14. Forum social mondial, Forum économique mondial
Le Président. - L’ordre du jour appelle le débat sur la déclaration de la Commission à propos du Forum social mondial et du Forum économique mondial.
Barroso,président de la Commission. - (EN) Monsieur le Président, peut-être suis-je en train d’enfreindre la directive sur le temps de travail ce soir!
Les prochaines années, nous travaillerons dur et ensemble pour contribuer à façonner le monde dans lequel nous vivons. Il s’agit d’une opportunité unique d’aborder un phénomène unique. Gérer l’impact de la mondialisation, tant chez nous qu’aux quatre coins du monde, représente un défi sans précédent. Si nous y parvenons, nous pourrons offrir à des milliards d’êtres humains une véritable chance dans la vie, en nous attaquant à l’extrême pauvreté, en luttant contre la maladie et la faim, en promouvant la bonne gouvernance et en soutenant le développement et l’inclusion, avec des structures et les moyens financiers de les mettre sur pied. Si nous échouons, nous sèmerons les germes de l’injustice, de la division et de l’instabilité perpétuelles. C’est la raison pour laquelle cette Commission a proposé un programme qui concerne tant l’Europe que nos partenaires dans le monde entier. Il vise à répandre la prospérité, à renforcer la solidarité et à offrir la sécurité.
Nous devons apporter une réponse interne et externe. À l’intérieur de l’Union, nous devons stimuler la cohésion et tirer pleinement parti du récent élargissement et des élargissements futurs. Par le biais de notre agenda social, nous devons poursuivre notre lutte contre l’exclusion et la pauvreté; nous devons aider davantage de personnes à trouver du travail au sein d’une économie dynamique et florissante; et nous devons changer les attitudes et les comportements, en soutenant notre objectif de développement durable par des actions ambitieuses. En dehors de l’Union, nous devons poursuivre les objectifs de développement du millénaire avec une énergie et une imagination renouvelée. Imprimer ce nouvel élan constitue un objectif primordial de notre examen en cours du développement durable, en veillant à ce que nos actions à l’intérieur comme à l’extérieur soient mieux coordonnées.
En tant qu’Européens, nos valeurs et notre expérience communes peuvent constituer une force majeure pour améliorer la qualité de vie de milliards de personnes aux quatre coins du globe. Notre modèle unique de coopération inspire la coopération régionale, l’Union africaine, par exemple. Il garantit que notre voix est écoutée en matière de réforme des institutions internationales.
La semaine dernière, le protocole de Kyoto est entré en vigueur. Kyoto illustre bien notre capacité à apporter une perspective européenne pour contribuer à déterminer l’évolution à l’échelon mondial. Kyoto et les objectifs de développement du millénaire mettent aussi en lumière le dilemme face auquel nous nous trouvons. Nous devons agir avec efficacité sur le plan mondial, mais il nous faut également recueillir, parmi les pays et la société civile, un large soutien en faveur des actions que nous proposons.
Telle est la nouvelle réalité de la gouvernance mondiale qui est en train de prendre forme. Elle est définie tant par nos rencontres formelles au sein de l’OMC, de la Banque mondiale et du G8 que dans les cadres moins formels que sont le Forum social mondial et le Forum économique mondial. C’est pourquoi je me félicite du débat d’aujourd’hui.
Porto Alegre et Davos sont tous deux les symboles d’un réel avantage de la mondialisation: notre capacité à mener un dialogue constant à un niveau international au sujet du type de société que nous souhaitons. Cette opportunité donne la parole à plus de personnes dans le façonnement de notre avenir. Si ces rencontres ne fixent pas nécessairement un agenda politique, elles font office de porte-voix pour un large spectre de l’opinion publique.
Permettez-moi de m’attarder sur les événements de Davos et de Porto Alegre. Cette année, j’ai participé à la rencontre de Davos; l’année prochaine, j’espère que la Commission pourra rejoindre les 150 000 participants aux Forum social mondial. Par chance, j’ai pu, à Davos, parler en détail de Porto Alegre avec mon ami Lula, le président du Brésil. J’ai beaucoup de respect pour sa façon de voir les choses et pour son engagement à faire fonctionner la mondialisation et à réduire les disparités mondiales. Notre discussion m’a permis de ressentir l’atmosphère de Porto Alegre. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la manière dont les agendas des deux rencontres tendent à converger. Davos n’est pas un ramassis de néolibéraux, pas plus que Porto Alegre ne se limite à une manifestation anti-Davos.
Les pourparlers ont entre autres porté sur la lutte contre la pauvreté, sur la situation en Afrique, sur le rôle du commerce et du dynamisme économique dans la propagation de la prospérité et des opportunités, sur la nécessité d’une voie durable pour le développement mondial et sur les défis de la sécurité dans le monde. J’ai pu tirer certains enseignements de ce que j’y ai entendu.
Pour commencer, nous ne devrions pas nier que, si les agendas convergent, les deux assemblées analysent les thèmes en question sous des angles différents. La représentation de la société civile au Forum économique mondial gagne toutefois en importance et l’éventail des participants au Forum social mondial s’élargit lui aussi.
J’ai retenu deux messages essentiels de Davos. Tout d’abord, nous devons agir ensemble pour résoudre les problèmes mondiaux allant de la pauvreté au développement, en passant par le changement climatique. C’est non sans fierté que j’ai vu des dirigeants européens tels que Jacques Chirac, Tony Blair et Gerhard Schröder prêts à donner le ton. Ils ont pris l’initiative de proposer certaines idées importantes.
Ensuite, nous devons allumer la flamme du dynamisme économique afin d’encourager les réformes partout dans le monde, non pas en tant que fin en soi, mais en tant que moyen le plus efficace d’offrir à davantage de citoyens l’opportunité de mener une vie décente. Nous pouvons tourner la mondialisation à notre avantage. Un leadership européen est nécessaire pour relever les défis lancés par la mondialisation.
Enfin, l’Europe peut accomplir de grandes choses, mais elle aura certainement davantage d’impact en agissant avec d’autres partenaires pour relever les défis mondiaux. Voilà le message que je transmettrai au président Bush demain.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, nous devons trouver les moyens de faire fructifier l’engagement des participants au Forum économique mondial et au Forum social mondial. L’Europe doit être un trait d’union entre les perceptions très différentes des conséquences possibles de la mondialisation. À cet égard, je voudrais formuler quelques éléments de réponse.
