PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la répression de l’opposition en Turquie, en particulier du Parti démocratique des peuples (HDP)
6.7.2021 - (2021/2788(RSP))
conformément à l’article 132, paragraphe 2, du règlement intérieur
Nacho Sánchez Amor, Pedro Marques, Tonino Picula
au nom du groupe S&D
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B9-0406/2021
B9-0406/2021
Résolution du Parlement européen sur la répression de l’opposition en Turquie, en particulier du Parti démocratique des peuples (HDP)
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur la Turquie, en particulier celles du 5 mai 2021 sur les rapports 2019-2020 de la Commission concernant la Turquie[1], du 20 janvier 2021 sur la situation des droits de l’homme en Turquie, notamment le cas de Selahattin Demirtaş et d’autres prisonniers d’opinion[2] et du 19 septembre 2019 sur la situation en Turquie, notamment le limogeage de maires élus[3],
– vu la communication de la Commission du 6 octobre 2020 sur la politique d’élargissement de l’UE (COM(2020)0660) et le rapport 2020 sur la Turquie qui l’accompagne (SWD(2020)0355),
– vu le cadre pour les négociations UE-Turquie du 3 octobre 2005 et le fait que, comme pour tous les pays candidats, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne dépend du plein respect des critères de Copenhague,
– vu les conclusions du Conseil européen des 10 et 24 juin 2021 et les autres conclusions pertinentes du Conseil et du Conseil européen sur la Turquie,
– vu la communication conjointe de la Commission et du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité du 22 mars 2021 intitulée «État des lieux en ce qui concerne les relations politiques, économiques et commerciales entre l’UE et la Turquie» (JOIN(2021)0008),
– vu la déclaration de la porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) chargée des affaires étrangères et de la politique de sécurité du 19 août 2019 sur la suspension de maires élus et la détention de centaines de personnes dans le sud-est de la Turquie,
– vu la déclaration du 4 novembre 2016 de la vice-présidente de la Commission européenne/haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et du commissaire à la politique européenne de voisinage et aux négociations d’élargissement sur la détention de plusieurs membres du Parti démocratique des peuples (HDP), notamment ses coprésidents,
– vu l’article 46 de la convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que les hautes parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans les litiges auxquels elles sont parties, et, par conséquent, l’obligation de la Turquie de se conformer à tous les arrêts des cours européennes, y compris ceux de la CEDH,
– vu l’arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme du 22 décembre 2020 dans l’affaire Selahattin Demirtaş/Turquie (14305/17) et l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 novembre 2018 dans la même affaire,
– vu la résolution 2260 (2019) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 24 janvier 2019 intitulée «Aggravation de la situation des membres de l’opposition politique en Turquie: que faire pour protéger leurs droits fondamentaux dans un État membre du Conseil de l’Europe?»,
– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que, dans le contexte d’un recul général des libertés fondamentales et de l’état de droit, les partis d’opposition en Turquie – et en particulier le Parti démocratique des peuples (HDP) – sont continuellement et de plus en plus pris pour cible par les autorités turques;
B. considérant que, le 17 mars 2021, le procureur général de la Cour de cassation turque a tout d’abord soumis à la Cour constitutionnelle une mise en accusation demandant la dissolution du HDP;
C. considérant que, le 31 mars 2021, l’assemblée générale de la Cour constitutionnelle a procédé au premier examen de l’acte d’accusation, y a constaté des irrégularités de procédure et a décidé de demander au bureau du procureur général d’y remédier;
D. considérant que, le 7 juin 2021, le procureur général a présenté un acte d’accusation révisé à la Cour constitutionnelle demandant la dissolution du HDP;
