Le Président. − L’ordre du jour appelle le débat sur six propositions de résolution concernant Madagascar(1).
Raül Romeva i Rueda, auteur. − (ES) Monsieur le Président, nous devons en effet prendre des décisions à ce sujet. Cette question doit faire l’objet d’un débat. Madagascar est en proie à la crise politique, d’où la nécessité d’apporter une réponse appropriée aux besoins de ce pays.
L’accord sur la répartition des pouvoirs a été négocié sous les auspices de l’Union africaine entre l’actuel président Rajoelina et l’ancien président Ravalomanana.
L’accord de Maputo et l’acte additionnel d’Addis-Abeba demeurent la seule solution politique et démocratique à la crise actuelle. Nous ne devons pas l’oublier. L’accord de Maputo prévoit l’établissement d’un gouvernement d’unité nationale avec une période de transition de 15 mois.
Permettez-moi également de souligner que, au-delà de ces éléments, il existe certaines situations spécifiques et locales qui sont préoccupantes en ce sens où le gouvernement adopte un décret légalisant l’exportation de bois non traité et menacé de disparition, ce qui met en péril la biodiversité du pays. Cela pourrait entraîner une foule de problèmes à l’avenir, car ces essences pourraient disparaître à jamais.
Dans ce contexte, nous devons rappeler à la Commission et aux États membres que l’envoi d’une mission d’observation des élections à Madagascar pourrait constituer une erreur. Nous demandons de ne pas envoyer de délégation dans ce pays, dans les circonstances actuelles, pour observer les élections que le gouvernement actuel organise en mars, étant donné que lesdites élections sabotent l’accord de Maputo. J’insiste, dans ce contexte, sur la nécessité d’établir un consensus et d’annuler, sur la base de l’accord de Maputo, cette mission d’observation des élections.
Cela doit s’accompagner du total respect des droits de l’homme, dans ce pays, et du total respect des principes démocratiques et de la prééminence du droit. Si ces conditions sont remplies, nous pourrons en débattre, mais dans la situation actuelle, dans le contexte actuel, je pense que ce serait une erreur.
Renate Weber, auteure. − Monsieur le Président, à Madagascar, les problèmes d’instabilité persistent malgré les initiatives de l’Union africaine et de l’ONU. M. Rajoelina refuse de partager le pouvoir et éloigne tous ceux qui s’opposent à lui. Récemment, il a affirmé son intention d’organiser des élections générales sans tenir compte du calendrier prévu par les accords de Maputo et d’Addis-Abeba.
Ce n’est pas une exagération d’affirmer que le régime anticonstitutionnel d’Andry Rajeolina s’est approprié les trois pouvoirs de l’État, et il fait de son mieux sur les médias aussi.
Malheureusement, pour Madagascar, les violations des droits de l’homme du régime de l’ancien président ont continué après qu’Andry Rajeolina s’est autoproclamé président de la haute autorité de transition. Les forces de sécurité qu’il dirige sont fréquemment intervenues d’une manière violente pour disperser des manifestations de l’opposition, et il y a eu des morts et des blessés.
Dans son rapport du 4 février 2010, Amnesty International montre que des parlementaires, des sénateurs, des avocats, des dirigeants de l’opposition et des journalistes ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires et illégales, certains étant maltraités lors de leur arrestation, alors que les autorités n’ont mené aucune enquête.
Malheureusement, une fois de plus, la réalité nous montre que ceux qui arrivent au pouvoir par la violence règnent avec violence.
Véronique De Keyser, auteure. − Monsieur le Président, sur cette résolution-ci, il y a un consensus. À Madagascar, un régime de transition illégal conduit par Andry Rajoelina est en train de plonger le pays dans le chaos. Il s’apprête à faire main basse sur les prochaines élections, qu’il annonce pour mars 2010, au terme d’un processus qui n’a rien de démocratique et qui passe outre aux accords de Maputo et d’Addis-Abeba.
