Résolution du Parlement européen du 21 juin 2007 sur la situation en Éthiopie
Le Parlement européen,
— vu ses résolutions antérieures sur la crise qui a suivi les élections et sur les graves violations des droits de l'homme en Éthiopie, plus particulièrement celles du 7 juillet 2005 sur la situation des droits de l'homme en Éthiopie(1), du 13 octobre 2005 sur la situation en Éthiopie(2), du 15 décembre 2005 sur la situation en Éthiopie et le nouveau conflit frontalier(3), du 16 novembre 2006 sur l'Éthiopie(4) et du 10 mai 2007 sur la Corne de l'Afrique: un partenariat politique régional de l'UE pour la paix, la sécurité et le développement(5),
— vu l'article 115, paragraphe 5, de son règlement,
A. considérant que le 11 juin 2007, un tribunal éthiopien a jugé 38 grandes figures de l'opposition coupables de chefs d'accusation liés à des manifestations de masse qui ont eu lieu à la suite d'élections contestées il y a deux ans, allant de l''outrage à la constitution" à la haute trahison avec circonstances aggravantes,
B. considérant que la sentence devrait être prononcée le mois prochain et que la plupart des accusés pourraient être condamnés à mort,
C. considérant que parmi les personnes jugées coupables se trouvent Hailu Shawel, président de la Coalition pour l'unité et la démocratie, le professeur Mesfin Woldemariam, ancien président du Conseil éthiopien des droits de l'homme, M. Yacob Hailemariam, envoyé spécial des Nations unies et ancien procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, M. Birhanu Nega, maire élu d'Addis-Abeba et Mme Birtukan Mideksa, ancien juge, tous déclarés "prisonniers de conscience" par Amnesty International,
D. considérant que les 38 détenus, qui ont tous refusé de plaider la culpabilité, figuraient parmi les 30 000 personnes arrêtées, selon les estimations, lors de représailles menées par le gouvernement à l'encontre des manifestants qui protestaient contre la fraude et le trucage électoral de la part du gouvernement du premier ministre Meles Zenawi lors des élections de 2005,
E. considérant que la commission d'enquête constituée par le Parlement éthiopien à la fin de novembre 2005 pour enquêter sur les violences de juin et de novembre 2005 a conclu que 193 civils avaient été tués et 763 blessés par les forces de sécurité gouvernementales; que le rapport de la commission a établi que certaines des victimes avaient été tuées d'une seule balle dans la tête et que des tireurs d'élite visaient certains dirigeants de l'opposition; que selon le même rapport, les manifestants n'étaient pas armés et les forces de sécurité ont recouru à la force de manière excessive,
F. considérant que, toujours selon le rapport, un enfant de 14 ans a été tué pendant les manifestations, que son frère, qui se précipitait à son secours, a été abattu dans le dos et que Etenesh Yimam, femme d'un candidat de l'opposition, a été abattue devant sa maison, sous les yeux de ses enfants,
G. considérant que la Coalition pour l'unité et la démocratie, mouvement d'opposition, a accusé les forces de sécurité d'être responsables des morts mais que M. Meles a accusé l'opposition d'avoir commencé les manifestations violentes,
H. considérant que le président et le vice-président de la commission d'enquête ont été obligés de fuir, suite à des pressions exercées par le gouvernement afin de modifier radicalement les conclusions de la commission, et que le vice-président de la commission, Woldemichael Meshesha, a donné un témoignage de ces événements au Parlement européen lors d'une audition qui a eu lieu le 5 juin 2007,
I. considérant que des journalistes continuent à être arrêtés et empêchés d'exercer leur profession,
J. considérant qu'en janvier 2007, les forces de police auraient frappé et grièvement blessé des étudiants des villes de Dembi Dollo et Ghimbi, en causant la mort de trois d'entre eux, et qu'entre 30 et 50 étudiants auraient été mis en détention,
K. considérant que des personnes accusées de terrorisme international, y compris des citoyens de l'Union européenne, ont été arbitrairement mises en détention et ont fait l'objet de "restitutions",
L. considérant que la stabilité politique et démocratique de l'Éthiopie est cruciale pour le développement des pays de la corne de l'Afrique,
M. considérant que l'Éthiopie a besoin d'un processus de réconciliation pour remettre sur les rails les avancées démocratiques avortées et ouvrir la voie à un développement durable, respectueux des droits fondamentaux de l'homme, du pluralisme politique, des droits des minorités, en particulier ceux de l'ethnie Oromo, et de l'État de droit,
N. considérant que l'Éthiopie a signé l'accord de Cotonou(6), dont l'article 96 énonce que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales est un élément essentiel de la coopération ACP-UE,
O. considérant que le 16 juin 2007, à Addis-Abeba, des membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont rencontré des représentants de l'Union africaine (UA) et des responsables éthiopiens, ainsi que des représentants du Conseil de paix et de sécurité de l'UA,
1. demande au gouvernement éthiopien de libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers politiques, y compris les membres élus du parlement, les dirigeants de la Coalition pour l'unité et la démocratie, les militants des droits de l'homme, les journalistes, les enseignants, les étudiants, les militants syndicaux et les citoyens ordinaires;
