Résolution du Parlement européen du 16 février 2012 sur l'Égypte: évolution récente (2012/2541(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions précédentes sur l'Égypte, notamment celle du 17 novembre 2011 sur l'Égypte, et en particulier le cas du blogueur Alaa Abd El-Fattah(1),
– vu le pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques, auquel l'Égypte est partie,
– vu les déclarations de Catherine Ashton, vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, du 2 février 2012 à la suite de la tragédie qui a eu lieu en Égypte à l'occasion d'un match de football et du 1er février 2012 sur la répression incessante menée à l'encontre de la société civile en Égypte,
– vu l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Égypte, conclu en 2004, et le plan d'action adopté en 2007,
– vu les conclusions du Conseil «Affaires étrangères» du 10 octobre 2011 ainsi que les conclusions du Conseil européen du 23 octobre 2011sur l'Égypte,
– vu la communication conjointe intitulée «Une stratégie nouvelle à l'égard d'un voisinage en mutation», du 25 mai 2011, de la Commission européenne et de la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, adressée au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions,
– vu l'évolution de la politique européenne de voisinage (PEV) depuis 2004 et, en particulier, les rapports de suivi de la Commission sur sa mise en œuvre,
– vu la communication conjointe de la Commission et de la haute représentante et vice-présidente de la Commission, adressée au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, sur un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le Sud de la Méditerranée,
– vu les lignes directrices de l'Union européenne sur les défenseurs des droits de l'homme, adoptées en 2004 et actualisées en 2008,
– vu l'article 122, paragraphe 5, de son règlement,
A. considérant que la situation des ONG en Égypte est alarmante; considérant que la création d'un comité chargé de réformer les institutions civiles et les ONG, dans le but de renforcer le contrôle juridique des organisations de la société civile et des fondations politiques recevant des financements étrangers, a été annoncé en octobre 2011 et qu'il a ensuite été demandé à la Banque centrale de contrôler toutes les transactions bancaires des ONG; considérant que les locaux de dix organisations recevant des financements étrangers ont été fouillés et que le Conseil suprême des forces armées a enquêté sur ces organisations puis les a interdites le 29 décembre 2011; considérant que, le 5 février 2012, le gouvernement militaire égyptien a annoncé qu'il traduisait en justice dix-neuf citoyens américains et vingt-quatre autres personnes dans le cadre d'une enquête pénale sur le financement par des capitaux étrangers d'organisations sans but lucratif présentes en Égypte; considérant que les juges égyptiens enquêtent sur le financement prétendument illégal d'ONG promouvant la démocratie et de fondations politiques, que quarante-quatre défendeurs, dont dix-neuf Américains, quatorze Égyptiens, cinq Serbes, deux Allemands, deux Libanais, un Jordanien et un Palestinien, ont vu leurs affaires portées devant le tribunal pénal du Caire et qu'il leur a été ordonné de ne pas quitter le pays;
B. considérant que des ONG font également face à des accusations pour avoir ouvert et géré des bureaux en Égypte sans autorisation des pouvoirs publics, alors que les demandes d'enregistrement déposées par ces organisations conformément à la législation correspondante il y a plus de cinq ans n'ont pas été prises en compte par les autorités égyptiennes; considérant que ces accusations constituent le point culminant de l'escalade qu'a connu la répression juridique menée à l'encontre des ONG nationales et internationales en Égypte, démarche qui va à l'encontre du droit international des droits de l'homme et compromet les efforts déployés pour promouvoir les valeurs démocratiques et protéger les droits de l'homme;
C. considérant qu'au moins soixante-quatorze personnes ont été tuées et des centaines d'autres blessées après que des affrontements ont éclaté lors d'une rencontre de football à Port-Saïd entre le club local d'Al Masri et le club d'Al Ahly Le Caire;
D. considérant que la police a réagi avec une étonnante passivité face à ces affrontements; considérant que la colère et les spéculations quant une motivation politique de ces affrontements, en lien avec des revendications demandant la fin du régime militaire, ont entraîné des manifestations contre toute dictature, militaire ou autre, au cours des jours qui ont suivi la tragédie dans l'enceinte du stade, manifestations qui ont elles-mêmes causé des morts et des blessés supplémentaires; considérant que la police continue à faire usage de gaz lacrymogène, de grenaille et de balles de caoutchouc à l'encontre des manifestants;
E. considérant que Hesham Sheiha, vice-ministre égyptien de la santé, a déclaré que la tragédie intervenue dans le stade était la plus grande catastrophe de l'histoire du football égyptien; considérant que le Conseil suprême des forces armées a ordonné à des hélicoptères de transférer les joueurs et les supporters blessés du club en déplacement vers un hôpital militaire; considérant que, notamment durant les périodes de transition et de tensions sociales, le sport devrait jouer un rôle fédérateur en offrant une atmosphère de normalité et en amorçant la réconciliation des communautés divisées;
F. considérant que la réussite de la PEV et des réformes dans le domaine des droits de l'homme, et plus spécifiquement des droits de la femme, est tributaire de l'association de la société civile à la mise en œuvre des politiques en la matière;
G. considérant que le Conseil suprême des forces armées a mené une politique controversée, étant donné que l'état d'urgence n'a pas été totalement levé et qu'il peut encore être décrété en cas de «violence», notion laissant le champ libre aux interprétations les plus diverses et à une application arbitraire; considérant que, selon des organisations nationales et internationales, aucune amélioration de la protection des droits de l'homme n'a été constatée en Égypte au cours de ces dix derniers mois de gouvernement militaire; considérant que des civils continuent à être jugés par des tribunaux militaires et que des blogueurs, des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme sont victimes d'actes d'harcèlement direct ou indirect, ce qui a contribué à la montée des tensions et alimenté d'autres manifestations populaires; considérant que le Conseil suprême des forces armées n'a pas mené d'enquête sur les dénonciations d'agressions sexuelles commises à l'encontre de manifestantes, y compris des «tests de virginité», des menaces de mort et d'autres violations des droits de l'homme;
