Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2013 sur la violence à l'égard des femmes en Inde (2013/2512(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur l'Inde, notamment celle du 13 décembre 2012 sur la discrimination fondée sur l'appartenance à une caste(1), et celles sur les rapports annuels sur les droits de l'homme dans le monde, en particulier celles des 18 avril 2012(2) et 13 décembre 2012(3), vu des multiples résolutions antérieures condamnant le viol et la violence sexuelle dans tous les pays du monde,
– vu le plan d'action conjoint pour un partenariat stratégique Inde-Union européenne, signé en novembre 2005, et le dialogue thématique développé entre l'Union européenne et l'Inde en matière de droit de l'homme,
– vu la déclaration du 25 novembre 2012 de la haute représentante, Catherine Ashton, au nom de l'Union européenne, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes,
– vu la déclaration du 10 octobre 2012 de la haute représentante, Catherine Ashton, à l'occasion de la journée européenne et internationale contre la peine de mort,
– vu l'article 2 et l'article 3, paragraphe 5, du traité sur l'Union européenne,
– vu la déclaration faite le 31 décembre 2012 par Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme,
– vu les objectifs du millénaire pour le développement des Nations unies,
– vu les instruments des Nations unies destinés à lutter contre la violence faite aux femmes, notamment la déclaration et le programme d'action de Vienne, adopté le 25 juin 1993 par la conférence mondiale sur les droits de l'homme (A/CONF. 157/23), les rapports des rapporteurs spéciaux du haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme sur la violence à l'égard des femmes, la recommandation générale n° 19 du comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) (11e session, 1992), la déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, adoptée le 20 décembre 1993 (A/RES/48/104), la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), ainsi que la recommandation générale XXIX visant son article 1, paragraphe 1,
– vu les recommandations sur l'Inde émanant des procédures spéciales des Nations unies, des organismes des Nations unies et des examens périodiques universels, et notamment les recommandations adressées à l'Inde dans les rapports du comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de février 2007 et d'octobre 2010,
– vu le projet des Nations unies visant à instaurer des principes et des directives pour éliminer réellement la discrimination fondée sur l’emploi et l’ascendance,
– vu la constitution de l'Inde et son code pénal, notamment sa section 376 consacrée au viol,
– vu l'article 122, paragraphe 5, et l'article 110, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que, le 16 décembre 2012, une étudiante de 23 ans a été victime d'un viol collectif et son compagnon agressé par cinq hommes et un adolescent qui les ont violemment pris à partie dans un autobus privé à New Delhi; que les blessures de la victime étaient telles qu'elle est tragiquement décédée le 29 décembre 2012 à Singapour;
B. considérant que cet évènement a suscité une large vague de colère dans l'opinion publique indienne, se manifestant, dans tous les pans de la société, par des appels à une réforme de la législation et du rôle de la police ainsi que par une évolution générale des mentalités à l'égard des femmes; que ces manifestations sont une étape importante dans la rupture du silence entourant les affaires de viol et la violence sexuelle, et qu'elles constituent les signes avant-coureurs d'un changement;
C. considérant que cinq adultes et un mineur ont été arrêtés dans cette affaire et qu'ils font actuellement l'objet d'une procédure judiciaire accélérée, une procédure distincte ayant été ouverte pour le jeune criminel;
D. considérant que la police indienne a déposé une plainte contre le diffuseur Zee News qui a interviewé l'ami de la victime qui était en sa compagnie lors de l'agression du 16 décembre 2012;
E. considérant que, depuis cette récente agression à New Delhi, la presse nationale et internationale a largement fait état d'autres viols tels que celui commis le 27 décembre 2012 au Panjab sur une jeune fille qui s'est suicidée après avoir été victime d'un viol collectif et que la police eut refusé d'enregistrer sa plainte ou d'arrêter le coupable, suggérant au contraire qu'elle épouse un de ses agresseurs, ou celui commis le 12 janvier 2013 au Panjab sur une femme de 29 ans, mère de deux enfants, qui a été violée durant un voyage en autobus dans des circonstances très similaires de celles du cas précité, sur quoi la police a de nouveau arrêté six suspects, une jeune fille de 16 ans s'immolant le lendemain par le feu après avoir été violée;
