PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la nécessité d’un plan d’action urgent de l’Union européenne visant à assurer la sécurité alimentaire à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union compte tenu de l’invasion russe de l’Ukraine
16.3.2022 - (2022/2593(RSP))
conformément à l’article 132, paragraphe 2, du règlement intérieur
Gilles Lebreton, Mara Bizzotto, Angelo Ciocca, Julie Lechanteux, Joëlle Mélin, Elena Lizzi, Jaak Madison, Sylvia Limmer
au nom du groupe ID
B9‑0165/2022
Résolution du Parlement européen sur la nécessité d’un plan d’action urgent de l’Union européenne visant à assurer la sécurité alimentaire à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union compte tenu de l’invasion russe de l’Ukraine
Le Parlement européen,
– vu la déclaration de Versailles des 10 et 11 mars 2022, adoptée par les chefs d’État ou de gouvernement, sur l’agression militaire russe contre l’Ukraine,
– vu la résolution du Parlement européen du 1er mars 2022 sur l’agression russe contre l’Ukraine[1],
– vu les déclarations sur l’Ukraine de la Conférence des présidents des 16 et 24 février 2022,
– vu ses résolutions antérieures sur la Russie et l’Ukraine, notamment celle du 16 décembre 2021 sur la situation à la frontière ukrainienne et dans les territoires de l’Ukraine occupés par la Russie[2],
– vu le règlement (UE) nº 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) nº 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) nº 73/2009 du Conseil[3],
– vu le règlement (UE) nº 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) nº 1698/2005 du Conseil[4],
– vu le règlement (UE) nº 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) nº 352/78, (CE) nº 165/94, (CE) nº 2799/98, (CE) nº 814/2000, (CE) nº°1290/2005 et (CE) nº 485/2008 du Conseil[5],
– vu le règlement (UE) nº 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) nº 922/72, (CEE) nº 234/79, (CE) nº 1037/2001 et (CE) nº 1234/2007 du Conseil[6] (ci-après le «règlement OCM»),
– vu le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) nº 1305/2013 et (UE) nº 1307/2013[7],
– vu le règlement (UE) 2021/2116 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (UE) nº 1306/2013[8],
– vu sa résolution du 20 octobre 2021 sur une stratégie «De la ferme à la table» pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement[9],
– vu sa résolution du 15 janvier 2020 sur le pacte vert pour l’Europe[10],
– vu le règlement (UE) 2019/1009 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, établissant les règles relatives à la mise à disposition sur le marché des fertilisants UE, modifiant les règlements (CE) nº 1069/2009 et (CE) nº 1107/2009 et abrogeant le règlement (CE) nº 2003/2003[11] (ci-après le «règlement relatif aux engrais»),
– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que le 24 février 2022, la Fédération de Russie a lancé une invasion injustifiée de l’Ukraine;
B. considérant que le Conseil a adopté une première série de sanctions contre la Fédération de Russie, y compris des sanctions économiques et financières et des restrictions commerciales, qui auront une incidence sur la sécurité et la souveraineté de l’Union européenne et du monde entier en matière de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux;
C. considérant que l’Ukraine et la Russie exportent principalement des matières premières telles que des produits agricoles, du potassium, du phosphate, des produits miniers, des produits chimiques et des machines;
D. considérant qu’il est urgent et nécessaire de revoir l’approche de l’Union en matière de sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux afin de réduire notre dépendance à l’égard des importations et d’accroître la production intérieure à plus long terme; que cet examen est particulièrement important pour les produits les plus menacés de pénurie à la suite de la suspension des exportations ukrainiennes et russes, tels que les combustibles, les céréales, les oléagineux, le maïs, les protéagineux et les engrais;