Tout d’abord, l’Union européenne est, et doit rester, un acteur mondial ambitieux. Elle constitue le plus grand marché intégré. Son produit intérieur brut est le plus élevé au monde et elle est le premier acteur mondial du commerce international. Nous, l’Union européenne, sommes le plus grand pourvoyeur d’assistance internationale et comme la tragédie du tsunami l’a montré, nous sommes prêts à faire preuve de solidarité. Nous sommes, notamment grâce à l’euro, un partenaire clé en matière de relations financières internationales. Nous devons utiliser notre réseau de relations bilatérales pour faire avancer les choses, encourager les changements et promouvoir le respect des droits fondamentaux et des libertés fondamentales.
Ensuite, si nous reconnaissons que nous sommes un acteur mondial et que nous avons l’ambition de jouer un rôle déterminant, nous devons défendre un multilatéralisme effectif. Nous devons continuer à promouvoir le développement d’un ordre mondial fondé sur les règles de droit, mais celles-ci ne doivent pas servir uniquement l’intérêt des pays riches occidentaux. Nous devons faire preuve de solidarité.
C’est pourquoi nous exprimons notre engagement vis-à-vis des Nations unies, notre détermination à rechercher des solutions internationales créatives pour améliorer les perspectives en Afrique - je l’ai dit, l’Afrique sera notre priorité - et notre volonté de favoriser la conclusion rapide du cycle de développement de Doha.
Enfin, l’Union européenne doit mobiliser une large gamme d’instruments politiques destinés à améliorer le sort de nos voisins dans le monde. Nous devons tirer le meilleur parti des nouvelles possibilités que la Constitution nous offrira grâce à la création du poste de ministre des affaires étrangères et d’un service européen pour l’action extérieure.
Mais nous devons aussi concentrer notre attention sur les priorités et obtenir des résultats concrets. Ces objectifs se refléteront dans les initiatives que nous prendrons, comme la révision des orientations de l’Union européenne en matière de développement durable et la préparation de la révision des objectifs du Millénaire pour le développement. Ils font déjà partie intégrante du partenariat de l’Union européenne pour la croissance et l’emploi, que j’ai lancé au début de ce mois.
Permettez-moi de conclure, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs. L’Union européenne est un acteur mondial. Nous devons assumer cette responsabilité, nous devons contribuer activement à la définition du nouvel ordre mondial et renforcer une gouvernance internationale fondée sur l’État de droit. L’Europe a une contribution très spécifique à apporter. Nous devons renforcer l’Union européenne en tant que puissance civile. Nous devons assurer la propagation dans le monde des idées de paix et de démocratie et des principes d’économie de marché: les principes des sociétés ouvertes. Nous disposons des instruments nécessaires pour faire vraiment la différence.
Par conséquent, l’Union européenne doit répondre aux espoirs que tant nos citoyens que nos partenaires internationaux placent en nous, que ce soit à Davos ou à Porto Allegre.
Deva (PPE-DE), au nom du groupe. -(EN) Monsieur le Président, nous venons d’entendre un excellent discours du président de la Commission sur la façon dont nous devons œuvrer ensemble et coopérer pour faire de l’Europe l’entité la plus compétitive et la plus prospère au monde. La Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres pays nous lancent des défis. Nous venons d’entendre un appel de clairon du président nous demandant de mettre au rebut les vieux modèles et d’en créer de nouveaux pour pouvoir faire face à la concurrence.
Dans ce contexte, je tiens à dire que nous sommes d’accord pour dire que le Forum économique mondial a été un incroyable succès, dans la mesure où les représentants des gouvernements, des entreprises et de la société civile du monde entier sont parvenus à convenir d’un ensemble cohérent de principes sur les actions à prendre: combiner commerce mondial et développement durable. Nombre de ces principes - des mesures concrètes pour libéraliser le commerce et accélérer l’aide aux pays les plus pauvres, par exemple - seront d’une précieuse utilité pour contribuer à atteindre les objectifs de développement du millénaire. Je voudrais en profiter pour féliciter tous les participants au Forum économique mondial.
À ce stade toutefois, et avec moins de diplomatie que le président de la Commission, j’ai à formuler certaines remarques à propos du Forum social mondial, qui s’est avéré quelque peu décevant en comparaison. La réduction de la pauvreté est le plus important des objectifs de développement du millénaire et, s’agissant également d’un des principaux buts recherchés par les participants au Forum social mondial, on se serait attendu à ce que le Forum produise certaines recommandations concrètes quant à la manière d’y parvenir.
Pourtant, même les journalistes généralement en faveur du Forum social mondial ont dû admettre que son objectif fondamental n’était pas de produire un document harmonisé suggérant des idées concrètes par crainte de gâcher la diversité d’opinions, et que les propositions qui en résultent contiennent bien des contradictions. Au sein du Parlement européen, nous respectons la diversité et nous voulons entendre les avis des experts sociaux du monde entier dans le cadre de notre engagement à atteindre les objectifs de développement du millénaire. En toute logique, nous ne pouvons néanmoins pas courir deux lièvres à la fois. Aussi en appellerais-je à des propositions plus unifiées de la part du Forum social mondial, dans l’espoir de parvenir à ces objectifs plus rapidement et sans perdre davantage de temps.
À cet égard, j’ai aussi été déçu par le fait que, comme le président de la Commission l’a dit, bien que nous soyons la plus grande économie, très peu de représentants du Parlement européen ont participé au Forum économique mondial. Ceux qui organisent ces événements ne pensent-ils pas que les représentants élus des peuples d’Europe sont eux aussi importants dans le processus décisionnel du Forum économique mondial?
Désir (PSE), au nom du groupe. - Monsieur le Président, je voudrais d’abord me réjouir qu’un débat avec la Commission, représentée par vous-même, Monsieur le Président de la Commission, puisse avoir lieu dans ce Parlement au lendemain du Forum social mondial et du Forum économique mondial. Je crois que c’est un signe de reconnaissance, par notre Assemblée, du Forum social mondial, qui était présenté par beaucoup, au moment de sa création en 2001, comme un rassemblement de contestation stérile de la mondialisation.
En réalité, les forums sociaux et les mouvements qui les animent ont bouleversé le débat sur la mondialisation. Ils ont popularisé de nombreux thèmes et des propositions positives qui sont aujourd’hui débattues dans toutes les instances internationales, jusque, et de plus en plus, au sein même du Forum économique mondial de Davos. Disant cela, je songe à l’accès aux biens publics mondiaux, à la création de taxes mondiales, à l’annulation de la dette ou encore à la réforme des institutions financières internationales et à leur nécessaire transparence.
