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Cycle relatif au document : O-0003/2006

Textes déposés :

O-0003/2006 (B6-0005/2006)

Débats :

PV 15/03/2006 - 15
CRE 15/03/2006 - 15

Votes :

Textes adoptés :


Compte rendu in extenso des débats
Mercredi 15 mars 2006 - Strasbourg Edition JO

15. Professions juridiques et intérêt général relatif au fonctionnement des systèmes juridiques (débat)
Procès-verbal
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  Le Président. - L’ordre du jour appelle le débat sur la question orale à la Commission sur les professions juridiques et intérêt général relatif au fonctionnement des systèmes juridiques de Giuseppe Gargani, au nom de la commission des affaires juridiques (O-0003/2006 - B6-0005/2006).

 
  
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  Klaus-Heiner Lehne (PPE-DE), rapporteur suppléant. - (DE) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je suis ici uniquement pour représenter mon collègue, M. Gargani, président de la commission des affaires juridiques et rapporteur sur cette question. C’est néanmoins un honneur pour moi.

Avant de vous indiquer les motifs précis de cette question, je tiens à vous donner quelques informations sur son contexte. Le thème de cette question, à savoir, les professions libérales et plus précisément les professions juridiques, remonte à plusieurs années. Au cours de la législature précédente, le Parlement l’a abordé à la suite de deux questions orales posées dans des résolutions, notamment dans le contexte des activités de la direction générale «Marché intérieur et services» de Mario Monti, alors commissaire chargé de la concurrence, ainsi que dans le cadre de l’étude publiée par l’Institut viennois d’études spécialisées, qui est à l’origine de tout ce débat.

Je ne vous cacherai pas que la commission des affaires juridiques a toujours estimé - toutes familles politiques confondues - que cette étude avait une approche très partiale dans la mesure où elle est essentiellement axée sur les aspects économiques et ne tient pas suffisamment compte du rôle spécifique des professions libérales, et notamment des professions juridiques, dans l’administration de la justice. Notre commission pensait également - et ceci a été partiellement confirmé par les documents - que la Commission n’avait pas toujours tiré les bonnes conclusions de l’étude Vienna et qu’elle menait délibérément une politique dont l’orientation posait problème par rapport à certaines questions. Les professions libérales, compte tenu de leur importance particulière, ne peuvent pas être comparées au supermarché du coin dans le contexte de la politique et du droit de la concurrence. Elles ont une origine différente et leur importance pour le fonctionnement de la société est différente.

Cette nouvelle question orale posée aujourd’hui à la suite du dernier rapport intermédiaire de la Commission présenté par la commissaire Kroes - une résolution viendra l’appuyer la semaine prochaine - s’inscrit dans la tradition entamée lors de la dernière législature.

Je tiens à faire savoir clairement que nous sommes aussi parfaitement conscients que les anciennes coutumes doivent être reléguées à l’histoire. Nous ne vivons plus au Moyen Âge et le système des guildes appartient au passé. Il n’empêche qu’il importe de tenir compte des particularités des professions libérales et plus particulièrement des professions juridiques, auxquelles s’intéresse la commission des affaires juridiques. Ces caractéristiques relèvent du système judiciaire et doivent fonctionner. Si le système ne fonctionne pas, ce sont les citoyens qui souffriront d’une protection juridique insuffisante, ce qui remet également en question un élément intrinsèque de la démocratie, à savoir, l’État de droit. C’est pourquoi les règles applicables aux professions libérales doivent être examinées dans tous les détails, avec minutie. Il faut identifier ce qui est nécessaire pour garantir à tous les citoyens une protection juridique et un accès à la justice les plus efficaces et les plus sûrs qui soient - y compris dans la pratique. Dans cette démarche, il est naturellement essentiel de tenir spécialement compte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

J’en viens maintenant au problème spécifique lié à la question posée, qui a notamment incité la commission des affaires juridiques à demander un nouveau débat sur ce thème aujourd’hui en session plénière. Ce problème est celui du rôle spécifique de la tarification dans les professions juridiques libérales. En effet, cette problématique revêt un caractère particulier et important dans de nombreux États membres, notamment par rapport aux règles de remboursement des frais juridiques ainsi que lorsque des compagnies d’assurance offrant une protection juridique souhaitent effectuer elles-mêmes ces remboursements pour le compte de leurs clients. Sans tarification, ces pratiques sont virtuellement impossibles et, par ailleurs, elles sont profondément ancrées dans les traditions juridiques de nombreux États membres. Il ne faut donc pas les remettre en question sans raison valable parce qu’elles constituent également un élément fondamental de la protection des consommateurs. Il importe de le dire clairement ici.

