La Présidente. – L’ordre du jour appelle le rapport (A6-0341/2007) de Marco Cappato, au nom de la commission des affaires étrangères, contenant une proposition de résolution du Parlement européen à l’intention du Conseil sur la production d’opium à des fins médicales en Afghanistan [2007/2125(INI)].
Marco Cappato, rapporteur. – (IT) Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, dans ce rapport, nous proposons que le Parlement prenne l’initiative et présente une proposition au Conseil, principalement dans le contexte de la politique étrangère et de sécurité commune, sur la question de la production d’opium en Afghanistan.
Notre point de départ est la prise de conscience que les résultats obtenus à ce jour ne sont pas suffisants. Il y a eu une augmentation de 50 % de la production d’opium utilisé pour produire de l’héroïne au cours des deux dernières années. Il semble que nous n’ayons pas pu trouver de moyen efficace de réduire cette énorme montagne de production, qui va ensuite enrichir non pas les cultivateurs, les agriculteurs, bien sûr, mais les grandes mafias internationales de la drogue, les terroristes et les talibans.
Le rapport part également d’un autre postulat: en fait, il y a, en même temps, un très sérieux manque d’accès aux analgésiques. Quelque 80 % de la population mondiale n’a pas du tout accès aux analgésiques. Bien sûr, les deux aspects pourraient être jugés totalement distincts, mais je crois que c’est le travail des institutions politiques d’être pragmatiques et de comprendre que, face à cet énorme volume de production utilisé pour l’héroïne – alors qu’un produit de la même origine agricole connaît une pénurie sévère – il devrait être possible, d’une certaine manière, de combiner les deux points de départ.
Les amendements présentés en commission des affaires étrangères et par Mme Gomes au nom du groupe socialiste au Parlement européen, ainsi que ceux présentés par le groupe du parti populaire européen (démocrates chrétiens) et des démocrates européens en plénière, ont permis de faire en sorte que la proposition présentée aujourd’hui ne soit pas une proposition alternative, c’est-à-dire une proposition négative demandant que la politique adoptée jusqu’à présent soit remplacée du jour au lendemain.
Ce que nous vous demandons, à vous, au Conseil et à la Commission, c’est de mener une expérience, de lancer quelques projets pilotes en vue d’utiliser une partie des cultures actuellement utilisées pour produire de l’héroïne pour, à la place, produire des analgésiques. De même, du côté de la demande, des politiques pourraient être lancées en vue d’essayer d’apporter des analgésiques à des continents tels que l’Afrique et l’Asie, qui sont presque dépourvus de ces médicaments.
C’est pourquoi le rapport, tel qu’il a vu le jour à la commission des affaires étrangères et compte tenu des amendements proposés, me semble fondamentalement bien équilibré. Il part d’une hypothèse très simple, à savoir qu’il est probablement – je le crois tout à fait – plus facile de coopérer avec les agriculteurs si nous proposons de consacrer une partie de leur récolte à des fins légales, plutôt que de simplement arriver avec une politique d’éradication, de fumigation et de destruction des plantations. Cette réaction constitue en fait une cause supplémentaire de conflit avec les populations locales et s’est avérée contreproductive et inutile, du moins jusqu’à présent.
J’espère dès lors que, au-delà de la position officielle compréhensible adoptée par les gouvernements européens et le gouvernement afghan, affirmant la nécessité de lutter contre la production d’opium, au-delà de cette position, nous pourrons faire passer un autre message, et le Parlement européen est peut-être plus libre que les autres de faire une telle proposition. Nous avons déjà assumé cette responsabilité et j’espère que nous la réaffirmerons demain lors du vote. Nous sommes plus libres que les autres de proposer que des expériences alternatives soient réalisées et évaluées de manière pragmatique, et non idéologique.
Chacun de nous a sa propre idée de la politique internationale et de la drogue, et des politiques internationales en Afghanistan. Ce rapport ne se veut pas une proposition idéologique, mais une tentative pratique de trouver une solution à ce qui est véritablement une tragédie mondiale.
Benita Ferrero-Waldner, membre de la Commission. − (EN) Madame la Présidente, je tiens moi aussi à beaucoup remercier M. Cappato – tante grazie!
Je me réjouis de la tenue de ce débat très opportun sur le problème de la drogue, en particulier concernant l'Afghanistan. Comme nous le savons tous, il s'agit là d'un problème complexe majeur qui relève du domaine politique et sécuritaire.
Nous en avons récemment beaucoup parlé à New York. Un certain nombre de discussions très importantes ont été menées pendant l'Assemblée générale de l'ONU avec le président Karzaï, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon et les représentants d'une multitude de pays. Ces discussions portaient précisément sur toute cette question d'une grande complexité.
Le débat de ce soir contribue au débat plus général sur la reconstruction de l'Afghanistan mais aussi sur le rôle des drogues. Permettez-moi également de vous féliciter pour avoir mis sur pied la délégation du PE pour les relations avec l'Afghanistan. Nous nous intéressons vivement à votre travail et jugeons très important que vous l'ayez entrepris.
L'industrie afghane de la drogue constitue en effet un défi énorme pour les progrès de la construction de l'État. Le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) est pour le moins préoccupant. Tant la culture que la capacité de traitement du pavot ont malheureusement enregistré une augmentation considérable. Avec 70 % du total de la production, les provinces du sud de l'Afghanistan sont les plus affectées. La constatation du lien étroit qui existe entre les rebelles et l'économie de la drogue n'a rien de surprenant. Cette situation ne doit cependant pas nous masquer les évolutions positives, en particulier dans les régions plus stables du pays, où l'on fait état de réelles améliorations en matière de santé et d'éducation ainsi que de croissance économique.
Il faut en effet savoir que le pavot est absent dans 13 provinces du nord et du centre de l'Afghanistan. Voilà au moins une information encourageante, qui nous incite à agir de façon constructive. Le rapport Cappato nous offre une image complète de la situation, et je tiens d'ailleurs à vous remercier pour vos remarques encourageantes sur les actions actuelles de la Commission. Ce rapport met aussi le doigt, à juste titre, sur la responsabilité de l'Afghanistan en matière de lutte contre l'industrie de l'opium. Sur ce point, nous sommes tout à fait d'accord.