Je crois que l’un des autres apports importants des forums sociaux a été d’inscrire la contestation de la mondialisation libérale, des injustices économiques et sociales qu’elle engendre, de ses effets souvent destructeurs sur l’équilibre écologique de la planète, non pas dans l’illusion qu’il fallait trouver des solutions nationales ou souverainistes, non pas dans un refus de l’idée même de mondialisation, mais dans l’idée qu’il fallait transformer la mondialisation, transformer ses règles, ses institutions, pour permettre une autre mondialisation, une mondialisation des solidarités, des conquêtes démocratiques, des droits humains, une mondialisation qui assure le droit de tous les peuples au développement, à la justice et à la paix.
Pour l’Union européenne, cette nouvelle société civile mondiale est un point d’appui, parce que ses aspirations rejoignent des objectifs que l’Union s’est elle-même fixés à l’échelle internationale. Cependant, il ne suffit pas de se réjouir de son émergence, encore faut-il faire écho, concrètement, par nos politiques, par nos décisions, à ce qu’elle réclame, à ce à quoi elle aspire. Donc, nous devons montrer que l’Europe fait la différence, comme vous l’avez dit. Nous devons montrer - et nous le faisons dans certains domaines, par exemple avec le Protocole de Kyoto que vous avez rappelé - que nous sommes capables, effectivement, de transformer les politiques internationales.
Dans le domaine social comme dans d’autres, ceux dont nous parlions tout à l’heure par exemple, les déclarations d’amour ne suffisent pas, il faut aussi des preuves d’amour. Aujourd’hui, vingt et un États membres n’ont toujours pas tenu leur promesse de porter l’aide au développement à 0,7% du produit intérieur brut. Aujourd’hui, on parle de taxe mondiale. Je m’en félicite et beaucoup d’États membres ont signé la déclaration de New York de septembre 2004, mais malheureusement on s’abrite derrière le refus de quelques-uns pour ne pas prendre de décision.
Je vous fais donc la proposition suivante. Que l’Union, à travers la Commission, aide ceux des États membres qui veulent s’engager au moyen, s’il le faut, d’une coopération renforcée, pour qu’ils ne restent pas bloqués par la réticence de quelques-uns à mettre en œuvre, dès maintenant, une taxe dédiée au financement international du développement. Elle pourrait servir à la lutte contre le sida, parce qu’un document récent du Conseil montre que si rien n’est fait d’ici à 2010, dans cinq des pays en développement les plus concernés, c’est un cinquième de la population active qui va disparaître. Prenez une initiative, Monsieur le Président de la Commission! Montrez que, effectivement, l’Europe peut passer des déclarations aux actes!
Koch-Mehrin (ALDE), au nom du groupe. - (DE) Mesdames et Messieurs, la réunion, à Davos, du Forum économique mondial a été un véritable succès. L’élite mondiale du secteur des entreprises, du monde politique et académique a bien fait comprendre qu’elle était pleinement consciente de sa responsabilité dans les problèmes du monde et qu’elle était disposée à agir. Bono, le chanteur principal du groupe irlandais U2, l’a résumé de manière très succincte: si vous voulez de l’argent et si vous avez besoin d’aide, a-t-il dit, vous devez vous adresser à ceux qui peuvent donner de l’argent et fournir de l’aide. Ce qui rend la rencontre de Davos si importante et si utile, c’est qu’elle rassemble précisément ces personnes-là. Il n’en va pas nécessairement de même du Forum social mondial, dont le résultat est, à mon sens, bien plus critiquable.
Les critiques auront peut-être été surpris d’apprendre que les principaux thèmes abordés à Davos étaient l’Afrique, les problèmes liés à l’extension de la pauvreté dans le monde, comment façonner le processus de mondialisation de manière à ce que chacun en retire quelque bénéfice et comment parvenir au commerce mondial équitable. Le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe est convaincu que le libre-échange constitue la meilleure aide au développement. Le libre-échange aide les pays désireux de se développer et encourage aussi les pays en développement à devenir plus compétitifs.
L’UE doit montrer l’exemple. Elle doit plus particulièrement mettre le libre-échange à l’ordre du jour, surtout dans les domaines où subsistent encore des obstacles au commerce, à savoir les domaines couverts par sa politique agricole. Le groupe de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe est également farouchement opposé à l’introduction d’un impôt international sur les transactions financières. Nous appauvrir de cette manière ne contribuera pas à rendre les pauvres plus riches. Il est également illusoire de croire que la solidarité sera favorisée par l’introduction de nouvelles taxes, c’est-à-dire par l’imposition de ce qui revient à une sanction financière imposée à ceux qui justement sont censés apporter leur aide.
Non, le véritable moyen de créer la solidarité passe par un changement au niveau mondial des mentalités, et, tout simplement, par la volonté d’adopter d’autres mesures d’aide. Nous sommes dès lors en faveur de la priorité accordée à la question de l’annulation de la dette, ligne de conduite que nous estimons éminemment raisonnable, et nous pensons que les pays qui tendent à la démocratisation et qui se sont engagés à mettre sur pied des économies durables et libres doivent avoir droit à l’annulation complète de leur dette.
Toutefois, cette forme d’aide n’aura cependant aucun impact à long terme si elle reste un geste exceptionnel. Permettez-moi dès lors de répéter que le libre-échange est ce dont les pays en développement et les pays développés ont le plus grand besoin et ce qui nous permettra de progresser. Si nous voulons que le commerce international devienne plus équitable, notre principal objectif doit être de le rendre plus libre.
Aubert (Verts/ALE), au nom du groupe. - Monsieur le Président, il va sans dire que je ne partage quasiment rien de ce qui a été dit par la collègue précédente et, comme bon nombre de membres de cette Assemblée, j’étais présente au Forum social mondial de Porto Alegre. Il ne s’agit pas, à présent, de faire un concours pour savoir qui est le plus à même de lutter contre la pauvreté, mais de voir les choses telles qu’elles sont.
D’une part, le Forum social mondial a été un succès énorme cette année - 155 000 inscrits, 135 pays, c’est considérable - avec un ton nouveau puisque, effectivement, sur un certain nombre de thématiques - sociale, environnementale, économique, financière - bon nombre de réseaux ont continué à se mettre en place, ont travaillé extrêmement sérieusement, de façon extrêmement concrète pour, précisément, aboutir à un certain nombre de propositions, toujours en devenir mais bien réelles.
D’autre part, le Forum social mondial, ce ne sont pas seulement des ONG, ce sont aussi des parlementaires - le Forum des parlementaires - des élus locaux, en nombre aussi cette année, qui ont discuté des politiques des communes, des collectivités locales pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés. C’est aussi une jeunesse extrêmement présente, très dynamique, très enthousiaste, très travailleuse également et je crois qu’on ne peut pas balayer d’un revers de main un tel dynamisme, un tel élan.
