Résolution du Parlement européen du 10 mars 2009 sur l'intégrité des jeux d'argent en ligne (2008/2215(INI))
Le Parlement européen,
— vu l'article 49 du traité CE,
— vu le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité CE,
— vu la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes(1),
— vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur(2) (directive sur les services),
— vu la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du Conseil visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle(3) (directive sur les services de médias audiovisuels),
— vu la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ("directive sur le commerce électronique")(4),
— vu la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme(5),
— vu sa résolution du 8 mai 2008 sur le Livre blanc sur le sport(6),
— vu la question orale posée le 16 octobre 2006 à la Commission par la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, sur les jeux d'argent et les paris sportifs dans le marché intérieur (O-0118/2006), vu le débat qui en a découlé le 14 novembre 2006 au sein de ladite commission et vu la réponse fournie par le membre de la Commission,
— vu le document d'information sur les jeux d'argent en ligne, centré en particulier sur la question de l'intégrité et sur un code de conduite en matière de jeux d'argent, préparé pour le Parlement européen par Europe Economics Research Ltd,
— vu l'étude sur les services relatifs aux jeux de hasard dans le marché intérieur de l'Union européenne, en date du 14 juin 2006, préparée pour la Commission par l'Institut suisse de droit comparé (ISDC),
— vu l'article 45 de son règlement,
— vu le rapport de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (A6-0064/2009),
A. considérant que les jeux d'argent en ligne, qui ont généré des revenus bruts de l'ordre de 2 000 000 000 EUR à 3 000 000 000 EUR en 2004, représentent à l'heure actuelle près de 5 % de l'ensemble du marché des jeux d'argent dans l'Union européenne, d'après l'étude précitée de l'ISDC, et que leur croissance rapide semble inévitable,
B. considérant que les jeux d'argent publics ou autorisés par l'État constituent de loin la source la plus importante de revenus des organisations sportives dans de nombreux États membres,
C. considérant que, traditionnellement, en vertu du principe de subsidiarité, les jeux d'argent, notamment en ligne, ont été strictement réglementés dans tous les États membres, afin de protéger les consommateurs contre la dépendance et la fraude, d'empêcher le blanchiment d'argent et les autres actes de criminalité financière, ainsi que le trucage de matchs, et de préserver l'ordre public; que la Cour de justice admet des restrictions à la liberté d'établissement et à la liberté de prestation de services à la lumière de ces objectifs d'intérêt général, à condition que ces restrictions soient proportionnées et non discriminatoires,
D. considérant que les divers États membres appliquent des restrictions différenciées selon le type de service de jeu d'argent concerné, notamment en ce qui concerne les jeux de casino, les paris sportifs, les loteries ou les paris sur les courses de chevaux; que la majorité des États membres interdit l'exploitation – même par des opérateurs locaux – des jeux de casino en ligne et qu'un nombre significatif d'entre eux fait de même avec l'exploitation des paris sportifs et des loteries en ligne,
E. considérant que les jeux d'argent ont été exclus du champ d'application des directives 2006/123/CE, 2007/65/CE et 2000/31/CE, et que le Parlement a, dans sa résolution précitée sur le livre blanc sur le sport, fait part de la préoccupation que lui inspire l'éventuelle déréglementation des jeux d'argent,
F. considérant que les États membres ont réglementé leurs marchés traditionnels des jeux d'argent pour protéger les consommateurs contre la dépendance, la fraude, le blanchiment d'argent et les matchs truqués; que ces objectifs politiques sont plus difficiles à atteindre dans le domaine des jeux d'argent en ligne,
G. considérant que la Commission a ouvert des procédures d'infraction contre dix États membres afin de vérifier si les mesures nationales qu'ils ont prises pour limiter la prestation transfrontalière de services de jeux d'argent en ligne, principalement les paris sportifs, sont compatibles avec le droit communautaire; que ces procédures ne remettent pas en cause, comme l'a souligné la Commission, l'existence de monopoles ou de loteries nationales en tant que tels et qu'elles n'ont aucune incidence sur la libéralisation des marchés des jeux d'argent en général,
H. considérant que la Cour de justice des Communautés européennes est saisie d'un nombre croissant de demandes de décisions préjudicielles dans des affaires relatives aux jeux d'argent, ce qui met clairement en exergue le flou des modalités d'interprétation et d'application du droit communautaire dans ce domaine,
