Résolution du Parlement européen du 9 septembre 2010 sur le refus du Kenya d'arrêter le Président Umar al-Bachir
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur la crise au Darfour (Soudan),
– vu les mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale contre le Président soudanais Umar al-Bachir pour crimes contre l'humanité et génocide,
– vu la résolution 1593(2005) du Conseil de sécurité des Nations unies,
– vu les déclarations de Catherine Ashton, Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, des 22 juillet 2010 et 20 août 2010 invitant respectivement le Tchad et le Kenya à coopérer avec la CPI,
– vu la décision n° ICC-02/05-01/09 de la chambre d'accusation de la CPI du 27 août 2010 informant le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Assemblée des États parties au Statut de Rome de la présence d'Umar al-Bachir sur le territoire de la République du Kenya,
– vu le Statut de Rome,
– vu les différents accords de partenariat, notamment l'Accord de Cotonou, conclus entre l'UE et les États d'Afrique, qui soumettent le commerce et l'aide à des conditions touchant à l'état de droit,
– vu l'article 4 de l'Acte constitutif de l'Union africaine, qui rejette l'impunité,
– vu l'article 122, paragraphe 5, de son règlement,
A. considérant que le gouvernement kenyan a invité et accueilli le Président soudanais Umar al-Bachir à participer le 27 août 2010 aux cérémonies de promulgation de la constitution, sachant que ce dernier avait été inculpé par la CPI,
B. considérant que le Président Umar al-Bachir fait l'objet d'un mandat d'arrêt international émis le 4 mars 2009 par la CPI pour crimes contre l'humanité (meurtre, extermination, déportation, torture et viol) et crimes de guerre (planification d'attaques contre des civils et pillages), ainsi que d'une ordonnance du 12 juillet 2010 l'inculpant pour «génocide par meurtre, génocide par atteinte grave à l'intégrité physique ou psychologique des victimes, et génocide par soumission intentionnelle de chacun de ces groupes à des conditions d'existence devant entraîner leur élimination physique»,
C. considérant que le Kenya, tout comme 31 autres pays d'Afrique, est signataire du Statut de Rome, qui lui fait obligation d'arrêter toute personne poursuivie par la CPI et de la livrer à la Cour ou de lui interdire l'accès à son territoire,
D. considérant que les pays ayant ratifié la convention de 1948 de l'ONU contre le génocide ont l'obligation de coopérer avec la CPI, même s'ils ne sont pas signataires du Statut de Rome,
E. considérant que le Soudan, qui fait partie des Nations unies, refuse obstinément de coopérer avec la CPI, privant de la vérité et refusant de rendre justice aux millions de victimes des atrocités au Soudan, en particulier dans la région du Darfour,
F. considérant que le Premier ministre kenyan a reconnu que l'invitation adressée au Président al-Bachir était une erreur et que le refus des autorités kenyanes de l'arrêter constituait une violation grave des obligations internationales du Kenya au titre non seulement du statut de la CPI mais aussi de la législation nationale, notamment la nouvelle constitution, laquelle reconnaît l'applicabilité directe du droit international,
G. considérant que Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies, et le médiateur dans la crise kenyane ont réclamé que le Kenya précise sa position sur la CPI et réaffirme son obéissance à l'égard de celle-ci,
H. considérant que le Kenya a l'obligation incontestable de coopérer avec la CPI pour ce qui est de l'exécution de mandats d'arrêt, obligation découlant à la fois de la résolution 1593 du Conseil de sécurité des Nations unies, dans laquelle le Conseil de sécurité invitait instamment tous les États et organisations régionales et internationales concernés à coopérer pleinement avec la CPI, et de l'article 87 du Statut de la Cour, auquel la République du Kenya est partie,
I. considérant que le Président al-Bachir s'est rendu au Tchad, qui est également signataire du traité instituant la CPI, et que ce pays n'a pas rempli ses obligations,
J. considérant que depuis son inculpation, le Président soudanais s'est également rendu en Égypte, en Libye, en Arabie Saoudite, en Erythrée, au Qatar, au Zimbabwe et en Éthiopie,
K. considérant que l'Union africaine a indiqué en juillet 2009 que ses États membres refuseraient la coopération prévue à l'article 98 du Statut, qu'elle a réaffirmé cette position après l'inculpation pour génocide d'Umar al-Bachir, puis dans une résolution adoptée par consensus le 27 juillet 2010, lors de son Sommet de Kampala, demandant au Conseil de sécurité de l'ONU de suspendre les poursuites contre le Président soudanais, conformément à l'article 16 du Statut,
L. regrettant le refus de l'Union africaine de créer un bureau de la CPI en son sein et menaçant de sanctions les États africains qui ne respecteraient pas la décision de l'Union,
M. considérant que les génocides, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ne doivent pas rester impunis et que la manière dont le cas du Président al-Bachir est traité constitue un précédent crucial dans la lutte contre l'impunité des chefs d'États en exercice,
1. regrette la décision prise par le Kenya d'inviter le Président al-Bachir aux cérémonies de promulgation de la nouvelle constitution, qui marque l'ouverture d'une ère nouvelle de gouvernance démocratique dans ce pays;
2. invite les membres de la communauté internationale, notamment l'ensemble des pays d'Afrique, à faire en sorte que tous les crimes commis au regard du droit international soient poursuivis, en particulier au Soudan;
3. demande aux chefs d'État ou de gouvernement d'Afrique qui sont signataires du Statut de Rome de respecter leurs obligations et de coopérer avec la CPI dans ses enquêtes sur les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité ou les génocides;
4. souligne que la CPI a le devoir d'exercer sa juridiction de façon impartiale et universelle, y compris dans les pays occidentaux, et que le respect de ses décisions est indispensable à sa crédibilité et à son action future;
5. regrette que certains membres du Conseil de sécurité des Nations unies ne soient pas signataires du Statut de Rome qui a établi la CPI;
6. déplore les positions de l'Union africaine et de la Ligue arabe, qui refusent de coopérer avec la CPI, et demande à la Haute Représentante de l'Union européenne de veiller à ce que cette question figure à l'ordre du jour du prochain Sommet UE-UA;
7. invite l'Union africaine à revenir sur sa position et à lutter contre l'impunité, l'injustice, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide;
8. demande qu'il soit mis fin à l'impunité pour tous les crimes perpétrés pendant la guerre au Soudan, et espère que le Président al-Bachir sera traduit bientôt devant la CPI à La Haye – où il bénéficiera des droits prévus par le droit international - dans le cadre de l'indispensable rétablissement de la justice et de l'état de droit ainsi que du respect dû aux victimes;
9. demande au Président et au gouvernement kenyans de réaffirmer leur engagement et leur coopération avec la CPI, y compris pour ce qui est des actes de violences qui ont suivi les élections de 2007 et 2008;
10. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission ainsi qu'aux institutions de l'Union africaine, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au Conseil de sécurité des Nations unies, à la Cour pénale internationale, au gouvernement kenyan et à l'ensemble des parlements et des gouvernements de l'IGAD.