La Cour de justice a toujours traité ces questions avec beaucoup de circonspection dans sa jurisprudence. Récemment encore - il y a quelques semaines -, nous avons pu voir, dans une affaire en instance, l’avocat général s’efforcer de traiter ces questions avec la plus grande prudence. Il est essentiel pour nous que la Commission cesse de traiter avec désinvolture - ce que laissent penser les documents de la Commission - cette question fondamentale, capitale pour le fonctionnement des professions juridiques dans de nombreux États membres. La Commission ne peut traiter les professions libérales comme s’il s’agissait de supermarchés. Ces professions ont une importance et un rôle particuliers.

Certains États membres ont aboli les tarifications et il est intéressant de constater qu’il y a eu une hausse des prix pour les avocats et les consommateurs. Dans certains cas, ceux-ci sont considérablement plus élevés, en moyenne, que dans les États membres où le système a été conservé. Par rapport à l’évolution des prix, notamment, ce système permet de garantir aux consommateurs une protection juridique accessible et financièrement abordable.

Nous attendons vivement la réponse de Mme Kroes à notre question orale. Je rappelle que Mme Kroes a déjà eu l’occasion de débattre de ce thème avec nous en commission. Nous aurons ensuite la possibilité de réagir dans le cadre du débat ainsi que, la semaine prochaine, dans le cadre de la résolution.

 
  
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  Neelie Kroes, membre de la Commission. - (EN) Monsieur le Président, la Commission remercie la commission des affaires juridiques pour sa question ainsi que M. Lehne pour le travail remarquable qu’il réalise ce soir. Il a présenté ses vues d’une manière très claire.

La Commission reconnaît le rôle spécial joué par les professions juridiques dans la bonne administration de la justice et dans la promotion de l’accès à la justice - à propos, en réponse à l’exemple cité par M. Lehne, la Commission reconnaît également que les supermarchés sont des membres très importants et très honorables de notre communauté, c’est un fait que nous ne contestons pas. Mais nous disons simplement que nous devons réexaminer la réglementation actuelle du secteur afin de voir ce qui peut être modernisé, de promouvoir de nouveaux types de services et de nouvelles manières de faire les choses. Il en va de l’intérêt des utilisateurs de ces services clés.

Nous proposons donc que les États membres recourent à un test de proportionnalité pour déterminer dans quelle mesure les réglementations actuelles servent effectivement l’intérêt public. Cette approche respecte pleinement le principe de subsidiarité. Elle permet de prendre totalement en considération les contextes nationaux et les caractéristiques spécifiques du secteur juridique.

La Commission convient tout à fait qu’une certaine réglementation est nécessaire. Je le répète, notre initiative consiste à mieux réglementer, et pas à déréglementer. Nous reconnaissons également que les États membres sont en droit de déterminer l’équilibre entre les réglementations publiques et les codes de conduite établis par des organes de la profession juridique.

Sur la question du droit des États membres à fixer une tarification, je soulignerais l’avis rendu par la Commission dans son rapport de février 2004. Selon nous, l’arrêt Arduino suggère que les mesures publiques déléguant des pouvoirs de réglementation aux organes de la profession pour fixer les tarifs peuvent être contestées au titre des règles de concurrence - par exemple, l’article 3, paragraphe premier, point g), l’article 10, paragraphe 2, et l’article 81 du traité CE - si l’État n’obtient pas le dernier mot et s’il exerce un contrôle sur la mise en œuvre des tarifs. Nous disposerons de plus amples informations à ce sujet lorsque la Cour aura rendu sa décision préjudicielle dans l’affaire Macrino (affaire C-202/04).