E. considérant qu’en plus de demander la dissolution du parti, la version révisée de l’acte d’accusation, tout comme celui d’origine, exige une interdiction politique pour près de 500 personnalités politiques du HDP et un gel des comptes bancaires du parti;
F. considérant que, le 21 juin 2021, l’assemblée générale de la Cour constitutionnelle a procédé à son premier examen de l’acte d’accusation révisé et l’a accepté à l’unanimité;
G. considérant que le procureur général a fondé la plupart de ses accusations contre le HDP sur les protestations de Kobané, pour lesquelles une procédure judiciaire est en cours à l’encontre des responsables politiques du HDP, y compris les anciens coprésidents, Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ;
H. considérant que ces accusations sont principalement fondées sur un tweet publié par le conseil exécutif du centre du HDP (daté du 6 octobre 2014), qui invitait les citoyens à manifester en solidarité avec les habitants de Kobané contre le groupe «État islamique» et l’embargo de la Turquie sur la ville;
I. considérant que 108 des accusés dans le procès dit de Kobané appartiennent au HDP; que 28 d’entre eux ont été arrêtés dans l’attente d’un procès; que six personnes font l’objet de restrictions judiciaires et que des mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de 75 personnes; que le Parlement continuera de suivre de près le procès de Kobané et les autres affaires similaires;
J. considérant que, le 17 juin 2021, Deniz Poyraz, une employée et membre du HDP, a été assassinée dans les bureaux du parti à İzmir; qu’elle aurait été mutilée après son décès;
K. considérant que le bâtiment du HDP à İzmir avait été visé pendant des mois avant cette attaque; que des responsables du HDP à İzmir avaient évoqué avec la police et le gouvernorat la possibilité d’une attaque dont ils seraient la cible, mais que la police n’avait pris aucune mesure de précaution; que ces attaques ont eu lieu dans un climat de pression politique croissante alimentée par les actions et les déclarations des partis de la coalition au pouvoir et du gouvernement;
L. considérant que trois députés du HDP ont été privés de leur siège et de leur immunité parlementaires et ont par la suite été arrêtés;
M. considérant que, le 30 juin 2021, les procureurs du ministère de la justice ont soumis à la commission parlementaire mixte chargée des questions constitutionnelles et de justice de la Grande Assemblée nationale turque des résumés de procédures judiciaires engagées en vue de lever l’immunité législative de 20 responsables politiques de six partis d’opposition;
N. considérant que ces procédures visent 15 députés du HDP, le chef du parti populaire républicain (CHP) Kemal Kılıçdaroğlu et un parlementaire de chacun des autres partis d’opposition, à savoir le parti des régions démocratiques (PPC), le parti İYİ («bon»), le parti des travailleurs de Turquie (TİP) et le parti démocrate (DP);
O. considérant que M. Kılıçdaroğlu, dirigeant du principal parti d’opposition, fait l’objet de poursuites pour insulte présumée au président turc, pour laquelle il encourt une peine pouvant aller jusqu’à quatre ans d’emprisonnement; qu’il fait également l’objet d’une action en justice intentée par le président Recep Tayyip Erdoğan le 11 janvier 2021, lui demandant de verser 1 million de livres turques à titre de dommages et intérêts;
P. considérant qu’à la date du 1er mars 2021, un total de 1 267 résumés de procédures étaient soumis à l’examen de la commission parlementaire mixte chargée des questions constitutionnelles et de justice de la Grande Assemblée nationale turque, dont 955 (75 %) visaient 59 députés du HDP;
Q. considérant que M. Demirtaș, ancien député au parlement turc de 2007 à 2018, ancien coprésident du parti démocratique des peuples (HDP) turc et candidat à l’élection présidentielle en 2014 et 2018 ayant reçu respectivement 9,76 % et 8,32 % des voix, est détenu depuis plus de quatre ans sur des motifs infondés, et ce, malgré deux arrêts de la CEDH en faveur de sa libération;
