PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la situation des droits humains en Haïti en particulier liée à la violence des gangs
4.10.2022 - (2022/2856(RSP))
conformément à l’article 144 du règlement intérieur
Marisa Matias
au nom du groupe The Left
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B9-0427/2022
B9‑0427/2022
Résolution du Parlement européen sur la situation des droits humains en Haïti en particulier liée à la violence des gangs
Le Parlement européen,
- Vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 et les Pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques sociaux et culturels,
- vu la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)
- vu la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
- vu l’article 3 de la Convention de Genève de 1949 et son protocole II, qui interdisent notamment les exécutions sommaires, les viols, les recrutements forcés et d’autres exactions,
- vu la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, du 20 novembre 1989,
- vu ses résolutions antérieures sur Haïti et notamment celles du 20 mai 2021, 28 novembre 2019, 8 février 2018 et du 19 janvier 2011
- Vu l'article 144 de son règlement,
A. considérant que depuis l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, la situation sécuritaire, sociale, politique et des droits humains, pourtant déjà catastrophique, s’est encore détériorée dans le pays ;
B. considérant que l’impunité quasi-totale dont jouissent les gangs entretient et intensifie leur pouvoir ; considérant que depuis un an, il n’y a eu aucune avancée sur les massacres et les meurtres commis, dont celui du président Jovenel Moïse ; considérant la corruption généralisée dans le pays ;
C. considérant que depuis mars 2020, l'augmentation alarmante de la violence a entraîné le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de familles (46.800 personnes à la mi-août 2022 selon l’OCHA et 43 332 selon l’IOM le 10 aout 2022) dans les zones urbaines et périurbaines de Port-au-Prince ; considérant que lorsque la violence des gangs s'est emparée de quartiers entiers de la capitale haïtienne, Port-Au-Prince, en juin 2021, des milliers de personnes ont dû fuir leur domicile pour sauver leur vie ;
D. considérant que selon le bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaire (OCHA), il y avait en juillet 2022 1,5 million de personnes soit près de 50% de la population de la capitale sont touchées directement par la violence, et voient leur liberté de mouvement et d’accès aux services de base restreints ; considérant que les gangs contrôlent 60% de la capitale, dont, depuis juin 2021, le quartier de Martissant, constituant le seul accès terrestre au Sud du pays ; considérant que cette situation empêche les agences de l’ONU et les associations humanitaires de venir en aide aux populations de ces zones alors que 1,1 million de personnes (selon l’ONU) ont besoin d'assistance.
E. Considérant que d’après le Haut-Commissariat aux droits humains de l’ONU (UNHCR) de janvier à fin juin 2022, 934 meurtres, 684 blessés et 680 enlèvements ont eu lieu à travers la capitale ; considérant que au moins 148 personnes ont été tuées entre fin avril et début mai 2022 ; considérant que sur une période de cinq jours, du 8 au 12 juillet, au moins 234 autres personnes ont été tuées ou blessées dans des violences liées aux gangs dans le quartier Cité Soleil de Port-au-Prince ; considérant que la plupart des victimes n'étaient pas directement impliquées dans des gangs mais étaient directement ciblées par des éléments de gangs ; considérant que plusieurs cas de viols collectifs et répétés ont été commis à l’encontre de femmes et de filles, confirmant l’usage systématique des violences de genre ;
F. considérant que les journalistes sont particulièrement ciblés par les violences ; considérant que le 11 septembre 2022 2 journalistes : Tayson Latigue et Frantzsen Charles, ont été abattus par balle à la Cité Soleil avant que leurs corps ne soient brûlés ;
G. considérant que plusieurs cas d’enlèvements ont été signalés durant la semaine du 26 au 30 septembre dans la capitale haïtienne ; considérant que parmi les victimes figurent trois employés du ministère de l’Éducation nationale et un cadre de l’institution, le directeur général de l'Office national de partenariat en éducation ;
H. considérant que l'insécurité s'est généralisée et affecte toutes les couches de la population ; considérant que les kidnappings s’accompagnent de violences et de viols systématiques envers les femmes ; considérant que de nouveaux signalements de violences sexuelles ont été reçu ces derniers mois par le UNHCR ;