Le Forum social mondial a en réalité deux buts. Premier but, expliquer que le libre-échange ne peut pas constituer une réponse aux inégalités sociales qui s’aggravent. Elles ne s’aggravent pas à cause d’un fléau tombé du ciel, mais bien parce que les politiques qui sont menées depuis plusieurs années en matière d’ajustement structurel, en matière de réduction des dépenses publiques ont conduit à une aggravation des inégalités et de la pauvreté, à une dégradation accrue de l’environnement et de la planète dans son ensemble.
Deuxième but, proposer une alternative au modèle de développement actuel et refuser que l’objectif du libre-échange mondial soit présenté comme la panacée et la solution miracle à tout. Manifestement, ce n’est pas le cas. Tous les organismes des Nations unies montrent l’aggravation de la situation aujourd’hui.
Enfin, qu’il s’agisse de Porto Alegre ou de Davos, c’est bien du concret qu’il nous faut. Nous devons cesser de nous payer de mots, de prises de position, d’images. Il nous faut des engagements très précis et concrets, un échéancier. Monsieur le Président de la Commission, c’est cela aussi que nous attendons de vous: pas seulement de bonnes intentions, des objectifs du Millénaire, mais bien des propositions extrêmement précises, vous qui êtes, avec la Commission, avec nous tous, en mesure de prendre des décisions.
Pflüger (GUE/NGL), au nom du groupe.- (DE) Je tiens tout d’abord à dire que je suis ravi que ce débat ait lieu, car j’estime qu’il est urgent. Même s’il y a eu beaucoup de paroles creuses - particulièrement de la part de M. Barroso -, il est actuellement de bon ton d’utiliser des phrases ronflantes tout en poursuivant les mêmes politiques qu’avant. Ce genre de comportement est assez typique du Forum économique mondial de Davos, et, de fait, pour décrire ce Forum, permettez-moi d’emprunter une expression de cet académicien réputé qu’est Elmar Altvater, qui l’a décrit comme un grand spectacle, mais, malheureusement, un spectacle plutôt improductif.
Il est toutefois intéressant de noter qu’il y a eu un glissement dans la terminologie utilisée au Forum ainsi que dans les questions qu’il a abordées. Dire que ce sont de plus en plus les détracteurs du Forum économique mondial qui en définissent l’ordre du jour ne serait pas une exagération; ces détracteurs se sont retrouvés au Forum social mondial de Porte Alegre, où 150 000 personnes ont débattu et protesté contre les politiques néolibérales et néo-impérialistes.
Le mouvement du Forum social revêt une importance capitale de par son opposition à la mondialisation et à la guerre. Le Forum social mondial a vu un nombre considérable de débats très pragmatiques sur des questions allant des droits de l’homme pour tous - et pas seulement pour les peuples des pays occidentaux - à la protection de la propriété publique, de même que des débats en protestation contre les coupes dans les services sociaux, contre la guerre, en protestation contre la dette - avec une référence particulière à la question de savoir quand les dettes des pays touchés par le tsunami seront enfin annulées - et en protestation contre la pauvreté. Les questions environnementales ont également pesé lourd dans l’ordre du jour, et j’ai personnellement pris part à un forum sur l’eau, par exemple.
Je tiens à ce qu’il soit tout à fait clair - et il convient de souligner ce point - que les participants au Forum social mondial n’ont pas seulement formulé leurs critiques et leurs protestations à l’encontre de la politique américaine, mais aussi à l’encontre des politiques de la Commission européenne et du Conseil européen. En suivant une voie similaire à celle des États-Unis - ou en d’autres termes en suivant le mauvais exemple -, l’Union européenne perd encore plus de crédibilité dans ces cercles. Les participants au Forum social mondial n’ont pas voulu jouer le jeu que le Conseil européen, la Commission et bon nombre des députés de cette Assemblée ne cessent de jouer: regarder les États-Unis d’un œil désapprobateur tout en vantant leurs politiques. Est-ce qu’une directive comme la directive Bolkestein peut être une véritable alternative aux politiques américaines? La réponse à cette question est non, puisque c’est là un programme néolibéral. Peut-elle constituer une véritable alternative pour consacrer, comme cela a été fait dans le traité constitutionnel européen, un engagement pour un armement ou une économie de marché ouverte sur le principe de la libre concurrence? La réponse à cette question est, ici encore, non.
Monsieur Barroso, vous avez dit que l’UE est un acteur mondial, mais la question essentielle qui doit être posée est de savoir quel genre d’acteur mondial elle est. Que les choses soient bien claires: le libre-échange n’est pas une manière infaillible de réagir correctement aux politiques actuellement poursuivies. Il faut plutôt accorder un véritable allègement de la dette, il faut s’éloigner des politiques néolibérales et d’économie libérale, et ce processus ne doit pas aller de pair avec la militarisation de l’Union européenne.
Je voudrais terminer par une citation tirée d’une déclaration adoptée au Forum, qui demande le retrait immédiat des troupes de l’Irak et exprime son soutien à tous les efforts fournis pour les ramener à la maison. «Nous soutenons les efforts qui visent à organiser les soldats, les objecteurs de conscience et les familles des militaires opposés à la guerre. Nous soutenons la campagne contre le recrutement et réclamons l’asile politique pour les déserteurs.» Le message ne pourrait être plus clair.
Mann, Thomas (PPE-DE). - (DE) Monsieur le Président, dans un monde idéal, la mondialisation serait la clé d’une plus grande compétitivité, d’une plus grande croissance et de meilleures conditions de vie. Mais, et ce n’est pas là un phénomène récent, la réalité est tout autre. Voilà pourquoi il est d’autant plus important que le Forum économique mondial de Davos et le Forum social mondial de Porto Alegre examinent régulièrement les méthodes employées par la mondialisation et les effets qui en résultent. Le récent Forum social mondial a rédigé plus de 350 propositions sur la mondialisation, bien que j’espère que des coupes seront effectuées afin de réduire le nombre de recommandations et d’en accroître l’importance. Si l’on veut que l’action soit efficace, les principes doivent être pensés avec une clarté limpide.
