Résolution du Parlement européen du 27 février 2014 sur la situation en Iraq (2014/2565(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur l'Iraq, et notamment sa résolution du 10 octobre 2013 sur les violences récentes en Iraq(1),
– vu l'accord de partenariat et de coopération (APC) entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Iraq, d'autre part, ainsi que sa résolution du 17 janvier 2013 sur l'accord de partenariat et de coopération UE-Iraq(2),
– vu le document stratégique conjoint pour l'Iraq (2011-2013) de la Commission,
– vu les conclusions du Conseil "Affaires étrangères" sur l'Iraq, notamment celles du 10 février 2014,
– vu les déclarations de la vice-présidente de la Commission / haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR), Catherine Ashton, relatives à l'Iraq, en particulier celles du 5 février 2014, du 16 janvier 2014, du 18 décembre 2013 et du 5 septembre 2013,
– vu la déclaration du porte-parole de la VP/HR du 28 décembre 2013 sur l'assassinat des résidents du camp d'Hurriya,
– vu la déclaration du président du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 janvier 2014 sur l'Iraq,
– vu la déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée en 1948,
– vu le Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques, auquel l'Iraq est partie,
– vu l'article 110, paragraphes 2 et 4, de son règlement,
A. considérant que l'Iraq demeure confronté à de sérieux défis politiques, sécuritaires et socio-économiques, et que le paysage politique est extrêmement fragmenté et marqué par la violence et les doctrines sectaires, au détriment des aspirations légitimes du peuple iraquien à la paix, à la prospérité et à une réelle transition vers la démocratie; considérant que le pays connaît la vague de violences la plus grave depuis 2008;
B. considérant qu'en raison des dix années d'occupation, le pays s'est appauvri, le taux d'analphabétisme a augmenté et le nombre de personnes qui meurent de faim est en hausse; que la pauvreté touche 88 % de la population et quelque six millions d'Iraquiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté; que même si l'Iraq a été en mesure de rétablir la pleine capacité de sa production de pétrole, les inégalités sociales s'accroissent dans la mesure où l'État n'est toujours pas à même de fournir à sa population des services de base tels qu'un approvisionnement électrique régulier pendant l'été, de l'eau propre à la consommation et des soins de santé publics;
C. considérant, selon les chiffres de la Mission d'assistance des Nations unies en Iraq (MANUI) du 1er février 2014, qu'au total, 733 Iraquiens ont été tués et 1 229 blessés dans des actes de terrorisme et de violence en janvier 2014; considérant que les chiffres pour janvier 2014 ne tiennent pas compte des victimes dues à la poursuite des combats dans la province d'Anbar, en raison de problèmes de vérification et d'incertitudes quant à la situation des personnes tuées ou blessées;
D. considérant que la guerre civile en Syrie a exacerbé la situation en Iraq; considérant qu'elle se propage à l'Iraq, des milliers de militants – en particulier les militants islamistes d'Al-Qaeda de l'État islamique d'Iraq et du Levant (EIIL) – étendant leurs activités au territoire iraquien;
E. considérant que, le 10 janvier 2014, le Conseil de sécurité des Nations unies a condamné les attentats perpétrés par l'EIIL contre la population d'Iraq dans une tentative de déstabilisation du pays et de la région;
F. considérant que le gouvernement du premier ministre Nouri al-Maliki n'a pas pu apporter de réponse aux inquiétudes de la minorité sunnite; considérant que la politique de "dé-baasification" menée en vertu de la loi "Justice et Responsabilité" a entraîné le licenciement de fonctionnaires, majoritairement sunnites, ce qui a renforcé l'impression que le gouvernement cherchait à mener une politique sectaire; considérant, en particulier, que la décision du gouvernement de démanteler, le 30 décembre 2013, le camp de manifestants sunnites installé à Ramadi depuis un an a précipité la confrontation violente dans la province d'Anbar; considérant que, par la suite, Falloujah et d'autres villes de la province d'Anbar ont été, depuis décembre 2013, le théâtre de combats entre les forces gouvernementales et les militants se revendiquant de l'EIIL;
