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Compte rendu in extenso des débats
Lundi 15 mai 2006 - Strasbourg Edition JO

13. Séance solennelle
Procès-verbal
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  Le Président. - Monsieur le Président de la République de Bolivie, je vous souhaite la bienvenue à l’occasion de cette séance plénière du Parlement européen, à un moment où les relations entre l’Europe et l’Amérique latine et les Caraïbes sont au cœur de l’actualité et nourrissent nos discussions.

Justement, il y a trois jours, les dirigeants de nos deux continents ont participé à leur quatrième sommet à Vienne et à cette occasion vous avez joué un rôle notable.

Le Parlement européen est heureux de vous accueillir en tant que président élu de Bolivie, le premier président issu d’une ethnie indigène, les Indiens aymaras, dont les principes fondamentaux sont les trois expressions de sagesse ama sua (ne vole pas), ama quella (ne sois pas faible) et ama llulla (ne mens pas).

Le président bolivien est né dans une communauté pauvre et isolée du territoire bolivien, à Isallavi, dans le canton d’Orinoca, à proximité du lac Poopó, situé dans la région d’Oruro, autant de noms qui nous semblent bien étrangers, car ils ne figurent pas parmi nos références géographiques habituelles.

Dès son plus jeune âge, il participa aux travaux agricoles, prit soin du troupeau de lamas de sa famille, exerça successivement les métiers de briquetier, maçon, boulanger et trompettiste.

Puis, lorsque l’altiplano bolivien connut l’une des sécheresses les plus graves de son histoire, sa famille émigra vers de nouvelles terres, jusqu’à Cochabamba. Là, il entama une carrière syndicale et politique qui le conduisit à la présidence de son pays, le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine après Haïti, mais dont les réserves de gaz sont les deuxièmes d’Amérique du Sud. Un pays dont les deux tiers de la population vivent dans la pauvreté et qui a connu tout au long de son histoire, depuis son accession à l’indépendance, des relations difficiles avec ses voisins. Un pays qui connaît aujourd’hui une émergence de forces politiques nouvelles, comme celle du président, qui a remporté les élections avec 53,7% des suffrages et qui adopte, comme vous le savez, des mesures politiques en matière de nationalisation du secteur de l’énergie et des investissements consentis par nombre de compagnies européennes dont nous aurons, sans aucun doute, matière à débattre.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, je vous remercie d’être présent à l’occasion de cette séance plénière et d’avoir également accepté de participer à un débat qui aura lieu tout à l’heure au sein de la commission des affaires étrangères, ainsi qu’au dîner qui s’ensuivra.

Sachez, Monsieur le Président, que nous apprécions beaucoup votre visite, car plusieurs chefs d’État d’Amérique latine ont clairement reconnu à Vienne que le retour de la démocratie dans la région ne s’est malheureusement pas traduit par une amélioration des conditions de vie pour une grande part de la population d’Amérique latine.

L’Europe et l’Amérique latine s’efforcent de construire une société fondée sur la cohésion et la Bolivie illustre parfaitement la nécessité impérieuse d’associer au développement humain une part très importante de sa population qui ne bénéficie pas de la richesse naturelle du pays.

Nous aurons également l’occasion de débattre de ce point au sein de l’Assemblée parlementaire euro-latino-américaine, dont la création a été décidée lors du sommet de Vienne. J’espère que cela nous ouvrira de nouvelles perspectives de dialogue politique.

Monsieur le Président, votre présence parmi nous aujourd’hui est à la fois symbolique et présente de multiples facettes, car elle reflète la volonté du Parlement européen de renforcer les relations avec l’Amérique latine, l’importance de la diplomatie parlementaire et le rôle que doit jouer le dialogue dans la résolution de nos conflits.

Monsieur le Président, je vous remercie à nouveau et vous laisse la parole.

(Applaudissements à gauche)

 
  
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  Juan Evo Morales Ayma, président de la République de Bolivie. - (ES) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, par l’intermédiaire des membres de ce Parlement, je voudrais adresser un salut particulier, chaleureux et fraternel à tous les citoyens d’Europe.

Je suis extrêmement ravi et heureux d’avoir été invité à prendre part à cette rencontre éminemment importante entre deux continents: l’Amérique et l’Europe. Je suis honoré, ravi et fier d’être ici parmi vous et je suis venu en acceptant une invitation non seulement à m’adresser à vous mais aussi à vous écouter.