E. considérant que la récente hausse soudaine et sans précédent des prix de l’énergie due au conflit affectera non seulement la production alimentaire, mais aussi la capacité de l’Union et de la population mondiale à se permettre une alimentation nutritive; qu’il faut agir pour inclure la sécurité alimentaire dans la prise de décisions politiques, afin d’éviter les pénuries dans les pays en développement les plus vulnérables, tout en donnant la priorité à l’utilisation des produits agricoles pour l’alimentation humaine et en évitant les obstacles au commerce international de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux;
F. considérant que, pour prévenir le risque de pénurie de protéines, la Commission devrait prendre rapidement toutes les mesures nécessaires pour autoriser temporairement l’utilisation de produits phytopharmaceutiques lorsqu’ils sont efficaces sur des surfaces d’intérêt écologique, mais qui conviennent à la culture de protéagineux, pendant la durée de la crise et jusqu’à ce que le marché soit revenu à la normale; que des mesures supplémentaires seront nécessaires pour soutenir l’utilisation de méthodes de production innovantes et durables dans ces domaines;
G. considérant que les mesures de prévention des perturbations du marché énoncées à l’article 219 du règlement OCM devraient être mises en œuvre immédiatement pour soutenir les secteurs les plus touchés; qu’il conviendrait de mobiliser les réserves de crise à cette fin;
H. considérant qu'étant donné que l’augmentation des denrées alimentaires et de la production est devenue une priorité, les États membres devraient adapter leurs plans stratégiques nationaux à ces nouvelles circonstances, notamment en offrant une certaine souplesse pour augmenter la superficie des terres exploitées;
I. considérant que les petites et moyennes entreprises et leurs fournisseurs n’ont pas la résilience des grandes entreprises; que leur résilience est un élément essentiel de celle de la chaîne d’approvisionnement;
J. considérant que les mesures extraordinaires de développement rural liées à la COVID-19 devraient être étendues afin de remédier aux problèmes de liquidité actuels qui compromettent la viabilité des activités agricoles et mettent en péril les petites entreprises actives dans la transformation, la commercialisation ou le développement de produits agricoles;
K. considérant que les objectifs poursuivis par la Commission dans les cadres du pacte vert pour l’Europe, de la stratégie «De la ferme à la table», de la stratégie en faveur de la biodiversité et du paquet «Ajustement à l’objectif 55» auront une incidence négative sur la capacité de production ainsi que sur la sécurité et la souveraineté alimentaires européennes et mondiales;
L. considérant que les politiques liées au climat, et en particulier les mesures relevant du pacte vert, ont parfois été instrumentalisées en attribuant aux agriculteurs une grande part de responsabilité du changement climatique; que cette approche peut dissuader les agriculteurs de répondre aux besoins alimentaires en augmentation et aux menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire dans l’Union et dans le monde;
M. considérant que le groupe d’experts sur le mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire, institué par la décision de la Commission du 12 novembre 2021[12], s’est réuni pour la première fois le 9 mars 2022;
N. considérant que la Russie a annoncé un embargo sur les exportations d’équipements agricoles, médicaux, technologiques, de télécommunications et électriques jusqu’à la fin de l’année; que la Russie est de loin le premier exportateur et que la Biélorussie compte parmi les principaux exportateurs d’engrais;
O. considérant que la Russie est le premier exportateur de blé et que l’Ukraine figure parmi les cinq premiers; que la Russie et l’Ukraine représentent ensemble 25 % des exportations mondiales de blé; que près de la moitié du volume des exportations de blé russe est importée par la Turquie, l’Égypte et le Bangladesh; qu’à eux deux, la Russie et l’Ukraine couvrent plus de 70 % de la demande égyptienne de blé importé; que le Nigeria, le Yémen, le Soudan et le Sénégal importent des quantités considérables de blé en provenance de Russie; que l’Ukraine contribue de manière significative aux importations de blé en Indonésie, aux Philippines, en Tunisie, en Thaïlande et au Maroc;