R. considérant que depuis les élections locales du 31 mars 2019, 59 des 65 maires démocratiquement élus du HDP dans le sud-est de la Turquie ont été remplacés par des gouverneurs provinciaux ou des administrateurs nommés par le gouvernement au motif qu’ils faisaient l’objet d’une enquête en raison de liens présumés avec le terrorisme; que sur les 36 maires arrêtés, 32 ont été libérés pendant la procédure judiciaire, mais que six co-maires élus sont toujours en prison;
S. considérant que l’aggravation des problèmes structurels se traduit par un manque d’indépendance institutionnelle du pouvoir judiciaire et continue de porter atteinte aux droits des partis d’opposition;
1. reste profondément préoccupé par les attaques et les pressions constantes exercées sur les partis d’opposition en Turquie, et en particulier par la manière dont le HDP, et notamment son organisation de jeunesse, est expressément et de plus en plus visé par les autorités turques; demande instamment au gouvernement turc de mettre fin à cette situation et de veiller à ce que tous les partis politiques du pays puissent exercer librement et pleinement leurs activités légitimes, conformément aux principes fondamentaux d’un système pluraliste et démocratique;
2. condamne fermement l’acte d’accusation révisé déposé auprès de la Cour constitutionnelle par le procureur général de la Cour de cassation turque en vue de la dissolution du HDP et de la mise à l’index politique de quelque 600 de ses membres, y compris la plupart de ses dirigeants actuels, ce qui les empêcherait de mener tout type d’activité politique au cours des cinq prochaines années; est profondément préoccupé par la décision de la Cour constitutionnelle d’accepter cette affaire, qui a été prise à l’unanimité; constate avec une vive inquiétude que l’affaire de dissolution du HDP est l’aboutissement d’une répression à l’encontre du parti qui est en cours depuis plusieurs années et qui a vu des milliers de membres, de cadres, de députés, de conseillers locaux et de co-maires du parti traduits en justice, principalement pour des accusations liées au terrorisme;
3. est fermement convaincu que pour rendre la société turque plus ouverte et créer une perspective positive propice à un règlement pacifique de la question kurde, il est fondamental de ne pas entraver la participation du HDP aux institutions démocratiques de la Turquie; réaffirme à cet égard que, compte tenu du ferme engagement du HDP à travailler dans le cadre des institutions démocratiques, l’interdiction du parti serait une grave erreur politique à moyen terme et porterait un coup irréversible au pluralisme et aux principes démocratiques et aurait pour conséquence que des millions d’électeurs en Turquie ne soient pas représentés;
4. condamne fermement l’effroyable assassinat de Deniz Poyraz, membre et employée du HDP, et l’attaque des bureaux du parti à İzmir; exprime ses condoléances à sa famille et à ses amis; invite instamment les autorités à enquêter de manière approfondie sur cette affaire et à traduire les responsables en justice;
5. invite les autorités turques à s’abstenir d’alimenter toute campagne à l’encontre du HDP et à prendre les mesures nécessaires pour protéger les bureaux et les membres du parti, y compris les députés, les conseillers locaux et les co-maires élus;
6. condamne la décision de priver les députés du HDP Leyla Güven, Ömer Faruk Gergerlioğlu et Musa Farisoğulları de leurs sièges et de leur immunité parlementaires, ainsi que leurs arrestations ultérieures; se félicite du récent arrêt de la Cour constitutionnelle du 1er juillet 2021, dans lequel elle a jugé à l’unanimité que les droits du député M. Gergerlioğlu d’être élu et d’exercer une activité politique, ainsi que son droit à la liberté et à la sécurité personnelles, avaient été violés; demande instamment aux autorités turques et aux juridictions inférieures d’appliquer la décision de la Cour constitutionnelle, de libérer sans délai le député M. Gergerlioğlu et de rétablir son statut de parlementaire; est profondément préoccupé par le fait que les juridictions inférieures et les autorités turques respectent de moins en moins les arrêts de la Cour constitutionnelle, ce qui constitue une grave atteinte au fonctionnement fondamental de l’état de droit et une situation à laquelle il faut remédier de toute urgence; demande la libération immédiate des deux autres députés du HDP ainsi que l’abandon de toutes les charges qui pèsent sur eux;
