43
– vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;
– vu les Conventions de Organisation internationale du Travail (OIT) notamment n° 87 de 1978 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et n° 98 de 1949 sur le droit d'organisation et de négociation collective,
– vu le discours de François Hollande du 20 décembre 2012 reconnaissant « les souffrances que la colonisation avait infligées » aux Algériens et la dénonciation d’un « système colonial profondément injuste et brutal »
– vu la déclaration du 19 avril 2015 du secrétaire d'État français aux Anciens Combattants, Jean-Marc Todeschini, en hommage aux victimes du massacre de Sétif du 8 mai 1945,
– vu l’article 144 de son règlement intérieur,
A. Considérant qu’après 13 mois d’un mouvement populaire sans précédent, connu sous le nom de Hirak et ayant conduit à le démission du président Abdelaziz Bouteflika, un référendum s’est tenu le 1er novembre 2020 sur le projet de révision de la Constitution porté par son successeur Abdelmadjid Tebboune ; considérant que ces élections devaient permettre d’adopter une nouvelle constitution, censée parachever la satisfaction des revendications exprimées par le Hirak ; considérant qu’au contraire elles se sont tenue dans un contexte de répression des opposants issus du Hirak et d'appels au boycott du scrutin ;
B. Considérant que les manifestants dénoncent l’architecture autoritaire du régime donnant des prérogatives exorbitantes du président, et le fait que cette réforme constitutionnelle entérine la confiscation du pouvoir dans les mains d’une minorité corrompue ; considérant qu’avec une participation de 23,7%, les algériens ont massivement boycotté le scrutin ;
C. Considérant que face au mouvement massif de protestation Hirak, les forces de sécurité ont fait usage d’une force injustifiée ou excessive pour disperser certaines manifestations et ont arrêté arbitrairement des centaines de manifestants ; considérant que plusieurs dizaines de personnes ont été traduites en justice et condamnées à des peines d’emprisonnement sur la base de dispositions du Code pénal réprimant l’« atteinte à l’intégrité du territoire national » ou l’« incitation à un attroupement non armé », entre autres ; considérant que les autorités ont interdit les activités de plusieurs associations, bien souvent pour des motifs liés aux manifestations du Hirak ;
D. considérant que depuis le début de la pandémie, les autorités algériennes ont accéléré la détention et la persécution des défenseurs pacifiques des droits de l’homme, notamment des syndicalistes, des journalistes et des manifestants; considérant que selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), il y a 87 prisonniers d'opinion en Algérie ; considérant que selon d’autres groupes locaux de défense des droits de l’Homme ils seraient 93 ;
E. Considérant que les militants sont soit convoqués pour interrogatoire, arrêtés et placés en détention provisoire, soit condamnés sur de vagues accusations telles que «affaiblissement du moral de l'armée», «atteinte à l'unité nationale et l'intégrité territoriale», «offensant» le président ou des organismes publics et «incitation à un rassemblement non armé», «publications qui pourraient nuire à la sécurité nationale», «diffusion de fausses nouvelles» et «mise en danger de la vie d'autrui» en enfreignant les mesures étatiques liées au COVID-19,
F. Considérant qu’en avril et mai 2020, six sites d'information en ligne couvrant la pandémie du COVID-19 et les manifestations anti-gouvernementales depuis février 2019 n'étaient pas disponibles sur les réseaux algériens ; considérant que deux de ces sites Web ont été bloqués quatre jours après que le rédacteur en chef des deux sites Web a publié un éditorial critiquant les 100 premiers jours de mandat du président Tebboune ; considérant que le ministre de la Communication Amar Belhimer a admis que les autorités, sans notification préalable, les avaient bloqués dans l'attente de "nouvelles poursuites judiciaires" contre le directeur pour "diffamation et insulte" contre le président Abdelmadjid Tebboune ;
G. Considérant qu’en avril 2020, les autorités algériennes ont modifié le code pénal par la loi numéro. 20-06, menaçant le travail des défenseurs et des organisations des droits de l’Homme en imposant des sanctions pour recevoir un financement étranger pour « accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l'État, la stabilité et le fonctionnement normal de ses institutions, l'unité nationale, l'intégrité territoriale, la intérêts fondamentaux de l'Algérie ou de la sécurité et de l'ordre publics », augmentant les peines pour l'infraction « d'outrage aux autorités publiques, et d'introduire l'infraction de «publication de fausses nouvelles nuisant à la sécurité ou à l’ordre public. »
H. Considérant qu’en aout 2020, le journaliste indépendant Khaled Drareni, a été condamné à 3 ans de prison pour avoir filmé des policiers attaquant des manifestants à Alger, et le mouvement de protestation Hirak ; considérant qu’officiellement, il a été mis en prison pour "incitation à un rassemblement illégal" et "mise en danger de l'unité nationale"; considérant que la sentence a été ramenée à 2 ans le 15 septembre 2020; considérant que l’état de santé du journaliste inquiète aujourd’hui ses proches ;
