Résolution du Parlement européen du 17 juillet 2014 sur le Soudan: le cas de Meriam Yahia Ibrahim Ishag (2014/2727(RSP))
Le Parlement européen,
– vu la déclaration commune du 10 juin 2014 par les présidents de la Commission européenne, du Conseil et du Parlement européen, ainsi que par les participants au sommet annuel des dignitaires religieux qui a eu lieu à cette date,
– vu la déclaration du 15 mai 2014 de la vice-présidente de la Commission / haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sur la peine capitale prononcée pour apostasie au Soudan,
– vu la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la déclaration des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
– vu la charte africaine des droits de l'homme et des peuples,
– vu la deuxième révision de l'accord de Cotonou de 2010,
– vu les orientations de l'Union européenne de 2013 relatives à la liberté de religion ou de conviction,
– vu le premier protocole à la charte africaine sur les droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique,
– vu la charte arabe des droits de l'homme,
– vu les droits de l'enfant,
– vu l'article 135, paragraphe 5, et l'article 123, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant qu'à la fin 2013, Meriam Yahia Ibrahim, fille d'une Éthiopienne de confession chrétienne et d'un Soudanais musulman et élevée dans la tradition chrétienne, a été accusée d'adultère par sa famille paternelle et dénoncée aux autorités en raison de son mariage à un chrétien; considérant que l'accusation d'apostasie a été ajoutée en décembre 2013;
B. considérant que le verdict du tribunal de première instance a été prononcé le 12 mai 2014, condamnant Meriam Ibrahim, alors enceinte de huit mois, à cent coups de fouet pour adultère et à la peine capitale par pendaison pour apostasie, et lui accordant néanmoins trois jours pour abjurer sa foi chrétienne; considérant que Meriam Ibrahim a été condamnée en vertu de la Charia, la loi islamique en vigueur au Soudan depuis 1983, qui interdit les conversions sous peine de mort; considérant que, le 15 mai 2014, le verdict a été confirmé après que Meriam Ibrahim eut refusé de se convertir à l'Islam;
C. considérant que, le 27 mai 2014, Meriam Ibrahim a donné naissance en prison à une petite fille, prénommée Maya; considérant que ses jambes auraient été entravées pendant l'accouchement, mettant ainsi gravement en danger la santé de la mère comme de l'enfant; considérant qu'il s'agit là d'une violation flagrante des droits de la femme et de l'enfant;
D. considérant que, le 5 mai 2014, son affaire a pu être transférée devant la cour d'appel;
E. considérant que Meriam Ibrahim a été libérée de la prison pour femmes d'Omburman le 23 juin 2014 après que la cour d'appel l'eut innocentée des deux accusations portées contre elle, mais qu'elle a été de nouveau arrêtée à l'aéroport de Khartoum, alors que la famille s'apprêtait à partir vers les États-Unis, sous le prétexte qu'elle aurait tenté de quitter le pays avec de faux documents de voyage qui avaient en fait été émis par l'ambassade du Soudan du Sud à Khartoum;
F. considérant que Meriam Ibrahim a été de nouveau libérée le 26 juin 2014 et s'est réfugiée à l'ambassade des États-Unis avec sa famille, et que des négociations sont en cours pour lui permettre de quitter le Soudan où elle est menacée de mort par des extrémistes musulmans;
G. considérant que la liberté de pensée, de religion ou de conviction est un droit de l'homme universel, qui doit être protégé partout et pour tous; considérant que le Soudan a ratifié les conventions des Nations unies et de l'Union africaine en la matière et que le pays est donc soumis à une obligation internationale de défendre et de promouvoir la liberté de religion ou de conviction, qui inclut le droit d'adopter ou d'abandonner de plein gré une religion ou une conviction, ainsi que d'en changer;
H. considérant que la charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qu'a ratifiée la République du Soudan, couvre le droit à la vie et l'interdiction de la torture et des châtiments et traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais que la peine capitale, la flagellation, l'amputation et autres châtiments corporels sont toujours pratiqués dans ce pays pour certaines condamnations pénales;
I. considérant que les autorités du Soudan condamnent les femmes et les filles de manière disproportionnée pour des crimes mal définis impliquant des décisions personnelles et privées qui ne devraient en aucune manière être criminalisées, et que les femmes subissent de manière disproportionnée des traitements cruels tels que la flagellation, ce qui va à l'encontre de leurs droits fondamentaux à la dignité, à une vie privée et à l'égalité;
J. considérant que le Soudan a adhéré à la charte arabe des droits de l'homme et que son article 27 dispose que les personnes de toutes confessions ont le droit de pratiquer leur foi;
K. considérant que la République du Soudan a signé la clause de l'accord de Cotonou relative aux droits de l'homme(1) et le pacte international relatif aux droits civils et politiques(2),
L. considérant que, nonobstant l'annonce d'un dialogue national par le président el-Béchir en janvier dernier, la détention et le traitement inhumain qu'a subis Meriam Yahia Ibrahim sont emblématiques d'une répression inquiétante exercée par les autorités soudanaises envers les minorités, les défenseurs des droits de l'homme, les manifestants étudiants, les journalistes, les opposants politiques et les organisations de défense des droits de l'homme, en particulier ceux en faveur des droits de la femme et de l'autonomisation des jeunes;