Pour finir, il faut prendre en considération les règles du marché intérieur. Celles-ci sont mises en question dans une autre affaire actuellement en instance devant la Cour de justice européenne, l’affaire Cipolla (affaire C-04/04), et qui porte également sur la responsabilité des États membres dans la fixation des prix. La Commission estime que la fixation de tarifs minimums pour les honoraires des avocats constitue une restriction à la libre prestation de services, car elle neutralise l’avantage compétitif des prestataires de services d’autres États membres. Qui plus est, le test de proportionnalité ne justifie pas des prix minimums dans la mesure où ceux-ci ne garantissent pas en soi la qualité, l’accès à la . justice ou une bonne conduite éthique.

 
  
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  Antonio Masip Hidalgo, au nom du groupe PSE. - (ES) Monsieur le Président, la question posée par la commission des affaires juridiques est pertinente dans la mesure où, comme M. Lehne vient de le dire, il importe d’accorder une attention spéciale aux relations qu’entretiennent les avocats, les notaires et, en général, les professions juridiques avec leurs clients.

La Commission européenne ne peut traiter ces situations comme s’il s’agissait d’une simple relation commerciale entre un client et un fournisseur de services. La relation entre un avocat ou un notaire et ses clients affecte l’administration de la justice, si précieuse pour la démocratie, comme l’a également souligné M. Lehne.

Le travail des associations professionnelles de professions juridiques a un impact très bénéfique sur les relations, non seulement les relations professionnelles, mais aussi celles relatives à la défense de l’intérêt général. L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes tant espéré par Mme Kroes a jusqu’à présent reconnu que des systèmes comme le système espagnol sont conformes à la législation européenne. Les tarifs des honoraires sont simplement indicatifs - il ne s’agit pas de minima - et aident l’administration judiciaire à fixer les coûts, qui font toujours l’objet d’un contrôle judiciaire final.

De même, l’opposition de nombreux avocats, dans plusieurs pays, au pacte de quota litis ne doit pas non plus être remise en question. Ce pacte enfreint la dignité des travailleurs et trahit un manque de considération et de respect pour la profession. Puis-je vous rappeler, Mme Kroes, que l’interdiction du pacte de quota litis a également été acceptée par les tribunaux nationaux.

J’invite la Commission européenne à respecter le travail d’institutions comme les ordres des avocats et des notaires, qui font généralement du bon travail depuis plus de deux siècles, malgré les vicissitudes et les interruptions de l’histoire. N’oubliez pas que le rôle essentiel et le travail fondamental des associations professionnelles sont reconnus par les constitutions, dont la Constitution espagnole.

La Commission européenne a un devoir de loyauté envers la tradition européenne et non envers la tradition américaine, plus récente. Nous devons soutenir les petits cabinets juridiques. Ne commettez pas d’erreur.

(Le président retire la parole à l’orateur)

 
  
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  Diana Wallis, au nom du groupe ALDE. - (EN) Monsieur le Président, comme vous allez vous en rendre compte, la plupart des députés de la commission des affaires juridiques sont extrêmement passionnés par la profession juridique. Nombre d’entre nous, moi y compris, exercions cette profession avant d’arriver ici et, en ce sens, nous y trouvons un intérêt. Toutefois, quelle qu’ait été ma passion pour mon ancienne profession, je suis encore plus passionnée par l’accès à la justice et aux services juridiques en général et par la manière dont nous mettons ces services à disposition pour qu’ils servent l’intérêt public.

C’est l’intérêt public pour l’accès à la justice qui doit, selon moi, être notre objectif premier, et pas la protection ou la commodité des avocats qui pourraient trouver plus confortable de continuer à fournir leurs services comme ils l’ont toujours fait. La profession doit être indépendante, mais sa protection ne doit viser qu’à servir l’intérêt public.

Il me semble qu’en Europe, nous disposons d’une merveilleuse opportunité de regarder autour de nous et de voir exactement ce qui sert au mieux l’intérêt public. Par exemple, j’ai toujours pensé que les échelons inférieurs des barèmes en Allemagne constituaient une bonne solution pour garantir que les requérants introduisant des affaires de faible valeur puissent avoir accès à la justice. Dans mon pays, c’est souvent un problème parce que les coûts sont très élevés et, lorsque nous disposons d’un certain type d’honoraires fixes, ceux-ci sont si bas que les avocats refusent de travailler. Ce sont des équilibres délicats, mais l’Europe nous donne la chance d’étudier les nombreuses solutions qui existent à ces problèmes et de choisir la meilleure pour la société que nous essayons de servir, et nous ne devons pas avoir peur ni hésiter à chercher ce qu’il y a de mieux. Je pense que tant que la Commission souscrit à cet objectif, nous devrions être en mesure de travailler de concert.