I. Considérant que qu’Khaled Drareni est Fondateur du site d'informations CasbahTribune, correspondant pour la chaîne de télévision française TV5Monde, défenseur des droits humains et représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Algérie ;
J. Considérant que le journaliste a été arrêté après avoir couvert le 7 mars à Alger une manifestation d'étudiants ; considérant qu’il est aussi accusé d'avoir critiqué sur Facebook « la corruption et l'argent » du système politique et d'avoir publié le communiqué d'une coalition de partis politiques en faveur d'une grève générale ; considérant qu’il avait déjà été interpellé chez lui à trois reprises par la Direction générale de la sécurité intérieure (qui dépend de l’armée), et s’était vu intimer l’ordre de mettre fin à ses activités et de s’abstenir de couvrir les manifestations comme les activités de l’opposition politique et associative ;
K. Considérant que le 16 septembre 2020 les experts des droits de l'Homme de l'ONU ont condamné la peine de prison prononcée en appel à l'encontre de Khaled Drareni, et ont appelé les autorités algériennes à annuler la sentence et à libérer Khaled Drareni de prison ; considérant que dans ce communiqué les experts se sont déclarés " très alarmés par l'ampleur de la répression de la dissidence en Algérie" et ont dénoncé le fait que "les organisations de la société civile, les défenseurs des droits de l'Homme et les journalistes sont de plus en plus surveillés et harcelés dans l'exercice de leur travail légitime" ;
L. considérant que le journaliste Said Boudour, membre de la Ligue algérienne des droits de l'homme, défenseur des droits de l'homme et est jugé depuis février 2020 pour «diffamation et diffusion de fausses nouvelles contribuant à l'affaiblissement du moral de l'armée nationale algérienne », et« insultes envers le régime algérien » suite à sa participation à des manifestations pacifiques à Oran ; considérant qu’un verdict est attendu pour le 24 novembre 2020;
M. considérant que le journaliste Abdelkrim Zeghileche a été condamné à deux ans de prison le 24 août 2020 après avoir appelé à la création d'un nouveau parti politique et critiqué le président Tebboune ; considérant qu’il a été accusé d'avoir «mis en danger l'unité nationale» et «insulté le chef de l'État».
N. considérant que le 8 octobre 2020 Le défenseur des droits humains amazigh et militant du Hirak Yacine Mebarki a été condamné à 10 ans de prison et condamné à une amende de 10 millions de dinars (l’équivalent de 65600euros) pour «infraction aux préceptes de l'islam» et «Possession de matériel de guerre sans autorisation» ; considérant que le caricaturiste, blogueur et fondateur du Page Facebook Hirak Memes Walid Kechida est placé en détention préventive depuis le 27 avril 2020 pour «outrage au président» pour avoir publié des caricatures satiriques sur les réseaux sociaux; considérant que le 7 novembre 2020, l'écrivain indépendant et défenseur LGBTQ + Anouar Rahmani a été condamné à payer une amende pour «insulte à des représentants de l'État» suite à des publications sur les réseaux sociaux dans lesquelles il critiquait des fonctionnaires du gouvernement ;
O. considérant que des organisations de défense des droits des femmes se sont mobilisées dans le cadre du Hirak et ont réclamé la fin de toutes les formes de violence liée au genre et l’abrogation du Code de la famille, dont les dispositions en matière d’héritage, de mariage, de divorce, de garde des enfants et de tutelle sont discriminatoires à l’égard des femmes, ainsi que la mise en œuvre effective des lois adoptées ces dernières années, notamment la loi de 2015 modifiant le Code pénal afin d’ériger en infraction la violence à l’égard des femmes et la suppression de « clause du pardon » du code pénal permettant aux auteurs de viol d’échapper à une condamnation s’ils obtenaient le pardon de leur victime ; considérant que l'article 326 du code pénal permet à une personne qui enlève un mineur d'échapper aux poursuites si elle épouse sa victime
P. considérant que lors du quatrième examen périodique des obligations de l'Algérie au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a recommandé, en juillet 2018, que l'Algérie modifie son code pénal pour y inclure une définition complète du viol, abroge l'article 326 et supprime les clauses de grâce dans la loi sur la violence domestique ;
Q. considérant que le Code du travail continue de restreindre abusivement le droit de former des syndicats ; considérant qu’en 2019 les autorités ont de nouveau refusé de reconnaître la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie, une confédération intersectorielle indépendante qui demande son enregistrement depuis 2013 ;
