Le Président. - Mesdames et Messieurs, c’est la première fois que je préside la séance et je voudrais profiter de cette occasion pour remercier les membres de cette Assemblée de la confiance dont ils m’ont investi.
L’ordre du jour appelle la question orale à la Commission de M. Wurtz, au nom de groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique, M. Désir, au nom du groupe socialiste au Parlement européen, et Mme Flautre, au nom du groupe des Verts/alliance libre européenne, sur les licenciements chez Alstom.
Henin (GUE/NGL), auteur suppléant. - Monsieur le Président, cette affaire Alstom Power Boiler nous met tous au pied du mur par rapport à notre engagement de construire une Europe du plein emploi, possédant une industrie forte à la technologie avancée, une Europe soucieuse de l’environnement, une Europe émancipée de la domination technologique et financière américaine.
De quoi s’agit-il? D’une entité membre du groupe Alstom, dont les capacités de créativité, de recherche et de production sont implantées en Europe - 250 salariés en France, à Vélizy, 300 salariés en Allemagne, à Stuttgart, une série d’établissements en Tchéquie, au Portugal et en Pologne - et dont le siège décisionnel se trouve aux États-Unis, dans le Connecticut. Le savoir-faire de cette entreprise réside dans la fabrication de chaudières pour la production de vapeur et d’électricité. Elle est leader mondial pour la production à charbon propre et développe de nouvelles technologies de capture du CO2. Avec la mise en œuvre du protocole de Kyoto et la nécessité de diversifier les sources d’énergie, il est évident que de telles technologies ont un énorme potentiel. Or, pour d’obscures raisons, la direction d’Alstom a décidé de transférer le savoir-faire européen aux États-Unis et de diviser par cinq les effectifs de Vélizy et par deux ceux de Stuttgart, avec comme objectif probable la fermeture à terme des principaux sites européens. Le prétexte à cette vampirisation du savoir-faire européen étant une pseudo-étude menée - c’est un hasard - par les Américains, annonçant, sur quatre ans, une réduction prévisible du marché d’un tiers.
À l’instar des salariés de Power Boiler, on ne peut que douter du sérieux de cette étude, surtout quand on connaît les besoins gigantesques en la matière qui émergent dans le monde entier. Mais ne dit-on pas dans mon pays que lorsqu’on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage? Absence réelle de stratégie industrielle à long terme, recherche frénétique de profits immédiats, voilà ce qui caractérise le groupe Alstom depuis sa privatisation. La Commission, comme d’ailleurs le gouvernement français, ont également une part de responsabilité.
Heureusement, les salariés des sites européens concernés, soutenus par leurs syndicats, n’ont pas baissé les bras. Les salariés de Vélizy ont notamment conçu un contre-projet s’articulant autour de la sortie de l’entreprise du groupe Alstom pour un prix de vente de l’ordre de l’euro symbolique, la création d’une société anonyme européenne regroupant les sites de Vélizy et de Stuttgart et préservant les établissements implantés en Tchéquie, en Pologne et au Portugal. Ce projet s’appuie sur la participation volontaire des salariés. Il a l’avantage de s’intégrer dans les demandes du 7 juillet 2004 formulées par la Commission européenne à l’égard d’Alstom au sujet de la cession d’actifs, l’objectif étant de préserver et de développer l’emploi et le potentiel technologique européen face aux États-Unis. C’est une coopération entre salariés européens qui est à l’avant-garde de l’application du droit européen en débouchant sur la création d’une société anonyme européenne. Mais il faut faire vite, les propriétés intellectuelles de l’entreprise sont en passe d’être transférées aux États-Unis et en Suisse et la direction générale d’Alstom s’emploie à mettre la société en difficulté financière.
Si, mes chers collègues, nous sommes attachés au développement de l’industrie et de l’emploi, il nous faut tout faire pour soutenir cette initiative. Certes, la directive sur les sociétés anonymes européennes et le règlement sur l’implication des travailleurs dans la gestion des sociétés ne sont pas encore transposés en droit français, mais il est toujours possible d’anticiper. C’est une question de volonté politique et j’attends de la Commission qu’elle manifeste cette volonté. Alors, ne décevons pas ces travailleurs menacés dans leur emploi mais si fiers de leurs réalisations techniques sans pareilles et toujours prêts à innover.
Désir (PSE), auteur. - Monsieur le Président, je me réjouis de vous voir présider votre première séance, d’autant que votre arrivée à cette fonction est liée à une excellente nouvelle pour mon groupe et pour les socialistes européens: victoire des socialistes au Portugal.
Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire, comme mon collègue, M. Henin, je suis l’un des auteurs de cette question à la Commission. En effet, il y a de cela quelques semaines, nous recevions ici même une délégation des salariés du groupe Alstom composée de représentants syndicaux à la fois allemands et français des deux sites de cette filiale spécialisée dans les chaudières. Ces travailleurs sont aujourd’hui affectés par l’annonce qui a été faite par leur direction, le 16 février 2005, de la fermeture ou, en tout cas, d’une suppression très importante des emplois et des activités, à la fois à Stuttgart et à Vélizy: 150 emplois sur 350 seraient supprimés à Stuttgart, coûte 150 sur 200 à Vélizy. Cela signifie qu’à terme, ces deux sites seraient probablement condamnés.
Or, il y a de cela quelques mois, le 7 juillet 2004, la Commission européenne a approuvé des aides octroyées par la France à Alstom sous condition stricte de cession mais dans l’objectif, non seulement de rétablir des conditions de concurrence saines, mais aussi d’assurer la pérennité de l’industrie Alstom et de ses différentes filiales. La filiale Alstom Power Boiler, c’est une société spécialisée comme cela vient d’être rappelé, dans la construction de chaudières de centrales thermiques. C’est un leader technologique européen, mais également mondial, dans plusieurs domaines et en particulier, ceux de la combustion difficile et propre et de la capture de CO2.
Du point de vue même des priorités de l’Union européenne aux termes de la stratégie de Lisbonne, dont nous avons débattu récemment, qui sont de faire en sorte que l’Europe développe ses compétences et sa technologie et devienne l’économie la plus compétitive du monde, du point de vue aussi de nos objectifs en matière de développement durable et d’énergie propre, cette société est un outil stratégique et il se trouve qu’évidemment, beaucoup d’emplois en dépendent.
C’est bien là ce qui a justifié l’accord donné par la Commission en juillet 2004 à des aides considérables: 3 milliards d’euros accordés par l’État français au groupe Alstom afin d’opérer sa restructuration. Dans sa décision finale, la Commission déclarait: «En ce qui concerne les secteurs Power Generation et Transports, les mesures de restructuration sont suffisantes pour assurer le redressement industriel. Les réductions d’effectifs prévues sont jugées proportionnelles à l’ampleur de la surcapacité qui existe dans ces industries, les estimations du coût de ces restructurations et des économies qui en découlent semblent réalistes.»
Or, aujourd’hui, la direction du groupe va au-delà des suppressions d’emplois qui étaient annoncées à cette époque, va au-delà des cessions auxquelles elle s’était engagée. Par conséquent, je crois que la Commission européenne ne peut pas se désintéresser des décisions qui viennent d’être prises par la direction du groupe Alstom. En effet, si la Commission est toujours extrêmement scrupuleuse quant au respect des règles de concurrence après que des aides ont été accordées, elle doit aussi l’être en ce qui concerne les conséquences pour l’emploi. Or, sauf à ce que je ne comprenne pas bien, Monsieur le Commissaire, il me semble que la justification ultime des aides qui sont accordées pour la restructuration d’une entreprise, c’est bien le maintien de cette activité, notamment et finalement, parce qu’elle permet de maintenir l’emploi, parce qu’elle génère tout un tas de bienfaits, des rentrées fiscales, etc., mais surtout parce qu’elle permet de maintenir l’emploi.
La Commission ne peut pas être hémiplégique, ne peut pas, après avoir accordé des aides, ne regarder que les effets sur la concurrence et le respect de la concurrence. Elle doit aussi veiller à ce que ces aides contribuent réellement au maintien de l’activité et de l’emploi dans l’ensemble des sites, dans la mesure où il a bien été examiné, au moment de l’approbation de ces aides en juillet 2004, que les suppressions d’emplois qui étaient prévues étaient suffisantes et qu’il n’est donc pas justifié d’aller au-delà. Nous comptons donc aujourd’hui sur la Commission pour veiller au maintien de l’emploi et à ce que les deux sites en question ne soient pas fermés.
Lipietz (Verts/ALE), auteur suppléant. - Monsieur le Président, je remplace ici ma collègue, Hélène Flautre, avec qui je suis ce dossier depuis cinq ans. Je crois que l’intervention de M. Harlem Désir pose le vrai problème. Cela fait des années que je disais à l’ancien commissaire Monti qu’il viendrait un jour où le travail principal de la Direction générale de la concurrence ne serait pas tellement de refuser les aides mais de voir si ces aides ont bien été utilisées.