Toutefois je dois dire que je ne peux partager – du moins pour l'instant – les conclusions tirées par le rapport, qui propose de légaliser la production d'opium à des fins médicales, même à titre d'essai. À première vue, cette proposition peut paraître attrayante mais, malheureusement, il n'y a pas de réponse simple au problème complexe de la drogue en Afghanistan.
Permettez-moi de vous faire part de quelques-unes de mes préoccupations. Des pays comme l'Australie, la Turquie ou l'Inde, qui produisent déjà de l'opium brut à des fins médicales, disposent habituellement d'un système efficace d'application de la loi et ne subissent pas de conflits de grande envergure. Même dans ces conditions, la mise en œuvre de cette production est très difficile. Qui plus est, en l'absence de telles conditions, l'opium cultivé légalement est rapidement détourné, comme nous l'avons vu au Pérou et en Bolivie. De toute évidence, et c'est ce que nous craignons, dans le cas de l'Afghanistan, la culture légale ne ferait que s'ajouter à la culture illégale au lieu de la remplacer. De plus, la production légale d'opium reste inintéressante pour les agriculteurs locaux, qui recevraient dans ce cas des revenus n'atteignant que 25 à 30 % de ce qu'ils peuvent obtenir sur le marché noir.
La mise en œuvre d'un tel système est complexe, et faisable uniquement si des subventions sont accordées pour le contrôle de la qualité et la distribution des produits médicaux. Devrions-nous financer ces subventions avec l'argent des contribuables? Le gouvernement afghan, qui est notoirement faible et ne peut compter que sur des institutions faibles, ne possède malheureusement pas encore – et c'est pourquoi j'ai dit «pas encore» – la capacité de superviser un tel système.
Dans certaines parties du pays, il n'y a pour l'instant tout bonnement pas de gouvernance, encore moins de bonne gouvernance. C'est notamment le cas des provinces instables du sud, où la majeure partie de l'opium est produite. Enfin, le gouvernement afghan a fermement rejeté – et c'est là un argument important – toute possibilité de production légale d'opium.
Dans ce contexte, le message politique de ce rapport n'envoie pas vraiment le signal adéquat à nos partenaires afghans, bien au contraire. En réalité, la reconstruction de l'Afghanistan demandera beaucoup plus de temps et de ressources que cela. Nous devrons aussi montrer de la persévérance si nous tenons à apporter un développement durable à ce pays déchiré par la guerre.
Des progrès dans la construction de l'État ne seront possibles qu'avec davantage de résolution, y compris de la part des dirigeants politiques afghans, notamment au niveau local. Soit dit en passant, tel était le message que nous avons donné à New York. Je suis d'accord pour dire qu'il est grand temps de s'attaquer à la corruption de manière visible. Nous l'avons dit mais nous essayons aussi de contribuer à l'atteinte de cet objectif en favorisant la constitution d'un bon système judiciaire et en gérant une force de police réellement efficace, cela afin de convaincre la population afghane qui reste souvent sceptique.
Pour progresser, la voie à suivre est toute tracée. Elle passe par la stratégie nationale afghane de contrôle des drogues, qui a été approuvée par la communauté internationale et contient tous les éléments nécessaires. Cette stratégie mérite vraiment notre soutien inconditionnel car elle est complète, comme on peut en juger: interdiction de production, information du public, poursuite des revendeurs de drogue connus et promotion du développement local.
Là où ce type de dosage prudent des politiques a été utilisé, les agriculteurs ont déjà abandonné, de manière durable, la culture du pavot. Dans ce contexte, la Commission estime qu'une proposition visant à légaliser le pavot à opium pourrait tout bonnement saper le travail qu'elle effectue dans d'autres secteurs, notamment concernant l'État de droit et le maintien de l'ordre.
Carlo Fatuzzo, au nom du groupe PPE-DE. – (IT) Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, il ne fait, pour moi, aucun doute que M. Cappato, avec qui je suis ami depuis longtemps, tente désespérément de contribuer à la lutte contre la drogue dans le monde et d’aider les malheureux jeunes ou moins jeunes à l’agonie qui souffrent et ne disposent pas de médicaments pour les aider. Malheureusement, je ne peux toutefois pas le suivre sur cette voie.
Malheureusement, je le répète, je ne partage pas l’avis du rapporteur. Je crois que le problème vient du fait que sa proposition concerne l’Afghanistan, un pays où l’insécurité ne pourrait pas être plus grande. Oui, l’Iraq est peut-être moins sûr, mais l’Afghanistan est loin d’être l’endroit idéal pour commencer à essayer de convaincre les agriculteurs d’abandonner ce qui, pour eux, est la culture très lucrative du pavot et de passer à des cultures qui sont plus honnêtes, plus en accord avec l’Ancien Testament et qui correspondent mieux aux pratiques agricoles civilisées que nous connaissons.
Le rapport lui-même indique clairement que la plus grosse quantité de drogue du monde, près de la moitié, vient d’Afghanistan et que la culture de l’opium est illégale en Afghanistan. C’est illégal, mais ce pays est à l’origine de la moitié de la matière première nécessaire pour tuer nos jeunes gens ou en faire des victimes des trafiquants de drogue qui, comme nous le savons, les attirent dans la consommation de drogue, qui leur est nuisible, à eux et à toute la société.
Je crois qu’il n’existe qu’une seule arme efficace pour lutter contre tous les trafiquants de drogue, à commencer par les agriculteurs afghans qui sont, à mon sens, les premiers trafiquants de drogue. Notre incapacité à les contrôler et à les surveiller signifie que la seule manière de lutter contre la drogue est la prévention, en contribuant donc à réduire la culture de l’opium autant que possible.
C’est pour cette raison que le groupe PPE-DE s’oppose à cette partie du rapport de M. Cappato, et je pense que ce que je dis maintenant doit être clair pour tout le monde, quel que soit le résultat de demain.
(Le président retire la parole à l’orateur)
Ana Maria Gomes, au nom du groupe PSE. – (PT) Je dois féliciter le rapporteur, M. Cappato, non seulement pour ce rapport très utile, mais aussi pour sa propension à accepter les contributions afin de parvenir à un accord aussi large que possible.
Ses intentions de départ étaient louables: il a essayé de faire d’une pierre deux coups: légaliser la culture du pavot et la production d’opium à des fins médicales n’aurait pas seulement mis fin à la production d’héroïne en Afghanistan, mais aussi à la pénurie d’analgésiques dans le monde.