R. Considérant les évolutions de la structure de l’emploi et l’expansion du travail informel ces 20 dernière années ; considérant que cette évolution a entrainé une précarisation du salariat ; concernant que cette précarisation touche en particulier les femmes ; considérant que la chute des cours des hydrocarbures et de la crise sanitaire ont encore aggravé la situation ; considérant que le produit intérieur brut (PIB) a baissé de 3,9% au 1er trimestre 2020 et que le taux de chômage se situe aux alentours de 15% pour l’année 2020 contre 11,4% pour l’année 2019 ;
S. Considérant que l’Algérie est le troisième fournisseur énergétique de l'UE ; considérant que l'Algérie vend aux Européens un tiers du gaz qu'ils consomment ;
T. Considérant que 20,5% des entreprises en Algérie sont des entreprises françaises (soit 1893), devant la Syrie (12%), la Chine (9.6%) et la Turquie (8%) ; considérant que les syndicats dénoncent les licenciements abusifs, la situation de quasi esclavage et les comportements néocoloniaux de ces entreprises, en particulier, en ce qui concerne les multinationales pétrolières et gazières ;
1. Condamne fermement les arrestations arbitraires et illégales, la détention et le harcèlement judiciaire de journalistes, de défenseurs des droits humains, de la société civile et d'autres militants pacifiques pour avoir exprimé leurs opinions et/ou pour avoir manifesté pacifiquement ;
2. Demande la relaxe immédiate et l’abandon des charges contre tous les prisonniers de consciences et notamment Khaled Drareni, Said Boudour, Abdelkrim Zeghileche, Walid Kechida et Yacine Mebarki ;
3. Demande aux autorités algériennes de mettre fin à toutes les formes de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des militants syndicaux, des journalistes et des défenseurs des droits de l’Homme et de se conformer aux conventions internationales en la matière notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ;
4. Soutient les revendications d’abrogation des articles répressifs du code pénal qui restreignent la liberté d'expression et de réunion, notamment les dispositions criminalisant l'appel au « rassemblement non armé », celles relatives à la diffamation de personnalités publiques et les articles en termes vagues portant atteinte à l'unité nationale et utilisés pour poursuivre les manifestants pacifiques ;
5. Soutient de la même façon les revendications des organisations féministes présentent dans les mobilisations du Hirak et notamment d’abrogation du Code de la famille, de la « clause du pardon » du code pénal et de l'article 326 du code pénal; estime qu’une véritable égalité femmes/hommes ne peut se réaliser qu’à travers une égalité d’accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé y compris aux soins contraceptifs et génésiques et à l’autonomie financière ;
6. Demande de la même façon aux autorités algériennes de se conformer aux conventions de l'OIT ratifiées par l'Algérie, notamment la convention n ° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la Convention n ° 98 sur droit d'organisation et de négociation collective Convention de l'OIT ;
7. regrette que les recommandations de sa résolution de 2019 n'aient pas été suivies d'actions ; regrette en particulier que le SEAE n'aient pas correctement notifié le parlement de son dialogue sur les droits de l'homme de ce mois-ci avec les autorités algériennes et lui demande un rapport complet et régulier dans les plus bref délais ;
8. Réitère le fait que le droit inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes passe par le contrôle par les populations de leurs ressources naturelles et par une véritable indépendance politique et économique ;
9. Réaffirme que les activités des entreprises européennes présentes dans les pays tiers doivent pleinement respecter les normes internationales en matière de droits de l'Homme; demande à ce titre aux États membres de veiller à ce que les entreprises qui relèvent de leur droit national ne s'affranchissent pas du respect des droits de l'Homme et des normes sociales, sanitaires et environnementales qui s'imposent à elles quand elles s'installent ou mènent leurs activités dans un État tiers ; appelle l’UE et les États Membres à prendre les mesures qui s'imposent contre les entreprises européennes qui ne respectent pas ces normes ou qui n'indemnisent pas de manière satisfaisante les victimes de violations des droits de l'Homme relevant directement ou indirectement de leur responsabilité ; Demande qu’une enquête indépendante soit menée sur les conditions de travail, les droits syndicaux et collectifs et les conditions de management dans les entreprises privées en particulier dans les secteurs gaziers et pétroliers ;
10. S’insurge contre toute tentative, européenne ou nationale, de réécriture de l’Histoire notamment vis-à-vis du passé colonial, que ce soit pour minimiser ou occulter les crimes commis à l’encontre des peuples colonisés ou pour justifier des politiques discriminatoires à l’encontre des populations des anciens pays coloniaux qui vivent sur le territoire de l’UE ;
11. charge son Président de transmettre la présente résolution à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres, à la délégation de l’Union européenne à Alger, au gouvernement algérien, au Secrétaire général des Nations unies, au Conseil des droits de l’homme des Nations unies et au Conseil de l’Europe.