Le Forum économique mondial a avancé trois priorités: la diminution des gaz à effet de serre, plus d’argent pour les pays les plus pauvres et l’abolition des obstacles au commerce via l’OMC. Manque dans cette liste la responsabilité sociale des entreprises, dont les entreprises elles-mêmes devraient rendre compte. Il n’y a pas que le poids économique des entreprises qui compte, mais aussi l’étendue de leurs activités sociales. Le chiffre d’affaires des grandes multinationales dépasse la somme des budgets des États membres des Nations unies.
On peut dire sans se tromper que si M. Ackermann de la Deutsche Bank - une entreprise qui peut très certainement être qualifiée d’acteur mondial - avait lu cette recommandation, il n’aurait pas annoncé dans le même souffle une rémunération des capitaux de 16% et la perte de plus de 6 000 emplois. Ceux qui ont été touchés par sa méthode de smart sourcing n’y voient rien d’autre qu’une combinaison de la rentabilité compulsive et de l’irresponsabilité. Le smart sourcing a toutes les chances de devenir la nouvelle expression la moins populaire de 2005.
Pour finir sur une note plus positive, le Forum social mondial et le Forum économique mondial sont des plates-formes importantes pour initier les débats. J’estime dès lors nécessaire que le président du Parlement européen et des représentants de nos commissions spécialisées participent à l’avenir à ces forums. Les élites mondiales ont, plus que jamais, besoin de représentants du peuple.
De Rossa (PSE). - (EN) Monsieur le Président, j’ai été consterné par la contribution apportée par le président Barroso à la fin du débat sur le programme de la présidence - notamment par la justification de son intervention dans la politique portugaise. Monsieur Barroso, vous n’êtes plus une personnalité politique portugaise: vous êtes un responsable politique européen, choisi par ce Parlement et par le Conseil de tous les États membres pour représenter l’Europe. Vous ne pouvez pas intervenir dans la politique intérieure en tant que représentant politique portugais; c’est inadmissible. Si vous ne saisissez pas cela, vous affaiblirez la Commission. Le fait de critiquer cette position n’affaiblira pas la Commission, mais vos actions le feront.
Ce n’est pas sans rapport avec la question dont nous discutons pour l’instant au sujet du Forum social mondial. Un nombre incommensurable de personnes partout dans le monde voient en l’Europe la seule institution transnationale et démocratique capable d’essayer de contenir les forces qu’elles voient détruire le monde. Si vous ne parvenez pas à envisager le rôle de la Commission en tant qu’organe capable de transcender les politiques et les partis nationaux de manière à porter l’espoir exprimé lors du Forum social mondial, alors nous perdons notre temps ici. Je vous demande de garder à l’esprit que vous représentez l’Europe, pas le Portugal.
Pour prendre l’exemple de la directive sur les services - vous dites que vous êtes engagé en faveur du modèle social européen. Nous prenons vos propos au pied de la lettre, mais nous ne les accepterons pas toujours. Il nous faut un exemple concret de votre engagement. À mon sens, la seule manière pour vous de prouver votre engagement est de retirer le principe du «pays d’origine», qui affecte directement le modèle social européen et qui affecte directement la solidarité et l’approche communautaire du développement d’un marché unique européen.
Je veux un marché unique des services, mais je n’accepterai pas le principe du «pays d’origine», lequel se traduira par des services sociaux de moindre qualité et sapera la foi que des millions de personnes en dehors de l’Europe placent en nous pour montrer l’exemple en créant un monde meilleur.
Kułakowski (ALDE). - (PL) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je tiens à remercier M. Barroso pour son discours devant cette Assemblée. Je n’entrerai pas dans les détails, mais j’aimerais me concentrer sur une question que j’estime être d’une grande importance, et peut-être même de la plus haute importance, sur le plan politique.
Deux forums se sont tenus, l’un économique dans la riche ville de Davos, et l’autre social dans la ville pauvre de Porto Alegre. Ce qui est inquiétant, c’est que le forum économique n’a pas accordé assez d’attention aux questions sociales et que le forum «social» devient un moyen de mettre en question, voire de contester, le forum économique. La recherche de solutions aux problèmes modernes laisse entrevoir deux approches. La première implique la recherche de moyens pour développer l’économie, tandis que la seconde implique la recherche de moyens pour assurer l’atteinte des objectifs sociaux, bien que ces deux questions soient intimement liées. Tenir un débat distinct sur les questions économiques, d’une part, et sociales, d’autre part, est une énorme méprise. Je pense dès lors qu’à l’avenir, au lieu d’avoir deux initiatives mondiales se faisant concurrence, il devrait y avoir un seul et unique forum social et économique mondial. C’est là que l’Union européenne, et plus particulièrement le Parlement européen et la Commission européenne, peut jouer un rôle en appelant à un tel forum à l’avenir. Merci de votre attention.
Schlyter (Verts/ALE). - (SV) Monsieur le Président, Monsieur le Président Barroso, si vous devez enfreindre les directives sur le temps de travail, vous pouvez vous consoler à la pensée que c’est, en tous les cas, avec les meilleures intentions du monde, à savoir débattre de la justice internationale et du rôle de la société civile.
À Porto Alegre, j’étais l’un des 155 000 délégués de 135 pays. Au même moment, 20 chefs d’État et 70 ministres se réunissaient à Davos. Mais a-t-on écouté quoi que ce soit, à Davos? Peut-être que d’un point de vue européen et théorique, il est possible de croire que le libre-échange, le capitalisme et la libéralisation constituent la solution aux problèmes de développement.
La théorie n’est toutefois pas cohérente avec le quotidien de millions de personnes, et il serait temps que nous commencions à adapter les théories à la réalité, et non l’inverse. Il serait temps que le commerce devienne un outil au service de l’être humain, et non l’inverse. Nous devons arrêter d’exiger la libéralisation de l’eau et d’autres secteurs sensibles en échange d’un traitement correct des pays.
Monsieur le Président Barroso, quand vous rencontrerez le président Bush et les chefs de gouvernement européens, vous pourrez leur rappeler leur promesse vieille de 30 ans de consacrer 0,7% à l’aide. Cette aide ne serait même pas nécessaire si davantage de bénéfices issus de la production dans les pays en développement restaient dans ces pays.
Vous êtes cordialement invité à assister au prochain Forum social mondial, qui se tiendra dans un pays d’Afrique. Je peux vous prêter quelques vêtements issus du commerce équitable fabriqués dans des tissus écologiques, pour qu’un jour vous puissiez y participer incognito, en tant que simple délégué, et véritablement vous imprégner de l’ambiance qui y règne, sans être gêné par des gardes de sécurité. C’est précisément cette joie et cet esprit de coopération sans structure hiérarchique qui règnent entre tous les participants au Forum social mondial qui donnent espoir en l’avenir.