Malheureusement, nous avons rencontré plusieurs problèmes pratiques, tels que la fragilité des institutions afghanes et leur incapacité à réglementer la production d’opium, l’incertitude de la viabilité économique d’un tel système et le danger d’autoriser la réintroduction de l’opium dans quelques-unes des treize provinces afghanes qui ont mis un terme à la production.
Les amendements de mon groupe ont tenté de recentrer le rapport sur l’élément essentiel: la lutte contre la production d’opium en Afghanistan, qui touche non seulement l’Afghanistan, mais aussi les pays voisins. Les drogues produites illégalement à partir de cet opium constituent ce que certains appellent les véritables armes de destruction massive, en particulier en Europe.
Dans la lutte contre la production d’opium, nous devons être attentifs aux caractéristiques individuelles des différentes régions afghanes. Seule une combinaison de mesures sera efficace. Premièrement, la corruption omniprésente dans l’administration centrale afghane, en particulier au ministère de l’intérieur et dans la police, doit être éradiquée, car elle paralyse toutes les politiques de lutte contre la production d’opium. Deuxièmement, les quelque 30 principaux trafiquants de drogue répertoriés dans un rapport des Nations unies et de la Banque mondiale de 2006 doivent être recherchés, capturés et jugés, afin de pouvoir mettre un terme à ce trafic meurtrier. Troisièmement, l’OTAN doit soutenir les opérations afghanes de lutte contre ce trafic, en détruisant les laboratoires et les entrepôts et en empêchant le transport de la drogue. Quatrièmement, les actions d’éradication du pavot doivent être appliquées prudemment et sélectivement et être concentrées dans les zones où les agriculteurs ont de réelles alternatives.
Ceci nous amène aux points d’accord avec le rapporteur. Nous sommes tous opposés à la fumigation sans discrimination des plantations de pavot, comme le préconisent les États-Unis, ce qui ne fera que grossir les rangs des talibans sans réellement altérer la production d’héroïne.
Enfin, dans le contexte d’un paquet de mesures en vue de faire face au problème de l’Afghanistan avec la drogue, la proposition du rapporteur de lancer un projet pilote de production légale d’analgésiques à base d’opium devrait être étudiée. Plus que n’importe quoi d’autre, ce rapport essaye d’encourager le Conseil européen à être créatif et à oser dans la lutte contre la production d’héroïne en Afghanistan. Il n’existe pas de solution facile à ce problème, mais nous savons que nous ne pourrons venir à bout du terrorisme et de l’obscurantisme violent prônés par les talibans et Al-Qaïda que lorsque l’Afghanistan sera libéré de l’étreinte de la drogue.
J’ai presque terminé, Monsieur le Président. Ce rapport doit être considéré comme un appel urgent aux États membres afin de n’épargner aucun effort dans la reconstruction économique et politique d’un pays qui a été tellement touché par des conflits sanglants et qui est tellement important pour la sécurité régionale et mondiale.
Marios Matsakis (ALDE). - (EN) Madame la Présidente, je vais m'exprimer sur cette question à titre personnel et non au nom de mon groupe.
La production illégale d'opium en Afghanistan est florissante depuis que les États-Unis et les forces alliées sont présentes dans ce pays. Cela malgré la mise en place de plusieurs autorités de lutte contre la production de drogues et de programmes antinarcotiques, qui absorbent parfois des montants considérables puisés dans l'argent des contribuables de l'UE.
Il paraît donc évident, même pour les moins perspicaces, que le peuple afghan continuera à produire de l'opium, quoi qu'il advienne. La raison en est très simple. De par le monde, les agences antinarcotiques grandissent en taille, en nombre et en expertise, et elles accomplissent leur mission avec une efficacité croissante. Elles parviennent donc forcément à confisquer des quantités de drogues de plus en plus grandes. Toutefois, comme la demande des toxicomanes reste inchangée et que les trafiquants de drogue continuent à tirer d'énormes bénéfices de la fourniture illégale d'opium à ces toxicomanes, le prix des opiacés augmente, en même temps que les bénéfices tirés de leur trafic.
Par conséquent, le peuple afghan ne fait qu'appliquer les principes de l'économie de marché. Il accroît sa production afin de répondre à la demande du commerce illégal et d'augmenter ses bénéfices. Il est donc tout à fait illusoire de croire que la promotion de nouveaux programmes de contrôle de l'opium en Afghanistan aura un quelconque effet positif.
La seule façon de traiter avec efficacité le problème de la production d'opium en Afghanistan, tout comme ailleurs, est d'interpréter le problème de la drogue de façon globale. La seule manière sensée d'agir en ce sens consiste à légaliser les drogues et à reconnaître que les toxicomanes ne sont pas des criminels mais des gens malades qui ont besoin d'aide.
Si les toxicomanes recevaient des drogues thérapeutiques dans un environnement médical contrôlé, il serait possible de réduire considérablement les effets secondaires graves et d'augmenter les chances de désintoxication. En même temps, l'énorme criminalité impliquée dans le trafic de stupéfiants disparaîtrait et toutes les agences de police antidrogues pourraient être dissoutes, ce qui déboucherait sur de fantastiques économies budgétaires.
La logique de tout cela est implacable mais les politiciens du monde entier ont du mal à l'admettre.
Salvatore Tatarella, au nom du groupe UEN. – (IT) Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, le thème abordé par le rapport de M. Cappato est extrêmement délicat et nécessite une évaluation prudente de la part du Parlement européen afin d’éviter de proposer des solutions peu judicieuses et désastreuses, même si elles sont motivées par de bonnes intentions.
Je voudrais attirer votre attention sur deux points. Premièrement, accroître la production d’opium et de ses dérivés en Afghanistan pourrait compromettre la reconstruction du pays et la stabilisation, déjà difficile, de l’État de droit dans cette malheureuse région. Deuxièmement, l’augmentation de la production d’opium – de 30 % cette année – n’a pas été suivie d’une stratégie adéquate de lutte contre la drogue.
Pour toutes ces raisons, je pense que la proposition présentée dans le rapport est absolument inacceptable, et je voudrais souligner que:
1. les quantités de morphine nécessaires sont déjà produites en Afghanistan, sous licences spéciales et sous le contrôle de l’agence anti-drogue des Nations unies et du ministère afghan de lutte contre les narcotiques;
2. le Bureau international de contrôle des narcotiques maintient qu’il y a déjà un excédent mondial d’opiacés à usage médical;
3. la production légale à grande échelle de morphine entraînerait une augmentation de la production de drogues; celles-ci finiraient par répondre à la demande sur le marché mondial. Une fois mises sur le marché à moindre prix, elles seraient à la disposition de tous.