1. condamne, avec la plus grande fermeté, l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes; présente ses plus sincères condoléances aux victimes du conflit et à leurs familles, en particulier celles des civils innocents; appelle à la fin immédiate du conflit au moyen de la poursuite des efforts diplomatiques, en vue d’une solution pacifique dans l’intérêt des citoyens ukrainiens, russes et européens;
2. souligne que le secteur agricole de l’Union sera durement touché dans les semaines à venir, car il est sous la pression du contrecoup des sanctions imposées à la Biélorussie et à la Russie et de la réduction des importations en provenance d’Ukraine, qui représente à elle seule 19 % des importations de blé de l’Union et 13 % des importations des oléagineux;
3. rappelle que d’autres secteurs agricoles cruciaux de l’Union seront touchés, tels que les secteurs de la viande porcine et des semences; note qu’une proportion considérable des importations d’oléagineux, d’huile de tournesol, de maïs et de cultures de l’Union proviennent de Russie et d’Ukraine; souligne que la plupart des produits faisant actuellement l’objet de restrictions à l’exportation depuis la Russie et l’Ukraine sont également soumis à des restrictions à l’exportation — pour différentes raisons — par certains États membres et font partie de la nourriture du bétail européen; relève que leur disparition ne laissera au secteur que quelques semaines d’autonomie, après quoi il pourrait s’avérer nécessaire de réduire la quantité de bétail;
4. exhorte la Commission à prendre des mesures ambitieuses en soutien aux secteurs agricoles de l’Union face à l’augmentation du prix des matières premières, telles que les combustibles, le potassium, le phosphate, l’hélium et les engrais; invite instamment les États membres à prendre des mesures pour réduire le coût de l’énergie sur leurs marchés respectifs et à soutenir autant que possible les producteurs alimentaires locaux afin de garantir une production alimentaire adéquate;
5. invite la Commission à réexaminer la pratique de la mise en jachère des terres agricoles et à réévaluer l’architecture environnementale de la politique agricole commune et son application dans les plans stratégiques nationaux, à la lumière de cette situation exceptionnelle, afin de permettre une plus grande flexibilité pour augmenter la superficie des terres en production; invite la Commission et les États membres à encourager l’utilisation de toutes les terres agricoles disponibles pour la production de cultures pendant la crise;
6. invite la Commission à évaluer d’urgence les conséquences de toutes les sanctions déjà prises par l’Union contre la Russie, ainsi que l’impact des sanctions russes sur le secteur agricole de l’Union;
7. invite la Commission à réaliser une analyse d’impact horizontale et complète sur les mesures adoptées dans le cadre de la transition écologique et sur leur incidence sur la sécurité et la production alimentaires dans l’Union;
8. demande la mise en place immédiate de «tests de résistance» dans tous les États membres, sur la base d’un examen sectoriel, afin d’évaluer la résilience des chaînes d’approvisionnement dans les mois à venir;
9. exhorte la Commission à envisager de revoir son niveau d’ambition sur les différentes questions qui auront une incidence sur la production agricole de l’Union dans le cadre des mesures en cours liées au pacte vert pour l’Europe; demande le report des objectifs environnementaux de la stratégie «De la ferme à la table», afin de protéger la sécurité et la souveraineté alimentaires européennes et mondiales; invite, par ailleurs, la Commission à prolonger les mesures extraordinaires de développement rural liées à la COVID-19;
10. est préoccupé par le fait que cette crise aura également des conséquences imprévisibles pour les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, dont certains ont des échanges commerciaux importants avec les États membres;