Karas (PPE-DE). - (DE) Monsieur le Président de la Commission, Mesdames et Messieurs, il est regrettable de constater que le point commun entre notre premier débat d’aujourd’hui et celui qui nous occupe maintenant est qu’ils semblent tous deux davantage dominés par la confrontation que par la coopération. J’aimerais voir la fusion entre le Forum économique mondial et le Forum social mondial, afin que nous puissions discuter les uns avec les autres et non les uns des autres.
Bien que vous ayez dit, Monsieur le Président de la Commission, que l’UE est un acteur mondial, je pense que nous devons encore devenir un acteur mondial plutôt qu’un payeur mondial. Demain marquera une étape importante dans ce processus, et je vous souhaite bonne chance. On a besoin de l’UE, qui porte une responsabilité dans le domaine. Nous assumons une part de responsabilité tout en dépendant des autres; nous créons les événements et sommes affectés par eux. Notre façon d’envisager les libertés fondamentales et les droits de l’homme, notre rejet de la peine de mort, du travail des enfants et des discriminations de tous ordres, notre conception du sens de l’humanité ne connaissent pas de frontières, qu’elles soient étatiques ou continentales, et c’est dans ce sens que nous sommes également responsables de ce qui se passe dans le reste du monde.
La réponse à la mondialisation ne doit pas venir que de l’Europe; ce qu’il faut, c’est un débat sur un modèle d’ordre mondial. Nous avons besoin d’un code d’éthique mondial et de principes d’action mondiaux, en dépit de l’existence de différentes cultures. Je pense dès lors que nous devrions nous exprimer en faveur du multilatéralisme, que nous devrions soutenir l’initiative d’un Plan Marshall à l’échelle mondiale, que l’UE devrait tenir une conférence aux Nations unies, et que cette Assemblée devrait demander aux Églises du monde entier de convoquer une conférence œcuménique internationale et de convenir de principes d’action communs. Selon nous, le modèle européen d’une économie de marché sociale et respectueuse de l’environnement pourrait devenir la signature de l’UE au niveau mondial, et que cela nous permettrait de contribuer à changer les règles injustes qui gouvernent actuellement l’économie mondiale.
(Applaudissements)
Ford (PSE). - (EN) Monsieur le Président, à l’origine, le Forum social mondial était destiné à contrebalancer le Forum économique mondial de Davos, pour essayer de faire figurer les questions sociales à l’agenda de la mondialisation. Lors de la dernière rencontre, la cinquième du genre, plus de 150 000 participants venus de 150 pays étaient présents et, lors des centaines de réunions, des représentants du FMI et de la Banque mondiale ont pour la première fois fait face à leurs critiques.
Ces deux institutions sont accusées d’imposer un fondamentalisme économique néoconservateur aux pays les plus pauvres du monde. L’aide comporte en elle la pilule empoisonnée de la conditionnalité qui impose l’ouverture des marchés à la privatisation du patrimoine de l’État et la camisole de force des politiques monétaristes. Cette approche défie la réalité. Ces institutions ont un défi à un relever: citer un pays à l’économie faible qui s’est ouvert et est parvenu à développer son économie.
Les deux dernières réussites dont on chante les louanges sont l’Inde et la Chine, dont aucune n’a suivi leurs prescriptions. Ces deux pays ont protégé leurs jeunes industries florissantes jusqu’à ce qu’elles soient capables de faire leur entrée sur le marché mondial. Mais même l’Inde fait face à des difficultés. Son économie est en plein essor, mais la situation des pauvres y est pitoyable. En 2003, 11 000 personnes sont devenues millionnaires en Inde, alors que 8 millions d’habitants étaient sans emploi et 50 millions vivaient avec moins d’un dollar par jour.
Que faire? Dans les 10 prochaines années, 45 millions d’enfants mourront de maladies liées à la pauvreté, le SIDA fera 12 millions d’orphelins en Afrique et 100 millions d’enfants resteront totalement illettrés. La Banque mondiale soutient qu’elle ne fait que mettre en œuvre les souhaits des 147 États qui la possèdent - un tour de passe-passe verbal. Les pays africains ne s’imposent pas la conditionnalité à eux-mêmes, pas plus que les pays d’Amérique latine. Ce sont les pays industrialisés du G8 qui prennent les décisions, souvent guidées par leurs agendas intéressés.
Cela dit, le fait que le FMI et la Banque mondiale participent désormais au débat, même s’ils ne joignent pas le geste à la parole, laisse penser que la pression exercée par la société civile peut avoir un impact. La Banque mondiale inclut maintenant dans ses projets des programmes de réduction de la pauvreté et s’inquiète de voir des pays tels que la Tanzanie dépenser plus d’argent au remboursement de la dette qu’à la santé ou à l’éducation.
La Chine et l’Inde peuvent faire inscrire ces questions à l’agenda et le fait que l’Union européenne ait plus de voix au FMI que les États-Unis suggère que le slogan du Forum social mondial «Un autre monde est possible» est réalisable: avec suffisamment de volonté et d’engagement politique. C’est aux ONG et à la société civile de donner aux responsables politiques européens le courage nécessaire.
Maaten (ALDE). - (NL) Monsieur le Président, qu’ils se soient réunis avec les montagnes suisses ou la côte brésilienne en toile de fond, je suis convaincu que tous les participants aux conférences de Davos et de Porto Alegre étaient unis dans le même but d’aborder les questions de la pauvreté et du développement économique. Il est dès lors particulièrement réjouissant de voir que l’importance cruciale de la libéralisation du commerce mondial a été reconnue, tant à Davos qu’à Porto Alegre. La croissance économique est la pierre angulaire du développement des pays en développement, qu’il soit question des changements climatiques ou de l’assurance d’une bonne éducation. Il en découle que je ne peux suffisamment insister sur la réussite obligatoire du prochain cycle de Doha, ni sur le rôle crucial que la Commission et les États membres doivent y jouer. Quiconque parle sérieusement de l’aide aux pays en développement doit être conscient des problèmes dans son propre pays. Les obstacles tarifaires de l’Europe constituent, à mon sens, un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Outre les points positifs, certains points négatifs doivent également être identifiés. Les plaidoyers pour un impôt supplémentaire sur les transactions financières internationales, la fameuse taxe Tobin, m’apparaissent assez originaux, tout comme l’impôt supplémentaire pour les multinationales. Je ne vois pas l’intérêt de ce genre de mesures. Elles attellent la charrue avant les bœufs. Ceux qui visent un commerce mondial plus libre ne devraient pas en même temps imposer de nouvelles règles.