F. considérant que, selon le service national indien du casier judiciaire, le nombre de viols déclarés s'élève à plus de 24 000 au titre de 2011; que sur les plus de 635 cas de viol signalés à Delhi en 2012, un seul a débouché sur une condamnation;
G. considérant que, en Inde, le mouvement des femmes dénonce de longue date toutes les formes de violence à l'égard des femmes dans le pays ainsi que les inégalités entre les hommes et les femmes en général en exigeant des initiatives politiques destinées à faire valoir les droits fondamentaux des femmes;
H. considérant que la violence sexuelle à l'égard des femmes est répandue, non seulement en Inde mais aussi dans le monde entier et qu'elle est ancrée dans les inégalités structurelles entre les hommes et les femmes; que des actions visant à lutter contre la violence faite aux femmes doivent donc s'accompagner d'une amélioration de la position et de la condition des femmes et des jeunes filles à tous les niveaux de la société;
I. considérant que, selon les estimations des sociologues indiens, un large éventail de pratiques violentes et discriminatoires, dont la violence sexuelle, les questions de dot, les infanticides visant les filles, la maltraitance infantile, l'accès inégal aux ressources et aux soins de santé, ou l'insuffisance de soins dispensés aux personnes âgées, se traduit, chaque année, par le décès d'environ deux millions de femmes et jeunes filles en Inde;
J. considérant que les femmes et les jeunes filles victimes de discriminations fondées sur l'appartenance à une caste sont particulièrement exposées aux diverses formes de violence sexuelle, de prostitution forcée ou rituelle, au trafic d'êtres humains ainsi qu'à la violence domestique et punitive quand elles engagent une action contre les crimes commis, comme en témoigne une nouvelle fois le trop célèbre viol collectif de Pipili du 29 novembre 2011 où les autorités ont refusé d'enregistrer la plainte et que seule l'intervention de la Haute Cour a permis de réserver un traitement approprié au cas de la victime qui a, par la suite, succombé à ses blessures;
K. considérant que selon l'enquête 2012 de la fondation Thomas Reuter, l'Inde est le pire pays du G20 en matière de condition féminine;
L. considérant que, selon Amnesty International, toutes les 21 minutes un viol est signalé en Inde mais que de nombreux viols ne sont pas déclarés, notamment dans les communautés pauvres dans la mesure où ce crime s'accompagne d'une stigmatisation sociale; qu'il semblerait que la police indienne ait conscience de la fréquence de ces actes mais qu'elle s'abstient souvent de protéger les femmes;
M. considérant que la violence sexuelle se traduit par de sérieuses séquelles physiologiques et physiques chez les victimes qui survivent, notamment par des maladies sexuellement transmissibles telles que le sida; que de nombreuses victimes de viol sont revictimisées, dès lors qu'elles sont rejetées par leurs propres familles et les communautés dont elles sont issues;
N. considérant que des associations nationales et internationales de défense des droits de l'homme ont pointé du doigt le caractère archaïque de la législation indienne applicable en matière d'agressions sexuelles, dès lors qu'elle interprète de manière étroite la notion de viol; qu'il n'existe pas en Inde de services appropriés destinés à accompagner les rescapées d'agression sexuelle et permettant d'apporter une réponse rapide et attentive de la police ou d'offrir une forme d'accès à des soins de santé, à des fonctions de conseil ou d'aide quelconque, le tout se traduisant par des réponses ponctuelles imprévisibles souvent humiliantes pour la victime;
O. considérant que, suite à l'agression de New Delhi, le gouvernement central indien a mis en place une commission de trois personnes chargée d'examiner les lois en vigueur dans l'optique d'accélérer la justice et d'alourdir les peines prononcées en cas d'agression sexuelle aggravée;
P. considérant que, au lendemain des évènements récents, de hauts responsables gouvernementaux ont annoncé vouloir alourdir les sanctions en cas de viol, allant même jusqu'à la peine de mort;