2. déplore la décision récente d'un tribunal éthiopien de déclarer coupables 38 dirigeants de l'opposition, militants des droits de l'homme et journalistes, et condamne vivement le fait que ceci ait eu lieu sans procédure de défense, dans le cadre d'une procédure judiciaire qui ne respectait pas les normes internationales en matière de procès libre et équitable et qui a été largement condamnée par les organisations internationales de défense des droits de l'homme;
3. invite instamment les autorités judiciaires éthiopiennes à reconsidérer leur verdict et invite le gouvernement éthiopien à annuler d'éventuelles peines de prison et/ou de mort et à garantir l'indépendance du système judiciaire;
4. se félicite de la libération de 28 accusés le 10 avril 2007, y compris sept journalistes, dont l'une, Serkalem Fasil, était enceinte de six mois lors de son arrestation et n'a pu recevoir de soins médiaux adéquats;
5. demande l'institution d'une commission d'enquête indépendante internationale et demande instamment au gouvernement éthiopien de lui permettre d'approfondir en toute indépendance les conclusions d'origine de la commission et de lui donner un accès illimité aux sources et aux documents utiles pour ses investigations;
6. condamne les arrestations de journalistes indépendants et demande au gouvernement éthiopien de garantir la liberté de la presse;
7. invite instamment le gouvernement éthiopien à enquêter rapidement sur les incidents concernant les étudiants de Dembi Dollo et Ghimbi et à demander des comptes aux personnes responsables;
8. demande au gouvernement éthiopien de révéler le nombre total de personnes détenues et de permettre à tous les prisonniers de voir leur famille, de bénéficier d'un conseil juridique et de recevoir des soins médicaux;
9. condamne la détention arbitraire et la "restitution" de personnes accusées de terrorisme international, y compris de ressortissants de l'Union européenne, et invite le gouvernement éthiopien à donner immédiatement des informations sur ces "restitutions";
10. invite le régime éthiopien à respecter les droits de l'homme, l'État de droit et les libertés démocratiques, y compris le droit de réunion et la liberté d'expression, la déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies ainsi que la charte africaine des droits de l'homme et des peuples et à mettre en œuvre la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale;
11. invite instamment le gouvernement éthiopien à s'engager dans un dialogue sérieux avec l'opposition et la société civile, dans un but de réconciliation nationale, pour permettre à un véritable processus de démocratisation d'avoir lieu;
12. invite la Commission, le Conseil, l'Union africaine et les Nations unies à encourager et soutenir un dialogue inter-éthiopien général, qui réunirait les partis politiques et la société civile en vue de trouver une solution durable à la crise politique actuelle;
13. invite la Commission et le Conseil à demander clairement au gouvernement éthiopien de libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers politiques;
14. invite la Commission, le Conseil et les États membres à condamner l'usage de la peine de mort en Éthiopie;
15. demande à la Commission et au Conseil de partager avec le Parlement européen les rapports produits par ceux qui, au nom de la Commission et du Conseil, ont observé les procès actuels, y compris le Britannique Michael Ellman et d'autres;
16. demande à la Commission et au Conseil de condamner fermement le gouvernement éthiopien pour la répression brutale qui a suivi les élections de mai 2005 et pour les graves infractions aux droits de l'homme et à la démocratie perpétrées depuis lors par les autorités, et de surveiller la situation en Éthiopie ;
17. invite la Commission et le Conseil à poursuivre une politique post-électorale cohérente en Éthiopie;
18. invite le Conseil européen à envisager l'application de sanctions ciblées contre de hauts responsables gouvernementaux;
19. invite la Commission et le Conseil à soutenir les victimes d'atrocités commises en violation des droits de l'homme et les familles des prisonniers politiques;
20. demande à la Commission et au Conseil de prendre des mesures concrètes pour remettre sur les rails le processus démocratique avorté et éviter de nouvelles dégradations de la situation des droits de l'homme en Éthiopie, qui pourraient avoir de graves conséquences dans la région s'il n'y était pas remédié adéquatement et sans retard;
21. invite la Commission et les États membres à soutenir, par les instruments de coopération, le développement de médias libres en Éthiopie;
22. invite la Commission et le Conseil à adopter une position coordonnée, cohérente avec l'article 96 de l'accord de Cotonou; souligne que les programmes de coopération pour le développement dans le cadre de l'accord de Cotonou devraient dépendre du respect des droits de l'homme et de la bonne gouvernance;
23. invite les Nations unies à désigner un "rapporteur spécial" pour mener des investigations en Éthiopie sur l'indépendance de la justice et les détentions arbitraires, la situation des droits de l'homme, y compris les droits des minorités, les violences et les meurtres post-électoraux ainsi que les accusations de trahison et d'outrage à l'ordre constitutionnel formulées à l'encontre de dirigeants de l'opposition, de journalistes et de militants de la société civile;
24. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux co-présidents de l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, à la Commission de l'Union africaine et au Parlement panafricain, au gouvernement éthiopien et au Secrétaire général des Nations unies.