Les peuples ruraux indigènes primitifs d’Amérique, et en particulier de Bolivie, appartiennent à une culture de dialogue, une culture de vie, une culture d’équilibre, de justice et d’égalité.

Comme le président du Parlement européen l’a dit, je viens d’une famille très humble, de l’ethnie aymara. À travers l’histoire, nous avons été exclus, mais nous n’excluons personne. À travers l’histoire, nous avons été asservis, mais nous n’avons jamais asservi la famille d’aucun homme. Nous aspirons à l’inclusion, nous nous battons pour l’unité tout en respectant la diversité des autres peuples et lorsque, grâce à la conscience de mon peuple, nous avons accédé à la présidence en tant que peuple indigène, ce n’était pas par esprit de revanche, mais grâce à notre espoir.

L’absence de l’État dans nos communautés rurales indigènes a créé d’importantes lacunes, aussi souhaitons-nous résoudre les problèmes sociaux, culturels, économiques et structurels de mon pays.

En ce qui concerne la santé, certaines communautés rurales n’ont pas les moyens nécessaires pour résoudre les problèmes sanitaires; la médecine traditionnelle n’est pas reconnue et il n’y a aucune politique visant à l’intégrer.

Nous reconnaissons qu’un certain progrès a été réalisé avec la participation de l’Unesco. La question de l’éducation a été abandonnée. Vous serez peut-être intéressés de savoir que ma mère - qu’elle repose en paix - était illettrée et que mon père savait à peine écrire; il était également illettré. Mes parents n’avaient aucun papier. C’est pourquoi, pendant notre brève période au gouvernement, durant les quelque 110 jours de présidence, nous avons commencé à œuvrer à l’alphabétisation, grâce à la coopération inconditionnelle de certains pays d’Amérique latine, d’Europe et d’Asie. À la fin de ce mois, près de 2 000 personnes achèveront leurs cours d’alphabétisation. Nous voulons éradiquer l’analphabétisme dans mon pays.

Sur la question des papiers, nous progressons, notamment grâce à la solidarité d’autres pays. À ce jour, on nous informe que près de 50 000 personnes ont reçu des papiers gratuitement (des familles d’agriculteurs indigènes, notamment des femmes) grâce à la coopération internationale. Et en termes de papiers, certaines familles ont été entièrement abandonnées; elles n’en ont aucun et sont dès lors privées de certains droits civiques. C’est là une préoccupation majeure dans mon pays.

Je sais qu’ici en Europe, et sur d’autres continents, le meilleur ami de l’homme, le chien, possède un passeport qui lui permet de se rendre d’un pays à l’autre. Dans mon pays, certains d’entre nous n’ont aucun papier - ni carte d’identité ni acte de naissance - nous permettant de participer aux élections. C’est pourquoi nous allons poursuivre notre campagne d’identification: en moins de deux mois, nous avons émis près de 50 000 nouveaux papiers gratuitement et nous allons continuer afin d’offrir gratuitement des papiers à un ou deux millions de personnes.

Grâce aussi à la coopération de certains pays d’Amérique latine, nous menons des campagnes d’aide en faveur des familles les plus pauvres sur le plan de la santé. Des opérations des yeux nous ont permis de guérir 8 000 personnes gratuitement.

Ce sont là quelques-uns des problèmes auxquels mon pays est confronté. C’est pourquoi ce mouvement politique, le Mouvement pour le socialisme, initialement appelé Instrument politique pour la souveraineté des peuples et créé par le Mouvement rural indigène primitif, n’a pas été créé par un groupe d’experts politiques, de professionnels ou d’intellectuels, mais a été créé pour lutter contre l’injustice, pour répondre aux exigences économiques et sociales, en 1995 notamment, pour réformer notre Bolivie, pour mettre un terme à la discrimination et pour réformer les politiques qui, à travers l’histoire, ont été conçues pour exterminer les peuples indigènes primitifs dans notre pays et sur notre continent.

Nous, peuples indigènes, nous sommes également des êtres humains, nous avons les mêmes droits, les mêmes devoirs, et nous voulons changer. Et je suis heureux de dire que ce mouvement politique m’a mené à la présidence. Vous devez savoir que je n’ai malheureusement pas eu l’occasion d’étudier à l’université; notre principal atout, à mon mouvement et à moi-même, est l’honnêteté.

J’ai éprouvé un grand respect et une vive admiration pour le président lorsqu’il a mentionné la loi cosmique de nos ancêtres, ama sua, ama Hulla, ama quella, la loi des peuples indigènes primitifs: ne vole pas, ne sois pas faible, ne mens pas. Le principe de cette loi cosmique nous a menés jusqu’ici et il est de mon devoir de respecter la règle de nos ancêtres afin de changer l’histoire.

