Proposition de résolution - B9-0167/2022Proposition de résolution
B9-0167/2022

PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la nécessité d’une action urgente de l’Union européenne pour garantir la sécurité alimentaire, compte tenu de l’invasion russe de l’Ukraine, et d’un plan d’action sur le long terme visant à accroître l’autonomie alimentaire de l’Union

16.3.2022 - (2022/2593(RSP))

déposée à la suite de déclarations du Conseil et de la Commission
conformément à l’article 132, paragraphe 2, du règlement intérieur

Martin Häusling, Benoît Biteau, Sarah Wiener, Pär Holmgren, Tilly Metz, Francisco Guerreiro
au nom du groupe Verts/ALE

Procédure : 2022/2593(RSP)
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B9-0167/2022
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B9‑0167/2022

Résolution du Parlement européen sur la nécessité d’une action urgente de l’Union européenne pour garantir la sécurité alimentaire, compte tenu de l’invasion russe de l’Ukraine, et d’un plan d’action sur le long terme visant à accroître l’autonomie alimentaire de l’Union

(2022/2593(RSP))

Le Parlement européen,

 vu ses résolutions antérieures sur la Russie et l’Ukraine, et notamment celle du 16 décembre 2021 sur la situation à la frontière ukrainienne et dans les territoires de l’Ukraine occupés par la Russie[1],

 vu les déclarations des dirigeants du Parlement européen des 16 et 24 février 2022 sur l’Ukraine,

 vu la déclaration du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au nom de l’Union, du 24 février 2022 sur l’invasion de l’Ukraine par les forces armées de la fédération russe,

 vu la déclaration commune du président du Conseil européen et de la présidente de la Commission du 24 février 2022 sur l’agression militaire sans précédent et non provoquée de l’Ukraine par la Russie,

 vu les récentes déclarations du président ukrainien et de la présidente de la Commission sur la situation en Ukraine,

 vu la déclaration du G7 du 24 février 2022,

 vu les conclusions du Conseil européen du 24 février 2022,

 vu l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

 vu le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) nº 1305/2013 et (UE) nº 1307/2013[2],

 vu le règlement (UE) 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 modifiant les règlements (UE) nº 1308/2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles, (UE) nº 1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, (UE) nº 251/2014 concernant la définition, la description, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des produits vinicoles aromatisés et (UE) nº 228/2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union[3],

 vu sa résolution du 1er mars 2022 sur l’agression russe contre l’Ukraine[4],

 vu la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement du 10 mars 2022 sur l’agression militaire russe contre l’Ukraine, publiée à la suite du Conseil européen,

 vu la déclaration des ministres de l’agriculture du G7 du 11 mars 2022 sur l’invasion de l’Ukraine par les forces armées de la fédération russe, publiée à la suite de leur réunion extraordinaire,

 vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,

A. considérant que le 24 février 2022, la Fédération de Russie a engagé une invasion non provoquée et injustifiée de l’Ukraine;

B. considérant que l’approvisionnement en nourriture et en eau potable s’est détérioré en Ukraine, en particulier dans les villes assiégées ou dans les régions gravement touchées par les bombardements russes; considérant que l’Ukraine fait face à des besoins humanitaires, en particulier alimentaires, croissants; considérant que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés prévoit que 4 millions de personnes fuiront l’Ukraine d’ici juillet 2022, et que 6,7 millions de personnes supplémentaires seront déplacées à l’intérieur de l’Ukraine; considérant qu’après avoir reçu une demande officielle d’assistance du gouvernement ukrainien, le Programme alimentaire mondial (PAM) a lancé en urgence une opération d’assistance alimentaire pour les personnes qui fuient le conflit, tant en Ukraine que dans les pays voisins; considérant que le 7 mars 2022, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a lancé un plan de réaction rapide pour l’Ukraine, espérant obtenir 50 millions de dollars américains pour venir en aide à 240 000 personnes vulnérables qui vivent en milieu rural et sont touchées par la guerre; considérant que selon la FAO, seuls 4,6 millions de dollars (9 % du financement demandé) ont été fournis et qu’il manque donc 45,4 millions de dollars (91 %);

