14. Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL): Affaire «Charles Taylor»
Le Président. - L’ordre du jour appelle le débat relatif aux six propositions de résolution sur le Tribunal spécial pour la Sierra Leone: Affaire «Charles Taylor»(1).
Meijer (GUE/NGL). - (NL) Monsieur le Président, le Liberia et la Sierra Leone, des pays dont les élites sociales étaient auparavant très influencés par les traditions américaines et européennes, ont désormais transposé les aspects les plus primitifs de l’histoire africaine. Nous pouvons tenir pour certain que le chaos et la régression vers les anciennes coutumes sont dus à la longue discrimination à l’encontre de la population, qui est pauvre, non instruite et moins urbaine.
Ils se rebellent contre les habitants anglophones du littoral, qu’ils considèrent comme des coloniaux. C’est ce qui se passe au Liberia, créé au XIXe siècle en tant que colonie dans laquelle les esclaves libérés d’Amérique pouvaient retourner à leurs racines africaines. Un groupe gérait les terres, tandis que les autres se considéraient comme des maîtres coloniaux, dans la droite ligne des Européens dans d’autres pays africains.
Il est significatif que les actuelles frontières de tous les pays africains aient été tracées par des puissances coloniales étrangères. Des groupes qui auraient dû rester unis en vertu d’une langue et d’une culture communes se sont trouvés séparés. Des groupes qui avaient très peu de choses en commun ont été rassemblés au sein d’un État fédéré unique. M. Posselt a lui aussi attiré l’attention sur ce point durant la discussion d’aujourd’hui consacrée au Togo.
Les aventuriers et les profiteurs, qui se servent des enfants drogués pour commettre des assassinats et utilisent les têtes des victimes qu’ils ont tuées comme trophées, terrorisent ceux qu’ils ne peuvent pas contrôler. Je pourrais ajouter à cela que les Américains ont largement participé à former Charles Taylor en tant que Président et à l’installer au pouvoir, après quoi il est devenu très difficile de se débarrasser de lui. Ce qui est encore plus important, c’est qu’après la mise à l’écart d’une personne, les groupes en question, qui sont retournés à la vie primitive, devraient se voir offrir la possibilité de devenir un peuple du XXIe siècle à part entière.
Je recommanderais de ne pas mettre tous nos espoirs dans l’influence du Nigeria. Le Nigeria est certes une grande puissance de cette région, mais il a aussi une tradition de conflits internes, de coups d’État et de dictatures, même si, fort heureusement, les choses se sont améliorées récemment. Les problèmes du Liberia et de la Sierra Leone ne seront pas résolus à long terme sans une participation égale de toutes les catégories de leurs habitants.
Deva (PPE-DE). - (EN) Monsieur le Président, la Sierra Leone, le Nigeria et le Liberia sont tous les trois membres de l’ACP et signataires de l’accord de Cotonou. Cet accord garantit la bonne gouvernance. Toutefois, la Sierra Leone est classée comme le pays le moins avancé du monde. Malheureusement, les critères établis par l’accord de Cotonou comme étant essentiels au développement durable pourraient aussi être utilisés comme une liste de ce qui manque le plus à la Sierra Leone.
En janvier 2002, la guerre civile qui faisait rage en Sierra Leone a pris fin après une décennie. Ce conflit a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes et a conduit au déplacement de millions d’autres. Charles Ghankay Taylor, l’ancien président du Liberia, a récemment été accusé par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour avoir soutenu activement le Front révolutionnaire uni, responsable d’innombrables atrocités en Sierra Leone.
D’après Amnesty International, Taylor s’est rendu coupable du meurtre systématique de civils, d’amputations, de viols, d’abus sexuels, de l’utilisation d’enfants-soldats, de rapts et de travail forcé. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, créé par la communauté internationale et soutenu par l’UE avec un montant de 800 000 euros l’année dernière, a accusé Taylor de 17 chefs d’accusation: crimes de guerre, crimes contre l’humanité et autres violations graves du droit humanitaire international. Le Nigeria a malgré tout accordé l’asile à Taylor. Le droit international réclame maintenant à grands cris que les personnes suspectées d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité fassent l’objet d’une enquête et soient traduits en justice.