Enfin, ceux qui prônent l’annulation inconditionnelle de la dette des pays en développement me surprennent. Mon groupe estime tout simplement inacceptable que cette annulation ne soit liée à aucune condition. Nous pensons que les pays qui travaillent activement et avec succès à la démocratie et à la bonne gouvernance doivent pouvoir compter sur notre soutien, mais que l’allègement de la dette ne doit pas être accordé sans un engagement dans ce sens. Les priorités libérales sont un commerce mondial plus libre et la mise en évidence du développement économique. Ces deux points constituent à la fois le moyen de lutter contre la pauvreté et la base d’un filet de sécurité sociale efficace et abordable. Ils nous permettent également de poursuivre une politique plus écologique. La question qui se pose est la suivante: allons-nous tous plonger dans une solidarité apathique ou allons-nous au contraire opter pour le dynamisme, l’innovation et le progrès? J’invite le président de la Commission à agir en dirigeant et à opter pour cette solution. C’est là, Monsieur le Président Barroso, un rôle politique, et nous attendons précisément de vous que vous agissiez politiquement. Je considère votre position dans les élections portugaises tout à fait justifiée et votre absence aurait d’ailleurs été interprétée comme une complète infidélité à votre héritage portugais. Je trouve votre implication tout à fait défendable et regrette seulement qu’elle n’ait pas davantage profité à votre parti.
Kauppi (PPE-DE). - (FI) Monsieur le Président, Monsieur le Président de la Commission, Mesdames et Messieurs, j’ai eu l’honneur de participer à la réunion du Forum économique mondial en tant que membre du programme Young Global Leaders. Je sais que vous-même, Monsieur Barroso, avez été Global Leader of Tomorrow («dirigeant mondial de demain») à une époque, et plusieurs députés du Parlement européen sont aujourd’hui impliqués dans ce programme pour la jeunesse.
Le Forum économique a fourni une excellente preuve que le monde des affaires veut assumer la responsabilité des défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés. Le premier jour du Forum s’est tenue une discussion interactive Global Town Hall. Il s’agissait d’un séminaire au cours duquel 700 décideurs ont établi à Davos les problèmes mondiaux prioritaires en utilisant des sondages Gallup, et ont débattu des défis que ces problèmes posaient.
Si l’on considère l’âge, le sexe, le lieu de résidence et la profession des participants, les résultats sont assez surprenants. Selon nous, quels seraient, par exemple, les plus grands défis posés par la mondialisation aux yeux des hommes âgés entre 40 et 60 ans, habitant pour la plupart l’UE ou l’Amérique du Nord, et étant pour la moitié des directeurs commerciaux? La rentabilité des entreprises, la flexibilité de l’emploi, l’augmentation du chiffre d’affaires ou le phénomène chinois? Rien de tout cela. Les plus grands défis avancés par ce groupe sont l’élimination de la pauvreté, l’établissement d’une mondialisation équitable et la gestion des changements climatiques.
La responsabilité mondiale fait un grand pas en avant à partir du moment où les hommes d’affaires de premier plan déclarent que pour éliminer la pauvreté, les gens doivent dépasser leur façon de penser habituelle, étendre les avantages de la mondialisation aux régions les plus pauvres et instaurer un directoire mondial pour lutter contre les changements climatiques. Il convient également de remarquer la réelle convergence entre les vues exprimées en Europe et en Amérique du Nord.
La mondialisation n’apparaît finalement pas comme ce facteur de discorde clamé par l’aile gauche de cette Assemblée. Ces questions viendraient en tête de l’ordre du jour si les Amis de la Terre organisaient une réunion semblable. Le Forum économique mondial a également proposé des actions concrètes ainsi qu’un calendrier pour répondre à ces défis. Je suis certaine qu’il existe également des initiatives du Forum social mondial à propos desquelles nous sommes du même avis. Les objectifs étant communs aux deux Forums, il serait plus intelligent d’essayer de les atteindre ensemble que séparément. Nous soutenons pleinement la Commission sur ce point.
Arif (PSE). - Monsieur le Président, Monsieur le Président de la Commission, chers collègues, un certain nombre d’entre nous ont été présents il y quelques jours à Porto Alegre, soit dans le cadre de responsabilités nationales, soit de manière plus importante me semble-t-il, dans le cadre du Forum parlementaire mondial. Je veux donc en premier lieu remercier mes collègues présents à Porto Alegre, et en particulier mon ami Harlem Désir, pour le travail effectué depuis des années et qui permet à l’Europe d’être présente à ce grand rendez-vous citoyen.
L’essoufflement de ce mouvement était une crainte partagée par nombre de commentateurs et d’acteurs. Tel ne fut pas le cas. Le mouvement altermondialiste a su réorienter son action et définir une nouvelle méthode d’organisation qui a conduit ce Forum social mondial à ne plus être seulement un lieu de revendications, mais aussi un lieu de propositions. D’ailleurs, le fait que le Forum économique de Davos soit saisi de certains thèmes évoqués dans les forums sociaux mondiaux est la preuve que les questions qui y sont posées nous interrogent tous pour savoir quel monde nous voulons.
Mais ni le Forum social mondial, ni le Forum économique de Davos ne sont des acteurs politiques capables de transformer seuls des revendications en décisions politiques. C’est pourquoi une instance comme le Parlement européen se doit d’être un relais et un appui puissant d’un certain nombre d’axes tels que l’annulation de la dette des pays pauvres, l’augmentation et l’amélioration de l’aide publique au développement, la mise en place d’une taxe mondiale, la réforme des règles du commerce international, la lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, la défense des services publics.
Des initiatives ont déjà été prises par un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement. D’autres propositions devront être faites au G8. En cette année 2005, qui sera celle de la révision à tiers parcours de la mise en œuvre des objectifs du Millénaire lancés par les Nations unies, tout ceci est une bonne chose pour autant que ce ne soit pas à nouveau des promesses sans lendemain. C’est pourquoi une campagne de mobilisation et d’interpellation est portée cette année par plus de 100 organisations, ONG, associations et syndicats, sur un plan mondial et européen. Elle s’articulera autour du thème du commerce de la pauvreté en particulier, et parmi les nombreuses initiatives, un premier point d’orgue en avril prochain sera une semaine d’action mondiale pour un commerce plus juste.