Les nominations illégales de personnalités politiques contestées, les violations généralisées des droits de l’homme, le harcèlement et l’arrestation arbitraire de parlementaires, de religieux, de civils ont ému la communauté internationale et l’ont amenée à prendre des sanctions. L’appartenance de Madagascar à la Communauté de développement de l’Afrique australe et à l’Union africaine est gelée. Les États-Unis lui refusent les avantages de l’Africain Growth and Opportunity Act. Les donneurs du Fonds monétaire international ont réduit de 50 % leur budget et l’ONU examinera la situation du pays ce 15 février, tandis que l’Union européenne a, je crois, suspendu son aide au développement tout en maintenant son aide humanitaire.
La situation est donc tragique, catastrophique, pour une population qui vit avec moins d’un dollar par jour. Nous sommes terriblement inquiets de cette situation, et cette résolution d’urgence, qui est consensuelle, en témoigne. Nous y soutenons les efforts de médiation de Joaquim Chissano, ex-président de la République du Mozambique, et demandons instamment aux quatre groupes politiques de retourner à la table des négociations. Il n’y aura pas d’autre solution. Nous demandons aussi à l’Union africaine et à la Communauté de développement de l’Afrique australe de reprendre contact pour mener à bonne fin le processus de transition, et nous prions la Commission de nous rendre compte du processus de consultation en cours avec Madagascar, suite à l’article 96 de l’accord de Cotonou.
Bernd Posselt, auteur. − (DE) Monsieur le Président, certaines capitales du monde craignent que notre proposition de résolution puisse entraîner une escalade de la situation à Madagascar. Toutefois, notre but est d’amener la paix dans la région. Je fais référence, en particulier, aux articles 14 et 15, qui sont clairement centrés sur le dialogue.
L’Union africaine, l’Union européenne, les Nations unies, les pays limitrophes, le Groupe de contact, sans oublier la France, ont tous été appelés à jouer leur rôle en garantissant que les quatre différents mouvements politiques (au minimum) qui existent à Madagascar puissent trouver un terrain d’entente, que Madagascar ne devienne pas un pays en faillite, qu’il n’aille pas à la catastrophe et que, au lieu de cela, le pays trouve une solution issue de négociations pacifiques. Toutefois, cela sera uniquement possible tant que personne n’essaiera d’y établir une dictature, que personne ne se retirera du processus de paix et que toutes les parties retourneront à la table des négociations, sans quoi ce pays magnifique mais dévasté n’aura aucun avenir.
Marie-Christine Vergiat, auteure. − Monsieur le Président, mes chers collègues, il en est de Madagascar comme de beaucoup d’autres pays à travers le monde, vis-à-vis desquels l’Union européenne témoigne de son impuissance politique. Ceci est particulièrement vrai en Afrique.
Un an après la prise de pouvoir illégale d’Andry Rajoelina, la grande île de Madagascar semble s’enfoncer de plus en plus dans une crise sociale, économique et financière, et pourtant sa population n’avait pas besoin de cela.
En effet, ce pays est devenu l’un des plus pauvres du monde, et la grande majorité de la population y vit désormais avec moins d’un dollar par jour. Les atteintes aux droits de l’homme s’y multiplient. Religieux, parlementaires, journalistes, responsables de la société civile font l’objet de manœuvres d’intimidation et de harcèlement, ils sont arrêtés et jetés en prison.
La communauté internationale n’a pourtant pas ménagé ses efforts, refusant de reconnaître qu’il s’agit bien d’un coup d’État et que c’est bien un gouvernement militaire qui a été mis en place par Andry Rajoelina à Madagascar.
Madagascar a été suspendue de l’Union africaine et de la Communauté de développement d’Afrique australe. Depuis le 2 février 2009, de nombreuses tentatives ont été faites, y compris par l’ONU et même l’Union européenne, et c’est ce qui a donné lieu aux accords de Maputo et d’Addis-Abeba. Mais, depuis novembre 2009, ces accords semblent s’enliser du fait des divisions entre les différents protagonistes et du refus de certains d’entre eux de participer à la mise en œuvre de ces accords.
