PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur Le Rwanda, le cas de Paul Rusesabagina
5.10.2021 - (2021/2906(RSP))
conformément à l’article 144 du règlement intérieur
Marisa Matias
au nom du groupe The Left
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B9-0500/2021
B9‑0500/2021
Résolution du Parlement européen sur Le Rwanda, le cas de Paul Rusesabagina
Le Parlement européen,
– vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948
– vu la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole de 1967,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966 ratifié par le Rwanda en 1975;
– vu la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
– vu la charte africaine des droits de l'Homme et des peuples ratifiée par le Rwanda en 1983;
– vu le traité pour l'établissement de la communauté de l'Afrique de l'Est, à laquelle a adhéré le Rwanda et dont l'article 3 stipule que l'adhésion requiert le respect des principes universellement acceptés de la bonne gouvernance, de la démocratie, des règles du droit, du respect des droits de l'homme et de la justice sociale;
– vu ses précédentes résolutions sur le Rwanda ;
– vu les conclusions du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), Chambre de première instance, du 7 juin 2001.
– vu le rapport Mapping de l'ONU dressant l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003
– vu la nomination le vendredi 5 avril 2019 une commission d’experts et d’historiens chargés d’examiner les archives françaises pour établir le rôle précis de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 et sa note intermédiaire rendue au Président de la République le 5 avril 2020 ;
– vu l’Examen périodique universel (EPU) du Rwanda, qui s’est tenu au Conseil des droits de l’homme à Genève le 25 janvier 2021 et le rapport du groupe de travail publié le 25 mars 2021 ;
– vu ses précédentes résolutions sur le Rwanda notamment celle du 11 février 2021 ;
– vu l’article 144 de son règlement intérieur,
A. considérant que le non-respect des droits de l’Homme continuent d’être préoccupants dans le pays ; considérant que selon les organisations internationales de droits de l’homme les détentions arbitraires, les mauvais traitements et les actes de torture se sont poursuivis dans les centres de détention officiels et non officiels ; considérant que le Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda, aurait continué de s’en prendre aux personnes perçues comme constituant une menace pour le gouvernement ; considérant que plusieurs détracteurs du gouvernement ont été arrêtés ou menacés ;
B. Considérant que l’ingérence et les mesures d’intimidation de la part de l’État ont forcé de nombreux acteurs de la société civile et journalistes à cesser de travailler sur des questions sensibles ayant trait à la politique ou aux droits humains ;
C. considérant qu’en 2017 le sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a suspendu ses visites au pays invoquant des obstructions de la part du gouvernement et la crainte de représailles contre les personnes interrogées ; considérant qu’en 2018 où le sous-comité a dû interrompre une visite d’État avant que celle-ci ne soit terminée ; considérant que le 25 janvier 2021, le Rwanda a eu son Examen périodique universel (EPU) à Genève, recevant de fortes recommandations sur plusieurs questions clés, notamment les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la détention arbitraire, les décès en détention et la nécessité de prendre les mesures nécessaires pour ratifier la Convention contre les disparitions forcées et le Statut de Rome pour que le pays devienne partie à la Cour pénale internationale ; considérant que plusieurs pays ont aussi exhorté le Rwanda à autoriser le sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à reprendre ses visites ;
D. Considérant que le 31 août 2020, le Bureau d'enquête sur le Rwanda a annoncé l'arrestation de Paul Rusesabagina, l’ancien gérant de l'hôtel des Milles Collines où plus de 1200 personnes ont trouvé refuge pendant le génocide de 1994 ; considérant qu’il a été accusé d'infractions telles que terrorisme, incendie criminel, enlèvement et meurtre en relation avec son soutien à un groupe armé ; considérant qu’il avait quitté Dubaï pendant la nuit du 27 au 28 août dans des circonstances mystérieuses; considérant qu’au tribunal en novembre 2020, il a déclaré avoir été enlevé ; considérant que les autorités n’ont pas voulu dire comment il était arrivé à Kigali mais ont affirmé que la procédure régulière avait été suivie ; considérant qu’il est resté en détention provisoire, suite à demandes de mise en liberté sous caution qui ont été rejetées ;