1. condamne la détention injustifiée de Meriam Ibrahim; exhorte le gouvernement du Soudan à abroger toutes les lois établissant une discrimination pour des raisons de sexe ou de religion et à protéger l'identité religieuse des minorités;
2. souligne qu'il est dégradant et inhumain de contraindre une femme enceinte à accoucher en étant entravée et physiquement détenue; demande aux autorités soudanaises de faire en sorte que toutes les femmes enceintes et accouchant en détention reçoivent des soins gynécologiques et néonatals appropriés et de qualité;
3. réaffirme que la liberté de religion, de conscience ou de conviction est un droit de l'homme universel qui doit être protégé partout et pour tous; condamne fermement toutes les formes de violence et d'intimidation qui limitent le droit d'avoir ou pas une religion ou d'en choisir une librement, y compris le recours aux menaces, à la force physique ou aux sanctions pénales visant à contraindre les croyants ou les non-croyants à abjurer leur religion ou à se convertir; souligne que l'adultère et l'apostasie sont des actes qui ne devraient aucunement être considérés comme des crimes;
4. rappelle que le Soudan a ratifié les conventions des Nations unies et de l'Union africaine en la matière et que le pays est donc soumis à une obligation internationale de défendre et de promouvoir la liberté de religion ou de conviction, qui inclut le droit d'adopter ou d'abandonner de plein gré une religion ou une conviction, ainsi que d'en changer;
5. demande que le gouvernement du Soudan – conformément aux droits de l'homme universels – abroge toutes les dispositions légales qui pénalisent les personnes ou exercent une discrimination à leur encontre en raison de leurs croyances religieuses, de leur changement de religion ou de conviction ou de leur tentative d'inciter les autres à changer de religion ou de conviction, notamment lorsque l'apostasie, l'hétérodoxie ou la conversion sont passibles de la peine de mort;
6. souligne que de telles lois ne sont pas conformes à la Constitution provisoire du Soudan de 2005, à la déclaration universelle des droits de l'homme et au pacte international relatif aux droits civils et politiques, et prie instamment le Soudan de ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort(3);
7. exhorte le Soudan à déclarer un moratoire immédiat sur toutes les exécutions, dans l'objectif d'abolir la peine de mort ainsi que toutes les formes de châtiments corporels;
8. constate avec inquiétude les violations continues et répétées des droits de la femme au Soudan, notamment dans le cadre de l'article 152 du code pénal du pays; prie instamment les autorités soudanaises de signer et de ratifier rapidement la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes;
9. constate avec inquiétude que l'impunité dans les cas graves de violation des droits de l'homme reste un problème sérieux et répandu au Soudan, comme dans le cas du conflit au Darfour, pendant lequel les autorités se sont abstenues de poursuivre en justice la grande majorité des graves crimes commis, y compris les crimes de violence sexuelle; demande au gouvernement du Soudan d'enquêter et de traduire en justice les personnes responsables de violations des droits de l'homme, y compris de massacres de détenus ou de l'imposition de tortures et de mauvais traitements à des détenus, ainsi que de viols et d'autres formes de violence sexuelle;
10. réaffirme son grand attachement à la séparation stricte de la religion ou de la conviction, d'une part, et de l'État, d'autre part, qui implique d'exclure toute intervention du monde religieux dans le fonctionnement des pouvoirs publics de même que toute discrimination en ce qui concerne la religion ou toute autre conviction;
11. invite le gouvernement du Soudan à adhérer au premier protocole de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes africaines, ainsi qu'au protocole de la Cour de justice de l'Union africaine, tous deux adoptés le 11 juillet 2003 à Maputo, Mozambique;
12. demande au gouvernement du Soudan d'entreprendre d'urgence, avec le soutien de la communauté internationale, des réformes juridiques afin de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales, de garantir à tous la protection de leurs droits fondamentaux et, notamment, d'éliminer certaines discriminations à l'encontre des femmes, des minorités et des groupes défavorisés;
13. manifeste son soutien aux efforts visant à parvenir à une solution négociée à la situation au Soudan favorable à tous et aux efforts de la société civile et des partis d'opposition pour la promotion du processus de paix;
14. invite l'Union européenne à jouer un rôle de premier plan et à faire pression en faveur de la rédaction d'une résolution forte sur le Soudan lors de la prochaine session du Conseil des droits de l'homme au mois de septembre 2014, qui dénonce les violations graves et généralisées des droits de l'homme et du droit humanitaire international dans le pays;
15. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au gouvernement de la République du Soudan, à l'Union africaine, au Secrétaire général des Nations unies, aux coprésidents de l'Assemblée parlementaire paritaire ACP‑UE et au Parlement panafricain.
Accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000.