Au groupe GUE/NGL, nous considérons qu’il est temps de redonner la parole aux Malgaches et qu’il est grand temps de respecter les règles démocratiques.
M. Andry Rajoelina, l’homme fort du régime, préfère organiser des élections de façon unilatérale sans consultation du peuple malgache, au mépris des accords précédemment cités. Il a fixé unilatéralement une date pour de soi-disant élections démocratiques, tout d’abord en mars 2010, et il semble aujourd’hui qu’il parle d’une date non déterminée entre la fin mars et la fin de l’année 2010.
C’est pourquoi nous souhaitons que l’aide humanitaire soit renforcée, que des poursuites judiciaires soient engagées et que l’Union européenne pèse de tout son poids pour que la société civile soit associée aux démarches entreprises.
Charles Tannock, auteur. − (EN) Monsieur le Président, si l’Union africaine attend de l’Union européenne qu’elle lui confère respect et autorité dans les affaires internationales, elle se doit impérativement d’agir en ce qui concerne Madagascar. Au lieu de cela, la chute du président Marc Ravalomanana a été suivie d’un sentiment de déjà vu: une approche hésitante et une diplomatie timide qui évoquent tristement la situation du Zimbabwe. L’Union africaine doit désormais assumer ses responsabilités à l’égard de Madagascar, en proie aux tensions politiques et au chaos depuis quelques temps. Si l’Union africaine ne peut s’extirper elle-même de cette situation inextricable, on est en droit de se demander pourquoi l’Union européenne devrait agir de la sorte.
Toutefois, nous devons poursuivre notre engagement auprès de Madagascar afin de faciliter le retour en douceur à un gouvernement démocratique et de promouvoir la réconciliation. Il est impératif que les responsables politiques et militaires précités, coupables de violations des droits de l’homme, soient traduits en justice. L’adoption de sanctions ciblées contre le régime illégitime d’Andry Rajoelina représente également une solution efficace pour punir ceux qui entretiennent l’instabilité actuelle, sans porter préjudice à grande majorité de la population locale, laquelle doit être fortement touchée par les tensions et les violences sporadiques qui frappent son beau pays.
Cristian Dan Preda, au nom du groupe PPE. – (RO) Comme cela a déjà été souligné, Madagascar vit dans un climat d’incertitude et d’instabilité politique depuis bien plus d’un an. Si le processus de négociation a fait naître quelques lueurs d’espoir ponctuelles, les actions entreprises par Andry Rajoelina visent uniquement à freiner le processus pour retarder la restauration de l’ordre constitutionnel.
Je fais référence à la destitution du Premier ministre désigné au lendemain des accords de Maputo, au retrait du processus de négociation avec les groupes politiques et à la décision récente d’organiser des élections à la hâte en faisant fi des accords passés auparavant.
Selon moi, cette démarche vise à installer un semblant de légalité et à légitimer un régime qui doit son accès au pouvoir à un coup d’état, ce que Rajoelina ne peut nier. De toute évidence, la restauration de l’ordre constitutionnel passe impérativement par la mise en œuvre complète des accords de Maputo et d’Addis-Abeba.
Martin Kastler (PPE). – (DE) Monsieur le Président, je tiens juste à attirer votre attention sur le fait que tous les groupes ont soutenu cette proposition de résolution. Il ne pourrait en être autrement, vu l’importance capitale de cette question. Au contraire des précédents orateurs, je tiens à souligner que nous ne devons pas simplement promouvoir la liberté d’expression et la liberté des médias dans ce pays, mais devons les requérir activement, à l’heure où nous étudions les possibilités d’aboutir, espérons-le, à une élection pacifique. Nous, Européens, devons faire en sorte d’établir la liberté des médias dans tous les domaines en apportant toutes les ressources financières requises à cette fin. De même, nous devons faire preuve d’un soutien total et d’une volonté d’agir ensemble afin d’apporter une aide financière, conformément aux accords passés avec ce pays.