Nous devrions plutôt nous opposer aux drogues – toujours et dans tous les cas et par tous les moyens – de la production à la distribution illégale, en passant par le trafic. Nous devrions freiner la demande au moyen d’une politique basée sur les valeurs et d’un vaste travail de prévention permanent et de campagnes d’information, en particulier auprès des jeunes.
Dans un pays comme l’Afghanistan, étant donné les conditions dans lesquelles il se trouve actuellement, la solution proposée par ce rapport pourrait être considérée comme un signe de reddition et de défaite; elle pourrait aussi contrarier les efforts réalisés par la communauté internationale, l’Union européenne, les Nations unies et les agences de reconstruction en Afghanistan, à travers des programmes visant à diversifier les cultures afin de réduire les plantations d’opium, qui sont soutenus par des incitants financiers.
Enfin, je voudrais juste signaler que le Bureau international de contrôle des narcotiques a approuvé la décision du gouvernement afghan de rejeter la proposition de légaliser la culture illicite de pavot à opium et de réitérer sa volonté de respecter ses obligations contractuelles internationales.
Raül Romeva i Rueda, au nom du groupe des Verts/ALE. – (ES) Madame la Présidente, je voudrais commencer par souligner que ce rapport est extrêmement important, opportun et courageux. Les deux urgences auxquelles il fait référence méritent une attention politique et une réponse politique qu’elles n’ont clairement pas encore reçues.
Alors que la situation sur le plan de la sécurité et de la production d’opium est de plus en plus préoccupante en Afghanistan, la nécessité de fournir des analgésiques à l’échelle mondiale est l’une des plus grandes urgences humanitaires de notre époque, même si, malheureusement, c’est aussi l’une des plus ignorées.
Le rapporteur, M. Cappato, n’a pas eu la tâche facile avec ce rapport; ce dernier est donc d’autant plus remarquable, et je réitère à nouveau mon soutien et celui de mon groupe. Comme il l’a dit lui-même, bien que la relation entre les deux problèmes ne soit pas simple, ni nécessairement immédiate, il est de notre responsabilité, en tant qu’hommes politiques, d’analyser les réalités complexes afin de trouver des solutions complexes aux problèmes complexes. C’est exactement ce que fait le rapport.
En ce qui concerne la sécurité en Afghanistan, il ne fait aucun doute que cela doit être une priorité si nous voulons mettre des programmes de reconstruction et de développement en œuvre avec de futures garanties. Le problème, cependant, c’est que certains groupes armés sont financés précisément grâce à l’absence de réglementation de la production d’opium. Nous savons aussi qu’il y a une culture illicite et un trafic d’opium, qui représentent 40 % du produit intérieur brut de l’Afghanistan.
À la lumière de cette situation, je pense qu’il est utile d’au moins étudier et tenir compte d’initiatives telles que celles du Conseil Senlis, qui propose un système visant à autoriser la culture d’opium à des fins médicales en Afghanistan. Celle-ci serait principalement axée sur la production d’analgésiques tels que la morphine et la codéine, qui pourraient aussi être vendues à d’autres pays qui ont actuellement peu ou pas d’accès à ces types de médicaments vitaux en raison d’accords commerciaux préférentiels.
Il est dommage que cette proposition, maintenant et en termes réels, ne bénéficie pas d’un soutien plus important de la part de la Commission ou du gouvernement afghan lui-même. Il est encore plus inquiétant que les mesures vendues comme alternatives consistent souvent en une éradication chimique, sur laquelle les autorités américaines insistent sans arrêt. Si cette mesure était mise en œuvre, cela donnerait aux talibans un nouvel argument pour défendre leurs positions, et les communautés agricoles finiraient probablement par se transformer en camps rebelles.
Cela aurait aussi de sérieuses répercussions sanitaires et environnementales. Il est clair dès le départ que la pulvérisation aérienne, qui est sans doute ce qui est proposé pour l’Afghanistan, garantit que la contamination s’étendra aux humains qui vivent dans les zones traitées et les zones environnantes. Cela a été démontré au début de l’année, lorsque cette méthode a été utilisée par la Colombie pour fumiger la production de cocaïne le long de la frontière avec l’Équateur, ce dernier ayant ensuite porté plainte et intenté une action à La Haye.
Je ne suis pas un expert et cet aspect chimique est évidemment beaucoup plus complexe, mais je crois qu’à ce stade, nous devrions être bien conscients de certaines des catastrophes causées par le napalm et l’uranium appauvri. Nous ne devrions pas répéter cela une troisième fois et j’espère que cela ne sera pas le cas.
Miroslav Mikolášik (PPE-DE). – (SK) La production d’opium doit être contrôlée. Toute la communauté internationale doit s’intéresser beaucoup plus au contrôle de la production d’opium partout dans le monde. Les efforts entrepris jusqu’à présent par l’ONU et son Conseil économique et social (ECOSOC), ainsi que par l’Organisation mondiale de la santé, en vue de réglementer l’utilisation des opiacés dans le traitement de la douleur sont nécessaires mais encore insuffisants. En même temps, la communauté internationale ne doit pas autoriser une utilisation illimitée des opiacés et leur abus par les toxicomanes.
À mon avis, il est de notre devoir de ne pas abandonner la lutte contre l’abus de drogues dures qui, c’est tout à fait évident, détruisent la vie de leurs consommateurs. Je ne suis pas non plus favorable à l’idée selon laquelle la société devrait fournir de la drogue aux toxicomanes au lieu de tenter de les rééduquer et de les faire revenir à la réalité. De quoi le rapport Cappato traite-t-il vraiment? Selon un point de vue, la communauté internationale souffre d’une pénurie d’opiacés, ou pourrait souffrir d’une telle pénurie dans un avenir proche, et il est par conséquent nécessaire, sous certaines conditions, d’acheter cette drogue à l’Afghanistan.