E. considérant qu’en exil en Belgique depuis 1996, Paul Rusesabagina était devenu un opposant à l’actuel président du pays Paul Kagame ; considérant qu’il est devenu un citoyen belge en 1999 ; considérant qu’en 2006, il demande au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) d’enquêter sur les crimes commis par le Front patriotique rwandais (FPR) et fonde le parti PDR-Ihumure ; considérant qu’il préside actuellement le Mouvement du Rwanda pour le Changement Démocratique (MRCD), coalition de groupes de l’opposition incluant le PDR-Ihumure, dont la branche armée, le Front de Libération Nationale (FLN), a revendiqué la responsabilité des attaques armées perpétrées au Rwanda en 2018 ; considérant qu’à ce titre le Bureau d’enquêtes rwandais (RIB) a mené des investigations sur Paul Rusesabagina concernant des allégations notamment de terrorisme, incendie volontaire, kidnapping et meurtre, actes qui auraient été commis dans le district de Nyaruguru en juin 2018 et dans le district de Nyamagabe en décembre 2018 ;
F. Considérant que le 20 septembre 2021 a été condamné à 25 ans de prison pour huit des neuf chefs d'accusation de son acte d'accusation (il a été acquitté du chef d’accusation de création d'un groupe terroriste) ; considérant que ses 20 coaccusés ont aussi été condamnés ; considérant que le jugement écrit n’a pas été rendu public ce qui peut être considéré comme une irrégularité ; considérant que la condamnation repose principalement sur des aveux signés le 31 août 2020 faits au poste de police de Remera en l’absence d’un avocat et suite à de probables tortures ; considérant que le logiciel Pegasus aurait été utilisé depuis janvier 2021 pour contrôler les conversations de plusieurs membres de la famille de Paul Kagame ; considérant que les avocats et les membres de la famille de Paul Rusesabagina ont que les ingérences concernant les documents juridiques et les communications entre le prévenu et ses avocats ont continué durant tout le procès contrairement aux normes juridiques rwandaises et internationales en vigueur;
G. Considérant que dans une lettre du 30 septembre 2020, le Rapporteur spécial sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ou punition; le Groupe de travail sur la détention arbitraire; le Groupe de travail sur les Disparitions involontaires; et le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme demandent aux autorités rwandaises de faire toute la lumière sur les allégations de « disparition forcée et de mauvais traitements » à l’encontre de Paul Rusesabagina ainsi que de « fournir des informations complètes sur les mesures qui ont été prises, ou qui sont prévues, pour garantir le déroulement de la procédure pénale par des autorités judiciaires indépendantes et impartiales dans le respect du droit international » ;
H. considérant qu’en juillet 2021 Amnesty International et Forbidden Stories ont rapporté que les autorités rwandaises ont utilisé le logiciel espion Pegasus de NSO Group pour cibler potentiellement plus de 3 500 activistes, journalistes et personnalités politiques ;
I. considérant que le Rwanda est considéré comme un pays à faible revenu par la Banque Mondiale avec un PIB par habitant d’environ 705euros ; considérant que le pays était classé 158ème sur 189 dans l’indice de développement humain de 2018 ; considérant que malgré le reccul de la pauvreté (59% de la population en 2000 contre 38.2 en 2018) beaucoup de citoyens continuent à vivre dans une situation de précarité avec moins de 1.8euros par jour ; considérant qu’en décembre 2019 le pays était 93 sur 113 dans l’Indice mondial de la sécurité alimentaire et 36.8% de la population souffrait de sous-alimentation ;
J. Considérant que le génocide des Tutsis au Rwanda qui a fait entre 800 000 et 1 million de victimes, massacrées dans des conditions atroces, pour la seule raison qu’elles étaient tutsies et qui s’est accompagné du massacre de Hutus opposés à cette extermination continue de peser durablement sur le pays et sur toute la région ;