G. considérant que, le 13 février 2014, plus de 63 000 familles (soit plus de 370 000 personnes selon les calculs des Nations unies) victimes des affrontements dans la province d'Anbar ont été déclarées comme déplacées à l'intérieur du pays; considérant que de nombreuses familles ont fui vers d'autres régions du pays, dont les provinces de Kerbala, de Bagdad et d'Erbil, tandis que d'autres ont cherché refuge dans les communautés périphériques de la province d'Anbar ou sont dans l'incapacité de fuir les zones de combat; considérant que leurs conditions demeurent précaires, en raison de l'épuisement des réserves de nourriture et d'eau potable, des mauvaises conditions d'hygiène et de l'accès limité aux soins de santé;
H. considérant que les attentats meurtriers lancés sur l'Iraq – tels que l'attaque du 5 février 2014 dont a fait l'objet le ministère iraquien des affaires étrangères – se poursuivent sans relâche, frappant essentiellement les quartiers chiites, alors que plusieurs évasions de prison participent à augmenter le nombre de combattants venus renforcer les rangs de groupes militants extrémistes;
I. considérant qu'au moins 35 personnes ont été tuées et des dizaines blessées le 25 décembre 2013 lors d'attentats à la bombe dans les quartiers chrétiens de Bagdad; considérant que, depuis 2003, on estime que la moitié des chrétiens d'Iraq au moins a quitté le pays;
J. considérant que, le 5 février 2014, le ministre iraquien des affaires étrangères à Bagdad a été la cible d'une attaque, et que, le 10 février 2014, le convoi du président de la chambre des représentants, Oussama Al-Nujaifi, a été attaqué dans la ville de Mossoul, située dans la province de Ninawa;
K. considérant que le gouvernement fédéral d'Iraq et le gouvernement régional du Kurdistan ne parviennent toujours pas à s'entendre sur les modalités d'une utilisation partagée des ressources minérales de l'Iraq, sachant qu'un nouveau gazoduc devrait transporter deux millions de barils de pétrole chaque mois du Kurdistan vers la Turquie et que le gouvernement central prépare une action en justice contre la province;
L. considérant que de graves problèmes sociaux et économiques – pauvreté généralisée, chômage élevé, stagnation de l'économie, dégradation de l'environnement et pénurie de services publics de base – continuent d'affecter une large proportion de la population;
M. considérant que les violences et les sabotages ont entravé les efforts visant à donner un nouvel essor à une économie ruinée par des décennies de conflits et de sanctions; considérant que l'Iraq dispose des troisièmes réserves de pétrole brut au monde, mais que les attentats, la corruption et les trafics paralysent les exportations; considérant que le tissu social du pays, en particulier ses réalisations antérieures en matière d'égalité de traitement pour les femmes, a subi de graves bouleversements;
N. considérant que la liberté de la presse et des médias a été attaquée à de multiples reprises et de façon croissante, à la fois par le gouvernement et par les groupes extrémistes; considérant que les journalistes et les organes de presse ont été la cible d'attaques ou de mesures de censure, et que l'organisation Reporters sans frontières a fait part d'une interruption des nouvelles dans la province d'Anbar; considérant que l'Iraq est classé "non libre" par la Freedom House dans son rapport 2014 sur la liberté dans le monde (Freedom in the World);
O. considérant que la Constitution de l'Iraq garantit à tous les citoyens l'égalité devant la loi, en même temps que "les droits administratifs, politiques et culturels, ainsi que le droit à l'éducation, aux différentes nationalités";
P. considérant que l'APC UE-Iraq, en particulier sa clause relative aux droits de l'homme, souligne que le dialogue politique UE-Iraq doit être axé sur les droits de l'homme et le renforcement des institutions démocratiques;
Q. considérant que des amendements à la loi électorale de l'Iraq ont été adoptés en novembre 2013, ouvrant la voie à des élections générales qui doivent se tenir le 30 avril 2014;
R. considérant que l'Union a réaffirmé son engagement à prêter assistance à l'Iraq dans sa transition vers un système démocratique, rappelant que l'unité et l'intégrité territoriale de l'Iraq sont essentielles pour pouvoir bâtir un État sûr et prospère pour tous ses citoyens et amener la stabilité dans l'ensemble de la région;
S. considérant que le Conseil de coopération entre l'Union européenne et la République d'Iraq a tenu sa première réunion à Bruxelles le 20 janvier 2014; considérant que le Conseil de coopération, qui se réunit dans le cadre de l'accord de partenariat et de coopération UE-Iraq, a réaffirmé l'engagement des deux parties à poursuivre leur rapprochement; considérant que l'Union continuera à faire progresser la coopération dans tous les domaines d'intérêt commun, en fournissant une aide ciblée dans des domaines dont les deux parties auront convenu;