Il est vrai que les opiacés sont nécessaires au traitement de diverses maladies, au soulagement de la douleur postopératoire et, et ce n’est pas le moins important, au traitement des personnes souffrant de maladies graves. Cette théorie a cependant plusieurs gros défauts fondamentaux qui ne peuvent être ignorés dans la situation actuelle. Premièrement, la situation politique actuelle en Afghanistan est instable. En Afghanistan, il faut lutter contre les talibans, d’une part, et se ranger au côté du marché noir de l’opium, de l’autre. Ce marché noir a un impact décisif non seulement sur l’économie afghane, mais aussi sur la politique et les relations extérieures afghanes. J’ai de sérieux doutes et de sérieuses inquiétudes à ce sujet et je vais à présent vous expliquer pourquoi, à mon avis, une telle approche ne peut pas fonctionner. Les projets impliquant la culture légale du pavot afin de produire de l’opium ne fonctionneront pas, parce que le Bureau international de contrôle des narcotiques ne peut imposer de sanctions à un pays qu’a posteriori, mais le pays abandonnera une partie des cultures au marché noir.
La demande internationale est constante. Le gouvernement n’est pas capable d’agir comme unique gestionnaire des cultures d’opium. Il est clair que, dans ces conditions, le gouvernement va perdre le combat contre les trafiquants. La concurrence va faire monter le prix de l’opium et les agriculteurs qui cultivent le pavot se tourneront vers le marché noir. En outre (et c’est très important), les prix afghans ne sont pas compétitifs par rapport à l’Australie, où le kilo de morphine coûte 56 dollars, l’Inde, où il coûte 159 dollars, ou la Turquie, où il coûte 250 dollars. En Afghanistan, le prix peut atteindre 450 dollars le kilo.
En ce qui concerne l’usage à des fins médicales, si l’opium afghan devait être utilisé dans des produits médicaux, cela ne ferait qu’aggraver la sursaturation du marché dans ce domaine. J’ai presque fini, Madame la Présidente. Je m’opposerai au soutien de l’UE et de ses États membres à la culture du pavot en Afghanistan pour au moins quatre raisons: l’infrastructure insuffisante, l’absence de compétitivité économique, l’énorme expansion dans la mauvaise direction et, enfin, l’absence de pénurie d’opiacés dans le monde pour le moment.
Józef Pinior (PSE). – (PL) Madame la Présidente, Madame la Commissaire, je voudrais remercier M. Cappato pour son travail sur ce rapport. Le rapport représente un grand défi, car il tente de répondre à l’un des problèmes les plus difficiles du monde contemporain.
La production d’opium en Afghanistan augmente année après année. Selon le dernier rapport annuel, la production d’opium a doublé depuis deux ans. En pratique, l’Afghanistan a actuellement le monopole de la fourniture de la drogue la plus mortelle du monde. Il représente 93 % de la production mondiale d’opiacés. Notre président compte parmi ceux qui croient que le sort de l’Afghanistan est notre cause commune. Le combat héroïque du peuple afghan pendant l’ère de la Guerre froide a contribué au développement de la liberté dans le monde contemporain et à la chute du Rideau de fer en Europe. L’Union européenne est à présent tenue par l’honneur d’apporter une aide militaire, administrative et économique à l’Afghanistan.
Cela implique également d’aider l’Afghanistan à lutter contre la production de drogues. Nous devrions nous souvenir que ce qui incite les cultivateurs afghans à produire des opiacés, c’est principalement le profit financier. Nous devrions garder cela à l’esprit lorsque nous élaborerons le programme d’aide en vue de résoudre le problème. C’est pourquoi je voudrais particulièrement féliciter M. Cappato pour les propositions courageuses qu’il fait dans ce rapport. Elles pourraient aider à résoudre la situation en question.
Une de ces propositions consiste à apporter une aide au moyen de l’introduction d’un projet pilote scientifique portant sur la production de pavot à des fins médicales, qui permettra d’approfondir les recherches visant à déterminer dans quelle mesure l’octroi de licences peut contribuer à réduire la pauvreté, à diversifier l’économie rurale, à renforcer le développement général et à améliorer la sécurité. En résumé, il ne s’agit pas de faire la morale, mais d’apporter, au nom de l’Union européenne, une contribution efficace à la résolution de ce problème en Afghanistan.
Horia-Victor Toma (ALDE). - (RO) Selon l’enquête de 2007 relative à l’opium en Afghanistan, menée par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la production d’opium a atteint un record de 8 200 tonnes, ce qui représente 93 % de la production mondiale d’opiacés. Ainsi, 40 % du produit intérieur brut de l’Afghanistan vient de la production et du commerce illicite d’opium, auxquels participent 2,9 millions de personnes. Malgré cela, 10 pays consomment à eux seuls 80 % des dérivés de l’opium légalement disponibles dans le monde, alors que, dans plus de 150 pays, de graves insuffisances de traitement engendrées par le commerce illicite d’opium ont été décelées.
Nous devrions souligner que la principale source de financement des talibans et des groupes terroristes est le trafic illicite de drogue. En outre, les actions menées en vue d’éradiquer ou de détruire les drogues, qui sont financées par la communauté internationale, sont utilisées par les dirigeants politiques et militaires tribaux pour leur propre profit ou pour éliminer la concurrence. Sur la base de ce qui a été dit jusqu’ici, je suis convaincu qu’une approche stratégique et équilibrée du processus de réduction et de contrôle de la production d’opium devrait comporter des alternatives sociales et économiques en vue de favoriser l’établissement d’un État de droit et d’institutions démocratiques en Afghanistan. C’est pourquoi cette action pourrait constituer une des solutions fondamentales en vue de prévenir et d’éradiquer le terrorisme.
Madame la Présidente, j’estime que le plan anti-drogue en Afghanistan, qui consiste à contrôler les quantités d’opium en les utilisant pour produire des analgésiques et d’autres dérivés, pourrait constituer une des solutions économiques alternatives et un moyen de réduire la culture du pavot.
Ryszard Czarnecki (UEN). – (PL) Madame la Présidente, je voudrais commencer par féliciter la commissaire Ferrero-Waldner pour la remarquable prestation du Chœur de garçons d’Altenburg que nous venons d’entendre. Je suis vraiment impressionné.
Je dois à présent passer à un sujet moins agréable, cependant, à savoir le rapport Cappato. Les députés qui ont pris la parole avant moi se sont obstinés à citer le chiffre de 40 % du PIB, parce que c’est la proportion du PIB de l’Afghanistan qui est prétendument générée par la production de narcotiques. Ce chiffre a été accepté, mais je voudrais souligner qu’il y a un an, nos représentants en Afghanistan avaient clairement donné une autre version des faits devant la commission des affaires étrangères du Parlement. Ils maintenaient que la proportion du PIB s’élevait à plus de 50 %, ce qui est un chiffre encore supérieur. Je n’ai pas très envie de donner des explications, mais au moins 10 % de la population afghane vit de la production et du commerce de la drogue. Nous devrions aussi admettre que les soldats des forces internationales sont impliqués dans ce commerce, ainsi que les Américains basés dans le pays.