C. considérant que la production agricole ukrainienne sera gravement ébranlée par l’invasion russe; considérant que la guerre a déjà fortement perturbé les chaînes d’approvisionnement logistique et alimentaire en Ukraine; considérant que les 10 régions où des conflits ont actuellement lieu cumulent 54 % de la superficie de semis de tournesol, 42 % de la superficie de semis de maïs et 52 % de la superficie de semis de blé; considérant que dans les semaines à venir, les agriculteurs ukrainiens devraient commencer à semer; considérant que l’intervention militaire met en péril le fauchage du blé; considérant que les agriculteurs ukrainiens peinent également à obtenir des semences, en particulier de maïs et de tournesol, ce qui compromet encore les futures récoltes; considérant que les pénuries de carburant empêchent les agriculteurs d’utiliser leurs équipements pour semer; considérant que les retards dans l’ensemencement peuvent faire considérablement chuter les rendements;

D. considérant que l’Ukraine produit une grande quantité de blé, de maïs, de graines de tournesol et d’huile de tournesol, destinée à l’alimentation humaine et animale; considérant que cette production représente 15 % du maïs, 15 % de l’orge, 10 % du blé et 50 % de l’huile de tournesol vendus à l’échelle mondiale;

E. considérant qu’avant la guerre, le marché alimentaire mondial avait déjà été fortement perturbé par la pandémie de COVID-19, la crise énergétique et les phénomènes climatiques défavorables; considérant qu’avant même l’invasion, l’indice des prix de la FAO avait déjà atteint son niveau le plus élevé depuis 2011; considérant que l’on estime le volume des stocks mondiaux de blé entre 277,9 et 291,1 millions de tonnes, celui des stocks mondiaux de maïs entre 280,9 et 302,2 millions de tonnes (selon le ministère américain de l’agriculture, le Conseil international des céréales et le système d’information sur les marchés agricoles de la FAO), et celui des stocks de céréales de l’Union à environ 30 millions de tonnes (dont 9,58 millions de tonnes de blé); considérant que la réduction ou la disparition des exportations ukrainiennes affectera des pays fortement tributaires de cette production, déjà en situation d’insécurité alimentaire ou vulnérables aux chocs d’approvisionnement et aux hausses de prix, tels que l’Égypte, le Liban, le Yémen, l’Éthiopie, l’Afghanistan et la Syrie; considérant que 90 % du blé égyptien est importé d’Ukraine et de Russie;

F. considérant que les crises alimentaires peuvent avoir pour origine la spéculation sur les produits alimentaires de base et les tensions sur l’offre causées par la demande liée aux biocarburants; considérant en outre que les grands pays producteurs et exportateurs peuvent exercer une pression sur les pays importateurs qui dépendent de leurs exportations de denrées alimentaires;

G. considérant que la Russie est l’un des principaux exportateurs d’engrais azotés de synthèse et de leurs composants; considérant que la Biélorussie est un exportateur important d’engrais à base de potasse; considérant que les prix des engrais azotés dépendent fortement des prix du gaz naturel, produit pour lequel la Russie occupe une position dominante sur le marché;

H. considérant que la Russie est à l’origine de plus de 18 % des exportations mondiales de blé, ce qui la place au premier rang dans ce domaine; considérant que la situation des exportations russes reste incertaine, que les exportations via la mer Noire reprennent progressivement et que la Russie ouvre la possibilité de mettre en place certaines restrictions à l’exportation; considérant que, le 9 mars 2022, le gouvernement ukrainien a interdit les exportations de produits agricoles essentiels tels que le seigle, l’orge, le sarrasin, le millet, le sucre, le sel et la viande jusqu’à la fin de l’année 2022;

I. considérant que les objectifs de la politique agricole commune comprennent la stabilisation des marchés de l’Union, la disponibilité de l’approvisionnement, le développement raisonné de la production agricole dans l’Union ainsi que la garantie d’un niveau de vie juste pour les agriculteurs de l’Union et de prix raisonnables pour les consommateurs européens;