Q. considérant que, en mai 2012, 90 particuliers et organisations de la vie civil ont écrit au premier ministre indien, Manmohan Singh, pour l'inviter instamment à engager des réformes destinées à répondre aux agressions sexuelles et à obliger plus généralement la police à rendre des comptes;
R. considérant que l'Union a, pour la période 2007-2013, alloué 470 millions d'euros à l'Inde pour aider le gouvernement national à engager des programmes d'action sanitaire et d'éducation;
S. considérant que ces vingt dernières années, l'Inde a fait d'importants progrès dans la réduction de la pauvreté, même si beaucoup reste encore à faire, notamment en réduisant la fracture éducative, sanitaire et économique et en améliorant ainsi les perspectives pour les femmes et les groupes vulnérables;
T. considérant que l'Inde est la plus grande démocratie du monde ainsi qu'un partenaire économique et politique de premier plan pour l'Union, ce qui implique un devoir de démocratie;
1. exprime sa solidarité la plus profonde avec les victimes de l'agression de New Delhi et les victimes de toutes les autres agressions de cette nature, qu'elles aient été dénoncées ou non par les médias, et présente ses condoléances à leurs familles; condamne fermement toutes les formes de violence sexuelle, phénomène mondial touchant un grand nombre de pays;
2. se félicite de l'élan de solidarité avec les victimes de viol, tant en Inde que dans le monde, et espère de ces manifestation de masse contribueront à accélérer les réformes qui s'imposent;
3. attend de l'Inde, pays démocratique entretenant d'importantes relations avec l'Union, qu'elle garantisse le respect des principes démocratiques, des droits fondamentaux et des droits de l'homme, notamment l'état de droit et les droits des personnes de sexe féminin;
4. déplore profondément qu'il n'ait pas été fait plus pour apporter une aide immédiate aux victimes d'agressions et que dans cette affaire, comme dans d'autres affaires similaires, le peu de respect accordé aux femmes, le manque d'assistance médicale, les dysfonctionnements de la police et l'absence de voies de recours juridique dissuadent les victimes d'engager une action contre leurs violeurs;
5. rappelle au gouvernement indien les droits et les devoirs qui sont les siens en vertu de la constitution du pays, notamment l'obligation qui lui incombe de mettre un terme aux pratiques portant atteinte à la dignité des femmes (article 51 bis);
6. exhorte le parlement indien à tenir davantage compte des recommandations de la commission nationale indienne pour les femmes (NCW) et de ses propositions de modification et de mise en œuvre de la législation du pays pour protéger les femmes contre ces crimes;
7. salue l'annonce par le gouvernement indien de la mise en place une commission d'enquête sur la sécurité des femmes dans l'espace public à Delhi ainsi que d'une chambre juridictionnelle chargée de réviser le cadre législatif applicable à la violente faite aux femmes; attend la publication rapide des recommandations de la commission d'enquête dirigée par J.S. Verma, juge à la retraite de la Cour suprême, et mise sur la coopération du gouvernement indien avec la NCW et le parlement national pour mettre pleinement en œuvre les mesures destinées à prévenir à l'avenir ce type de crimes;
8. se félicite de la mise en place d'une juridiction de référé, chargée de traiter plus spécialement les cas de violence sexuelle à l'égard des femmes; s'inquiète toutefois que la presse n'ait pas le droit d'assister au procès des accusés et qu'il soit interdit, sans l'autorisation du tribunal, d'imprimer ou de publier des articles sur l'instance, une mesure qui a créé un malaise dans l'opinion publique; est d'avis que les personnes reconnues coupables devraient recevoir une punition à la hauteur de leur crime; réitère toutefois son opposition de longue date à la peine de mort dans tous les cas et dans toutes les circonstances;
9. demande aux autorités indiennes de mettre en place, en étroite consultation avec les organisations féminines, des réponses coordonnées à la violence fondée sur le genre, et notamment aux agressions sexuelles; souligne que le gouvernement des États doit suivre les enquêtes ouvertes par la police sur les agressions sexuelles en demandant des comptes à ses agents, en poursuivant les auteurs et en garantissant un traitement digne aux rescapées;