Au rythme où vont les choses, nous savons déjà que les objectifs du Millénaire ne seront pas atteints. Il nous appartient donc de faire tenir les promesses faites par les uns et les autres, depuis déjà bien longtemps, en soutenant ces initiatives et cette campagne mondiale contre la pauvreté pour affirmer et démontrer notre volonté de mieux partager les richesses, dans un monde démocratique et en paix. Des politiques ont déçu. Ils peuvent encore décevoir, mais en aucun cas, ils ne doivent se couper de l’idée qu’ils doivent eux-mêmes se battre pour un monde plus juste, et traduire cette idée en actes.
Barroso,président de la Commission. - (PT) Monsieur le Président, j’ai trouvé ce débat sur ces questions primordiales à notre avenir commun très intéressant. Vos interventions, Mesdames et Messieurs, ont confirmé la richesse du débat et prouvé l’étendue de la palette d’opinions sur le sujet de la mondialisation.
J’aimerais à ce stade souligner un point qui a, je pense, déjà été évoqué par M. Désir concernant le fait qu’un certain degré de convergence se profile envers et contre tout, s’agissant de la mondialisation. Il a semblé dans un premier temps se profiler deux positions extrêmes: l’une qui consistait à ne voir que l’aspect négatif de la mondialisation et l’autre, initialement exprimée à Porto Alegre, qui ressemblait à un rejet total de la mondialisation.
Ce que nous observons aujourd’hui - ce qui apparaît clairement - c’est qu’au Forum de Davos, un certain effort a été fait sur le plan de la responsabilité sociale des entreprises et que l’on attache de plus en plus d’importance à un programme de gouvernement ou de gouvernance à l’échelle mondiale. Certaines des préoccupations exprimées par d’innombrables organisations non gouvernementales et protagonistes du mouvement qui, à l’origine, se considérait même comme altermondialiste sont désormais prises en considération.
Bon nombre des personnes ayant initialement adhéré au mouvement altermondialiste ont vite compris que la mondialisation était inévitable. La mondialisation d’aujourd’hui n’est pas le résultat d’une décision prise par un pays ou un groupe de pays, et n’est pas non plus le fruit d’une conspiration d’un groupe d’entreprises. La mondialisation d’aujourd’hui est beaucoup plus liée aux tendances du commerce international et, en particulier, à la révolution technologique, qu’aucun gouvernement ne contrôle réellement. Dès lors, plutôt que de se contenter de protester contre la mondialisation, bon nombre de ces acteurs et protagonistes ont préféré, à raison selon moi, chercher une forme alternative de mondialisation, et essayer d’intégrer certaines de leurs préoccupations dans la mondialisation. Telle est notre position. Je m’en réjouis, parce que j’estime que nous avons des choses à apprendre de Davos et de Porto Alegre, même si certaines des propositions faites en ces deux endroits ne peuvent être prises au sérieux. Il y a toutefois des leçons à tirer des deux processus.
En ce qui concerne l’Europe et la Commission, que puis-je vous dire? Nous devons, je pense, travailler sur des questions concrètes, tant d’un point de vue interne qu’externe. D’un point de vue interne, sommes-nous partisans de la cohésion ou non? Je suis partisan de la cohésion, et la Commission est partisane de la cohésion - économique, sociale et territoriale. J’en appelle dès lors à vous, Mesdames et Messieurs, pour m’aider et pour aider la Commission à faire en sorte que tous les gouvernements de l’UE soient eux aussi favorables à la cohésion et prêts à apporter leur aide dans, par exemple, les perspectives financières dont nous avons débattu, car la pauvreté ne touche pas seulement les pays de l’hémisphère Sud, mais aussi l’Europe. L’Europe d’aujourd’hui présente de plus grandes disparités que jamais - et ceci est particulièrement vrai dans l’Europe de l’après-élargissement. L’Europe a besoin de programmes plus poussés pour lutter contre l’exclusion sociale. Par conséquent, si nous voulons mener un débat cohérent sur la question de la cohésion, nous devons commencer par essayer de mettre en œuvre la cohésion-- économique, sociale et territoriale - ici, en Europe, ce qui s’inscrit dans une approche accélérée et capitale pour l’Union.
Ensuite, il y a la perspective externe: que peuvent faire la Commission et l’UE sur la scène extérieure? Dans ce contexte, il y a, je pense, deux domaines qui ne doivent pas être vus comme incompatibles ou contradictoires, à savoir le commerce international et l’aide au développement. J’ai entendu certaines remarques contre le commerce international, au motif qu’il est, dans une certaine mesure, l’incarnation du modèle néolibéral. Permettez-moi de vous répéter encore que, lors de mes entretiens avec les dirigeants des pays en développement, la première demande de presque chacun d’entre eux concerne le commerce - ils veulent un plus grand accès aux marchés des pays plus développés - et nous devons donc également aider ces pays sur ce plan. On ne peut dès lors pas dire que le commerce et l’aide sont irrémédiablement incompatibles. Il me semble évident que nous pouvons et devons faire davantage dans ces deux domaines pour les pays en développement. Mais nous pouvons également leur demander plus, car, puisque l’UE et les États membres de l’UE consacrent des sommes considérables à l’aide - l’UE est le plus grand donateur au monde en matière d’aide au développement -, nous avons aussi le droit d’exiger une bonne gouvernance de la part de ces pays, et nous voulons savoir si l’argent que nous leur donnons est utilisé à bon escient et dans les règles et si les réformes visant à mieux intégrer ces pays dans le commerce international sont bel et bien exécutées. Voilà une autre responsabilité partagée.
Permettez-moi de vous dire que la Commission veut aller plus loin. Nous voulons apporter une contribution plus ambitieuse à l’atteinte des objectifs du millénaire. Dans l’état actuel des choses, il est évident que nous sommes limités par les ressources disponibles. Nous avons dès lors l’intention de continuer à collaborer avec les États membres et avec le Parlement afin d’établir un programme plus ambitieux dans le domaine de l’aide au développement, en plaçant avant tout l’Afrique en tête de nos priorités, car l’Afrique est confrontée à des problèmes structurels que d’autres régions ont, dans une certaine mesure, déjà surmontés, essentiellement grâce à leur meilleure intégration dans le commerce international. Je tiens à vous assurer que la Commission et moi-même aimerions voir une attitude plus décisive et un plus grand engagement dans les objectifs de la mondialisation, d’une mondialisation plus équitable dans laquelle l’UE doit jouer un rôle prédominant pour encourager une gestion plus responsable des ressources de notre planète et pour créer une société plus équitable à l’échelle mondiale.
Telles sont nos valeurs, et nous sommes prêts à nous battre pour elles.
Le Président. - Six propositions de résolutions ont été déposées, sur la base de l’article 103 du règlement, en conclusion du débat.