J. considérant que l’Union est le premier partenaire commercial de l’Ukraine, qui a réalisé avec elle plus de 40 % de ses échanges en 2019; considérant que les transactions avec l’Ukraine représentent environ 1,1 % des échanges de l’Union, ce qui fait de ce pays le 18e partenaire commercial de l’Union; considérant que les principaux biens ukrainiens importés dans l’Union sont des matières premières, notamment agricoles, des produits chimiques et des machines;

K. considérant que, selon les prévisions de la Commission, l’Union européenne devrait rester exportatrice nette de céréales; considérant qu’une bonne récolte est prévue pour cette année, bien que les premiers signes d’une sécheresse printanière apparaissent dans certaines régions de l’Union;

L. considérant qu’environ deux tiers de la production céréalière de l’Union[5] et 70 % de la production d’oléagineux sont destinés à l’alimentation animale;

M. considérant qu’environ 3 % de la production céréalière de l’Union[6] et près de 40 % des oléagineux sur le marché de l’Union sont destinés aux biocarburants d’origine agricole; considérant que la proportion de cultures de plein champ destinées aux biocarburants d’origine agricole est plus élevée dans certains États membres, atteignant par exemple près de 18 % de la production allemande; considérant qu’en 2021, l’Union européenne a produit 4 950 millions de litres de bioéthanol (d’origine agricole) et 12 330 millions de litres de biodiesel (produit à partir d’huile végétale), ce qui représente 11 millions de tonnes de céréales et 8,6 millions de tonnes d’huile végétale qui pourraient être réorientées vers la consommation humaine et animale;

N. considérant que les prix des denrées alimentaires ont augmenté dans l’Union et dans le monde; considérant que leurs prix dans le monde ont atteint des niveaux records en février 2022 et ont augmenté de plus de 24 % en un an d’après les Nations unies;

O. considérant que, dans certains secteurs, les agriculteurs rencontrent depuis des années des difficultés graves et persistantes pour couvrir leurs coûts de production, notamment dans le secteur laitier; considérant que la hausse du prix des intrants et des coûts de production pour les agriculteurs a été préoccupante, notamment en ce qui concerne l’énergie, les engrais et les aliments pour animaux; considérant que l’un des facteurs importants de ces hausses de prix est la dépendance excessive actuelle à l’égard du gaz importé, notamment de Russie, pour synthétiser les engrais azotés selon un processus à forte intensité énergétique responsable de 2 % des émissions de gaz à effet de serre; considérant que cette hausse des coûts de production pourrait entraîner d’énormes difficultés économiques pour certains producteurs, notamment les éleveurs qui dépendent des importations d’aliments pour animaux;

P. considérant que la hausse des coûts de production peut entraîner une augmentation du prix pour le consommateur et faire ainsi peser une charge importante sur les ménages à faibles revenus à mesure que les dépenses alimentaires augmentent, en particulier lorsque les prix de l’énergie augmentent aussi;

Q. considérant que certains États membres, ainsi que des pays tiers, ont mis en œuvre des contrôles à l’exportation des produits agricoles, notamment les céréales et les huiles de cuisson;

R. considérant que les sanctions à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie auront une incidence sur l’approvisionnement en intrants agricoles tels que les engrais; considérant que le 2 février 2022, la Fédération de Russie a suspendu les exportations de nitrate d’ammonium au moins jusqu’en avril 2022; considérant que les grandes compagnies maritimes ont interrompu leurs activités de transport à destination et en provenance de la Russie; considérant que chaque tonne d’engrais ou de matières premières importée de Russie finance la machine de guerre de ce pays;

S. considérant que le pacte vert pour l’Europe et la stratégie «De la ferme à la table» adoptent des approches globales, non seulement pour éviter une crise climatique et une crise de la biodiversité en Europe, mais aussi pour garantir la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et la santé publique et garantir le caractère abordable des denrées alimentaires, sans perdre de vue le souci de générer des bénéfices économiques plus équitables pour les agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement et de valeur et de consolider la position des producteurs primaires, en améliorant la durabilité, en agissant face à la crise climatique, pour la santé des sols et contre le risque existentiel d’effondrement des écosystèmes, ainsi qu’en renforçant l’autonomie des agriculteurs et des chaînes d’approvisionnement;