I. considérant que dû au contexte de la cherté de la vie, de l’insécurité, du kidnapping, de l’existence des zones de non-droit et de la violence généralisée dans le pays, le gouvernement dirigé par Ariel Henry a décidé de reporter la rentrée des classes, prévue préalablement au 5 septembre, au 3 octobre 2022 ; considérant que la situation s’est encore empirée au mois de septembre, rendant encore plus compliquée la tenue de l’année scolaire 2022-2023 ; considérant que selon le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), un demi-million d'enfants de la capitale seraient déscolarisés et 1.700 écoles de la capitale ont dû fermer à cause de la violence ;
J. Considérant que le 15 septembre 2022 un entrepôt du Programme Alimentaire Mondial (PAM) aux Gonaïves, contenant 1400 métriques-tonnes de vivres et devant servir à nourrir près de 100 000 écoliers jusqu'à la fin de l'année et fournir une aide d'urgence aux familles les plus vulnérables , a été pillé et que des bureaux adjacents ont été incendiés,
K. considérant que dans cette situation délétère, le gouvernement d’Ariel Henry a exacerbé encore la colère de la population par des augmentations (en décembre 2021 et en septembre 2022) des prix de carburant, dans un contexte d’inflation et de dévaluation de la monnaie locale ; considérant que l’appel à la grève lancé par des syndicats du transport en commun pour protester contre l’augmentation du prix de l’essence du 26 au 28 septembre a été très largement suivie entrainant une fermeture quasi-totale des commerces, services, institutions privées et publiques ; considérant qu’alors que le pays était en grève, un ouvrier a été tué lundi 26 septembre sur son lieu de travail lors d’affrontements entre la police et un gang ;
L. considérant qu’alors que la situation des droits de l'Homme et la situation humanitaire continuent de se détériorer rapidement, les demandeurs d'asile haïtiens n'ont qu'un accès limité à la protection internationale et sont confrontés à une série de violations des droits humains dans les pays d'accueil, notamment la détention et les refoulements illégaux, la misère, l'extorsion, les abus, y compris la violence sexiste par des groupes armés ;
M. considérant que plusieurs ONG’s alertent sur le fait que les États-Unis soumettent les demandeurs d’asile haïtiens à des détentions arbitraires et à des traitements discriminatoires et humiliants qui pourraient s'apparenter à de la torture fondée sur la discrimination raciale ; considérant que l’expulsion et le renvoi des migrants haïtiens des États-Unis contribue à aggraver la situation humanitaire du pays ;
N. considérant que le PIB en terme réel a chuté considérablement de -1.7% en 2019, -3.3% en 2020 et -1.8% en 2021 selon les données de l’Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI) ; considérant que Haïti devrait enregistrer pour la quatrième année consécutive un taux de croissance négatif ; considérant que le pays ne pourra donc pas sortir de la récession économique ce qui risque encore d’aggraver considérablement la situation humanitaire et sociale ;
O. considérant que selon les dernières données de l’ONU en aout 2022, 4,9 millions d’Haïtiens, soit environ 43 % de la population totale, ont besoin d’une aide humanitaire cette année ; considérant que selon l’ONU, 5,6 millions d’habitants seraient en situation d’insécurité alimentaire (4,5 millions en juin 2022 selon les chiffres officiels du gourvenement et 5,9 millions de personnes en situation consommation alimentaire insuffisante selon l’OCHA le 29 aout 2022) ; considérant que le plan de réponse humanitaire de l’ONU pour Haïti, d’un montant de 373 millions de dollars, n’a été financé qu’à hauteur de 14 % ;
P. considérant que Haïti reste le pays le plus pauvre du continent américain la 15ème nation la plus pauvre du monde avec un PIB par habitant de 697 dollars en 2021, considérant que le pays souffre de carences importantes dans les services essentiels ; considérant que l’espérance de vie est de 63,66 ans en 2018, considérant que le pays est placé au 170ème rang sur 185 dans l’Indice de Développement Humain (IDH) et affiche un Indice d’inégalité de genre (Iig) de 0.636, qui la place au 152e rang sur 162 pays dans l’indice 2019 ; considérant que cette situation d'extrême pauvreté amplifie les effets dévastateurs des aléas naturels qui deviennent de plus en plus fréquents; considérant que Haïti fait partie des pays les plus touchés ces 20 dernières années par les aléas climatiques, selon Indice mondial des risques climatiques 2021 ; considérant qu’Haïti est l’un des pays les plus inégalitaires de la planète, avec un coefficient de Gini de 59,2 en 2014;
