PROPOSITION DE RÉSOLUTION COMMUNE
14.12.2005
- –Martin Schulz, Jan Marinus Wiersma, Martine Roure et Hannes Swoboda, au nom du groupe PSE
- –Sarah Ludford, au nom du groupe ALDE
- –Daniel Marc Cohn-Bendit, Monica Frassoni et Kathalijne Maria Buitenweg, au nom du groupe Verts/ALE
- –Francis Wurtz, Giusto Catania, Sylvia-Yvonne Kaufmann, Kyriacos Triantaphyllides, Marco Rizzo, Willy Meyer Pleite et Miguel Portas, au nom du groupe GUE/NGL
- –ALDE (B6‑0650/2005)
- –PSE (B6‑0651/2005)
- –Verts/ALE (B6‑0654/2005)
- –GUE/NGL (B6‑0672/2005)
Résolution du Parlement européen sur l'utilisation présumée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers
Le Parlement européen,
– vu les articles 6 et 7 du traité sur l'Union européenne (UE),
– vu les articles 2, 3, 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l'homme),
– vu les articles 1, 4, 19, 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
– vu les articles 2, 3 et 11 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
– vu les questions écrites à la Commission et au Conseil, posées le 9 juin 2005 par Martine Roure, Giovanni Fava et Wolfgang Kreissl-Dörfler (PSE), sur des cas d'"extradition spéciale" sur le territoire de l'Union européenne (E-2203/05 et E-2204/05),
– vu le dialogue transatlantique entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique, et notamment la réunion au sommet du 20 juin 2005 et les déclarations conjointes subséquentes sur la lutte contre le terrorisme et sur la démocratie, la liberté et les droits de l'homme,
– vu les dispositions des accords entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique sur l'extradition et l'entraide judiciaire en matière pénale[1],
– vu l'article 103, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que le Washington Post du 2 novembre 2005 a allégué que l'Agence centrale de renseignement (CIA) américaine détenait et interrogeait des terroristes suspectés dans des installations secrètes en Europe de l'Est, dans le cadre d'un système mondial de transport, de détention et d'interrogatoire secrets, dit de "remise extraordinaire" (extraordinary rendition), mis en place après les attentats du 11 septembre 2001, en marge de tout contrôle judiciaire ou des conditions régissant l'extradition,
B. préoccupé par les violations des droits fondamentaux européens et internationaux qui se sont apparemment produites dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international menée depuis le 11 septembre,
C. considérant qu'il semblerait que ces personnes et d'autres terroristes suspectés soient placés sous la surveillance des États-Unis ou de pays étrangers en tant que "détenus fantômes", c'est-à-dire qu'ils ont été enlevés et sont gardés au secret, ne bénéficient d'aucuns droits légaux et n'ont accès ni à un avocat ni à la Croix-Rouge ou au Croissant-Rouge,
D. considérant que ces détenus peuvent faire l'objet de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou d'actes de torture,
E. considérant que des enquêtes judiciaires, parlementaires ou gouvernementales ont été engagées dans plusieurs États membres pour déterminer le rôle présumé de la CIA dans l'enlèvement puis le transport et la détention illégale de ces "détenus fantômes",
F. considérant que ces enquêtes, ainsi que les révélations de la presse et les rapports d'organisations non gouvernementales comme Human Rights Watch, ont indiqué les codes et les références des avions et des installations aéroportuaires soupçonnés d'être utilisés par la CIA pour le transport de suspects ayant été l'objet d'une remise extraordinaire et que certaines de ces installations appartiennent à des bases militaires, dont Aviano en Italie, Ramstein en Allemagne et Kogalniceanu en Roumanie, qui sont situées sur le territoire de l'Union européenne et de ses futurs États membres,
G. considérant que toute aide et tout soutien à des agents d'un autre État qui commettent des actes constitutifs d'une détention au secret ou d'actes de torture, y compris l'aide ou la contribution au transport par avion et à l'utilisation d'aéroports, sont aussi une violation des articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l'homme,
H. considérant que le Secrétaire général du Conseil de l'Europe a constitué, le 21 novembre 2005, une commission d'enquête sur ces allégations, conformément à l'article 52 de la Convention européenne des droits de l'homme, invitant les quarante-cinq gouvernements des États signataires de cette convention à apporter des réponses avant le 21 février 2006,
I. considérant que cette affaire a des implications juridiques, morales et de sécurité pour la conduite de la guerre contre le terrorisme que l'Union européenne s'engage à livrer et à remporter,
J. considérant que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a nommé M. Dick Marty rapporteur de ladite commission d'enquête,