10. demande au parlement indien de veiller à ce que le projet de code pénal 2012 (révision) soit modifié pour mettre de qualifier de crime toute forme d'agression sexuelle, avec ou sans pénétration, en s'assurant que les nouvelles sanctions soient conformes aux droits internationaux de l'homme, et l'invite à modifier la loi afin de lever l'immunité juridique et les barrières procédurales si les forces de police ou de sécurité venaient à être accusées d'agression sexuelle ou d'une autre forme de violation des droits de la personne humaine;
11. demande aux représentations de l'Union et des États membres en Inde d'accorder la priorité aux programmes luttant contre la violence faite aux femmes, privilégiant l'éducation ou mettant tout particulièrement l'accent sur la condition des femmes et des jeunes filles;
12. invite les autorités indiennes à prendre sans plus tarder des initiatives et à mettre en œuvre des mesures efficaces visant à améliorer le traitement des affaires de viol et des agressions sexuelles par les forces de police du pays; prend acte que la ministre en chef de l'État de Delhi n'est pas responsable des opérations de police sur le territoire qu'elle gouverne; fait observer que dans d'autres grandes villes, une information et une gestion directes ont permis une plus grande responsabilisation politique et une modernisation de la police; prend acte de la nécessité urgente de former le personnel de police à la sécurité des femmes;
13. demande au gouvernement indien d'ouvrir une enquête sur les titulaires de hautes fonctions publiques qui n'ont toujours pas été officiellement accusés de viol;
14. demande à la Commission de coopérer avec les autorités indiennes pour les aider à mettre en place des réponses coordonnées à la violence fondée sur le genre, en particulier aux agressions sexuelles, notamment en mettant en œuvre les recommandations de la campagne des Nations unies «Tous UNiS pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes»; demande à la commission de la condition de la femme des Nations unies, dont la 57e session doit se tenir en mars 2013, de débattre et de reconnaître que la violence à l'égard des femmes prend une forme exacerbée quand les notions de genre et de caste se rejoignent;
15. exprime sa profonde inquiétude face à la violence généralisée dont sont victimes les femmes et les jeunes filles dalits en Inde, en raison notamment de la violence sexuelle exercée par les hommes des castes dominantes, et face au niveau particulièrement élevé d'impunité dont jouissent les auteurs de tels actes; exhorte le gouvernement indien à traiter sur le même pied tous les cas de violence sexuelle à l'égard des femmes, indépendamment de leur condition, et à poursuivre ces exactions avec la même rapidité, équité et transparence;
16. souligne que personne ne devrait être obligé de se marier s'il n'y consent pas ou si sa décision est motivée par une menace ou une mesure de coercition; souligne qu'aucune victime ne devrait être contrainte d'épouser son agresseur et qu'une aide complémentaire devrait être accordée à la victime pour éviter toute pression sociale dans ce sens;
17. invite le Conseil et à la Commission à veiller à ce que l'Union, tant au titre du prochain cadre financier pluriannuel que du prochain document de stratégie par pays post-2013, continue d'apporter une aide sectorielle ciblée à l'Inde pour qu'elle réalise ses OMD; estime que cette approche doit englober l'aide sociale sectorielle en direction de la santé et de l'éducation des femmes ainsi que les bonnes pratiques en matière de gouvernance, de processus décisionnel et de développement, notamment un dispositif propre à améliorer les prestations de services visant à combattre la pauvreté, à traiter la dimension hommes-femmes, à réformer les institutions et à améliorer la gestion du secteur public;
18. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente/haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux gouvernements des États membres et au représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme, ainsi qu'au président, au gouvernement et au parlement de la République de l'Inde, au secrétaire général des Nations unies, aux responsables de la sous-commission des Nations unies pour la promotion et la protection des droits de l'Homme et de la commission de la condition de la femme des Nations unies, à la directrice exécutive d'ONU-Femmes et à l'envoyé spécial des Nations unies pour la violence à l'égard des femmes.