T. considérant que les autorités iraquiennes continuent d'appliquer la peine de mort; considérant que les chefs de mission de l'UE à Bagdad ont cosigné une déclaration à l'occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, en octobre 2013, qui reflétait les vives inquiétudes face au recours à la peine de mort et demandait un moratoire au gouvernement de l'Iraq;
U. considérant qu'une campagne d'armement massive est actuellement menée en faveur de l'Iraq, dans le cadre de laquelle s'effectuent des opérations de vente de matériel militaire à grande échelle;
1. condamne fermement les actes récents de terrorisme et l'aggravation des violences sectaires, qui font courir le danger que le pays ne retombe dans des querelles sectaires et craindre une conflit interconfessionnel plus large dans la région; signale, même si les violences se déclarent selon les lignes de partage confessionnel, que leurs causes sont plutôt politiques que religieuses; présente ses condoléances aux familles et aux proches des victimes;
2. condamne fermement les attaques menées par l'EIIL dans la province d'Anbar et soutient l'appel lancé par le Conseil de sécurité des Nations unies à la population iraquienne, y compris aux tribus, aux dirigeants locaux et aux forces de sécurité iraquiennes dans la province d'Anbar, les incitant à coopérer pour lutter contre la violence et le terrorisme; souligne que l'EIIL est soumis à l'embargo sur les armes et au gel de ses avoirs imposés par les résolutions 1267 (1999) et 2083 (2012) du Conseil de sécurité, et met l'accent sur l'importance d'une mise en œuvre rapide et efficace de ces mesures;
3. est très préoccupé par les évènements dans la province d'Anbar et le grand nombre de personnes fuyant les zones de conflit déplacées à l'intérieur du pays; demande que les services humanitaires aient accès à Falloujah; invite le gouvernement iraquien à remplir ses obligations de protéger la population civile à Falloujah et ailleurs; engage le gouvernement iraquien à poursuivre sa collaboration avec la MANUI et les organisations humanitaires dans le but d'assurer la fourniture d'une aide humanitaire; salue les efforts des Nations unies en vue d'apporter une assistance aux personnes affectées par les affrontements dans la province d'Anbar, malgré les difficultés posées par la dégradation de la sécurité et les opérations incessantes dans la province;
4. invite le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et la Commission à faire tout leur possible pour soutenir tous les efforts du gouvernement iraquien et de la MANUI pour protéger la population civile à Falloujah et ailleurs, afin de tenter d'assurer le passage en toute sécurité des civils pris au piège dans les zones de conflit, ainsi que le retour en toute sécurité des personnes déplacées à l'intérieur du pays lorsque les conditions l'autorisent;
5. demande au gouvernement iraquien d'apporter une solution aux problèmes au long cours alimentant l'instabilité dans le pays, y compris aux inquiétudes légitimes de la minorité sunnite, en engageant un dialogue national associant toutes les parties sur la réforme de la loi "Justice et Responsabilité", en s'abstenant de déclarations sectaires incendiaires et en mettant en œuvre les mesures visant à la réconciliation nationale; rejette les appels en faveur de la création d'une région fédérale sunnite en Irak en guise de solution au conflit actuel, étant donné que la création d'une telle région est susceptible d'entraîner davantage de tensions interconfessionnelles et de violences;
6. s'inquiète du débordement de la violence du conflit syrien en Iraq; demande au gouvernement iraquien de consentir un effort important pour isoler l'Irak de la guerre civile en Syrie en s'abstenant de soutenir toute partie impliquée dans le conflit et en empêchant les combattants, aussi bien sunnites que chiites, de traverser la frontière depuis ou vers la Syrie;
7. est extrêmement préoccupé par la persistance d'actes de violence prenant pour cibles les populations civiles, des groupes vulnérables et des communautés religieuses; demande au gouvernement iraquien et à tous les dirigeants politiques de prendre les mesures nécessaires pour garantir sécurité et protection à toute la population iraquienne, et en particulier aux membres des groupes vulnérables, tels que les femmes, les journalistes, les jeunes, les défenseurs des droits fondamentaux, les syndicalistes et les communautés religieuses, notamment chrétiennes; invite le gouvernement iraquien à veiller à ce que les forces de sécurité respectent l'état de droit et les normes internationales;