Je suis sûr que vous avez de nombreuses questions sur nombre de sujets structurels ou sociaux. À ce jour, nous avons décidé de reconquérir nos ressources naturelles, tant renouvelables que non renouvelables; des ressources naturelles qui permettent de résoudre les problèmes sociaux et économiques de mon pays.

Je voudrais évoquer la lutte pour la défense de la feuille de coca, la lutte pour l’eau, pour empêcher la privatisation des ressources en eau, et la lutte pour les hydrocarbures, qui étaient également les luttes de nos ancêtres, de chefs indigènes tels que Tupac Amaru, Tupac Katari et Bartolina Sisa: il s’agissait d’une lutte territoriale. La Bolivie a tellement de richesses, et tellement de pauvreté pourtant. Il ne s’agit pas de distribuer la pauvreté, mais plutôt de redistribuer les richesses et, pour redistribuer les richesses, il nous faut les reconquérir, grâce à la nationalisation.

Il est vrai que le pétrole et les ressources naturelles ont été nationalisés à deux reprises au cours du dernier millénaire. Et aujourd’hui, dans ce nouveau millénaire, mon gouvernement et le peuple bolivien doivent procéder à une nouvelle nationalisation, de concert avec de nombreux secteurs sociaux, des villes comme des campagnes.

Je voudrais que vous compreniez qu’il n’y aura aucune expropriation, aucune expulsion. Je tiens à être très franc et à vous parler avec le plus grand respect. Nos familles viennent en Europe par besoin, par manque de travail, et beaucoup sont expulsées. Jamais dans l’histoire mon pays, ma région, je dirais même toute l’Amérique, que l’on appelait autrefois Abya Ayala, n’ont jamais expulsé personne. Et nous n’expulserons personne non plus dans le cadre de cette nationalisation.

Je comprends parfaitement que l’on doive récupérer son investissement et que l’on ait droit à des bénéfices, mais nul ne peut être propriétaire des hydrocarbures ou les contrôler. L’État bolivien contrôlera les gisements et les centres d’inspection. Toute société qui a investi dans le pays a le droit de récupérer ses fonds ainsi que des bénéfices, mais pas de contrôler les gisements, aussi seront-elles des partenaires, mais non les propriétaires de nos ressources naturelles.

(Applaudissements)

Je regrette sincèrement que certains médias tentent de nous mettre en conflit avec des régions, des continents, des pays ou des sociétés. Nous appartenons à une culture de solidarité, une culture de réciprocité, et il importe dès lors de chercher des solutions concertées. Il est vrai que nous avons besoin de coopération dans ce processus de réforme en Bolivie, mais je vous apporte également des propositions pour vous inviter à résoudre les problèmes ensemble, qu’il s’agisse des problèmes de l’Amérique ou de l’Europe.

Je comprends que l’immigration soit un problème pour les Européens. À la suite d’une pénurie de travail, de nombreuses personnes quittent l’Amérique et la Bolivie pour venir en Europe.

Le seul moyen de résoudre ce problème est de créer des sources d’emploi en Bolivie, de garantir des marchés aux petits producteurs, aux micro-entreprises, aux coopératives, aux associations, aux sociétés communautaires. Cela mettra certainement un terme à l’invasion massive de ce continent par les Boliviens.

L’industrialisation des ressources naturelles est importante. Vous savez qu’à travers l’histoire, nos ressources naturelles ont été constamment pillées. Et si, à certaines époques, l’État a contrôlé les ressources naturelles, qu’il s’agisse de pétrole ou de minéraux, il n’a pas été à même de les industrialiser, de leur conférer une valeur ajoutée. Après la nationalisation, notre mission sera d’industrialiser, de concert avec nos partenaires, qu’il s’agisse d’États ou de sociétés. Il n’y aura aucune exclusion ni marginalisation.

Nous sommes convaincus que l’industrialisation de nos ressources naturelles mettra un terme à l’exode massif de ressortissants de mon pays vers d’autres. Autrefois, c’était les États-Unis ou l’Argentine, mais aujourd’hui je déplore sincèrement que nombre de nos frères et sœurs viennent en Europe chercher du travail.