En vertu de la Convention de Genève de 1949, les autorités nigérianes sont tenues d’arrêter Taylor et de le livrer au Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Aucune base juridique ne justifie que Taylor soit protégé par le président Obasanjo du Nigeria. Toutefois, si Taylor reste au Nigeria, il y a peu de chances que cet homme accusé de crimes odieux soit un jour jugé. De plus, s’il cherche asile dans un autre pays ACP, nous devons faire peser tout le poids de l’accord de Cotonou sur ce pays.
Kusstatscher (Verts/ALE). - (DE) Le discours passionné du précédent orateur et la proposition de résolution que nous avons devant nous, accompagnée de ses justifications, et que tous les groupes politiques de cette Assemblée soutiennent, sont la preuve qu’il est nécessaire d’agir de toute urgence. Ceux d’entre nous qui vivent dans des pays prospères n’ont aucune idée de ce qui se passe dans de nombreux États africains. Immédiatement après avoir obtenu une prétendue liberté, mettant fin à des siècles d’exploitation coloniale, de nombreux pays ont subi une tyrannie de la pire espèce, par exemple dans le cas du Liberia sous Charles Taylor.
Nous ne pouvons pas rester indifférents à la longue liste de crimes dont un Tribunal spécial de Sierra Leone a reconnu Charles Taylor coupable en 2003, et nous devons accomplir tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer que ce criminel soit remis aux tribunaux, lui qui, en exil, persiste dans ses tentatives de déstabilisation du Liberia et de ses pays voisins. Je soutiens toutes les initiatives auxquelles cette Assemblée appelle, mais c’est avec préoccupation que je note que ni les Nations unies, ni le Conseil de sécurité des Nations unies, ni aucun d’entre nous ne possède nulle part l’autorité que la paix mondiale réclame à grands cris. Le droit international et les droits de l’homme exigent que toutes les personnes de bonne volonté surmontent leur indifférence et que l’on fasse fait appel à tous les moyens possibles pour trouver des solutions plus justes et plus pacifiques. Je tiens à remercier tous ceux et toutes celles qui, dans cette Assemblée, ont travaillé à cette proposition de résolution.
Maaten (ALDE). - (NL) Monsieur le Président, Charles Taylor, en tant que Président du Liberia, s’est rendu coupable de graves crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Il a activement soutenu les groupes d’opposition armés en Sierra Leone dans leurs atrocités, telles que les assassinats, les mutilations, les viols et l’enrôlement d’enfants soldats. Sous son «règne», le Liberia a payé un lourd tribut à la violence et aux abus de pouvoir, tous à l’origine d’une grande souffrance humaine, qui ne doit pas rester impunie. Il convient d’amener le Nigeria à livrer Charles Taylor au tribunal de la Sierra Leone, un devoir vis-à-vis des innombrables victimes et survivants au Liberia et ailleurs, et pour apporter de la sorte la paix à l’Afrique de l’Ouest. L’Union européenne œuvre en faveur de la paix, de la sécurité, de la stabilité, du respect des droits de l’homme et des principes démocratiques. Nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait que Charles Taylor reste en liberté au Nigeria, où il est encore en mesure de manipuler le processus de paix dans la région. Le Nigeria a non seulement l’obligation morale de livrer Charles Taylor au tribunal, mais il en a également l’obligation en vertu du droit international. Entre autres choses, l’ordre juridique international, sous la forme des Conventions de Genève, dispose que les crimes de guerre doivent être punis à tout moment. Cette règle du droit international garantit que les États s’abstiennent d’offrir leur protection à ce genre de malfaiteurs. Le Nigeria devra extrader Charles Taylor pour le livrer au tribunal de la Sierra Leone, afin qu’il puisse y être jugé.
Tannock (PPE-DE), au nom du groupe. - (EN) Monsieur le Président, l’Afrique est depuis trop longtemps déchirée par des guerres civiles, la faim, la mauvaise gestion économique et une corruption galopante. Aujourd’hui, elle commence enfin à mettre de l’ordre dans ses affaires, avec des blocs régionaux et des institutions supranationales à l’échelle continentale, engagées à respecter le droit international en matière des droits de l’homme, telles que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine.