Q. Considérant que le pays connait une pénurie d’essence depuis des mois ; considérant que l’accès au terminal pétrolier de Vareux où sont concentrés 70% des stocks est aux mains des bandes armées ; considérant que près de 86% de l’électricité produite dans le pays repose sur les produits pétroliers ; considérant que les hôpitaux et centres de santé sont amenés, en conséquence, à réduire voire à stopper leurs activités ;
R. considérant que les deux tiers de la population haïtienne dépendent de l’agriculture, l’élevage et la pêche pour leur subsistances ; considérant que Haïti compte parmi les 16 pays au monde ayant de graves problèmes alimentaires, étant considéré par la FAO comme le seul pays en Amérique Latine et Caraïbes en situation d’insécurité alimentaire grave; considérant que le pays fait face depuis des décennies à des crises récurrentes liées à des chocs socio-politiques et sanitaires mais aussi des catastrophes naturelles et une crise économique ; considérant que ces crises répétitives ont graduellement détérioré la sécurité alimentaire du pays ;
S. considérant que le pays était autosuffisant d’un point de vu alimentaire dans les années 1980 mais qu’il est devenu l’un des tous premiers clients du riz étasunien, considérant que les riziculteurs haïtiens ont été ruinés par les importations de ce riz subventionnée et que la vente de cuisses de poulet en provenance des États-Unis a fortement affecté les producteurs locales de volailles ; considérant qu’après le séisme de 2010, Monsanto a voulu faire don à Haïti de 475 tonnes de semences hybrides (stériles) de maïs dont les paysans ne peuvent pas utiliser la récolte comme semence ; considérant que ce projet de Monsanto á été supervisé par l’Agence des États-Unis pour le développement international USAID et que l’obligation d’utiliser des engrais et des produits phytosanitaires pour les cultiver et celle de racheter les semences chaque année, aurait constitué une réelle menace contre la souveraineté alimentaire en Haïti ; raison pour laquelle, sous la pression des mouvements paysans, le gouvernement haïtien a finalement rejeté cette offre ;
T. Considérant que les demandes exprimées lors de la résolution du 20 mai 2021 du Parlement européen, notamment de « de réagir immédiatement et de manière coordonnée afin de prévenir la violence, de s’attaquer à ses causes profondes et de mettre un terme à l’impunité des responsables », de réaliser une enquête indépendante sur le massacre de La Saline et les exactions similaires, et d’ « assurer une meilleure gouvernance à tous les niveaux de l’État et de la société, y compris la lutte contre la corruption et le clientélisme » ;
U. Considérant que la stratégie poursuivie par le gouvernement actuel et la communauté internationale pour lutter contre l’insécurité et apporter une solution à la crise a échoué ; considérant que cet échec est lié au refus d’entendre et de soutenir le programme de transition de rupture élaboré par un large éventail d’acteurs de la société civile regroupés dans l’Accord de Montana ;
1. S’alarme des violations constantes des droits humains en Haïti, de la mainmise de régions entières par des gangs armés et des allégations répétées de la complicité d’autorités publiques dans ces violences;
2. condamne fermement la répression des manifestations pacifiques par les autorités haïtiennes, de même que le recours à la force létale, à la détention arbitraire, à l’intimidation, au harcèlement et à la violence sexuelle; demande instamment que les autorités haïtiennes renoncent immédiatement à l’usage de la force contre les manifestants pacifiques, et respectent le droit des peuples à manifester librement et pacifiquement;
3. manifeste sa pleine solidarité et son soutien aux mouvements citoyens, syndicaux, politiques et à tous les secteurs de la société haïtienne en lutte pour les droits sociaux et fondamentaux, la justice sociale, les libertés et la démocratie en Haïti ;
4. soutient les revendications de l’Accord de Montana du 30 août 2021, regroupant les principaux acteurs de la société civile (églises, syndicats, organisations de jeunes et des droits humains, mouvements paysans et de femmes, ONG, etc.) appelant à rompre avec un « système de gouvernance sous tutelle », à rétablir le pouvoir et la légitimité des institutions publiques, à regagner la confiance de la population, à mettre fin à l’impunité et permettre au bout d’une période de deux ans, d’organiser des élections libres et transparentes ;