Il y a une question centrale qui constitue un problème pour vous et pour nous: la cocaïne et le trafic de drogues. Je voudrais vous dire que les peuples indigènes primitifs n’ont pas une culture de la cocaïne ou du trafic de drogues. La cocaïne est un problème nouveau qui a malheureusement été importé. Il faut lutter activement et efficacement contre le trafic de drogues, et cette lutte ne peut être un instrument de domination, de recolonisation ou de soumission. Je regrette que certains pays d’Amérique utilisent cette question de la lutte contre le trafic de drogues comme un instrument de soumission et d’assujettissement. Je crois que nous avons tous la responsabilité de lutter contre le trafic de drogues efficacement et sincèrement.

Je voudrais également dire que la coca n’est pas la cocaïne. Je me suis penché de près sur l’histoire de la coca en Europe. Les pays européens ont été les premiers à industrialiser la feuille de coca, au XIXe siècle. Ce n’est que récemment que l’Amérique latine et les États-Unis ont commencé à l’industrialiser. Et la feuille de coca ne peut être légale pour Coca-Cola et en même temps illégale pour la région andine et les peuples indigènes.

Je pense qu’il convient de revaloriser la feuille de coca, mais je voudrais dire que si la culture de coca ne sera jamais libre sous mon gouvernement, elle ne sera pas davantage éradiquée totalement. Je suis ravi de dire que nous examinons avec nos frères producteurs de feuilles de coca les moyens d’en rationaliser la production, et je voudrais vous assurer qu’il s’agit d’une petite surface de culture de coca par famille: 40 mètres sur 40. Nous avons parfaitement conscience qu’une proportion de cette coca est acheminée vers un marché illégal et nous trouvons cela inacceptable.

Les politiques d’éradication avec compensation financière et puis d’éradication par la force militaire ont laissé fort à désirer en termes de droits de l’homme, et le seul moyen de mettre un terme à cette confrontation est de placer la production de coca sous le contrôle du mouvement des cultivateurs, de la rationaliser et, ce faisant, de contribuer à l’efficacité de la lutte contre le trafic de drogues. La production de ce petit quota, de 40 mètres sur 40 - tous ceux qui se sont penchés sur cette question doivent avoir entendu parler de ce qu’on appelle le «cato»; le cato n’est pas une question d’hectares, c’est une parcelle de 40 mètres sur 40 -, doit être contrôlée, et utilisée aux fins d’une consommation légale: quel meilleur objectif que d’industrialiser pour le bien de l’humanité?

La lutte contre le trafic de drogues ne peut toutefois cesser avec ce contrôle, mais il importe également de contrôler les précurseurs, les agents chimiques. Et quel meilleur moyen pour cela que de contrôler le secret bancaire avec vous? Car le vrai trafiquant, ce n’est pas la personne qui est actuellement emprisonnée en Bolivie, mais - nous avons étudié cet aspect sur une petite période - celle qui brasse des milliards de dollars. Elles ne se promènent ni à pied ni en bus ou en camion en portant des paquets de dollars. Elles recourent aux banques privées. Quel meilleur moyen, pour mettre un terme à cet aspect du trafic de drogues, que de contrôler la banque privée, les banques, y compris d’État, des trafiquants de drogues.

(Applaudissements)

Par votre intermédiaire, je voudrais saisir cette occasion pour adresser à toutes les nations d’Europe mon respect et mon admiration pour l’Union européenne. Nous aussi, en Bolivie, nous souhaitons sincèrement que les Andins, les Latino- Américains, les Sud-Américains, s’unissent. Telle sera notre mission. Dans ce processus, dialogue et patience seront certainement nécessaires pour rassembler nos pays.

Je dis cela parce qu’en Bolivie, nous avons décidé de réformer le pays, de mettre un terme aux modèles économiques qui n’ont pas réglé les problèmes sociaux, afin de changer cet État colonial. Avec le plus grand respect, je voudrais également dire que notre pays est actuellement un État colonial. Mais nous ne proposons pas une lutte ou une réforme armée. Je regrette sincèrement qu’il y ait des conflits armés dans certains pays voisins de la Bolivie. Grâce à ce mouvement politique, qui a vu le jour dans la population la plus dédaignée et honnie à travers l’histoire, celle qui a subi la plus forte discrimination: le peuple indigène primitif. Pourquoi est-ce que je parle du peuple indigène primitif? Le dernier recensement de 2001 a montré qu’il comptait 62,2 % de citoyens indigènes. Je dirais que nous, les peuples indigènes primitifs, nous représentons plus de 70 % ou près de 80 %. Car lorsque la Bolivie a été fondée en 1825, 90 % de la population étaient constitués de peuples indigènes, mais seuls 10 % ont fondé la Bolivie. Néanmoins, ces 90 % ont pris part à la lutte pour l’indépendance et aujourd’hui, en réformant de manière démocratique et pacifique la Bolivie, nous souhaitons changer et mener une révolution démocratique, culturelle et pacifique, en évitant toute confrontation. Je pense que cela débouchera sur un réel changement, qui permettra de vivre en paix et dans la justice sociale.