K. considérant qu'il importe au plus haut point d'entreprendre une complète investigation de toute allégation de violations par les États-Unis des droits de l'homme et de l'État de droit ainsi que de complicité de gouvernements européens, compte tenu des implications gravissimes pour le respect des droits fondamentaux dans l'Union européenne,
1. réaffirme sa détermination à combattre le terrorisme mais souligne que la lutte contre le terrorisme ne saurait être victorieuse si l'on sacrifie les principes-mêmes que le terrorisme s'efforce de détruire, notamment celui imposant que l'on ne doit jamais transiger sur la protection des droits fondamentaux;
2. condamne avec force tout recours à la torture, ainsi qu'aux traitements cruels, inhumains ou dégradants;
3. rappelle que l'article 6 du traité UE fait obligation à l'Union et à ses États membres de respecter les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, et que les obligations internationales et ces principes communs interdisent le recours à la torture;
4. rappelle que l'article 7 du traité UE prévoit la possibilité, pour l'Union européenne, en cas de violation grave et persistante des droits fondamentaux par un État membre, ou de risque d'une telle violation, de suspendre certains droits, y compris les droits de vote au sein du Conseil, ainsi que l'a récemment réaffirmé M. Frattini, Vice-président de la Commission;
5. exprime sa préoccupation profonde devant les allégations relatives au rôle de la CIA dans l'enlèvement illégal, le transport, la détention secrète et la torture de terroristes suspectés, ainsi que l'existence présumée de lieux de détention secrets de la CIA sur le territoire de l'Union européenne et de pays candidats;
6. souligne qu'une pleine transparence et un respect mutuel pour les principes fondamentaux du droit sont essentiels au renforcement ultérieur des relations entre l'Union européenne et les États-Unis et de leur coopération dans la lutte contre le terrorisme;
7. se félicite de l'enquête conduite par le Conseil de l'Europe sur ces allégations et prie instamment tous les États membres de remettre avec célérité toute information pertinente à cet égard;
8. estime qu'il doit lui-même, parallèlement à l'enquête menée par le rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. Dick Marty, et sur la base des enseignements à en tirer, réaliser sa propre enquête parlementaire, par l'entremise au minimum d'une commission temporaire constituée conformément à l'article 175 de son règlement, en s'appuyant sur le savoir-faire de son réseau de spécialistes en matière de droits fondamentaux, afin d'établir notamment:
- a)si la CIA est liée à des "remises extraordinaires" de "détenus fantômes", qui sont gardés au secret, sans bénéficier de droits légaux ou sans avoir accès à un avocat, soumis à des traitements cruels ou à des actes de torture, transportés à l'intérieur du territoire de l'Union européenne, notamment par voie aérienne, et détenus dans des sites secrets;
- b)si de telles pratiques pourraient être considérées comme légales sur le territoire de l'Union européenne au regard de l'article 6 du traité UE, des articles 2, 3, 5 et 6 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des accords entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique sur l'extradition et l'entraide judiciaire en matière pénale;
- c)si des citoyens de l'Union européenne ou des personnes résidant légalement dans l'Union figurent parmi les personnes engagées dans des opérations de "remise extraordinaire", de détention illégale ou de torture, dans le cadre des présumées opérations secrètes de la CIA sur le territoire de l'Union européenne,
- d)si des États membres, des fonctionnaires ou des personnes agissant à titre officiel ont participé à des actes, reconnus ou non, de privation illégale de liberté de personnes, y compris leur remise, leur transfert, leur détention ou leur torture, ce de manière active ou passive, ou ont été complices de tels actes;
9. est déterminé à ouvrir la procédure prévue à l'article 7, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne si les investigations confirment les allégations selon lesquelles un quelconque de ses États membres aurait prêté assistance, par action ou par omission, à l'accomplissement de tels actes par des agents opérant pour le compte d'autres États;
10. invite le Conseil européen des 16 et 17 décembre à examiner ces questions et exige que la présidence britannique actuelle et la présidence autrichienne future, avec M. Josep Borrell Fontelles, Président du Parlement européen, nouent d'urgence les contacts nécessaires avec Mme Condoleezza Rice, Secrétaire d'État des États-Unis, le Congrès des États-Unis, les parlements nationaux et le Conseil de l'Europe;
11. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres et des pays candidats, ainsi qu'au Conseil de l'Europe et aux deux chambres du Congrès des États-Unis d'Amérique.
- [1] JO L 181 du 19.7.2003.