H. considérant que, à l'occasion des élections à l'Assemblée populaire qui se sont tenues entre novembre 2011 et janvier 2012, le parti Liberté et Justice des Frères musulmans a réuni 47 % des suffrages et le parti Noor, dominé par les salafistes, 25 %, ce qui a abouti à une chute du nombre de femmes députées de 64 à 8; considérant qu'il est prévu que l'élection présidentielle se déroule en juin; considérant qu'aucune institution internationale, dont l'Union européenne, n'a été invitée à observer les élections;
I. considérant qu'il a réclamé à de nombreuses reprises la levée de l'état d'urgence en place depuis 1981, le renforcement de la démocratie et le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Égypte; considérant que l'Union européenne a exprimé à plusieurs reprises son attachement à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et a souligné que les gouvernements sont tenus de garantir ces libertés à travers le monde;
1. exprime sa solidarité avec le peuple égyptien en cette période critique de transition démocratique dans le pays; invite les autorités égyptiennes à garantir le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, y compris les droits de la femme, la liberté de religion, de conscience et de pensée, la protection des minorités et la non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, la liberté de la presse et des médias, la liberté d'association et de réunion pacifique, le droit à un procès équitable et la liberté d'expression et de parole, étant donné que ces droits sont des composantes essentielles d'une démocratie profondément ancrée;
2. demande que les poursuites pénales engagées à l'encontre des ONG et des fondations politiques soient abandonnées immédiatement; invite les autorités égyptiennes à veiller à ce que toutes les inspections d'organisations de la société civile nationales ou internationales soient menées sur la base d'une transparence et d'une impartialité irréprochables et dans le respect des procédures juridiques et des normes internationales pertinentes dans le domaine des droits de l'homme et des libertés fondamentales; estime que ces méthodes constituent une violation grave du droit d'association, tel que consacré par l'article 22 du pacte international relatif aux droits civils et politiques; invite les autorités égyptiennes à adopter, en concertation étroite avec les ONG et les groupes de défense des droits de l'homme, une nouvelle loi sur les associations qui se fonde sur les normes internationales en matière de droits de l'homme; exprime son soutien sans faille à la détermination affichée et à l'action de qualité menée par ces organisations en faveur de la société civile et du peuple égyptien afin de promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'homme;
3. déplore les lourdes pertes humaines et le grand nombre de blessés à Port-Saïd et adresse ses condoléances aux familles des victimes; réclame une enquête indépendante sur les événements qui ont conduit à cette tragédie et demande que les responsables soient traduits en justice;
4. est préoccupé par les accusations selon lesquelles les affrontements auraient eu une motivation politique et invite les autorités égyptiennes à ouvrir de tout urgence une enquête sur les incidents du 1er février 2012;
5. exprime son soutien sans faille aux réformes en faveur de la démocratie, de l'état de droit et de la justice sociale en Égypte, lesquelles sont conformes à la volonté du peuple égyptien; renouvelle son appel à la levée complète de l'état d'urgence; souligne, une fois encore, l'importance de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Égypte; appelle de ses vœux des clarifications en ce qui concerne le processus constitutionnel, son calendrier et ses principes, dans le but de garantir que toutes les dispositions de la Constitution seront exemptes de toute forme d'exclusion et qu'elles ne laisseront, dans la société égyptienne, aucune place à la discrimination à l'encontre de quiconque; souligne une fois de plus qu'il est nécessaire de transférer, dès que possible, le pouvoir suprême à un gouvernement civil démocratiquement élu;
6. insiste sur l'importance de la tenue d'élections libres, régulières et transparentes et encourage l'Union et ses États membres à continuer de soutenir et d'assister les autorités, les partis politiques et la société civile égyptiens dans les efforts qu'ils déploient pour atteindre cet objectif; invite le Conseil suprême des forces armées à autoriser des observateurs indépendants à assister et à surveiller la prochaine élection présidentielle; invite la vice-présidente de la Commission et haute représentante à mettre en place une taskforce associant le Parlement européen pour soutenir le processus de transition démocratique, en réponse aux demandes des acteurs du changement démocratique, en particulier dans la perspective de l'organisation d'élections libres et démocratiques et de la mise en place du cadre institutionnel, notamment l'instauration d'un système judiciaire indépendant;
7. se félicite de la libération d'Alaa Abd El-Fattah et de Maikel Nabil Sanad, blogueurs qui avaient été incarcérés; invite de nouveau les autorités égyptiennes à veiller à ce que nul blogueur, journaliste ou défenseur des droits de l'homme ne soit l'objet d'actes, directs ou indirects, de harcèlement ou d'intimidation dans le pays; se félicite de la libération des prisonniers politiques; répète toutefois qu'ils n'auraient jamais dû être traduits devant un tribunal militaire; estime que les prisonniers en question auraient dès lors dû être acquittés et non graciés;
8. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi qu'aux gouvernements et parlements des États membres et aux autorités égyptiennes.