5. demande instamment au gouvernement des États-Unis d’arrêter toutes les expulsions vers Haïti, alors que la crise humanitaire, politique, économique et sociale se poursuite et de permettre l’accueil des réfugiés haïtiens sans aucune discrimination et en complet respect du droit international ;
6. Condamne très fermement toute ingérence politique de la part de puissances étrangères, au premier rang desquelles les États-Unis;
7. Souligne que l’UE et ses états membres, devraient œuvrer à une issue pacifique au conflit que traverse le pays depuis plusieurs années maintenant en écoutant les voix des acteurs et actrices de la société civile haïtienne et en accompagnant un processus de transition mis en œuvre par les organisations sociales et de la société civile haïtienne ;
8. souligne qu’Haïti a ratifié plusieurs traités relatifs aux droits humains – notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Convention américaine des droits de l’homme – lesquels l’obligent à garantir l’indépendance et l’impartialité de son système judiciaire ;
9. Souligne qu’une priorité absolue pour l’exercice de la démocratie devrait être de mettre fin à l’impunité généralisée dans le pays ; soutient dans ce contexte le travail des organisations haïtiennes pour que les responsables des violations des droits humains, notamment concernant les massacres récurrents et la corruption (notamment le scandale de la dilapidation des fonds Petrocaribe de 2008 à 2018), soient jugés de façon juste et équitable
10. insiste face à la grave crise alimentaire, pour qu’une attention spécifique soit accordée à l’aide alimentaire d’urgence, en privilégiant en premier lieu l’achat d’aliments locaux afin que cette aide ne contribue pas à éliminer les paysannes et paysans du pays ; soutient l’accès des agricultrices et agriculteurs du pays au matériel agricole, aux semences non génétiquement modifiées et aux espèces et variétés adaptées au sol, au climat et à la culture alimentaire du pays, afin que le pays puisse redémarrer sa production agricole au plus vite et garantir sa souveraineté alimentaire;
11. condamne le fait que l’appui budgétaire de l’Union européenne au pays le soit dans la plus grande opacité et sans aucun contrôle parlementaire ; dénonce le fait que, contrairement à ce qui avait été demandé lors de la précédente résolution du Parlement Européen, aucun audit ni rapport de la Cour des comptes européenne sur la manière dont les fonds de l’Union sont dépensés en Haïti n’ont été réalisés ; exige par conséquent l’ouverture d’une enquête sur la transparence et l’efficacité de la stratégie de la Commission européenne sur place.
12. Appelle à l'annulation immédiate et définitive de toutes les dettes internationales d'Haïti et de ses mécanismes (notamment le service de la dette) envers les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque interaméricaine de développement, mais aussi les principaux partenaires commerciaux d'Haïti comme les États-Unis et l'Union européenne; rappelle la dette coloniale s’élevant à 525 millions d’euros qu'Haïti a dû payer pour obtenir son indépendance; appelle à un soutien international accru des anciennes puissances coloniales à Haïti.
13. Appelle d'urgence les autorités haïtiennes et la communauté internationale à soutenir les programmes visant à éliminer la pauvreté et à garantir la scolarisation et l'accès aux services sociaux, en particulier dans les régions reculées du pays;
14. Salue la solidarité internationale déployée pour aider Haïti d'abord et avant tout solidarité régionale, qui ont dépêché des centaines de médecins, fourni une aide de base et construit des hôpitaux en Haïti et qui ont permis à Haïti de lutter contre l'analphabétisme;
15. Souligne le rôle de premier plan des Nations Unies dans la coordination de l’aide humanitaire internationale et insiste sur le fait que les autorités et le peuple haïtiens ont un rôle clé à jouer dans la mise en place de structures appropriées pour promouvoir la reconstruction du pays; souligne que les acteurs humanitaires ne doivent pas se substituer à l'État haïtien, que la crise actuelle a des causes sociales et politiques, et qu'il est urgent d'agir enfin dans le développement à long terme, notamment pour l'accès aux soins de santé, à l'eau potable et à l'assainissement;
16. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux États membres à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil des ministres ACP-UE, aux institutions du Cariforum, au gouvernement et au Parlement d’Haïti, ainsi qu’au secrétaire général des Nations unies.