K. Considérant que dans ses conclusions le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) stipule qu’« Un accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou partie le groupe national, ethnique, racial et religieux, visé comme tel. » ; considérant l’implication de l’État français dans le génocide
L. Considérant que la nomination le vendredi 5 avril 2019 d’une commission d’experts et d’historiens chargés d’examiner les archives françaises pour établir le rôle précis de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 est un pas positif pour permettre que la vérité soit mise à jour dans l’implication de la France au Rwanda ; considérant néanmoins que la composition de ce comité d’experts continue de susciter des polémiques tant par la non présence de spécialistes reconnus que par la présence de deux membres de la commission qui feraient l’objet de conflits d’intérêt sur le sujet et auraient défendu des thèses ouvertement négationnistes ; considérant que la note intermédiaire de la commission rendue le 7 avril 2020 a fait l’objet de vives critiques de la part d’ONG’s et chercheurs spécialisés sur les questions du génocide rwandais ; considérant que la remise du rapport sur le Rwanda au Président de la République le 26 mars 2021 par la commission Duclert, bien que pouvant être considéré comme incomplet, représente une avancée dans la recherche des responsabilités des gouvernements français de l’époque, voire de la complicité de certains de ses représentants, considérant qu’à la sortie de ce rapport un certain nombre d’ONG ont lancé un appel pour exiger que justice soit rendue pour prévenir de nouvelles complicités au sein du gouvernement français, notamment à travers les transferts d’armes, dans des crimes internationaux ;
M. considérant que l’arrestation en France en mai 2020 de Félicien Kabuga, l’un des cerveaux présumés du génocide au Rwanda, marque un pas important vers la justice pour les victimes et les rescapés du génocide ; considérant que le 30 septembre 2020, un tribunal français a ordonné le transfert de Kabuga devant le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (le « Mécanisme »), mis en place pour gérer les fonctions restantes du TPIR ; considérant qu’en aout 2020 es autorités judiciaires rwandaises ont émis un mandat d’arrêt international visant Aloys Ntiwiragabo, l’ancien chef des renseignements militaires pendant le génocide, après que les médias avaient révélé en juillet 2020 qu’il vivait caché en France ;
N. Considérant que le Rwanda rejette le Rapport Mapping des Nations unies concernant les crimes commis en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003 ; considérant que le Rwanda n’a, dans le même temps, entrepris aucune enquête indépendante et impartiale concernant ses responsabilités dans les crimes commis en RDC depuis 1996, notamment lors de la guerre de six jours à Kisangani en juin 2000 ; considérant que le Rwanda a abrité et continue à abriter sur son territoire des ex-chefs de guerre congolais ayant commis des crimes relevant du droit international, en RDC comme Laurent Nkunda ;
1. S’alarme des irrégularités et des mauvais traitements qu’airait subit Paul Rusesabagina ; considère que les dernieres informations concernant l’utilisation du logiciel Pegasus comme les ingérences concernant les documents juridiques et les communications entre le prévenu et ses avocats sont suffisantes pour demander l’annulation du procès ; insiste sur la nécessité pour les autorités rwandaises de veiller à ce que le droit à un procès équitable soit garanti en toute circonstances en adéquation avec le droit international et rwandais ; s’alarme de la façon dans Paul Rusesabagina a été transféré jusqu’au Rwanda et demande à ce qu’une enquète indépendante soit menée afin que toute la lumière soit faite sur les atteintes au droit international et sur l’enlèvement dont il a fait l’objet ;
2. S’inquiète de l’État de santé de Paul Rusesabagina et du manque d’accès aux médicaments dont celui-ci fait l’objet ;
3. S’inquiète des conditions dans lesquelles la justice est rendue dans le pays et souligne qu’une justice indépendante et impartiale doit être garantie en toutes circonstances ;