T. considérant que la stratégie «De la ferme à la table» a esquissé plusieurs initiatives importantes, dont un plan d’urgence de l’Union visant à ce que le cadre législatif garantisse l’approvisionnement alimentaire et la sécurité alimentaire en temps de crise, afin d’accélérer encore la transition vers un système alimentaire durable d’ici la fin de 2023;

U. considérant que la stratégie «De la ferme à la table» vise à réduire l’utilisation des intrants agricoles et, notamment, l’utilisation globale des pesticides chimiques de 50 %, des pesticides les plus dangereux de 50 % et des engrais d’au moins 20 % d’ici à 2030;

V. considérant que les surfaces d’intérêt écologique (SIE) et leur maintien dans le cadre de la politique agricole commune à partir de 2022 visent à renforcer la biodiversité et, partant, les fonctions agroécosystémiques telles que la pollinisation, la prédation des organismes nuisibles aux écosystèmes, la protection des sols et les cycles des nutriments, de l’eau et du carbone, rendant ainsi l’ensemble de l’agroécosystème plus solide, résilient et productif; considérant que ni le labourage ni l’utilisation de pesticides ne sont indispensables à ces fonctions, qui augmentent les rendements à long terme; considérant que les chiffres de 2019 pour les SIE montrent que près de 3 % des terres agricoles arables exploitées étaient non productives, dont 2,6 % en jachère, tandis que près de 11 % des SIE sont déjà utilisées de manière productive, par exemple pour la culture de légumineuses;

W. considérant que selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, publié le même jour que l’invasion russe, on constate actuellement une nette tendance à la baisse de la productivité en raison de la simplification écologique et de l’effondrement de l’agroécosystème[7], ce qui s’explique par la dépendance excessive à l’égard des intrants artificiels et les dommages qu’elle entraîne, comme l’érosion des sols, la perte de couche arable, le déclin des pollinisateurs, qui affecte les rendements, la perte d’espèces bénéfiques à la productivité, le manque de résilience face aux invasions de parasites, aux sécheresses et aux inondations, la réduction des rendements de la production halieutique et aquacole et la redistribution des stocks de poissons marins, comme l’indique également le rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, publié en 2019;

X. considérant que les attaques menées contre les objectifs du pacte vert pour l’Europe et la transition vers la durabilité reposent sur l’hypothèse d’un retard de productivité à venir si la biodiversité fonctionnelle gagne du terrain ou que des techniques agronomiques utilisant des processus naturels remplacent les intrants synthétiques; considérant qu’un immense volume de recherche scientifique indépendante et évaluée par les pairs montre que la productivité ne diminue pas dans près des deux tiers des cas, que la baisse se limite à une courte période de transition et que dans certains cas, la productivité augmente même[8];

Y. considérant que les progrès de la biodiversité et les services associés fournis par la biodiversité fonctionnelle et les espèces bénéfiques (pollinisation, prédation d’organismes nuisibles, résilience accrue des agroécosystèmes face à l’érosion, aux sécheresses et aux inondations, formation des sols et puits de carbone) sont également nécessaires pour renforcer et garantir la continuité de la production alimentaire tout en augmentant la rentabilité pour les agriculteurs[9];

Z. considérant que la marge de manœuvre pour produire davantage de céréales en Europe est limitée, étant donné que les surfaces mises en jachère et actuellement disponibles ne dépassent pas 6 millions d’hectares sur 100 millions d’hectares de terres arables, et que les rendements potentiels sont faibles, les surfaces mises en jachère se situant sur des terres marginales;

AA. considérant qu’en encourageant l’utilisation massive de denrées alimentaires ou de terres arables qui pourraient être destinées à l’alimentation humaine pour nourrir les animaux, on utilise les calories de manière inefficace et on fait de l’Union une importatrice nette de calories[10]; considérant qu’une nette réduction de la consommation de produits animaux et une transition vers l’élevage autosuffisant de bétail, alimenté grâce aux prairies et aux légumineuses de l’Union, permettraient à celle-ci, actuellement importatrice nette de calories, de devenir une exportatrice nette et de réduire son empreinte carbone; considérant que cela contribuerait à restaurer la biodiversité, à stocker le carbone dans les agroécosystèmes de l’Union et à réduire la dépendance de l’Union à l’égard du gaz naturel et des combustibles fossiles pour la production d’engrais;