I. considérant que, au sens de la présente résolution sur les jeux d'argent en ligne, l'intégrité implique un engagement visant à empêcher non seulement la fraude et la criminalité, mais aussi la dépendance au jeu et l'accès des mineurs d'âge aux jeux d'argent, et ce dans le respect de la législation protégeant les consommateurs et du droit pénal et en n'exposant pas les compétitions sportives à une quelconque influence inappropriée en rapport avec les paris sportifs,
J. considérant que les jeux d'argent en ligne cumulent plusieurs facteurs de risque associés à la dépendance, comme, entre autres, la facilité d'accès, la disponibilité d'un large éventail de jeux et le peu de contraintes sociales(7),
K. considérant que les paris sportifs et les autres jeux en ligne se sont multipliés rapidement et de manière incontrôlée (notamment dans leur dimension transfrontalière à travers l'internet) et que la menace omniprésente de matchs truqués et l'émergence de paris ("lay bets") sur des manifestations sportives bien précises exposent tout particulièrement le sport aux paris illicites,
Un secteur transparent qui protège l'intérêt général et les intérêts des consommateurs
1. souligne que, en vertu du principe de subsidiarité et de la jurisprudence de la Cour de justice, les États membres ont intérêt et sont habilités à réglementer et à contrôler leur marché des jeux d'argent, dans le respect de leurs traditions et de leur culture, afin de protéger les consommateurs contre la dépendance, la fraude, le blanchiment d'argent et le trucage de compétitions sportives, et afin de protéger les structures reconnues qui financent des activités sportives et d'autres causes sociales sur leur territoire; ajoute que tous les autres acteurs concernés ont également intérêt à ce que le marché des jeux d'argent soit réglementé et contrôlé; souligne aussi que les opérateurs de jeux d'argent en ligne sont tenus de se conformer à la législation de l'État membre où ils fournissent leurs services et où résident les consommateurs de ces services;
2. souligne qu'il y a lieu de voir dans les services de jeux d'argent une activité économique de nature bien spécifique au regard des aspects tant sociaux que d'ordre et de santé publics qui y sont liés, et qu'une concurrence dans ce domaine ne se traduit pas par une meilleure affectation des ressources, d'où la nécessité d'une approche fondée sur plusieurs piliers; souligne qu'une approche purement axée sur le marché intérieur ne convient pas dans un domaine aussi sensible que celui-ci et demande à la Commission d'accorder une attention particulière aux appréciations de la Cour de justice sur le sujet;
3. soutient les travaux entamés au Conseil sous la Présidence française pour relever les défis que posent les jeux d'argent et les paris traditionnels et en ligne; invite le Conseil à continuer d'organiser des discussions formelles en vue d'aboutir à une solution politique qui permette de circonscrire et de résoudre les problèmes dus aux jeux d'argent en ligne et demande à la Commission de soutenir ce processus et de réaliser des études ainsi que de formuler des propositions appropriées qui puissent être considérées comme utiles par le Conseil en vue de la concrétisation d'objectifs communs dans ce domaine;
4. demande aux États membres de coopérer étroitement afin de résoudre les problèmes sociaux et relatifs à l'ordre public qu'occasionnent les jeux d'argent transfrontaliers en ligne, comme le phénomène de dépendance et l'exploitation abusive des données à caractère personnel ou de cartes de crédit; invite les institutions de l'Union à coopérer étroitement avec les États membres dans la lutte contre tous les services de jeux d'argent en ligne non autorisés ou illicites, à protéger les consommateurs et à empêcher la fraude; souligne la nécessité d'une position commune européenne sur la manière d'atteindre ces objectifs;
5. souligne que les autorités réglementaires et les opérateurs devraient coopérer étroitement avec les autres acteurs concernés par les jeux d'argent en ligne, comme les opérateurs de jeux d'argent, les autorités réglementaires, les associations de consommateurs, les organismes sportifs, les organisations professionnelles et les médias, qui partagent la responsabilité de garantir l'intégrité des jeux d'argent en ligne et d'informer les consommateurs de leurs possibles effets négatifs;
La lutte contre la fraude et les autres formes de criminalité