 
  
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  Neelie Kroes, membre de la Commission. - (EN) Monsieur le Président, je suis totalement d’accord avec la conclusion de Mme Wallis. Cherchons ensemble ce qui se fait de mieux. C’est la seule manière dont nous puissions faire face à tous les clients et clients potentiels de ces professionnels dont nous parlons.

Je voudrais mettre à nouveau l’accent sur certains messages clés concernant nos aspirations dans ce domaine. Notre initiative porte sur une meilleure réglementation. Qu’est-ce que cela signifie? Cela veut dire une réglementation équilibrée et pas plus restrictive que ce qui s’avère strictement nécessaire. Nous voulons encourager l’accès à la justice, et non l’entraver. Tel est l’objectif véritable. Ouvrir la voie à une concurrence accrue dans ce secteur y contribuera grandement et conduira à l’émergence de nouveaux types de services innovants. C’est assurément un avantage notable, qui bénéficiera à tous en libérant le potentiel du secteur en termes de croissance et d’emplois et en fournissant aux consommateurs des services de meilleure qualité et un choix plus large.

Je tiens à faire une remarque plus détaillée concernant la question cruciale de la fixation des prix, qui a été soulevée en priorité ce soir. En règle générale, je ne vois pas bien comment la fixation de prix à large échelle, même pour le travail en interne, peut se justifier objectivement pour tous les consommateurs et les utilisateurs commerciaux. Il se peut que certaines circonstances limitées justifient une réglementation des prix: par exemple, lorsqu’il est nécessaire d’assurer une protection spéciale à certains groupes défavorisés, notamment aux personnes à plus faibles revenus. Une réglementation des prix très limitée et soigneusement ciblée pourrait être requise. Mais plus généralement, il vaudrait probablement mieux que les consommateurs et les usagers puissent comparer et choisir parmi les nombreuses offres des différents prestataires de services.

Dans les systèmes où les frais de justice sont assumés par la partie perdante, je peux toutefois voir l’intérêt d’un guide à l’intention des juges lorsque ceux-ci doivent se prononcer sur les frais. Je ne suis pas en train de dire que la déréglementation des prix ou qu’une réglementation moindre déboucheront automatiquement sur des prix inférieurs, un choix accru pour les consommateurs ou la création de nouveaux emplois.

Pour ce qui est de l’augmentation des frais de justice due à la déréglementation des prix au Royaume-Uni, je ne dispose d’aucune preuve démontrant que cette déréglementation a entravé l’accès des citoyens britanniques à la consultation et la représentation juridiques ni qu’elle a fait grimper les honoraires de façon disproportionnée dans le pays. En fait, la Chambre des avocats du Royaume-Uni a observé en 1999 que l’accroissement de la concurrence dans le secteur du transfert de biens avait donné lieu à des diminutions de prix allant jusqu’à 24% dans les années 1990 et avait permis aux consommateurs de comparer les prix pour trouver la meilleure affaire. Dans le pays que je connais le mieux, des recherches effectuées en 2002 ont démontré que l’introduction de la concurrence dans le transfert de biens avait entraîné une réduction des honoraires.

Pour terminer, un mot sur la qualité. Nous voulons tous que les consommateurs européens aient accès à des services juridiques de qualité. C’est essentiel si nous voulons que l’accès à la justice pour tous devienne une réalité. Mais je ne pense pas que des prix fixes soient toujours essentiels pour ce faire. Je ne dispose d’aucune information suggérant que l’abolition des tarifs fixes a conduit à la détérioration de la qualité des services juridiques dans les États membres où cette abolition a eu lieu, bien que la qualité ait un prix. Un prix fixe n’est pas en soi une garantie de qualité. La devise que je vais reprendre de Mme Wallis est la suivante: «cherchons ensemble ce qui se fait de mieux».

 
  
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  Le Président. - Le débat est clos.

Le vote aura lieu le jeudi 23 mars, à Bruxelles.

 
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