Proposition de résolution - B9-0409/2021Proposition de résolution
B9-0409/2021

PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la répression de l’opposition en Turquie, en particulier le parti démocratique des peuples (HDP)

6.7.2021 - (2021/2788(RSP))

déposée à la suite d’une déclaration du vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité
conformément à l’article 132, paragraphe 2, du règlement intérieur

Sergey Lagodinsky, Ernest Urtasun, Hannah Neumann, Ignazio Corrao, Jordi Solé, François Alfonsi, Henrike Hahn, Gwendoline Delbos-Corfield, Mounir Satouri, Diana Riba i Giner, Francisco Guerreiro
au nom du groupe Verts/ALE

Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B9-0406/2021

Procédure : 2021/2788(RSP)
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B9-0409/2021

Résolution du Parlement européen sur la répression de l’opposition en Turquie, en particulier le parti démocratique des peuples (HDP)

(2021/2788(RSP))

Le Parlement européen,

 vu ses résolutions antérieures sur la Turquie, en particulier celles du 19 mai 2021 sur les rapports 2019-2020 de la Commission concernant la Turquie[1], du 21 janvier 2021 sur la situation des droits de l’homme en Turquie, notamment le cas de Selahattin Demirtaş et d’autres prisonniers d’opinion[2], du 19 septembre 2019 sur la situation en Turquie, notamment le limogeage de maires élus[3], du 8 février 2018 sur la situation actuelle des droits de l’homme en Turquie[4], du 13 mars 2019 sur le rapport 2018 de la Commission concernant la Turquie[5] et du 27 octobre 2016 sur la situation des journalistes en Turquie[6],

 vu les derniers rapports de la Commission sur la Turquie, à savoir ses rapports 2018, 2019 et 2020,

 vu la déclaration conjointe du 18 mars 2021 du vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, et du commissaire européen chargé de la politique européenne de voisinage et des négociations d’élargissement, Olivér Várhelyi, sur les dernières actions en ce qui concerne le parti démocratique des peuples (HDP),

 vu les déclarations pertinentes de la porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), notamment celles des 21 et 25 décembre 2020,

 vu les conclusions du Conseil et du Conseil européen sur la question, notamment les conclusions du Conseil européen du 24 juin 2021 sur les relations extérieures,

 vu l’arrêt rendu par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme le 22 décembre 2020 dans l’affaire Selahattin Demirtaș/Turquie,

 vu l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 10 décembre 2019 dans l’affaire Kavala/Turquie, devenu définitif le 11 mai 2020, et les décisions du Comité des ministres du Conseil de l’Europe des 1er octobre 2020 et 3 décembre 2020 exhortant la Turquie à garantir la libération immédiate de Mehmet Osman Kavala,

 vu la résolution 2347 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 23 octobre 2020 intitulée «Nouvelle répression de l’opposition politique et de la dissidence civile en Turquie: il est urgent de sauvegarder les normes du Conseil de l’Europe»,

 vu la résolution 2260 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 24 janvier 2019 intitulée «Aggravation de la situation des membres de l’opposition politique en Turquie: que faire pour protéger leurs droits fondamentaux dans un État membre du Conseil de l’Europe?»,

 vu le rapport de mars 2018 du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme sur les répercussions de l’état d’urgence sur les droits de l’homme en Turquie, accompagné d’une mise à jour sur la situation dans le sud-est du pays,

 vu le rapport du 30 juillet 2019 du groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires,

 vu la déclaration de plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations unies du 2 septembre 2020,

 vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

 vu les orientations de l’Union européenne concernant les défenseurs des droits de l’homme,

 vu la déclaration universelle des droits de l’homme,

 vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,

 vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,

A. considérant que la Turquie est un pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne et un membre de longue date du Conseil de l’Europe; qu’en tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est partie à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, la «Convention») et est tenue de respecter les prescriptions et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, la CEDH);

B. considérant que la répression à l’encontre de l’opposition politique et des dissidents civils en Turquie s’est intensifiée au cours des derniers mois, de nombreuses enquêtes et poursuites ayant visé des responsables politiques locaux, des députés et anciens députés, des membres de partis politiques d’opposition et des avocats; que la répression durable dont est victime l’opposition politique turque, et en particulier le parti démocratique des peuples (ci-après le «HDP») s’inscrit dans un contexte de rétrécissement de l’espace dévolu à la démocratie et à l’état de droit et sur fond de mesures incessantes des autorités turques destinées à faire taire les voix dissidentes, notamment celles des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des universitaires, des juges et des avocats;

C. considérant que, le 17 mars 2021, le procureur général de la Cour de cassation turque présenté en premier lieu à la Cour constitutionnelle une demande de dissolution du HDP; qu’une mise en accusation révisée a été présentée le 7 juin 2021, demandant, outre la dissolution du parti, une interdiction d’exercer des activités politiques pour quelque 451 personnalités politiques du HDP et le gel des comptes bancaires du parti; que l’assemblée générale de la Cour constitutionnelle a accepté à l’unanimité la mise en accusation révisée le 21 juin 2021;