AB. considérant que la déclaration de Rome de la Via Campesina de 1996 a d’abord défini la souveraineté alimentaire comme le droit des peuples et des pays à définir leurs propres politiques agroalimentaires; considérant que ce concept vise à permettre à chaque pays de nourrir sa propre population et d’être indépendant; considérant que l’objectif de la stratégie «De la ferme à la table» consistant à réduire la dépendance des agriculteurs vis-à-vis de la production extérieure correspond à cette définition;

AC. considérant que l’accord de Marrakech de 1994 et, en particulier, l’accord sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont contribué à la spécialisation des régions agricoles; considérant que cette spécialisation a créé des régions fortement exportatrices et d’autres qui dépendent presque entièrement des importations; considérant que cette situation n’est pas résiliente face aux crises, telles que les guerres, et qu’il s’agit de l’un des facteurs d’instabilité alimentaire mondiale à l’heure actuelle;

A. Urgences humanitaires

1. exige de la Fédération de Russie qu’elle mette un terme immédiat à toutes les activités militaires en Ukraine, qu’elle retire sans condition l’intégralité de ses forces militaires et paramilitaires et de ses équipements militaires de l’ensemble du territoire ukrainien internationalement reconnu, et qu’elle respecte pleinement l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues;

2. fait observer que pour éviter une crise alimentaire, il sera essentiel de sécuriser les chaînes d’approvisionnement alimentaire et de préserver la production d’aliments nourrissants pour chaque foyer;

3. demande une réaction immédiate et coordonnée et le déploiement du mécanisme de protection civile de l’Union afin d’apporter le plus grand soutien possible à l’Ukraine, en fournissant une aide humanitaire et alimentaire, des corridors humanitaires sûrs garantis par l’Union et de la nourriture et un abri à toutes les personnes qui fuient le pays; souligne que l’aide humanitaire financière apportée jusqu’à présent par l’Union est estimée à environ 500 millions d’euros, mais qu’une assistance supplémentaire est nécessaire; insiste en particulier sur le fait que l’Union devrait fournir une aide humanitaire non seulement à la population ukrainienne afin d’assurer la sécurité alimentaire à court terme en Ukraine, mais aussi à tous les réfugiés dans l’Union au moyen de l’action de cohésion pour les réfugiés en Europe et des programmes de l’initiative de soutien à la reprise en faveur de la cohésion et des territoires de l’Europe, ainsi qu’en contribuant au plan de réaction rapide de la FAO pour l’Ukraine, en augmentant son aide financière; souligne qu’il convient de trouver des financements supplémentaires, étant donné que les fonds de la politique de cohésion jouent un rôle essentiel pour assurer le développement harmonisé des États membres de l’Union; invite l’Union européenne à se coordonner avec les agences des Nations unies et tous les partenaires sur le terrain afin de fournir d’urgence une aide alimentaire et une aide à la subsistance aux personnes touchées par la guerre en Ukraine;

4. prie la Commission et les États membres d’accroître leur contribution au PAM en utilisant la réserve de solidarité et d’aide d’urgence prévue dans le cadre financier pluriannuel; note que la Commission et les États membres contribuent respectivement à hauteur de 465 millions et 1,47 milliard d’euros par an au PAM; relève en outre que la réserve de solidarité et d’aide d’urgence représente 1,2 milliard d’euros, dont une partie allant jusqu’à 35 % (soit 420 millions d’euros) peut être utilisée au profit de pays tiers; souligne que le montant disponible au titre de la réserve de solidarité et d’aide d’urgence pourrait ne pas suffire et qu’il pourrait être nécessaire de faire preuve de davantage de flexibilité budgétaire;

5. invite la Commission et les États membres à évaluer d’urgence, en coordination avec leurs partenaires internationaux et les institutions internationales compétentes, tous les moyens disponibles pour éviter un défaut de paiement dans la balance des paiements des pays importateurs, y compris le financement direct et la restructuration de leur dette; souligne qu’il importe de privilégier les financements adossés à des subventions en tant que solution par défaut, surtout pour les pays les moins avancés, et de ne pas leur préférer un mélange de mécanismes de garantie ou de prêts, car ces options pourraient accroître le poids de la dette;