8. soutient les efforts de l'Union visant à aider l'Iraq dans sa promotion de la démocratie, des droits de l'homme, de la bonne gouvernance et de l'état de droit, notamment en s'appuyant sur les expériences et les réussites de la mission EUJUST-LEX en Iraq, dont le mandat s'est malheureusement achevé le 31 décembre 2013, conjointement aux efforts de la MANUI et du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies visant à aider le gouvernement iraquien à renforcer ses institutions et ses processus démocratiques, à promouvoir l'état de droit, à encourager le dialogue régional, à améliorer la fourniture des services de base et à assurer la protection des droits de l'homme; se déclare favorable au programme de renforcement des capacités lancé le 22 janvier 2014 – financé par l'Union européenne et mis en œuvre par le Bureau des Nations unies pour les services d'appui aux projets – dont le but est d'appuyer la Haute commission iraquienne des droits de l'homme dans l'exercice de son mandat de promotion et de protection des droits de l'homme en Iraq;
9. salue le vote, tenu le 4 novembre 2013, d'amendements à la loi électorale de l'Iraq, qui ouvre la voie à la tenue d'élections législatives prévues le 30 avril 2014; souligne que ce scrutin revêt la plus haute importance pour la suite de la transition démocratique en Iraq, et demande à toutes les parties prenantes de faire en sorte qu'il soit sans exclusive, transparent et crédible et qu'il se déroule dans le temps imparti; demande au SEAE d'assister autant que possible le gouvernement iraquien dans les préparatifs pratiques;
10. est très préoccupé par le nombre élevé d'exécutions en Iraq; invite les autorités iraquiennes à introduire un moratoire sur l'exécution de toutes les condamnations à la peine capitale; estime que la réforme du système de justice est d'une importance primordiale afin de rétablir un sentiment de sécurité chez les citoyens de l'Iraq, et devrait inclure la révision de la loi anti‑terroriste qui protège beaucoup moins les suspects et les détenus que le Code de procédure pénale, et demande qu'il soit mis un terme à l'impunité, en particulier pour les forces de sécurité de l'État;
11. demande à tous les acteurs, appartenant ou non au gouvernement, de respecter la liberté de la presse et des médias et de protéger de la violence les journalistes et les organes de presse; signale qu'une presse et des médias libres sont un élément essentiel d'une démocratie fonctionnelle, en donnant accès à l'information et en fournissant une plateforme pour les citoyens;
12. demande à l'Union européenne d'élaborer une position commune en faveur de l'interdiction de l'utilisation de munitions à l'uranium appauvri ainsi que d'offrir une assistance pour le traitement des victimes, y compris les victimes d'armes chimiques, et pour soutenir toutes les mesures éventuelles visant à assainir les zones touchées;
13. estime que les entretiens récents entre l'E3+3 et l'Iran offrent aussi à l'Iraq une occasion de stabilisation, dans la mesure où toutes les puissances voisines cessent de s'ingérer dans les affaires intérieures iraquiennes;
14. condamne vivement l'attaque à la roquette contre le camp d'Hurriya du 26 décembre 2013, qui, selon plusieurs sources, a coûté la vie à plusieurs résidents du camp et en a blessé d'autres; insiste sur le fait que les circonstances de ce violent incident doivent être éclaircies; demande aux autorités iraquiennes de renforcer les mesures de sécurité autour du camp de façon à protéger ses résidents contre d'autres actes de violence; exhorte le gouvernement iraquien à trouver les auteurs de cette attaque et à les traduire en justice; observe que l'Union invite toutes les parties à faciliter le travail du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dans le cadre du déplacement de tous les résidents du camp d'Hurriya vers un site plus sûr et permanent hors des frontières iraquiennes aussi rapidement que possible;
15. charge son Président de transmettre la présente résolution à la vice-présidente de la Commission / haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, au représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au gouvernement et au Conseil des représentants de la République d'Iraq, au gouvernement régional du Kurdistan, au secrétaire général de l'Organisation des Nations unies et au Conseil des droits de l'homme des Nations unies.