Résolution du Parlement européen du 21 janvier 2010 sur la situation aux Philippines
Le Parlement européen,
– vu la déclaration de la présidence de l'Union européenne du 25 novembre 2009 sur le massacre perpétré dans la province de Maguindanao aux Philippines, et la déclaration de Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, en date du 2 décembre 2009,
– vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies et le protocole facultatif se rapportant à celui-ci, dont les Philippines sont signataires,
– vu le document de stratégie par pays sur les Philippines publié par la Commission pour la période 2007-2013,
– vu l'accord de financement pour le programme UE-Philippines de soutien à la justice, signé en octobre 2009, visant à accélérer les procédures judiciaires à l'encontre d'auteurs d'exécutions extrajudiciaires,
– vu les élections présidentielles, législatives et locales qui se tiendront aux Philippines le lundi 10 mai 2010,
– vu ses précédentes résolutions concernant les Philippines,
– vu l'article 122, paragraphe 5, de son règlement,
A. considérant que les meurtres et les disparitions politiques, en particulier ceux dont sont victimes des membres d'organisations de l'opposition, des journalistes, des militants des droits de l'homme et des chefs religieux, continuent d'être répandus aux Philippines, et considérant que les organisations de défense des droits de l'homme font état de plus de 1 000 meurtres et disparitions pour des motifs politiques survenus durant les dix années passées,
B. considérant que la quasi-impunité des auteurs de ces crimes et l'incapacité du gouvernement à lutter efficacement contre la violence pour motifs politiques dans le pays rendent très difficile de traduire les responsables en justice, malgré les engagements pris par le gouvernement dans le cadre de son examen périodique universel de 2008,
C. considérant que des centaines de milliers de personnes sont encore déplacées au sein du pays à cause du conflit qui oppose le gouvernement et le Front islamique de libération moro ainsi que la Nouvelle Armée populaire, qui est toujours active à travers le pays, et à cause des opérations militaires menées contre des groupes criminels tels que le groupe Abu Sayyaf dans les provinces insulaires de Sulu et Basilan dans l'ouest de Mindanao,
D. considérant que, le 23 novembre 2009, cent hommes armés d'une milice locale dirigée par la famille Ampatuan, comprenant des fonctionnaires des forces de police locales, ont torturé et brutalement assassiné 57 membres d'un convoi comptant des parentes d'Esmael Mangudadatu, dont certaines ont été violées, des avocats et 30 journalistes qui étaient en chemin pour aller déposer la candidature d'Esmael Mangudadatu au poste de gouverneur de la province de Maguindanao à Mindanao,
E. considérant que ce massacre, qui représente le plus important massacre de journalistes de tous les temps dans le monde entier, a révélé de façon révoltante à quel point les seigneurs de guerre locaux ont étendu leur emprise sur les Philippines, et combien la corruption des forces de sécurité et l'impunité pour les crimes les plus atroces s'y sont répandues,
F. considérant que, le 24 novembre 2009, le gouvernement philippin a déclaré l'état d'urgence dans les deux provinces concernées, confiant ainsi à l'armée la charge de faire régner la loi et l'ordre, a invité des experts internationaux de police scientifique pour aider à l'enquête, et a déclaré la loi martiale à Maguindanao le 4 décembre 2009 pour une durée d'une semaine, ce qui a constitué la première décision de ce genre depuis 1972,
G. considérant que cette décision a conduit à l'arrestation des membres dirigeants de la famille Ampatuan, à leur poursuite pour meurtres multiples et à la découverte d'un arsenal d'armes colossal et de milliers de cartes d'identification d'électeurs cachées, ce qui laisse supposer qu'une fraude électorale massive a eu lieu en faveur du parti politique de la Présidente Gloria Arroyo, le Lakas Kampi CMD,
H. considérant que les élections aux Philippines ont été par le passé marquées par de fréquentes exécutions extrajudiciaires d'opposants politiques perpétrées par des armées privées et des milices, dont une grande partie sont dotées d'armes du gouvernement, employées par des familles politiquement influentes,
I. considérant que lors de la campagne électorale de 2007, environ 60 candidats ont été assassinés et que pendant la campagne de 2004, 41 candidats l'ont été, ce qui fait craindre que le nombre de meurtres de militants politiques augmente encore d'ici aux élections de mai 2010,