D. considérant que la plupart des accusations du procureur général contre le HDP sont liées aux manifestations de Kobané, pour lesquelles une procédure judiciaire est en cours à l’encontre de 108 responsables politiques du HDP, y compris ses anciens coprésidents Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ; que ces accusations concernent le rôle de ces personnes dans les manifestations de soutien à Kobané et sont principalement fondées sur un tweet publié par le conseil exécutif du centre du HDP, qui appelait les citoyens à manifester en solidarité avec les habitants de Kobané, contre le groupe «État islamique» et contre l’embargo de la Turquie sur la ville; que plus de 50 personnes ont été tuées au cours des manifestations, la majorité desquelles étaient des membres ou sympathisants du HDP, assassinés par les tirs d’armes à feu de la police turque;

E. considérant que le HDP est le troisième parti au parlement turc et qu’il représente donc une part importante des voix politiques en Turquie; qu’environ 4 000 membres et fonctionnaires du HDP sont toujours en prison, dont un certain nombre de parlementaires;

F. considérant que Selahattin Demirtaş, ancien coprésident du HDP et candidat de l’opposition pour les élections présidentielles en 2014 et 2018 – auxquelles il a obtenu respectivement 9,76 % et 8,32 % des voix – est détenu dans une prison de type F à Edrine depuis le 4 novembre 2016 en raison d’accusations de terrorisme, qui l’exposent, en cas de condamnation, à une peine de prison de 142 ans; qu’une enquête pour terrorisme distincte a été ouverte à son encontre en septembre 2019, pour son rôle supposé dans les incidents pour lesquels il était précédemment détenu et qui font déjà l’objet d’un procès; que Selahattin Demirtaş est l’un des nombreux prisonniers d’opinion en Turquie;

G. considérant que dans son arrêt rendu le 22 décembre 2020 dans l’affaire Selahattin Demirtaș/Turquie, la grande chambre de la CEDH a condamné la Turquie pour violation du droit à la liberté en ce qui concerne la prolongation de la détention ainsi que du droit à des élections libres et régulières, et a conclu qu’en détenant Selahattin Demirtaş, la Turquie avait poursuivi le but inavoué consistant à étouffer le pluralisme et à limiter le libre jeu du débat politique; que la CEDH a conclu à l’absence de lien clair entre les discours de M. Demirtaș et des activités terroristes et a jugé que la Turquie devait prendre des mesures immédiates pour le libérer;

H. considérant que, dans le même arrêt, la CEDH a affirmé que l’appel à la solidarité avec le peuple de Kobané émis par le siège du HDP restait dans les limites du discours politique, dans la mesure où il ne pouvait être interprété comme un appel à la violence; que la CEDH a affirmé que les violences survenues du 6 au 8 octobre 2014, aussi regrettables soient-elles, ne peuvent pas être interprétées comme une conséquence directe des tweets du siège du HDP;

I. considérant que les accusations de terrorisme continuent d’être exploitées à grande échelle contre les dirigeants démocratiques kurdes et d’autres personnes afin de restreindre les droits à la liberté d’expression et d’association, cinq ans après la tentative de coup d’État; que la criminalisation des partis d’opposition, des dirigeants et des voix dissidentes se produit dans un contexte de polarisation et de violence accrues, qui a abouti à l’assassinat de Deniz Poyraz lors d’une attaque armée contre un bureau du parti dans la province d’Izmir le 17 juin 2021;

1. invite le gouvernement turc à inverser d’urgence ses politiques autocratiques à œuvrer au renforcement de la démocratie, de l’état de droit, des droits de l’homme et des droits civils, y compris le pluralisme politique, ainsi que des libertés d’association, de réunion et d’expression; souligne que la démocratie présuppose un contexte dans lequel les partis politiques, la société civile et les médias peuvent fonctionner sans être victimes de menaces ou restrictions arbitraires;

2. condamne la décision d’interdire le HDP, confirmée par l’assemblée générale de la Cour constitutionnelle turque; constate avec une profonde inquiétude que le HDP, ainsi que compris ses organisations de jeunesse, ont été spécifiquement et constamment pris pour cible par les autorités turques; condamne fermement le maintien en détention de fonctionnaires et députés du HDP, notamment Figen Yüksekdağ et Selahattin Demirtaş, anciens coprésidents du HDP; invite les autorités turques à libérer immédiatement et sans condition Selahattin Demirtaş et les autres membres de l’opposition emprisonnés, à abandonner toutes les poursuites dont ils font l’objet et à rétablir le statut juridique du HDP;

3. demande que les normes de l’état de droit soient appliquées strictement lors de la procédure judiciaire en cours concernant Kobané, notamment en ce qui concerne l’indépendance de la justice, l’impartialité, l’équité totale et les garanties procédurales;