B. Assurer la sécurité alimentaire de l’Union à court terme

6. souligne que le conflit actuel en Ukraine met en lumière les vulnérabilités du système alimentaire mondial; exhorte dès lors l’Union à préserver le droit des pays en développement à la souveraineté alimentaire en tant que moyen de parvenir à la sécurité nutritionnelle, à la réduction de la pauvreté, ainsi qu’à l’inclusivité, à la durabilité et à l’équité des chaînes d’approvisionnement mondiales et des marchés locaux et régionaux, en accordant une attention particulière à l’agriculture familiale, dans le but de garantir l’approvisionnement en denrées alimentaires abordables et accessibles;

7. invite la Commission et le Conseil à maintenir la clause dérogatoire générale introduite pour la pandémie de COVID-19, c’est-à-dire la suspension des règles budgétaires incombant aux États membres en cas d’urgence;

8. demande que le mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire, mis au point à la suite de la pandémie de COVID-19, se réunisse à nouveau dès que possible afin de discuter des conséquences de la guerre sur la sécurité alimentaire de l’Union et du monde; note que cet organe était initialement censé se réunir fin mars 2022, ce qui serait trop tard pour que ses délibérations soient pleinement efficaces;

9. souligne l’importance des stocks alimentaires, tant dans l’Union que dans les pays tiers, pour garantir l’accès à la nourriture en période d’instabilité; invite la Commission à procéder à une évaluation complète de toutes les sources de nourriture et de tous les stocks alimentaires, publics comme privés, qui sont disponibles au niveau de l’Union, à évaluer les moyens de les mobiliser et de les distribuer et à régler efficacement les problèmes de disponibilité, d’accessibilité et de coût abordable, notamment dans les pays tiers; insiste sur la nécessité d’évaluer aussi l’ampleur des stocks commerciaux privés;

10. invite la Commission et les États membres à proposer rapidement une réunion du comité de la sécurité alimentaire mondiale de la FAO, qui devrait être l’enceinte de coordination privilégiée en la matière, étant donné qu’il assure une représentation de tous les États sans exclusive; demande à la Commission et aux États membres de participer à ces réunions afin d’assurer une coordination internationale, notamment en ce qui concerne les stocks, les biocarburants et le soutien financier aux pays importateurs;

11. prie l’Union de convoquer une réunion d’urgence du Conseil général de l’OMC afin de prendre des mesures visant à réguler le marché des produits agricoles de base, dans le but de réduire autant que possible la spéculation des États ou des entreprises privées et de faciliter l’accès des pays dépendants aux denrées alimentaires de base nécessaires à leur population; souligne que les règles actuelles de l’OMC en matière d’agriculture ne permettent pas aux pays de mettre en œuvre des politiques de souveraineté alimentaire et de coopération régionale; demande à la Commission de plaider pour les changements nécessaires;

12. constate que la spéculation sur le marché, la manipulation des cours et le commerce de produits alimentaires de base peuvent gonfler artificiellement les prix de gros et entraîner une volatilité des marchés; demande immédiatement, à cet égard, l’interdiction temporaire des pratiques spéculatives telles que la vente à découvert, les contrats d’échange sur dette souveraine ou sur risque de crédit, les options sur actions à terme et les transactions à haute fréquence sur des produits alimentaires de base qui peuvent entraîner des manipulations des cours, la fixation de prix prédatoires et des pratiques d’exploitation; invite la Commission et l’Autorité européenne des marchés financiers à collaborer avec les régulateurs nationaux pour présenter d’urgence une proposition visant à interdire temporairement la vente à découvert et à protéger les produits alimentaires de base sur les marchés boursiers, y compris en révisant le régime actuellement très laxiste des limites de position de l’Union, et à tenir compte de la volatilité lors de la fixation de ces limites de position; souligne la nécessité de disposer de statistiques transparentes sur la production agricole des différents acteurs publics et privés, notamment dans le marché des céréales, qui présente une concentration extrême;