Qu’est-ce qui autorise un pays à accorder une aide d’État en contradiction apparente avec l’article 87 du traité? C’est que l’Europe y trouve un intérêt parce que si cette aide était supprimée, des emplois seraient supprimés qui seraient irremplaçables. Une offre de savoir-faire, de travail au service des objectifs de l’Union, au service des citoyens de l’Union, au service des consommateurs de l’Union disparaîtrait.
Dans sa grande sagesse, la Direction de la concurrence et la Commission ont accordé cette aide, il y a un an, à Alstom. Il ne s’agissait pas de céder devant des pressions du gouvernement français. Il s’agissait de porter un jugement sur le fait que, en l’état où Alstom proposait de continuer à vivre, oui, ça valait le coup qu’un État lui accorde son aide. C’était bon pour l’ensemble de l’Europe. Eh bien, si ce jugement était bon il y a un an, il est toujours bon aujourd’hui. Or, Alstom est en train de faire la preuve qu’en demandant cette aide d’État, elle ne cherchait pas du tout à maintenir l’offre de technologies propres en Europe, elle ne cherchait pas à contribuer à l’objectif de plein emploi en Europe. Elle cherchait simplement à capter une aide d’État selon le principe de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes. Cela, ni à droite ni à gauche, dans l’Europe, nous ne l’acceptons.
Alors je crois que nous avons ici un exemple clé sur lequel la Commission doit bâtir sa doctrine. Si vraiment les autorisations de réaliser des aides d’État telles qu’elles sont énumérées de façon assez extensive - il y a une douzaine de cas dans l’article 87 qui est d’ailleurs maintenu dans la Constitution - fondent en quelque sorte la politique industrielle de l’Europe, c’est aujourd’hui qu’elle a à le montrer. La Commission doit dire si l’aide qui a été accordée il y a un an servait simplement à renflouer les actionnaires du groupe Alstom ou si elle servait vraiment les intérêts des populations européennes, leur avenir et notamment le respect du protocole de Kyoto.
Verheugen,vice-président de la Commission. - (DE) Monsieur le Président, je voudrais aussi commencer par vous féliciter pour votre nomination et vous souhaiter bonne chance dans l’exercice de votre mandat.
On peut - en fait, on doit - considérer la question sous deux angles: primo, sous celui de la politique industrielle; secundo, sous celui du contrôle des aides d’État. Ayant la charge de la politique industrielle, je me sens très à l’aise pour dire qu’il est de l’intérêt politique de l’Europe, non seulement de préserver, mais aussi de développer des technologies innovantes, ainsi que des entreprises et des emplois modernes en Europe. Il est essentiel pour l’Union européenne que nous maintenions une base industrielle solide en Europe, base sans laquelle nous ne serons pas en mesure de préserver notre compétitivité sur les marchés mondiaux. C’est en ayant cela à l’esprit que je vous dis, en tant que commissaire en charge de la politique industrielle en Europe, que j’aspire réellement à ce que Alstom mène à bon terme la restructuration entamée et demeure une entreprise saine, fructueuse et rentable. Voilà pour le volet industriel.
Mais tel n’est pas le thème du jour. La question porte sur le contrôle des aides d’État. Il est exact que les aides de l’État français n’auraient pu être octroyées si la Commission n’avait pas approuvé le plan de restructuration d’Alstom. La Commission l’a approuvé et a posé des conditions, tant pour le plan que pour les aides. Les honorables parlementaires ont raison de dire que la Commission a pour mission de veiller au respect de ces conditions et de s’assurer que les aides sont utilisées dans le sens approuvé par la Commission: nous vérifions que tel a bien été le cas. En particulier, la Commission avait déclaré à l’époque que l’approbation des aides dépendait de la vente de certains secteurs d’activité et de l’exécution d’une restructuration opérationnelle.
La question à laquelle il faut répondre ce soir est celle de savoir si l’actuel plan de restructuration supplémentaire va à l’encontre de la décision de la Commission. Si ledit plan ne contrevient pas aux conditions posées, c’est à la direction de l’entreprise, plutôt qu’à la Commission, qu’il revient de le mettre en œuvre; Alstom n’est pas dirigé par la Commission, mais par sa direction. Bien que j’ai été averti par les services responsables que la Commission ne dispose à ce jour d’aucun indice de violation des conditions posées à l’octroi des aides, je peux vous garantir que nous continuerons évidemment de surveiller la situation et que veillerons avec la plus grande attention à ce que les conditions soient respectées à la lettre.