J’estime qu’il s’agit d’une proposition risquée, même si j’admets, bien sûr, qu’elle a certains avantages essentiels. Je suis toutefois fermement convaincu que la proposition entraînera en fait la légalisation du commerce de la drogue plutôt que celle d’une aide médicale.
Vittorio Agnoletto (GUE/NGL). – (IT) Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, il ne s’agit pas seulement d’observer que 92 % de l’opium du monde est produit en Afghanistan, mais aussi de remarquer la tendance à la hausse: en 2001, selon des données de l’agence anti-drogue des Nations unies, 8 000 hectares étaient consacrés à la culture de l’opium, contre 165 000 en 2006; 185 tonnes ont été récoltées en 2001, 6 100 en 2006.
Cela signifie évidemment que l’actuelle stratégie de destruction des cultures par fumigation ne résout rien. Elle a plutôt des conséquences sociales qui entraîneront, à terme, la montée en flèche de la production d’opium. Des cultures autres que le pavot à opium sont détruites, et les agriculteurs deviennent donc encore plus pauvres et finissent aux mains des trafiquants de drogue, à savoir les talibans et les seigneurs de guerre qui siègent confortablement au gouvernement.
L’objectif est dès lors d’apporter aux agriculteurs une aide qui, du moins au départ, doit atteindre le même niveau financier qu’à l’heure actuelle, les libérant ainsi de la dépendance des trafiquants de drogue. Ce plan ne résoudra bien sûr pas le problème, mais personne ne prétend qu’il le fera. Nous parlons d’une expérience dans une zone limitée, et il ne peut en être autrement dans un pays ravagé par la guerre où les terres sont contrôlées par des gangs rivaux. Cela constitue néanmoins un pas en avant, en ce sens qu’au moins une partie de l’opium ne sera pas transformée en héroïne, mais en morphine. C’est, je pense, bénéfique pour l’Occident et le monde entier.
En outre, je pense que nous devons clarifier le fait que la possibilité de produire de la morphine est déjà prévue. Je n’ai pas connaissance, Madame le Commissaire, de l’existence de tous ces problèmes en Inde et en Turquie. Si tel est le cas, une réglementation est nécessaire. La résolution qui se trouve devant nous envisage quand même un rôle réglementaire pour les organes internationaux: pas sur l’Afghanistan dans son ensemble, qui est à l’heure actuelle ingérable, mais sur une zone extrêmement limitée.
En outre, les associations médicales internationales disent clairement qu’il y a aujourd’hui encore un besoin de morphine, non seulement dans l’hémisphère sud du globe, mais, paradoxalement, dans le nord également. Elle doit bien sûr être vendue aux prix officiels, mais il s’agit d’un analgésique et, selon moi, tout le monde y a droit, y compris les Africains et les populations pauvres. En ce qui concerne les dépenses, cela coûte indubitablement moins cher d’entreprendre une action de ce genre et de contrôler le prix de la morphine que de décider de détruire des cultures à l’aide des méthodes existantes, ce qui ne nous mène nulle part.
Une dernière remarque: je me réjouis que ce débat ait été un débat pragmatique et non une querelle entre ceux qui veulent libéraliser ou légaliser les drogues et ceux qui veulent les interdire. Nous essayons de prendre des mesures pratiques, pragmatiques afin d’aider une partie de la population afghane.
Charles Tannock (PPE-DE). - (EN) Madame la Présidente, il est important que les substances dérivées de l'opium, comme la diamorphine (plus connue sous le nom d'héroïne), soient disponibles à des fins médicales, en particulier pour le contrôle de la douleur. Néanmoins la culture du pavot apporte aux terroristes talibans de 20 à 40 % de leurs fonds, ce qui leur donne les moyens de tuer les soldats de l'OTAN. Malheureusement, la production d'opium afghan a augmenté de 34 % cette année, et représente plus de 90 % de l'offre mondiale.
Des troupes de mon pays, le Royaume-Uni, conduisent la lutte contre les Talibans dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), menée par l'OTAN. Elles n'ont ni le mandat ni le personnel requis pour assurer les fonctions de police d'un projet à grande échelle de culture du pavot à des fins médicales, encore moins pour éradiquer une culture. Ces soldats ont déjà fort à faire pour essayer d'éviter les balles sans devoir en plus devenir des horticulteurs à temps partiel.
Toutefois, en tant que médecin, je trouve assez sensés les arguments avancés par la British Medical Association, qui soutient la culture du pavot, sous une supervision stricte, pour assurer l'approvisionnement en analgésiques. Le député Tobias Ellwood, mon collègue du Parlement britannique, travaille d'arrache-pied à l'élaboration d'un plan de six ans pour le remplacement progressif des cultures de pavot en Afghanistan par des cultures marchandes détournant la production d'opium en faveur d'un usage médical.
Nous devrions donc au moins étudier l'idée d'un programme pilote d'octroi de licence très limité, en gardant à l'esprit le risque d'un détournement à des fins illégales par les Talibans. Tout essai en ce sens devrait forcément être confiné à une très petite zone. Pour être concluant, cet essai devrait bénéficier du soutien de diverses organisations partenaires. Nous ne pouvons bien sûr pas détourner nos courageux soldats de leur mission vitale de lutte antiterroriste mais la mise en place d'un tel programme pourrait avoir certains avantages pour tout le monde.
Sur la question de l'aide de l'UE à l'Afghanistan, il faut que l'UE adopte une approche bien mieux coordonnée du développement des infrastructures afghanes et de la lutte contre la corruption. Faute de quoi, les Talibans, que nous parvenons à peine à contenir dans le sud du pays, l'emporteront.
L'Occident doit prendre vraiment conscience des réalités de l'Afghanistan. Les organismes internationaux ne coordonnent pas correctement leurs activités. Les provinces perdent patience face à la corruption qui sévit dans le gouvernement du président Karzaï à Kaboul.