6. fait observer qu'il est possible d'établir un lien entre, d'une part, les activités criminelles, telles que le blanchiment d'argent, et les économies souterraines et, d'autre part, les jeux d'argent et leur impact sur l'intégrité des manifestations sportives; note que la menace qui pèse sur l'intégrité du sport et sur les compétitions sportives porte un coup sérieux au vecteur incontournable de santé publique et d'intégration sociale qu'est la participation des acteurs de base; estime que ce phénomène risque d'effriter la confiance du public si celui-ci voit dans un sport donné un terrain de manipulation procurant des avantages financiers aux joueurs, aux officiels ou à des tiers, plutôt qu'une activité organisée, pour le plus grand plaisir de ses supporteurs, selon les valeurs et les règles qui la gouvernent;
7. est d'avis que la croissance du secteur des jeux d'argent en ligne accroît les risques de pratiques illégales, telles que la fraude, le trucage des compétitions, les syndicats illicites de parieurs et le blanchiment d'argent, car les sites de jeux d'argent en ligne peuvent se créer et se démanteler très rapidement et car les opérateurs extraterritoriaux ont proliféré; demande à la Commission, à Europol et aux autres institutions nationales et internationales de suivre de près la situation et de faire rapport sur leurs conclusions à cet égard;
8. estime que la protection de l'intégrité des manifestations et des compétitions sportives nécessite une coopération entre les détenteurs de droits sportifs, les opérateurs de paris en ligne et les pouvoirs publics aux niveaux national, de l'Union et international;
9. demande aux États membres de veiller à ce que les organisateurs de compétitions sportives, les opérateurs de paris sportifs et les autorités réglementaires coopèrent à l'élaboration de mesures visant à faire face aux risques liés aux paris illicites et au trucage de matchs dans le monde du sport, ainsi que d'étudier la mise en place d'un cadre réglementaire viable, équitable et durable visant à protéger l'intégrité du sport;
10. insiste sur le fait que les paris sportifs constituent une forme d'exploitation commerciale des compétitions sportives et recommande aux États membres de protéger celles-ci contre toute utilisation commerciale non autorisée, en particulier en reconnaissant les droits des organisateurs de ces compétitions, et de mettre en place toutes les conditions requises pour assurer des revenus financiers équitables à tous les niveaux du sport professionnel et amateur; invite la Commission à étudier la possibilité de conférer un droit de propriété intellectuelle (une sorte de "droit de portrait"(8)) sur les compétitions sportives à leurs organisateurs;
Prévenir les préjudices pour les consommateurs
11. estime que la possibilité potentiellement omniprésente qu'offre l'internet de jouer à des jeux d'argent en ligne en privé, avec l'obtention de résultats immédiats et la possibilité de miser de fortes sommes d'argent, crée de nouveaux risques de dépendance au jeu; ajoute toutefois que tous les effets, sur les consommateurs, des formes spécifiques de services de jeux d'argent en ligne sont encore méconnus et devraient faire l'objet d'études plus approfondies;
12. attire l'attention sur les préoccupations croissantes suscitées par la possibilité pour les jeunes d'accéder à des jeux d'argent en ligne, licites ou illicites, et souligne la nécessité de contrôler plus efficacement l'âge des joueurs et d'empêcher les joueurs mineurs d'âge d'avoir un accès en ligne à des démonstrations gratuites sur des sites Internet;
13. fait valoir que les très jeunes gens, en particulier, peuvent avoir des difficultés à faire la différence entre des notions telles que la chance, le destin, le risque et la probabilité; exhorte les États membres à s'intéresser aux principaux facteurs de risque susceptibles d'accroître la probabilité pour une personne (jeune) de développer une dépendance au jeu et les invite instamment à trouver les instruments permettant de cibler de tels facteurs;
14. s'inquiète de la multiplication des combinaisons entre la télévision interactive, les téléphones mobiles et les sites Internet, qui proposent des jeux d'argent à distance ou en ligne, particulièrement lorsque sont visés les mineurs d'âge; estime que cette évolution posera de nouveaux défis sur les plans de la réglementation et de la protection sociale;
15. estime que les jeux d'argent en ligne sont susceptibles d'exposer les consommateurs à des risques et que, par conséquent, les États membres devraient être en droit de limiter la liberté de prestation de services de jeux d'argent en ligne afin de protéger les consommateurs;
16. souligne qu'il est de la responsabilité des parents d'empêcher l'accès des mineurs d'âge aux jeux d'argent et de prévenir la dépendance des mineurs aux jeux d'argent;