Par principe, la Commission s’est engagée à rechercher, en partenariat, des solutions qui tiennent compte de tous les éléments économiques, sociaux et environnementaux. Dans sa dernière communication «Restructuration et emploi», elle envisageait explicitement la mobilisation de toutes les forces sociales en vue de mieux accompagner les restructurations, afin de parvenir à un développement durable de la concurrence et de l’emploi.
La Commission propose notamment d’organiser un suivi sectoriel et régional renforcé et de dégager des fonds spécifiquement destinés à appuyer la mise en œuvre de cette stratégie. Préserver et améliorer la capacité de l’Europe en matière d’innovation, de recherche et de développement est également d’une importance stratégique. Il y a quelques jours à peine, la Commission a présenté un programme-cadre en matière de recherche et d’innovation.
Je sais bien que nous ne disposons que d’options très limitées en matière de licenciements, et je partage vos sentiments à cet égard, mais la Commission doit s’en tenir au respect le plus strict de la législation en vigueur. Je vous ai promis d’examiner ce cas avec grande attention et de réagir s’il devait s’avérer que les conditions liées à ces aides n’ont pas été respectées.
Bachelot-Narquin, au nom du groupe PPE-DE. - Monsieur le Commissaire, mes chers collègues, la situation du groupe Alstom a suscité depuis de longs mois de grandes inquiétudes. C’est l’avenir des 25 000 salariés d’Alstom en France qui est en question. Il nous a fallu batailler ferme et notre gouvernement s’est résolument mis aux cotés des salariés d’Alstom. C’est notre ministre des finances, Nicolas Sarkozy, qui est allé négocier auprès du commissaire d’alors, Mario Monti, pour que nous puissions apporter l’aide qui sauvait Alstom. Il s’agissait bien sûr de sauver l’avenir des salariés mais aussi de préserver un fleuron de l’industrie européenne de l’énergie et des transports.
Ce soir c’est de Vélizy et de Stuttgart que nous allons parler, mais aussi de Brno en Tchéquie et de Setúbal au Portugal, ainsi que de nombreux sous-traitants dans toute l’Europe. Aujourd’hui, l’annonce de la suppression de 350 emplois, dont 200 à Vélizy chez Alstom Power Boiler, porte l’inquiétude des salariés à son comble. Certes, l’affaiblissement du marché des chaudières est patent, mais d’un niveau qui ne justifie pas une telle réduction des effectifs.
Il ne s’agit pas pour la Commission, bien entendu, de dicter le management des entreprises ni de gérer, à la place des gouvernements, l’accompagnement social d’éventuels licenciements. Il nous faut bien constater qu’Alstom Power Boiler est leader dans le domaine la production au charbon propre et développe des technologies de capture du gaz carbonique. Il ne s’agit donc pas d’une entreprise condamnée par la sclérose et l’obsolescence. Accepter sa migration outre-atlantique ou, pire, sa disparition, c’est regarder l’avenir dans un rétroviseur.
Les salariés - il faut les saluer - ont construit un projet autour du concept «construisons le champion européen de la combustion propre». Ils ont, avec des experts, bâti un projet d’avenir qui concerne tous les aspects: structure juridique de la nouvelle société, aspects technologiques, aspects commerciaux, aspects sociaux. Il faut saluer cette démarche, qui se refuse à l’affaissement. Elle a été portée à la connaissance des interlocuteurs européens: les commissaires en charge de l’emploi, de l’industrie, du commerce, de la concurrence, de l’environnement, qui attendent vos conclusions.
Monsieur le Commissaire, il vous faut aujourd’hui anticiper la révolution culturelle et sociale mise en route par le projet de traité constitutionnel. Demain, les droits sociaux l’emporteront, avec le traité constitutionnel, sur la perfection du marché intérieur qui prévalait dans les traités antérieurs. Le dialogue social sera institutionnalisé, mais surtout il nous faudra bâtir une politique industrielle qui privilégie des pôles de compétences et préservera l’économie sociale de marché qui nous est proposée comme modèle social à l’article 3 du traité constitutionnel.
La question qui vous est posée aujourd’hui, Monsieur le Commissaire, est celle-ci: comment anticipez-vous la philosophie du traité constitutionnel? Ne soyez pas le greffier de la vieille Europe, mais au contraire mettez en place la nouvelle Europe, celle qui a été voulue par le traité constitutionnel. Vous en avez un bon moyen, en préservant l’avenir d’Alston Power Boiler.