J. considérant que les exécutions brutales perpétrées à Maguindanao représentent un sérieux revers pour la paix et la démocratie aux Philippines et compliquera les pourparlers de paix entre le gouvernement philippin et le Front islamique de libération moro, qui ont repris le 8 décembre 2009 à Kuala Lumpur, pourparlers facilités par le gouvernement malaysien,
1. condamne fermement le massacre de Maguindanao qui a eu lieu le 23 novembre 2009 et exprime sa solidarité envers les familles des victimes;
2. se félicite de la réaction du gouvernement philippin face au massacre mais déplore les retards qui ont été accusés au début, et souligne que l'enquête de police doit être complète et indépendante et qu'elle doit être suivie de poursuites pénales efficaces, y compris à l'encontre des membres des forces de sécurité soupçonnés d'être impliqués;
3. fait part de ses vives préoccupations quant au fait que les liens entretenus par le personnel de l'administration avec la famille Ampatuan pourraient nuire à l'impartialité de l'enquête sur les meurtres et demande que la famille Ampatuan soit interrogée par le Bureau national d'investigation;
4. demande que des mesures urgentes soient prises pour protéger tous les témoins, les juges, les avocats et les procureurs participant à l'enquête et aux procès;
5. invite les pays donateurs à proposer une aide en matière de police scientifique et d'investigation ainsi qu'une aide et un soutien juridiques au ministère de la justice des Philippines;
6. invite le gouvernement philippin à prendre des mesures décisives pour mettre un terme aux exécutions et aux disparitions extrajudiciaires et faire la lumière sur tous les autres cas non résolus, y compris celui de Jonas Burgos, qui a disparu en avril 2007; invite instamment le gouvernement philippin à ratifier la Convention internationale des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées;
7. invite le gouvernement philippin à agir de façon décisive pour mettre immédiatement un terme à tout financement privé et local de la police et des groupes militaires auxiliaires et pour dissoudre les forces paramilitaires et les milices locales; se félicite de la déclaration de la Présidente Arroyo du 9 décembre 2009 à ce sujet et invite Mme Arroyo à annuler le décret 546;
8. salue à cet égard l'interdiction des armes récemment décidée par la commission des élections en préparation du scrutin du 10 mai 2010;
9. se félicite de la signature, en octobre 2009, de l'accord de financement pour le programme UE-Philippines de soutien à la justice, qui consacre 3 900 000 EUR pour le soutien, l'aide et les formations visant à renforcer le système de justice pénale et à aider au travail de la commission des droits de l'homme et des groupes de la société civile; attend avec intérêt les rapports sur le fonctionnement du système de suivi qui doit être mis en place dans le cadre du programme UE-Philippines de soutien à la justice, et qui sera chargé de surveiller les progrès accomplis dans la lutte contre les exécutions extrajudiciaires et les abus liés;
10. fait part de ses préoccupations quant au fait que la déclaration de l'état d'urgence par la Présidente, combinée à l'attribution de davantage de pouvoir aux forces armées qui ont, par le passé, été impliquées dans de nombreuses exécutions extrajudiciaires, n'empêcheront ni n'atténueront pas la violence liée aux élections dans la province de Mindanao;
11. invite le gouvernement philippin à intensifier les efforts déployés pour mettre un terme à la violence politique afin d'assurer l'avenir de la démocratie aux Philippines; invite en particulier les autorités à constituer un groupe de travail de haut niveau jouissant d'un large soutien politique pour mettre en œuvre de toute urgence des mesures permettant de prévenir la violence liée aux élections pendant les mois précédant le scrutin de mai, et pour prendre des mesures visant à protéger les médias et la liberté d'expression en général;
12. se félicite de la décision prise par la Cour suprême d'autoriser la participation d'Ang Ladlad aux élections de mai, décision qui annule le refus initial opposé par la commission des élections, fondé sur des "motifs moraux";
13. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission, ainsi qu'à la Présidente et au gouvernement des Philippines, au Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme et aux gouvernements des États membres de l'ANASE.