PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la crise de l’état de droit en Pologne et la primauté du droit de l’Union
19.10.2021 - (2021/2935(RSP))
conformément à l’article 132, paragraphe 2, du règlement intérieur
Gunnar Beck, Jaak Madison, Gerolf Annemans, Laura Huhtasaari, Gilles Lebreton, Jörg Meuthen, Tom Vandendriessche, Harald Vilimsky
au nom du groupe ID
B9‑0533/2021
Résolution du Parlement européen sur la crise de l’état de droit en Pologne et la primauté du droit de l’Union
Le Parlement européen,
– vu l’article 5 du traité sur l’Union européenne (traité UE),
– vu l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE),
– vu l’arrêt K 3/21 du 7 octobre 2021 de la Cour constitutionnelle polonaise, publiée au journal officiel polonais (Dziennik Ustaw) le 12 octobre 2021,
– vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 5 mai 2020, 2 BvR 859/15, 2 BvR 1651/15, 2 BvR 2006/15, 2 BvR 980/16,
– vu la décision nº 2004-505 DC du 19 novembre 2004 du Conseil constitutionnel français,
– vu les affaires C-6/64, Costa/Ente Nazionale per L’Energia Elettrica (E.N.E.L.)[1], C-106/77, Simmenthal II[2], et C-106/89, Marleasing[3],
– vu la déclaration du 8 octobre 2021 de la présidente de la Commission européenne,
– vu les déclarations du 19 octobre 2021 du Conseil et de la Commission sur la crise de l’état de droit en Pologne et la primauté du droit de l’Union,
– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que l’arrêt K 3/21 de la Cour constitutionnelle polonaise a jugé les dispositions du traité UE incompatibles avec la constitution polonaise à plusieurs égards; que cette conclusion remet en cause la hiérarchie entre le droit de l’Union et le droit constitutionnel des États membres;
B. considérant que, en conséquence, la doctrine de la primauté du droit de l’Union, qui émane de juges et n’a pas pleinement le statut de traité, est, en tout état de cause, limitée aux domaines du droit qui ont été attribués aux institutions de l’Union conformément à l’article 5 du traité UE;
C. considérant que dans l’arrêt Costa/E.N.E.L, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) établit «qu’issu d’une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même»;
D. considérant que l’article 5 du traité UE dispose que l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités et que toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres;
E. considérant que l’article 267 du traité FUE dispose que la CJUE n’est compétente que pour statuer sur l’interprétation des traités et de tout acte adopté en vertu de ceux-ci; que la CJUE n’est pas compétente pour interpréter des questions juridiques qui ne relèvent pas des compétences conférées par l’article 5 du traité UE;
F. considérant que ce sont les États membres qui déterminent l’étendue des compétences de l’Union au titre de l’article 5, ce qui signifie, en toute logique, que leurs tribunaux sont compétents pour préciser l’étendue des compétences conférées lorsque le libellé des traités est ambigu ou imprécis de toute autre manière; que les tribunaux des États membres peuvent contrôler toute interprétation de la CJUE dès lors que l’interprétation en question étend les compétences de l’Union au-delà de celles qui lui sont clairement conférées dans les traités (législation judiciaire ou détournement de compétences);
G. considérant que la Cour constitutionnelle allemande n’a cessé de souligner le manque de légitimité démocratique des institutions de l’Union, au motif que les peuples de l’Union ne forment pas un seul et même dèmos uni; que chaque nation au sein de l’Union représente un effet un dèmos distinct fondé sur une histoire, une culture et une langue communes;
H. considérant que, dans les conflits entre des ordres juridiques intégrés partiellement, mais pas totalement, il peut arriver, dans de nombreux cas, que ces conflits ne puissent être tranchés, comme l’a établi G.W.F. Hegel; que, au contraire, ces conflits ne peuvent être résolus que par la volonté démocratique des parties;
I. considérant que toute résolution de l’incertitude juridique dans la formulation des compétences conférées à l’Union doit relever de la compétence des juridictions nationales; que toute ambiguïté du libellé doit être au détriment de l’Union;
J. considérant que, par référendum, le Danemark a rejeté le traité de Maastricht en 1992, l’Irlande a rejeté le traité de Nice en 2001, la France et les Pays-Bas ont rejeté le traité constitutionnel en 2005 et l’Irlande a rejeté le traité de Lisbonne en 2008; que, par référendum, le Danemark a rejeté l’euro en 2000, la Suède a rejeté l’euro en 2003, la Grèce a rejeté le plan de sauvetage en 2015, le Danemark a rejeté la participation à certains domaines d’action en matière de justice et d’affaires intérieures en 2015, les Pays-Bas ont rejeté l’accord d’association UE-Ukraine en 2016 et la Hongrie a refusé d’accepter les quotas de réfugiés en 2016; que, par référendum, le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union européenne en 2016;
1. prend acte de l’arrêt K 3/21 de la Cour constitutionnelle polonaise, qui rejette la notion de primauté sans restriction du droit de l’Union, au regard notamment du droit constitutionnel polonais; est préoccupé par la réaction à cette décision de la présidente de la Commission, qui a insisté sur le fait que «tous les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne sont contraignants pour toutes les autorités des États membres, y compris les juridictions nationales» et que «le droit de l’Union prime le droit national, y compris les dispositions constitutionnelles»; rappelle que d’autres tribunaux nationaux ont également remis en question la primauté du droit de l’Union, notamment la Cour constitutionnelle allemande et le Conseil constitutionnel français;
2. relève qu’il existe des compétences de l’Union et des compétences des États membres; rappelle que les compétences de l’Union sont régies par le droit de l’Union; insiste sur le fait que les compétences des États membres sont régies par leurs lois respectives;