L'actuel modèle de gouvernement centralisé ne convient pas à la diversité d'intérêts et d'ethnicités du pays, qui n'a jamais connu une tradition de gouvernement central fort. Les provinces ne reçoivent pour l'instant pas de financement opérationnel pour poursuivre des objectifs distincts de Kaboul. Aucun plan économique à long terme n'est suivi pour exploiter les abondantes ressources en eau, dont 92 % s'écoule hors du pays, constituant un gaspillage éhonté et ridicule. La construction de barrages et de systèmes d'irrigation permettrait pourtant une culture de fruits et légumes à l'échelle industrielle.
L'Afghanistan était jadis réputé pour ses grenades, un fruit aujourd'hui très prisé des partisans d'une alimentation saine. La construction d'une voie ferrée plus que nécessaire aiderait à l'acheminement de ce type de marchandises vers le marché international.
Si l'on tient à ce que ce pays soit sauvé du désastre politique et économique, Madame la Commissaire, il reste encore beaucoup à faire, et de toute urgence.
Richard Howitt (PSE). - (EN) Madame la Présidente, en tant qu'opposant de longue date au recours à la fumigation pour éradiquer la culture du pavot, et persuadé en effet que cette méthode est inefficace, souvent contre-productive et toujours assortie d'effets secondaires nuisibles pour la santé humaine, je déplore que cette résolution combine cette même position avec ce que j'estime être une tentative malencontreuse d'encourager la production légale d'opium en Afghanistan. Cette résolution cite le rapport du Conseil de Senlis, qui suggère l'existence d'une pénurie mondiale de pavot. Ce ne sont là que balivernes! En effet, selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants, les stocks légaux d'opiacés sont suffisants pour répondre à la demande pendant deux ans. De plus, la firme londonienne Johnson Matthey, le plus grand producteur de morphine au monde, atteste l'existence d'un surplus mondial dépassant 250 tonnes.
La commissaire a raison d'affirmer que les conditions régnant en Afghanistan ne permettraient pas aux agriculteurs du pays de bénéficier d'une culture légale. Ce n'est là qu'une parmi les nombreuses suppositions forcées du projet de résolution. Le pavot à opium est cultivé sur moins de 4 % des terres agricoles. La culture légale, loin de la remplacer, s'ajouterait à la culture illégale. Selon une étude réalisée par l'organisme indépendant Asia Foundation, 80 % des Afghans sont opposés au commerce de cette drogue. C'est aussi la position du gouvernement afghan, le président Karzaï qualifiant l'opium d'«ennemi de l'humanité». À quelques semaines de la période des semis du pavot, ce projet enverrait précisément le mauvais signal politique.
Je respecte beaucoup le rapporteur mais, sur cette question, et je le regrette, l'Assemblée sera divisée. Le pavot pour la médecine est une expression séduisante mais, en vérité, l'opium finance la violence et l'insécurité en Afghanistan. Le pavot pour la corruption et le terrorisme serait une expression plus proche de la réalité.
Bogdan Golik (PSE). – (PL) Madame la Présidente, Madame la Commissaire, je voudrais exprimer mon soutien à la proposition de recommandation du Parlement européen au Conseil sur la production d’opium à des fins médicales en Afghanistan. Je voudrais également féliciter le rapporteur pour son courage. Lutter contre le commerce illicite de drogues est l’un des grands défis mondiaux de notre époque. L’Union européenne devrait organiser ses activités de manière à essayer de contrôler efficacement les drogues et de réduire la fourniture de drogues dans le monde d’une part, et, de l’autre, d’accroître la disponibilité des analgésiques et de faire baisser leurs prix.
La proposition de légaliser la production d’opium en vue de répondre aux besoins de l’industrie pharmaceutique mondiale pourrait bien être un moyen utile d’atteindre les objectifs que je viens de citer. À l’exemple de la Turquie et de l’Australie, des licences pourraient également être octroyées en Afghanistan pour la culture du pavot utilisé dans la production d’analgésiques utiles, tels que la morphine ou la codéine. Les conditions particulières qui prévalent en Afghanistan doivent toutefois être prises en considération si un système de licences est mis en œuvre.
L’Afghanistan est le principal fournisseur mondial de matière première pour la production d’opiacés. La production et le commerce d’opium en Afghanistan sont devenus un paramètre important de la croissance du PIB, la base du commerce transfrontalier, la principale source de revenus des cultivateurs et le seul moyen, pour la majeure partie de la société, d’accéder à la terre, au travail et au crédit. La légalisation de la culture du pavot en Afghanistan n’aura de sens que si les bonnes conditions sont réunies. La situation sur le plan de la sécurité doit s’améliorer et le pays doit devenir politiquement stable si les autorités nationales doivent assurer un contrôle efficace du processus de production d’opium. Une véritable démocratie doit voir le jour et des crédits d’État doivent être mis à la disposition des agriculteurs. En outre, la conduite de l’activité économique doit être réglementée.
Inger Segelström (PSE). - (SV) Madame la Présidente, je voudrais commencer par remercier M. Cappato pour son rapport intéressant. Je suis responsable, au sein de la commission LIBE, du budget à long terme pour le programme anti-drogues. Au sein de cette commission, nous essayons d’être pragmatiques dans notre travail quant à la manière dont nous, au sein de l’UE, pouvons réduire les usages et les fournitures nuisibles. Je pense dès lors que le débat sur l’Afghanistan est crucial, parce que ce pays est la source de la majeure partie de l’héroïne (93 %) qui tue nos jeunes dans les rues. S’il est possible, en produisant de l’opium à des fins médicales, de réorganiser le contrôle et la production de certains agriculteurs sous la supervision de l’UE et de l’ONU, alors disons oui à ce projet. C’est moi qui dis cela, une députée de Suède, un pays qui a un programme anti-drogues et une politique en matière de drogues très stricts. Malheureusement, je ne pense pas que cela soit suffisant, mais nous devons bien sûr aussi considérer d’autres possibilités, comme la production d’énergie. Les agriculteurs ont cependant besoin d’emplois et de moyens de subsistance et nous devons par conséquent, au Parlement européen, assumer nos responsabilités et exiger que davantage d’actions soient entreprises. Nous allons remplacer 40 % du PIB et nous devons en assumer la responsabilité! En ce qui concerne le paragraphe 1, point a), qui invite le Conseil à s’opposer au recours à la fumigation en tant que moyen d’éradiquer le pavot, j’ai un avis différent. Je pense que nous devons également considérer le problème de manière à sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement, où rien ne bouge. Enfin, quelques mots au sujet de la surproduction. Cela ne signifie pas qu’il y ait un plus grand besoin d’analgésiques chez les plus pauvres de ce monde, chez les femmes et les enfants. Ils utilisent très peu d’analgésiques par rapport à nous, dans l’UE. Alors, adoptons un point de vue global et trouvons des solutions constructives au sein de l’UE et de l’ONU, avec l’Afghanistan, en vue de soutenir la paix et la démocratie et de lutter contre le terrorisme et la drogue. Je vous remercie.