Charles Taylor, en tant qu’ancien seigneur de guerre, a dirigé le Liberia entre 1997 et 2003 avec brutalité, tel un dictateur sanguinaire, approuvant le viol et les exécutions sommaires à la fin des 14 années de guerre civile traversées par le pays. Il a cependant été poussé à l’exil dans le cadre d’un accord de paix conclu par la médiation du Nigeria. Au cours du règne de Taylor, la CEDEAO a pris des sanctions contre le Liberia à cause des abus qu’il a commis. Alors qu’il était au pouvoir, il a soutenu le Front révolutionnaire uni de la Sierra Leone voisine. Ce Front a renversé le président Kabbah en 1997, en alliance avec des soldats rebelles. Il a causé des ravages dans le pays depuis 1991, massacré sauvagement des dizaines de milliers de civils et utilisé des enfants-soldats.
Le Tribunal pour crimes de guerre à Freetown, en Sierra Leone, est un hybride de justice nationale et internationale, accepté par toutes les parties et soutenu par les Nations unies. Il a pour ambition d’être un modèle pour d’autres tribunaux de guerre non mandatés au titre du chapitre VII des résolutions de l’ONU. Taylor a été accusé de crimes de guerre par ce tribunal en 2003, mais le Nigeria refuse de l’extrader, prétextant qu’il bénéficie de l’immunité souveraine et de l’accord d’asile qu’ils ont conclu.
FOCUS, un groupe de défense des droits de l’enfant, réclame aujourd’hui que Taylor soit livré à la justice de la Sierra Leone. Il l’accuse de l’amputation des membres de milliers de femmes et d’enfants en Sierra Leone et d’avoir ordonnée des rafles sanglantes en Guinée voisine. Nous savons désormais que l’immunité souveraine ne s’applique plus aux crimes de guerre, mais le groupe a également fait remarquer que Taylor avait violé les conditions de son asile par son ingérence dans les affaires politiques du Liberia en vue des élections prévues dans ce pays pour octobre et en finançant des partis biens disposés à son égard avec l’argent obtenu de façon malhonnête lorsqu’il était au pouvoir, grâce au commerce de diamants. Il espère vraisemblablement qu’un changement de gouvernement lui permettra de retourner dans son pays.
Le président Obasanjo du Nigeria est actuellement président de l’Union africaine, et son pays doit montrer l’exemple à la communauté internationale et mettre un terme à l’impunité de tyrans sanguinaires en livrant Taylor à la justice.
Matsakis (ALDE), au nom du groupe. - (EN) Monsieur le Président, Charles Taylor, ancien seigneur de guerre et président du Liberia, est accusé d’être responsable de graves violations des droits de l’homme, y compris de milliers de meurtres, de tortures généralisées, de déplacements en masse de civils par la force et de l’effondrement de structures sociales et économiques, au cours des dix années de sa présidence du Liberia.
En juillet 2003, Taylor a fui le pays et accepté l’offre d’asile du gouvernement nigérian. En mars 2003, Charles Taylor a été accusé par le procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone de 17 chefs d’accusation liés à des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, notamment de meurtres, de mutilations, de viols, d’esclavage sexuel et de recrutement d’enfants-soldats.
Le fait que cet auteur de massacres présumé bénéficie encore de l’asile au Nigeria est une insulte au droit international et un affront à la dignité humaine. Le gouvernement nigérian a non seulement un devoir envers l’humanité, mais aussi l’obligation, au titre de la Convention de Genève, qu’il a ratifiée, de livrer immédiatement le tristement célèbre Taylor au Tribunal spécial pour la Sierra Leone afin qu’il soit jugé et, s’il est reconnu coupable, qu’il soit puni en conséquence. Si le Nigeria refuse de le faire, il devra faire face - et fera face -, à juste titre, à de lourdes mesures de représailles de l’UE et de la communauté internationale dans son ensemble. Nous devons nous poser une question: pourquoi a-t-il fallu 14 années de domination de Taylor au Liberia, ce qui lui a donné le temps de perpétrer toutes ces atrocités, avant que nous décidions de prendre des mesures décisives?