Je comprends parfaitement que les pays et de nombreux chefs d’entreprise souhaitent la sécurité juridique. Nous nous battons tous pour la sécurité juridique, mais pour cela, nous devons avoir la sécurité sociale, la santé, l’éducation, le logement, l’emploi. Ce sera le cas lorsque nous récupérerons nos ressources naturelles et que l’ensemble de la population bolivienne en bénéficiera. Telle est la transformation que nous souhaitons voir dans les sphères économique et politique.

Je suis extrêmement heureux du soutien que nous apporte le secrétaire général des Nations unies. À l’occasion de ce sommet des chefs d’État, des présidents d’Europe, d’Amérique latine et des Caraïbes, j’ai été invité à une brève entrevue avec le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, qui m’a promis son soutien plein et entier pour l’assemblée constitutionnelle, tant en termes de conseil que sur le plan économique, afin d’assurer la transformation démocratique approfondie de mon pays.

Je voudrais que vous soyez associés, avec votre grande expérience, à cette réforme approfondie. Je suis convaincu que l’Europe est un modèle de démocratie et qu’elle défend la démocratie et les droits de l’homme. Concernant les droits de l’homme, je voudrais notamment vous demander de nous aider à les défendre en Bolivie. Et défendre les droits de l’homme en Bolivie implique de créer des sources d’emploi, la santé et l’éducation, et de reconquérir nos ressources naturelles.

Je voudrais vous dire, avec le plus grand respect, que par le passé certains gouvernements ont, lors des dictatures, massacré les peuples. Vous connaissez parfaitement l’histoire de la Bolivie. Mais les gouvernements démocratiques eux aussi, pour défendre des intérêts autres que ceux de la Bolivie, ont massacré le pays et certains ont fui aux États-Unis. Grâce au système judiciaire, nous avons réclamé l’extradition de ceux qui ont humilié la Bolivie et je voudrais vous demander votre soutien afin de veiller à ce que les personnes qui ont tant fait pour nuire aux droits humains et économiques du peuple bolivien soient traduits devant la justice bolivienne, y compris Gonzalo Sánchez de Lozada et Sánchez Berzaín, qui ont tué de nombreuses personnes dans mon pays et que nous voulons voir être jugés par la justice bolivienne.

(Applaudissements)

Dans ce processus de réforme, nous ne cherchons pas seulement l’interaction politique et la compréhension entre les pays, mais aussi l’intégration, en offrant à mon pays une infrastructure routière. À la suite d’une injustice historique, la Bolivie, le cœur de l’Amérique du Sud, n’a pas accès à la mer. Mon gouvernement peut résoudre ce problème d’infrastructure routière avec tous nos pays voisins. Nous n’avons qu’une portion de route avec le Pérou, mais nous n’avons pas de route macadamisée vers le Chili, ni vers l’Argentine via Potosí ou Tarija, ni via le Brésil. J’ai une grande affection et un grand respect pour mon ami le président brésilien. Il n’y a aucun conflit entre nous, comme certains médias le prétendent. Nous avons une alliance stratégique avec le Brésil. Je vois Lula, un ancien syndicaliste, comme un grand frère qui me guide et me conseille. Je voudrais également vos conseils, à vous Européens. Je vous ai dit il y a un instant que nous n’excluons personne, mais aspirons plutôt à l’inclusion. Je veux profiter de votre expérience, je veux apprendre à trouver des solutions dans un contexte d’équilibre, de justice et d’égalité.

C’est là mon vœu le plus cher et ce pour quoi nous nous battons. Notre gouvernement, un gouvernement populaire et indigène, en a aujourd’hui l’occasion, avec le soutien de nombreux secteurs intellectuels et même économiques de Bolivie - les classes moyennes. À ce jour, j’ai entendu certains de mes concitoyens me dire deux choses: «Je ne suis pas indigène, mais maintenant je suis un partisan des indigènes.» Ils disent: «Les gouvernements voulaient nous faire pleurer de dépression, aujourd’hui ils nous font pleurer d’émotion, de dignité, par esprit de souveraineté, de respect entre nous et, par-dessus tout, à l’idée que nous reconquérons nos ressources naturelles.»