4. s’inquiète vivement du mépris manifesté par le système judiciaire et les autorités turcs à l’égard des arrêts de la CEDH, ainsi que de la non-exécution de plus en plus fréquente des arrêts de la Cour constitutionnelle turque par les juridictions inférieures; souligne que la grande chambre de la CEDH a ordonné la libération immédiate de Selahattin Demirtaş dans son arrêt définitif du 22 décembre 2020; souligne que le non-respect de cette obligation violerait l’obligation de la Turquie de se conformer aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme; demande à la Turquie de veiller au plein respect des dispositions de la Convention et des arrêts de la CEDH; l’engage à coopérer pleinement avec le Conseil de l’Europe en vue du renforcement de l’état de droit, des droits des minorités, de la démocratie et des droits fondamentaux; invite le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à continuer de surveiller l’exécution de la décision de la CEDH à l’égard de Selahattin Demirtaş;

5. est profondément préoccupé par les attaques et les pressions constantes dont font l’objet les partis d’opposition, lesquelles compromettent le bon fonctionnement du système démocratique; observe les mesures politiques, législatives et administratives prises par le gouvernement turc pour paralyser les municipalités dirigées par des maires de partis de l’opposition à Istanbul, Ankara et Izmir; condamne le fait que dans les villes de l’est à majorité kurde, telles que Kars, Van, Diyarbakır et Mardin, des maires ont été limogés, remplacés par des administrateurs nommés et détenus; regrette que le gouvernement en exercice utilise les ressources financières et l’autorité administrative de l’État de manière abusive pour affaiblir l’opposition ou la réduire au silence;

6. condamne fermement la nouvelle arrestation et la détention prolongée de personnalités importantes telles que Osman Kavala et Selahattin Demirtaş; exhorte les autorités turques à les libérer immédiatement, de même que tous les défenseurs des droits de l’homme, journalistes, universitaires et autres personnes détenues pour des motifs non fondés, parmi lesquelles Can Dündar et Erol Önderoğlu, et à abandonner toutes les charges qui pèsent contre elles;

7. demande à la délégation de l’Union européenne en Turquie de continuer de suivre la situation des prisonniers politiques et des défenseurs des droits de l’homme, notamment en observant les procès, en émettant des déclarations publiques et en demandant l’autorisation de visites en prison;

8. se déclare très préoccupé par les attaques contre la société civile et la promotion des libertés et des droits fondamentaux; dénonce la dissolution arbitraire d’organisations de la société civile, notamment d’importants médias et organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme; met en garde contre les conséquences négatives supplémentaires pour la liberté d’association de la loi du 31 décembre 2020 sur la prévention du financement de la prolifération des armes de destruction massive, étant donné qu’elle confère au ministère de l’Intérieur un large pouvoir discrétionnaire pour limiter et restreindre les activités légitimes des organisations non gouvernementales; condamne en outre l’incidence négative sur la liberté d’expression de la loi de juillet 2020 sur la réglementation des publications sur internet et sur la lutte contre les crimes commis à travers ces publications;

9. est consterné par les signalements nombreux et constants faisant état d’intimidations, de harcèlement et de violences à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes, d’universitaires, de médecins qui ont aidé les victimes de torture et d’autres activistes, en particulier ceux de la communauté kurde; demande instamment à la Turquie de s’abstenir d’incarcérer et de poursuivre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme en vue de les intimider ou de les décourager de s’exprimer librement sur des questions liées aux droits de l’homme; invite instamment la Turquie à enquêter rapidement et en toute indépendance sur les cas signalés d’intimidation et de harcèlement de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes, d’universitaires et d’activistes de la société civile, et à demander des comptes aux personnes responsables de tels abus;

10. condamne fermement la décision du gouvernement turc de se retirer de la Convention d’Istanbul, particulièrement alors que la pandémie s’accompagne d’une période de montée de la violence à l’égard des femmes et à la lumière du taux élevé de féminicides dans le pays; invite le gouvernement turc à revenir sur sa décision de toute urgence; exprime sa profonde préoccupation face aux violations des droits de l’homme des personnes LGBTI, en particulier aux agressions physiques, à l’interdiction prolongée des marches des fiertés à travers le pays ou aux restrictions des libertés de réunion, d’association et d’expression;

11. invite l’Union et ses États membres à exercer une pression accrue sur le gouvernement turc et à renforcer leur soutien aux défenseurs des droits de l’homme en Turquie, y compris au moyen de subventions d’urgence, à faciliter la délivrance de visas d’urgence, à fournir un refuge temporaire dans les États membres de l’Union, et à garantir la mise en œuvre intégrale des orientations de l’Union concernant les défenseurs des droits de l’homme par la délégation de l’Union ainsi que par les ambassades et consulats des États membres;

12. rappelle au Conseil européen que toute amélioration des relations officielles entre l’Union et la Turquie et toute démarche visant à établir un programme positif, comme indiqué dans ses conclusions de décembre 2020, mars 2021 et juin 2021, ont pour condition l’amélioration de la situation des droits civils, des droits de l’homme et de l’état de droit en Turquie;

13. demande que la présente résolution soit traduite en turc;

14. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux États membres de l’Union, ainsi qu’au Président, au gouvernement et au parlement de la République de Turquie.

 

Dernière mise à jour: 7 juillet 2021
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