Eija-Riitta Korhola (PPE). – (FI) Monsieur le Président, nous ne pouvons tolérer la situation de Madagascar, où le pouvoir repose entre les mains d’une personne qui a pris le pays par la violence et le dirige avec la même brutalité, et dont la position n’est pas reconnue par la communauté internationale. C’est pourquoi j’utilise le terme «personne» et non «président».
La majorité de la population de Madagascar vit sous le seuil de pauvreté: 7 000 enfants souffrent de malnutrition grave, et la situation empire sous l’effet de la crise politique. Il importe donc, de concert avec le reste de la communauté internationale, d’intensifier l’aide humanitaire en faveur de Madagascar.
De plus, il est absolument essentiel d’enquêter sur les crimes politiques perpétrés et de les élucider. Cette mission doit être confiée à une agence indépendante impartiale. Sans quoi, il sera difficile d’instaurer la confiance et de progresser vers la démocratie.
La réunion des quatre factions politiques de Madagascar autour de la table des négociations en vue de la tenue d’élections démocratiques cette année doit être une priorité. Il importe également que Madagascar ne conclue aucun accord sur les ressources naturelles avant de disposer d’un gouvernement élu par le peuple.
Michael Gahler (PPE). – (DE) Monsieur le Président, en ce qui concerne Madagascar, il convient d’observer que l’Union européenne n’est pas la seule à se soucier de la conformité de ce pays avec l’article 96 de l’accord de Cotonou, mais que l’Union africaine et la SADC, au même titre que des organisations régionales, ont également affirmé que tout autre coup d’état en Afrique serait inacceptable. Le fait de prendre ce genre de décisions, mais aussi de les mettre en œuvre et d’agir, est relativement inédit pour l’Union africaine et les organisations régionales.
J’espère que le Groupe de contact international se réunira à nouveau à Addis-Abeba dans une semaine, le 18 février, que toutes les parties prenantes seront à la hauteur de leurs missions et de leurs pouvoirs, et qu’elles veilleront également à la mise en œuvre de l’accord convenu à Maputo. Tel est l’appel que je lance à tous les participants.
Viviane Reding, vice-présidente de la Commission. − Monsieur le Président, laissez-moi tout d’abord souligner notre grande préoccupation au sujet des blocages qui empêchent la mise en œuvre des accords de Maputo.
Depuis le début de la crise et depuis l’ouverture des consultations avec Madagascar en vertu de l’article 96 de l’accord de Cotonou, la Commission a soutenu activement les efforts de médiation de la communauté internationale, qui se sont traduits par des avancées notables mais qui, malheureusement, n’ont pas encore abouti à un processus de transition effectif. Nous sommes très inquiets car ici, on n’avance pas, on recule, avec un risque manifeste de retour à la case départ de mars 2009.
Vous conviendrez que cela peut forcément entraîner une aggravation de la situation politique et des droits de l’homme, ainsi que des affrontements entre Malgaches. Nous avons clairement indiqué, à maintes reprises, notre rejet de tout processus unilatéral débouchant sur des élections organisées à la hâte et n’apportant aucune solution durable à la crise.
Donc, pour répondre à la question de l’honorable parlementaire, j’indiquerai que nous ne sommes pas prêts à accompagner, ni politiquement ni même financièrement, un tel processus.
L’initiative prise actuellement par le président de la Commission de l’Union africaine nous laisse un dernier espoir. Nous sommes prêts à évaluer, conjointement avec la communauté internationale au sein du groupe de contact international, la réponse des mouvances malgaches et, en fonction de la situation, à présenter des propositions de décision au Conseil au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou.
Dans le cas d’une décision négative, celle-ci ne devrait pas affecter les projets bénéficiant directement à la population, et nous poursuivrons et accroîtrons, si nécessaire, l’aide humanitaire en faveur des populations vulnérables.
Je voudrais finalement vous assurer, Monsieur le Président, de l’engagement actif, patient et persévérant de la Commission dans la recherche d’une solution consensuelle de sortie de crise.
Le Président. − Le débat est clos. Le vote aura lieu à la fin des débats.