17. invite parallèlement les États membres à dégager des aides financières suffisantes en faveur de la recherche sur les problèmes créés par les jeux d'argent en ligne, ainsi qu'en faveur de la prévention et du traitement de ces problèmes;
18. estime que les profits générés par les jeux d'argent doivent être utilisés à des fins d'utilité publique, notamment pour le financement permanent de l'éducation, de la santé, du sport professionnel et amateur et de la culture;
19. soutient l'élaboration de normes sur les jeux d'argent en ligne, quant aux limites d'âge, à l'interdiction du crédit et des systèmes de primes afin de protéger les joueurs vulnérables, aux informations sur les conséquences possibles des jeux d'argent, aux informations sur les possibilités d'obtenir de l'aide en cas de dépendance, au risque de dépendance inhérent à certains jeux, etc.;
20. demande à toutes les parties prenantes de s'intéresser au risque d'isolement social que provoque la dépendance aux jeux d'argent en ligne;
21. estime que l'autoréglementation quant à la publicité, à la promotion et à l'offre de jeux d'argent en ligne n'est pas suffisamment efficace et insiste par conséquent sur la nécessité d'une réglementation et d'une coopération entre le secteur et les pouvoirs publics;
22. exhorte les États membres à coopérer au niveau de l'Union pour prendre des mesures visant à contrer les publicités ou les commercialisations agressives de jeux d'argent en ligne par des opérateurs publics ou privés, y compris de jeux en démonstration gratuite, afin de protéger en particulier les joueurs et les consommateurs vulnérables, comme les enfants et les très jeunes gens;
23. suggère d'étudier la possibilité de fixer le montant maximal qu'une personne serait autorisée à miser par mois dans des jeux d'argent en ligne ou d'obliger les opérateurs de ces jeux à faire usage de cartes prépayées qui seraient vendues dans le commerce;
Code de conduite
24. estime qu'un code de conduite pourrait encore être un instrument complémentaire utile pour atteindre certains objectifs publics (et privés) et pour prendre en considération les progrès technologiques, l'évolution des préférences des consommateurs ou celle des structures du marché;
25. souligne cependant qu'un code de conduite relève en fin de compte d'une démarche d'autoréglementation émanant du secteur concerné et qu'il ne peut donc se concevoir que comme un complément à la législation, à laquelle il ne saurait se substituer;
26. souligne également que l'efficacité d'un code de conduite dépendra largement de son acceptation par les autorités réglementaires nationales et par les consommateurs, ainsi que de son degré de mise en œuvre;
Surveillance et recherches
27. invite les États membres à rassembler des informations sur la taille et l'évolution de leur marché des jeux d'argent en ligne, ainsi que sur les défis que pose ce secteur;
28. invite la Commission à entreprendre des recherches sur les jeux d'argent en ligne et sur le risque de développer une dépendance, par exemple sur le rôle de la publicité à cet égard, sur la possibilité de créer une classification européenne commune des jeux en fonction de leurs risques de dépendance et sur les mesures préventives et curatives qui pourraient être prises;
29. demande à la Commission d'examiner en particulier le rôle de la publicité et de la commercialisation (y compris sous la forme de jeux de démonstration gratuits placés en ligne), qui incitent directement ou implicitement les mineurs d'âge à pratiquer des jeux d'argent;
30. demande à la Commission, à Europol et aux autorités nationales de recueillir et de mettre en commun des informations sur l'ampleur des fraudes et autres formes de criminalité dans le secteur des jeux d'argent en ligne, notamment parmi les acteurs concernés dans ce secteur;
31. demande à la Commission d'étudier, en étroite coopération avec les gouvernements nationaux, les effets économiques et non économiques de la prestation de services transfrontaliers de jeux d'argent en ce qui concerne l'intégrité, la responsabilité sociale, la protection des consommateurs et la fiscalité;
32. souligne l'importance pour l'État membre de résidence du consommateur d'être en mesure de contrôler, de limiter et de surveiller efficacement les services de jeux d'argent fournis sur son territoire;
33. invite la Commission et les États membres à clarifier le lieu d'imposition des activités de jeux d'argent en ligne;
o o o
34. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission.
Avis de l'avocat général Bot du 14 octobre 2008 dans l'affaire C-42/07; étude précitée de l'ISDC, p. 1450; Valentine, G., Literature review of children and young people's gambling (étude commandée par la commission britannique des jeux d'argent), septembre 2008.