13. demande la mise en place d’une aide financière d’urgence afin de garantir l’accès à la nourriture pour les foyers vivant dans la pauvreté au sein de l’Union, notamment par une augmentation du financement du Fonds européen d’aide aux plus démunis;

14. invite la Commission à activer l’article 219 du règlement (UE) nº 1308/2013[11] sur l’utilisation de la réserve de crise pour stabiliser la production dans l’Union, à condition que les critères de durabilité soient respectés;

15. souhaite que les agriculteurs touchés par la crise reçoivent un soutien financier rapide et approprié; insiste cependant pour que toute aide soit subordonnée au respect des critères de durabilité, afin de ne pas aggraver la crise climatique et la crise de la biodiversité et de ne pas compromettre la base écologique et les ressources naturelles nécessaires à la sécurité alimentaire à long terme et à la continuité de la production alimentaire; note, dans ce contexte, le rôle des SIE dans la promotion de la biodiversité fonctionnelle et le gain de rendement des terres arables avoisinantes, qui peut aller jusqu’à 36 %; déconseille fortement l’utilisation de pesticides dans les SIE, étant donné que les gains de productivité cumulés seraient réduits à néant à cause de la mort de prédateurs d’organismes nuisibles ainsi que de la disparition de pollinisateurs attirés par les bandes fleuries; met également en garde contre le labourage, qui libère le carbone stocké dans le sol; souligne en particulier qu’aucune mesure prise au cours de la crise ukrainienne ne devrait conduire à une augmentation de l’utilisation de pesticides et d’engrais de synthèse, ni servir de prétexte pour autoriser en urgence des pesticides dont la nocivité pour la santé humaine ou écosystémique est prouvée; insiste pour que les mesures d’urgence soient strictement limitées dans le temps;

16. invite la Commission et les États membres à garder le marché unique de l’Union ouvert et à éviter de nouvelles perturbations du marché, notamment en évitant toute restriction à l’exportation;

17. met en avant la nécessité de tirer pleinement parti des programmes à destination des écoles, afin de garantir que les enfants défavorisés aient accès à la nourriture; souligne en outre l’utilité des programmes de marchés publics pour encourager le soutien public aux achats auprès de petits exploitants et de producteurs locaux en vue de l’approvisionnement en aliments nourrissants destinés à être distribués, dans le cadre de la lutte contre l’insécurité alimentaire;

18. signale que 88 millions de tonnes d’aliments sont gaspillés chaque année dans l’Union, ce qui coûte 143 milliards d’euros selon les estimations; souligne que la lutte contre le gaspillage alimentaire aurait une incidence positive immédiate sur la sécurité alimentaire; demande, une fois encore, de prendre les mesures nécessaires pour atteindre un objectif de réduction du gaspillage alimentaire de l’Union de 30 % d’ici à 2025 et de 50 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de référence de 2014; insiste sur la nécessité d’éviter la perte de denrées alimentaires pendant leur stockage, de faciliter les dons alimentaires grâce à l’application cohérente de la législation sur la responsabilité et d’encourager la récupération des déchets alimentaires; invite en particulier les supermarchés à s’attaquer d’urgence à la question du gaspillage alimentaire évitable en recourant à d’autres options, telles que le déploiement d’offres d’achat à prix réduits et la collaboration avec des projets communautaires locaux, comme les banques alimentaires, afin de réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaires à l’échelle locale; demande aux États membres d’envisager de légiférer sur de nouvelles pratiques commerciales déloyales qui induisent du gaspillage alimentaire, en plus de celles déjà couvertes par la directive sur les pratiques commerciales déloyales[12]; souhaite que les initiatives à venir sur les normes de commercialisation donnent la priorité à la réduction du gaspillage alimentaire; souligne que la surproduction constante risque également de conduire au gaspillage alimentaire; réclame un meilleur suivi du gaspillage alimentaire dans l’ensemble de l’Union, en particulier de celui qui se produit dans les exploitations agricoles; engage tous les États membres à concevoir et à mettre en œuvre des programmes de prévention du gaspillage alimentaire qui intègrent pleinement les principes de l’économie circulaire et englobent la promotion de chaînes d’approvisionnement alimentaire courtes, qui réduisent le risque de gaspillage alimentaire;