C’est pourquoi je voudrais vous dire, Mesdames et Messieurs les députés européens, que je voudrais, par votre intermédiaire, préserver une alliance stratégique en faveur de la vie, en faveur de l’humanité. Le mode de vie des indigènes n’implique ni exclusion ni marginalisation, mais plutôt - et j’insiste - la solidarité, la réciprocité, non pas seulement entre les êtres humains, mais en harmonie avec notre mère la Terre. Nous sommes extrêmement inquiets de voir que le modèle occidental d’industrialisation affecte la planète Terre, la Terre mère, la pachamama. Si nous ne revoyons pas cette forme d’industrialisation, dans peu de temps, nous aurons tous -pas seulement vous ou nous, mais tous - un problème de vie. Je crois qu’il importe de relayer les initiatives et propositions du peuple afin de défendre et de sauver l’humanité, et pour cela il faut avant tout respecter la Terre mère et vivre en harmonie avec elle.

(Applaudissements)

Ce sont là des contributions importantes que nous pouvons apporter sur la base de notre mode de vie. Sur la base de nos organisations autochtones, qu’il s’agisse de syndicats, de communautés ou de conseils d’anciens, ces autorités qui tiennent des débats permanents et proposent des solutions. J’ai appris que la question n’est pas d’imposer des programmes ou des politiques, mais de relayer ces propositions et programmes pour le bien de l’humanité.

Il est également vrai que, dans ce processus de réforme, la question de savoir comment y prendre part en Bolivie est importante, et cela n’implique ni subordination ni soumission - certains nous ont qualifiés de «pantins» -, mais plutôt de partager nos principes et expériences horizontalement. Nous espérons que cette brève visite au Parlement européen sera utile. Nous ne voulons plus être un État mendiant.

Les gouvernements boliviens ont généralement cherché de l’aide à l’extérieur du pays, et mendié le budget général national. Nous voulons mettre un terme à cela. Je suis sûr qu’en augmentant le volume des exportations et en améliorant les prix - des prix rationnels, il ne s’agit pas de faire du chantage ni d’imposer des prix - et en reconquérant nos ressources naturelles, nous mettrons un terme à l’État mendiant. Je regrette sincèrement que notre pays soit un État mendiant, et aujourd’hui, dans ce nouveau millénaire, nous voudrions avec vous, en revoyant notre histoire, résoudre ces problèmes sociaux et culturels.

Au nom du peuple bolivien, en particulier au nom du mouvement indigène primitif, je voudrais dire que nous voulons des alliés stratégiques pour défendre la vie. Nous voulons mettre un terme à cette haine, ce racisme, ce mépris. Notre culture tend à l’inclusion, et non à l’exclusion, même si nous-mêmes avons été victimes de l’exclusion, et lorsque j’ai appris que le Parlement européen m’avait invité, j’ai été sincèrement heureux et fier de venir. Je veux que, vous aussi, vous soyez fiers des peuples indigènes primitifs, qui défendent la vie.

C’est un honneur pour moi, et une expérience nouvelle, bien que nous soyons toujours nerveux dans un premier temps - pardonnez-moi -, mais je voudrais dire, du fond du cœur et avec le plus grand respect, que j’en appelle à votre soutien pour sauver la vie et améliorer la situation sociale et culturelle de mon pays.

Merci beaucoup.

(L’Assemblée, debout, applaudit le président de la République de Bolivie)

 
  
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  Le Président. - Monsieur le Président de la République de Bolivie, merci beaucoup pour vos paroles, qui viennent du fond du cœur et que les membres de ce Parlement ont applaudi de la manière que vous avez pu voir.

Monsieur le Président, vous êtes le représentant élu de votre peuple, vous avez présenté un programme électoral que vos concitoyens ont soutenu et vous êtes inspiré des meilleures intentions pour offrir la prospérité à chacun d’eux.

J’espère que la Bolivie et l’Europe pourront maintenir une relation de coopération qui nous permettra de contribuer à la construction d’un avenir de progrès partagé, sur la base du respect de l’État de droit.

Merci beaucoup, Monsieur le Président.

(Applaudissements)

(La séance solennelle est levée à 18h05)

 
  
  

PRÉSIDENCE DE M. SARYUSZ-WOLSKI
Vice-président

 
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