4. S’alarme des atteintes constantes aux droits de l’homme dans le pays ; condamne le fait que les libertés de réunion, d'association et d'expression soient soumises à de sérieuses restrictions au Rwanda; condamne toutes les formes de répression, d'intimidation et de détention des militants politiques, des journalistes et de militants des droits de l'homme; exhorte les autorités rwandaises à libérer immédiatement toutes les personnes et autres militants détenus ou condamnés uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique;
5. Prie instamment le gouvernement rwandais de se conformer au droit international et de respecter la Déclaration universelle des droits de l'Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ;
6. Rappelle que les déclarations obtenues par la torture ou d'autres formes de mauvais traitements sont irrecevables dans toute procédure; invite les autorités judiciaires rwandaises à enquêter efficacement sur les allégations de torture et autres violations des droits de l'homme, notamment les disparitions forcées et le harcèlement des militants et à traduire en justice les coupables de ces crimes;
7. Demande qu’une enquête indépendante et impartiale soit menée sur la mort du chanteur Kizito Mihigo ; insiste de la même manière pour que des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales soient menées sur tous les décès en détention ;
8. Invite instamment les autorités rwandaises à suivre les recommandations de l’Examen périodique universel (EPU) de l’ONU et à ratifier la Convention contre les disparitions forcées et le Statut de Rome ;
9. Insiste pour que tous les cas de disparition forcée fassent l'objet d'enquêtes approfondies et impartiales et à ce que tous les suspects de responsabilité pénale soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables ;
10. S’alarme des conséquences de la loi de 2017 sur les centres de transit particulièrement pour les enfants ; demande instamment aux autorités rwandaises de mettre en oeuvre les recommandations du Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies pour mettre fin aux abus subis par les enfants des rues et à ouvrir des enquêtes sur des allégations de mauvais traitements ; insiste pour que le cadre législatif soit mis en adéquation avec le droit international en matière de droit de l’homme et de détention notamment de mineurs ;
11. Invite les autorités rwandaises à entreprendre un travail de mémoire et de justice sur ses interventions armées et de soutiens militaires à des groupes armés en République démocratique du Congo (RDC) depuis 1996, à entreprendre des poursuites judiciaires contre les responsables et les auteurs de crimes relevant du droit international commis en RDC, notamment en ce qui concerne les crimes de guerre commis à Kisangani en juin 2000, à juger sur la base de la compétence universelle les ex-chefs de guerre congolais présents sur son territoire notamment Laurent Nkunda, qui bénéficie d’une impunité notoire depuis plus de dix ans ;
12. Partage l’appel des ONGS à la sortie du rapport de la commission « Duclert » du 26 mars 2021 exigeant que justice soit rendue et demandant à prévenir de nouvelles complicités au sein du gouvernement français, notamment à travers les transferts d’armes, dans des crimes internationaux en demandant notamment la suspension des ventes d’armes en direction de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis engagée dans la guerre au Yémen.
13. insiste sur la nécessité de faire toute la transparence sur l’opération Turquoise ; se félicite en outre de la déclassification et l’accès au public de certaines archives ; invite à déclassifier et rendre publics tous les documents officiels concernant cette politique, y compris les archives de l’Élysée et les archives militaires ;
14. demande aux États-membres et au SEAE d’enquêter sur les aides que Félicien Kabuga aurait reçu en Europe et à travers le monde pour se substituer à la justice depuis la fin du génocide ; demande au SEAE et aux États-Membres dénoncer les conditions dans lesquelles se sont tenues le procès de Paul Rusesabagina ;
15. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, au Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, aux institutions de l’Union africaine, à la Communauté de l’Afrique de l’Est , à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, aux États membres de l’Union européenne, ainsi qu’au président et au parlement du Rwanda.