C. Assurer la sécurité alimentaire de l’Union à moyen et à long terme

19. invite la Commission et les États membres à mettre rapidement en place des mesures de suspension temporaire de la production et du mélange de biocarburants, de bioliquides et de combustibles issus de la biomasse d’origine agricole, afin de garantir des approvisionnements alimentaires supplémentaires, de stabiliser les marchés mondiaux des produits alimentaires de base et d’éliminer progressivement les biocarburants d’origine agricole, à l’exclusion des biocarburants avancés, d’ici à 2030; prie la Commission d’engager une action concertée avec les États-Unis et le Canada afin de donner la priorité aux denrées alimentaires par rapport aux biocarburants d’origine agricole;

20. demande la promotion et la simplification de l’accès aux mesures d’efficacité énergétique, afin de réduire la charge financière pesant sur les agriculteurs en matière de consommation énergétique directe; constate que, dans la plupart des systèmes d’élevage, l’alimentation animale est la principale activité consommatrice d’énergie;

21. souhaite que les denrées destinées à l’alimentation humaine soient privilégiées par rapport à l’alimentation des animaux d’élevage de l’Union au-delà des bêtes nécessaires pour satisfaire les besoins alimentaires de l’Union; invite en particulier la Commission et les États membres à mettre enfin en œuvre un plan ambitieux pour les protéines, axé notamment sur les légumineuses, qui peuvent fournir des aliments pour animaux cultivés localement et remplacer ou réduire l’utilisation d’engrais grâce à leur fixation de l’azote, et à alléger la pression qui pèse sur les aliments pour animaux et les coûts de production, en lançant la transition vers le pâturage des ruminants; souligne que les plantes et les animaux génétiquement modifiés sont brevetés et qu’il convient donc d’éviter d’y recourir, au risque d’accentuer la concentration du marché dans le domaine de la production de semences, de plantes et d’animaux et de faire monter les coûts des intrants; ajoute que ces organismes n’apportent aucun avantage par rapport aux systèmes agroécologiques, qui présentent des atouts démontrés en matière de biodiversité, de climat et de lutte contre l’insécurité alimentaire;

22. invite la Commission à renforcer encore l’objectif de la stratégie «De la ferme à la table» relatif à la réduction de l’utilisation d’engrais et à soutenir, par toutes les mesures appropriées, les pratiques visant à rendre les sols plus fertiles grâce à des mesures locales qui garantissent l’indépendance par rapport aux importations d’engrais ou de gaz, telles que la rotation des cultures, le compostage et l’utilisation de déchets d’origine animale, dans les limites de ce que permet la directive sur les nitrates[13]; souligne que l’utilisation d’engrais représente, selon les estimations, 50 % de la consommation d’énergie dans l’agriculture, si l’on additionne l’utilisation directe et l’utilisation indirecte; fait observer qu’une hausse des prix de l’énergie entraîne celle des prix des engrais synthétiques; en déduit que l’apport de conseils quant à des solutions agronomiques de remplacement peut se révéler l’option la plus rentable; insiste sur l’importance pour les agriculteurs de bénéficier du soutien technique de services de conseil agricole indépendants, afin qu’ils puissent utiliser les techniques agroécologiques les plus appropriées et les plus efficaces; souligne qu’il est démontré que l’agriculture biologique peut produire des denrées alimentaires sans utiliser d’engrais de synthèse;

23. lance un avertissement solennel contre l’utilisation cynique de la guerre comme occasion de revenir à un statu quo dysfonctionnel et intrinsèquement non durable, dont il est clairement et scientifiquement prouvé qu’il n’est pas adapté à l’objectif poursuivi; recommande de ne pas sacrifier notre sécurité alimentaire à moyen et à long terme pour des gains à court terme, tels que l’alimentation du bétail et la production de biocarburants par fermentation;

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24. charge sa Présidente de transmettre la présente résolution au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au président, au gouvernement et au Parlement de l’Ukraine, ainsi qu’au président, au gouvernement et au Parlement de la Fédération de Russie.

 

Dernière mise à jour: 21 mars 2022
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