(Applaudissements)
Coveney (PPE-DE). - (EN) Monsieur le Président, je me réjouis de cette brève occasion qui m’est donnée de soutenir fermement cette résolution. Le facteur qui contribue le plus à l’assimilation des violations des droits de l’homme actuelles et futures à des crimes de guerre est peut-être le fait que, par le passé, certains détenteurs de pouvoir ont pu agir en toute impunité, sans craindre d’être poursuivis ou jugés au titre du droit international.
C’est tout particulièrement le cas sur le continent africain. Cette résolution met en évidence une affaire très controversée dans la lutte nécessaire menée par la communauté internationale pour mettre un terme au fléau des personnes violant les droits de l’homme en toute impunité, partout dans le monde.
Le 7 mars 2003, Charles Taylor a été accusé par le procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone de 17 chefs d’accusation de crimes contre l’humanité, qui comprennent la mutilation, le viol, l’esclavage sexuel et le recrutement d’enfants-soldats - de graves violations des droits de l’homme contre lesquelles le Parlement et l’UE s’efforcent de lutter activement.
Charles Taylor bénéficie de la protection et de l’asile que lui offre actuellement le Nigeria, en dépit du fait que le Nigeria ait ratifié la Convention de Genève, qui dispose que les auteurs de crimes de guerre ne peuvent bénéficier du statut de réfugiés. J’encourage le Conseil, la Commission et les Nations unies à agir et à prendre cette résolution au sérieux.
(Applaudissements)
Reding,membre de laCommission. - (EN) Monsieur le Président, la résolution qui se trouve devant cette Assemblée résume très bien le parcours de cette question. Charles Taylor est accusé de crimes odieux, notamment d’exterminations, de meurtres, de viols, d’asservissement, d’actes inhumains et de crimes contre l’humanité.
Cette résolution reconnaît également l’importance du processus de pacification dans la région, un processus dirigé et mis en œuvre par des pays et des organisations africaines. Comme il a plusieurs fois été dit dans cette Assemblée, il est très important que les pays africains se chargent eux-mêmes de faire le ménage sur le continent.
Les crimes dont Charles Taylor est accusé sont terribles et ont conduit Interpol à ajouter son nom à la liste des criminels les plus recherchés du monde. Le fait que Taylor défie l’accusation du Tribunal spécial pour cause d’immunité présidentielle est une insulte aux victimes des atrocités. L’ingérence supposée de Taylor dans la vie économique et politique du Liberia, et son désir ouvertement exprimé de retourner dans son pays, représentent une menace à la poursuite de l’instauration de la paix au Liberia et au processus électoral de cette année.
La non-exécution du mandat d’arrêt émis par le Tribunal spécial sape la légitimité de celui-ci. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, contrairement aux tribunaux internationaux pour la Yougoslavie et le Rwanda, n’est pas mandaté au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui exige des États membres de l’ONU qu’ils respectent les ordonnances des tribunaux. L’attitude coopérative de tous les pays hébergeant des criminels est dès lors indispensable afin que le Tribunal spécial puisse bien faire son travail.
La Commission soutient officiellement les efforts déployés par l’Union européenne pour garantir que Taylor sera livré au Tribunal. La dernière initiative de l’ONU date de la réunion à haut niveau de la troïka avec le Nigeria en décembre. La position du Nigeria était la suivante, je cite: «Il ne peut y avoir d’impunité pour Taylor. Toutefois, il est actuellement l’invité du gouvernement nigérian et il sera livré au premier gouvernement libérien démocratiquement élu qui réclamera son extradition».
La Commission estime que l’UE doit maintenir la pression. Nous devons souligner clairement qu’à un moment ou à un autre - et nous espérons que ce moment n’est pas trop lointain -, Charles Taylor devra être jugé. Il est également capital que des initiatives efficaces soient prises au Nigeria comme ailleurs afin d’empêcher Taylor de continuer à s’immiscer dans les affaires du Liberia et de déstabiliser d’autres pays dans la région.