3. souligne que les traités reconnaissent que les compétences de l’Union sont limitées; rappelle qu’en vertu de l’article 5 du traité UE, le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union; en conclut que les compétences qui n’ont pas été attribuées à l’Union restent dans le giron des États membres;
4. constate que la supposée primauté du droit de l’Union n’est pas explicitement mentionnée dans les traités, mais uniquement dans une déclaration y afférente, où il est bien question de primauté, et non de suprématie, ce qui laisse à penser qu’il s’agit d’une présomption réfragable plutôt que d’une hiérarchie absolue, et qu’il convient, en tout état de cause, de l’interpréter conformément au libellé des dispositions en vigueur du traité;
5. rappelle que c’est la CJUE qui, dans l’affaire Costa/E.N.E.L, a conclu à la primauté du droit de l’Union; relève toutefois que, pour autant que cette conclusion soit acceptée, elle ne peut s’appliquer que dans les domaines relevant de la compétence de l’Union; souligne que la primauté du droit de l’Union, telle qu’établie dans l’arrêt Costa/E.N.E.L, ne s’applique qu’aux domaines du droit attribués à l’Union par les traités de l’Union, autrement dit aux domaines relevant de la compétence de l’Union;
6. estime qu’il est naturel, compte tenu du fait que le droit repose sur le langage et non sur les mathématiques, qu’il existe des conflits sur la question de savoir si une compétence a été attribuée à l’Union, car les traités, qui ne sont rien d’autre que des contrats, ne sauraient être ni complets ni exempts d’incertitude; estime, par conséquent, qu’il existe inéluctablement des ambiguïtés quant à savoir si un domaine donné est régi par le droit de l’Union ou celui de l’État membre concerné;
7. rappelle que la responsabilité de résoudre les conflits découlant de l’ambiguïté de et dans la loi incombe aux tribunaux; rejette l’affirmation de l’Union selon laquelle il appartient à ses tribunaux de résoudre tout conflit sur la question de savoir si une compétence a été attribuée à l’Union; rappelle à l’Union que la totalité des compétences qu’elle détient lui viennent des États membres, qui lui ont conféré certaines de leurs compétences;
8. souligne que, en cas d’ambiguïté, il appartient aux États membres de décider s’ils ont ou non conféré des compétences à l’Union, sachant i) qu’il s’agit du sens ordinaire du libellé de l’article 5 du traité UE, et ii) que toute capacité des tribunaux de l’Union à définir les limites des compétences de l’Union ouvre la porte à un détournement de compétences qui n’a pas été démocratiquement légitimé par des décisions déléguées par le dèmos;
9. estime que seule une juridiction nationale de dernier ressort satisfait au principe de démocratie au regard de litiges liés aux limites des compétences de l’Union; souligne qu’un détournement de compétences par la CJUE violerait la souveraineté démocratique des États membres; met en garde contre le fait que si l’Union devait, en s’appuyant sur les décision de ses tribunaux, usurper des compétences qui ne lui ont pas été attribuées sans ambiguïté conformément au droit constitutionnel des États membres, elle violerait le principe de démocratie;
10. reconnaît l’existence d’opinions divergentes sur la primauté du droit, comme en témoigne l’arrêt polonais; estime que ces conflits ne peuvent de facto pas être résolus si les parties insistent pour s’arroger la primauté sans tenir compte des limites de leur légitimité démocratique ainsi que de leurs compétences, telles que définies par les traités, comme en témoigne la déclaration de la présidente de la Commission en réaction à l’arrêt susmentionné; rappelle que des juristes et des philosophes, tels que G.W. F. Hegel, ont reconnu que les conflits juridiques entre acteurs internationaux ne peuvent pas toujours être résolus en droit, mais uniquement par l’affirmation des droits souverains des États;
11. estime que l’insistance déplacée de l’Union à vouloir affirmer la primauté de son droit est une manifestation de sa volonté politique de donner le jour à un super-État européen en usurpant une souveraineté totale; est préoccupé par cette ambition de transformer l’Union en un super-État jouissant d’une supériorité hiérarchique sur les États membres; rappelle que l’Union s’est déjà engagée sur cette voie à plusieurs reprises; s’inquiète vivement de ces perpétuelles ingérences dans les sphères de compétence des États membres;
12. souligne qu’un super-État européen ne jouit d’aucun soutien démocratique; rappelle que l’électorat de plusieurs États membres a rejeté les modifications du traité ainsi que le traité constitutionnel de l’Union; estime que les résultats de ces référendums témoignent clairement de l’absence durable de soutien en faveur des États-Unis d’Europe souverains et suprêmes; propose que les États membres de l’Union puissent, à tout moment, organiser des référendums nationaux pour savoir si leurs citoyens préfèrent que l’Union soit transformée en un super-État souverain; constate sans grand étonnement que les processus démocratiques ne sont pas les outils privilégiés par les partisans d’un super-État européen;
13. avertit l’Union que ses tentatives de créer un super-État européen par la voie judiciaire ou par tout autre moyen détourné sont profondément antidémocratiques et vont avoir des retombées négatives potentiellement graves, en même temps qu’elles menacent l’amitié et la coopération durables entre les nations européennes; s’oppose aux mesures antidémocratiques de cette nature sur la voie d’un super-État européen ou à toute nouvelle érosion de la souveraineté des États membres;
14. rappelle à l’Union que l’attribution des compétences à celle-ci est réversible à tout moment, car l’Union n’existe que grâce aux États membres, et non en dépit de ceux-ci; rappelle le principe démocratique selon lequel les États membres sont souverains en raison du pouvoir qui leur est conféré par leurs citoyens; rappelle que ce sont les États membres, et non l’Union, qui sont souverains;
15. charge son Président de transmettre la présente résolution à la Commission ainsi qu’aux gouvernements et aux parlements des États membres.