Marco Cappato (ALDE). – (IT) Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, je voudrais dire un mot au sujet de la demande et un mot au sujet de l’offre.
En ce qui concerne la demande, M. Tatarella, qui n’est plus avec nous, et M. Howitt ont soulevé le problème de la surproduction: le fait que l’opium actuellement disponible excède la demande de transformation en opiacés à des fins médicales. C’est vrai, mais ce n’est vrai que pour le niveau actuel de la demande.
Ce à quoi le rapport tente de faire face, c’est à une demande potentielle. Quelque 80 % de la population mondiale n’a pas du tout accès aux analgésiques, même pour les opérations les plus ordinaires, pour les amputations ou pour les soins aux malades du cancer. C’est ce dont nous parlons, et le Bureau international de contrôle des narcotiques est en partie responsable de l’absence de politique mondiale de promotion des analgésiques.
En ce qui concerne l’offre, je prendrais la liberté de dire à la commissaire que le projet pilote qui est proposé coûterait effectivement de l’argent, des ressources du contribuable. C’est vrai, mais la politique actuelle coûte énormément d’argent, qui nous vient également des contribuables.
Le problème est dès lors simple. Ce que nous vous demandons de vérifier, c’est s’il est plus difficile et plus coûteux d’attaquer et de déraciner les cultures de force dans une parcelle, cultures qui seront très probablement déplacées dans la parcelle adjacente, ou de racheter cette moisson et de la transformer sur place, sous la supervision de la communauté internationale, afin qu’elle ne puisse plus être utilisée pour produire de l’héroïne mais qu’elle soit utilisée sans délai pour produire des médicaments. La deuxième solution est moins coûteuse, à mon avis, y compris pour les citoyens et les contribuables européens.
Benita Ferrero-Waldner, membre de la Commission. − (EN) Madame la Présidente, je pense que nous avons assisté à un débat du plus haut intérêt. Encore une fois, j'admire l'idée courageuse de M. Cappato. Encore une fois aussi, permettez-moi d'argumenter et de dire ceci: oui, c'est vrai que notre stratégie n'a pas encore été couronnée de succès. Toutefois, comme je l'ai dit auparavant, il ne s'agit pas que d'une stratégie relative aux drogues car la situation est extrêmement complexe. Nous sommes dans une situation d'après-conflit et, bien sûr, tous les éléments différents sont là: l'OTAN, l'Union européenne et l'ONU. Les réunions que nous avons eues à New York traitaient précisément de cette question.
Je voudrais à présent revenir au sujet des drogues. Il existe en effet des problèmes tant du côté de la demande que de l'offre. Pour ce qui est de la demande, selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants, il n'existe à l'heure actuelle pas de demande pour un supplément d'opium licite à des fins médicales. J'ai d'ailleurs appris que la demande mondiale était entièrement satisfaite, et que la Turquie et l'Inde avaient dû réduire leur production en 2005 et 2006. Les stocks étaient si élevés qu'ils assureraient l'approvisionnement mondial pendant deux ans. C'était le premier point que je voulais souligner. Je vous comprends bien quand vous dites que, dans d'autres parties du monde, des gens n'ont même pas la possibilité de recevoir des soins médicaux sans analgésiques. C'est vrai mais vous prenez ces faits hors de leur contexte. Telles sont les réalités d'aujourd'hui.
Du côté de l'offre, examinons un peu les proportions dont nous parlons. Comme certains collègues l'ont précisé, l'Afghanistan est le pays qui produit la plus grande quantité d'opium et de drogues, à savoir 8 200 tonnes. Si une production légale y était autorisée, il ne pourrait s'agir que d'une très petite quantité. Je pense que cette production légale atteindrait à peine cinq tonnes d'opium. Comparons 8 200 tonnes à cinq tonnes: quasiment rien! Vous en conviendrez, un véritable équilibre n'existe ni du côté de l'offre ni de celui de la demande.
C'est pourquoi, hormis la grande complexité de cette situation, je trouve que votre idée est courageuse et j'en approuve le principe. Je pense toutefois que, pour l'Afghanistan, elle n'est peut-être pas encore utile à ce stade. Au contraire, je crois que notre stratégie doit être double: soutenir le développement à long terme de l'Afghanistan et offrir aux agriculteurs des alternatives à la culture du pavot, en complétant cela par une meilleure gouvernance. L'accent devra donc être mis sur la justice et la police, chose à laquelle nous sommes d'ailleurs déjà occupés.
Nous attachons également beaucoup d'importance au programme en matière de subsistance rurale et à l'aide à l'emploi légitime. À cette fin, la Commission européenne soutient la stratégie nationale afghane de lutte contre la drogue par le biais d'initiatives dans les domaines du contrôle de l'offre et de la réduction de la demande mais également en matière d'amélioration de la gouvernance. Par exemple, nous avons jusqu'à présent contribué au Law and Order Trust Fund (Fonds d'affectation spéciale pour l'ordre public) à concurrence de quelque 135 millions d'euros, et prévoyons de lui accorder encore 70 millions d'euros au cours des deux prochaines années.
J'ai cependant une autre chose à dire: nous nous concentrons sur le développement rural, les soins de santé et la justice, tout en aidant à la réforme de la police et de la justice ainsi qu'aux productions de remplacement, mais l'Union européenne et la Commission européenne ne peuvent tout faire à elles seules en Afghanistan. C'est à l'honorable membre M. Tannock que je dis cela car je pense qu'il ne s'adresse qu'à nous, la Commission européenne et l'Union européenne, alors qu'il y a de nombreux autres acteurs importants concernés. J'estime que nous devons tous agir ensemble. C'est ce que nous tâchons de faire de plus en plus en appliquant une stratégie très coordonnée qui, en somme, va lutter contre les drogues. Néanmoins, encore une fois, je pense qu'il est peut-être trop tôt pour cela.