7. condamne fermement le maintien en détention depuis novembre 2016 des anciens coprésidents du HDP Figen Yüksekdağ et Selahattin Demirtaș, lequel est également chef de l’opposition et ancien candidat à la présidence; rappelle l’arrêt de la CEDH du 20 novembre 2018 dans l’affaire Selahattin Demirtaş/Turquie, confirmé par l’arrêt de sa grande chambre du 22 décembre 2020, qui demande aux autorités turques de libérer immédiatement M. Demirtaş; est consterné par le mépris et la non-application persistants des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par les autorités turques, y compris dans d’autres affaires telles que celle d’Osman Kavala, pour lesquelles le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pourrait déclencher une procédure d’infraction contre la Turquie;
8. est profondément préoccupé par la pression sans cesse croissante exercée sur le principal parti d’opposition (CHP) et son dirigeant, Kemal Kılıçdaroğlu, notamment la confiscation des brochures du parti sur décision judiciaire, les menaces formulées publiquement à son encontre et les agressions physiques qu’il a subies; condamne la demande de levée de l’immunité de M. Kılıçdaroğlu en raison de ses déclarations politiques, y compris les poursuites dont il fait l’objet pour insulte présumée au président turc, pour laquelle il encourt une peine pouvant aller jusqu’à quatre ans d’emprisonnement; se déclare une nouvelle fois vivement préoccupé par le harcèlement politique et judiciaire incessant dont fait l’objet Canan Kaftancıoğlu, présidente de la section provinciale d’Istanbul du CHP, qui a été condamnée en septembre 2019 à près de dix ans de prison pour des motifs politiques, jugement qui a fait l’objet d’un recours devant la Cour suprême;
9. condamne le recours récurrent à la révocation du mandat parlementaire des députés de l’opposition, qui porte gravement atteinte à l’image du Parlement turc en tant qu’institution démocratique; condamne la décision des autorités turques de démettre de leurs fonctions des maires démocratiquement élus sur la base d’éléments de preuve discutables et de les remplacer par des administrateurs non élus; souligne que ces actes continuent d’écorner la capacité de l’opposition politique à exercer ses droits et à remplir son rôle démocratique; est profondément préoccupé par ce grave recul de la liberté de fonctionnement des partis d’opposition, qui révèle la situation dramatique des droits de l’homme en Turquie et l’érosion continue de la démocratie et de l’état de droit, en violation des critères de Copenhague;
10. estime que l’érosion de l’état de droit et le manque systémique d’indépendance du pouvoir judiciaire restent liés aux décisions de justice concernant la liberté de fonctionnement des partis d’opposition;
11. estime que la question cruciale des libertés et des droits fondamentaux, qui est au cœur du processus d’adhésion, ne peut être dissociée et isolée des relations générales et qu’elle demeure le principal obstacle à la réalisation de progrès dans tout programme positif qui pourrait être proposé à la Turquie, lequel devrait également être subordonné au plein respect des droits et de la liberté de fonctionnement des partis d’opposition; invite par conséquent la Commission et le Conseil à prendre sérieusement en considération la situation actuelle en matière d’état de droit, de démocratie, de droits de l’homme et de respect des conventions et résolutions internationales lors de la mise en œuvre de la récente décision du Conseil européen de s’engager avec la Turquie de manière progressive, proportionnée et réversible, sous réserve du respect des conditions énoncées en mars et dans les précédentes conclusions du Conseil européen;
12. charge son Président de transmettre la présente résolution au président du Conseil européen, au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi qu’au gouvernement et au parlement de la République de Turquie.
- [1] Textes adoptés de cette date, P9_TA(2021)0243.
- [2] Textes adoptés de cette date, P9_TA(2021)0028.
- [3] JO C 171 du 6.5.2021, p. 8.