11. constate qu’un certain nombre de pays africains et asiatiques, tels que la Turquie, l’Égypte et le Bangladesh, dépendent fortement des importations de blé en provenance de Russie et d’Ukraine; constate que la dépendance de ces pays à l’égard des importations de blé et le doublement prévu de la population africaine d’ici à 2050 auront des conséquences désastreuses sur la sécurité alimentaire dans la région, ce qui pourrait entraîner des flux migratoires incontrôlés vers l’Europe; insiste sur la nécessité de trouver des solutions à l’insécurité alimentaire dans la région; invite la Commission à surveiller l’évolution des pénuries alimentaires dans les pays d’Asie et d’Afrique les plus vulnérables; invite la Commission à veiller à ce que toutes les ressources consacrées à ces régions puissent être facilement réaffectées afin d’atténuer d’éventuelles pénuries alimentaires;
12. estime qu’il convient de tenir compte de l’activation de l’aide au stockage privé et de la réserve de crise pour aider le secteur agricole européen touché par cette crise;
13. invite la Commission à promouvoir le principe des stocks alimentaires stratégiques au niveau des États membres;
14. comprend que certaines des mesures nécessaires à la résolution des problèmes de sécurité alimentaire peuvent soulever des questions de compatibilité avec l’Organisation mondiale du commerce; rappelle, cependant, que l’exception relative à la sécurité nationale énoncée à l’article XXI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce peut être invoquée dans des circonstances particulières pour permettre une telle démarche;
15. estime que de graves problèmes de sécurité alimentaire dans l’Union pourraient justifier des mesures exceptionnelles relatives aux importations, aux exportations et à la production, ainsi qu’à la mise en œuvre de l’article 222 du règlement OCM, dans le but d’assurer la solidarité entre les États membres; considère qu’en ce qui concerne la production, l’Union pourrait décider de «coupler» ou de «coupler à nouveau» une partie de l’aide accordée aux agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune pour stimuler la production agricole;
16. insiste sur le fait que l’Union doit aider la population ukrainienne touchée à prévenir une éventuelle pénurie de matières premières agricoles au cours des prochains mois;
17. demande aux États membres et à la Commission de surveiller de près la situation de la sécurité alimentaire en Ukraine et de contribuer à des programmes humanitaires internationaux afin de garantir un approvisionnement alimentaire adéquat à destination du pays et au sein de celui-ci; exhorte la Russie à soutenir ces efforts humanitaires au sein des organes compétents des Nations unies;
18. réitère ses appels précédents à réduire sensiblement, si possible, la dépendance à l’égard d’autres pays en ce qui concerne les matières premières, en particulier le potassium, le phosphate, les produits miniers et les produits chimiques; invite dès lors la Commission à envisager véritablement, sans préjugés négatifs, toutes les mesures possibles pour préserver et renforcer la sécurité et la souveraineté alimentaires de l’Union;
19. invite les États membres à accroître leur résilience face aux futures perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les invite instamment à prendre des mesures pour réduire le gaspillage alimentaire;
20. invite la Commission à évaluer l’incidence de la mise en œuvre du règlement relatif aux engrais en procédant à une évaluation approfondie de la disponibilité et des prix, en gardant à l’esprit que des exigences techniques devraient s’appliquer à partir du 16 juillet 2022; appelle la Commission à élaborer une proposition législative visant à reporter la mise en œuvre du règlement si l’incidence est jugée significative;
21. charge son Président de transmettre la présente résolution à la Commission ainsi qu'aux gouvernements et aux parlements des États membres.
- [1] Textes adoptés de cette date, P9_TA(2022)0052.
- [2] Textes adoptés de cette date, P9_TA(2021)0515.
- [3] JO L 347 du 20.12.2013, p. 608.
- [4] JO L 347 du 20.12.2013, p. 487.
- [5] JO L 347 du 20.12.2013, p. 549.
- [6] JO L 347 du 20.12.2013, p. 671.
- [7] JO L 435 du 6.12.2021, p. 1.
- [8] JO L 435 du 6.12.2021, p. 187.
- [9] Textes adoptés de cette date, P9_TA(2021)0425.
- [10] JO C 270 du 7.7.2021, p. 2.
- [11] JO L 170 du 25.6.2019, p. 1.
- [12] JO C 461I du 15.11.2021, p. 1.